La nécessité du redressement industriel

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Un collègue et ami, le professeur Gérard Lafay, m’adresse ce texte programme auquel je me joins volontiers. Il présente des scénarios pour reconstruire après la crise, sachant qu’il est hors de question de poursuivre avec le personnel politique actuel et cet Etat qui est devenu aussi cher qu’innefficace. On voit le rôle nocif des ARS dans la gestion de la crise du COVID qui stérilisent toute initiative des hôpitaux et des médecins, avec leur personnel pléthorique. Le texte met l’accent sur la refondation de l’école et de la formation, sur la reconquête de nos industries et le soutien à la création d’entreprises qui ne soient plus des poupées gonflables des marchés financiers. Un texte qui ouvre des perspectives et propose des options.

CR

Par un collectif[1]

Introduction

En janvier 1980, un article de la revue du CEPII[2] détectait l’émergence de la troisième révolution industrielle. La première d’entre elles, qui s’était épanouie au XIX° siècle sous l’égide de l’Angleterre, était fondée sur le charbon, axée sur la machine à vapeur, transportée par le chemin de fer, appuyée sur le textile. La deuxième, sous l’égide des États-Unis, s’est développée au XX° siècle, fondée sur le pétrole, axée sur l’électromécanique classique, véhiculée par l’automobile, appuyée sur la chimie. La troisième, qui commençait alors à émerger, prend son plein essor au XXI° siècle, fondée sur le nucléaire et les énergies renouvelables, axée sur la filière électronique, transmise par les technologies numériques, appuyée sur la biochimie.

En 1980, il n’était pas encore possible de désigner le pays de tête de cette révolution industrielle, mais aujourd’hui on observe une compétition acharnée entre les États-Unis et la Chine. Après cet article fondateur, l’auteur a eu l’occasion de développer cette analyse des révolutions industrielles dans différents colloques à partir de mai 1980. C’est ainsi qu’au cours des années quatre-vingts, il l’a présentée à Epinal dans un colloque organisé par Philippe Séguin où assistait Jeremy Rifkin. Celui-ci a repris ensuite l’idée à son compte, en se présentant comme son auteur, mais en  déformant totalement sa signification.

Désormais, le sujet majeur est l’effondrement de notre industrie, reconnu par la plupart des observateurs objectifs. Ceci explique notre profond déficit commercial et la situation lamentable dans laquelle s’est trouvée la France dans la crise du coronavirus. Notre pays a été incapable de fournir les masques, les moyens de détection et les respirateurs face à la pandémie, cependant que les infrastructures hospitalières se sont effondrées. C’est pourquoi il est essentiel de comprendre les vraies causes de cette situation, afin de dessiner les moyens de sortir de la profonde crise économique qui nous pend maintenant au nez.

1)   Les causes de l’effondrement industriel français

Depuis plus de quarante ans, le nombre d’emplois dans l’industrie française est passé de 6,5  millions à 2,7 millions de salariés, cependant que la part de la valeur ajoutée industrielle dans notre Produit Intérieur Brut est tombée de 24 % à 10,5 %. Une telle évolution est due à de multiples causes : l’affaiblissement de notre système productif et de l’éducation nationale, l’illusion d’une société post-industrielle, le libre-échange illimité dans la mondialisation, la financiarisation de l’économie mondiale, le rôle crucial du taux de change réel, la faiblesse structurelle du capitalisme français.

  • L’affaiblissement de notre système productif et de l’éducation nationale

Le recul continu de l’emploi industriel en France est la marque la plus visible de l’affaiblissement de notre système productif. Il s’agit d’une évolution de longue durée, amorcée au début des années quatre-vingts, qui a résulté de politiques économiques inadéquates, des gains salariaux sans lien avec la croissance de la productivité, et d’un affaiblissement pratiquement continu de nos entreprises, alourdies par des impôts sur la production et des charges sociales sur le travail utilisé, sans commune mesure avec celles supportées par les entreprises concurrentes.

Dans ce contexte, les contraintes de l’Union Européenne et, plus encore, de l’euro, ont emprisonné les entreprises françaises dans un carcan intenable dont les Français subissent aujourd’hui les effets. Handicapées par un taux de change FRF/euro surévalué au lancement de l’euro, et par la hausse relative de leurs coûts salariaux unitaires par rapport aux pays de l’Europe du Nord, elles ont eu à faire face à des politiques européennes qui les ont encore affaiblies.

La dégradation de l’éducation nationale est l’autre élément marquant. La France bénéficiait autrefois d’un enseignement qui, de même que notre système de santé, était souvent considéré comme le meilleur du monde. Sous la troisième République, les “hussards noirs” dispensaient dans l’école publique, au plus grand nombre, un enseignement de qualité, obligatoire et gratuit. Au stade primaire, tous les écoliers apprenaient à lire, écrire et compter jusqu’au certificat d’études. Au stade secondaire, les élèves étaient sélectionnés tout au long de leurs études, littéraires ou scientifiques, jusqu’à un baccalauréat que n’atteignait alors qu’une petite minorité. Au stade supérieur, l’accès des étudiants se faisait soit dans des Universités, très sélectives, soit dans des grandes écoles organisées par concours. Grâce à des bourses nombreuses et généreuses, un ascenseur social se faisait en faveur des classes populaires.

Au cours du temps, il fallait sans doute accroître le nombre des étudiants accédant à l’enseignement supérieur. Mais tout cet édifice harmonieux a été graduellement démoli, depuis plus d’un demi- siècle, par l’idéologie pernicieuse du “pédagogisme”, tirée de Pierre Bourdieu. Elle a infiltré tous les technocrates qui dominent le Ministère de l’éducation nationale, ainsi qu’un grand nombre d’enseignants formés selon ces idées. Sous couvert d’innovation et de démocratisation, on a récusé toutes les méthodes anciennes d’enseignement. L’alphabétisation par la méthode syllabique, qui avait fait ses preuves de longue date, a ainsi été remplacée par une méthode globale d’écriture, engendrant une méconnaissance dramatique de l’orthographe de notre langue. La culture générale a été décriée dans les études secondaires, sous le prétexte de son origine bourgeoise et afin ne pas “discriminer” les immigrés mal-assimilés, cependant que le redoublement des classes a été prohibé, amenant ainsi au niveau du baccalauréat la plus grande majorité de chaque tranche d’âge. Quant à la sélection à l’entrée des Universités, elle a été interdite après les “événements” de mai 1968.

Bien entendu, ces pratiques ont été à l’encontre de l’objectif théoriquement poursuivi d’égalisation. L’ascenseur social, qui existait autrefois, et dont témoignaient de nombreuses réussites spectaculaires, s’est fortement ralenti, comme le montrent les statistiques sur l’origine sociale des étudiants des grandes écoles ou de ceux parvenus à la fin des études universitaires. Le résultat le plus frappant est surtout le recul constant de notre pays dans les enquêtes internationales menées régulièrement, qui permettent de contrôler le niveau de connaissances de l’ensemble de la population.

1.2) L’illusion d’une société post-industrielle

L’économiste Colin Clark avait classé les activités économiques en trois secteurs : le primaire, exploitant les ressources naturelles (agriculture et industries extractives), le secondaire, formé par l’ensemble des industries manufacturières, le tertiaire, constitué par tous les services. Il avait également observé que, dans une économie sous-développée, le secteur primaire occupait la majeure partie de la population active, en particulier dans les activités agricoles d’élevage, de plantation et de récolte. En revanche, lorsqu’une économie se développait, la part du secteur primaire avait tendance à baisser relativement au profit des deux autres, et en particulier du secteur des services.

L’économiste Jean Fourastié, qui publia en 1949 son ouvrage Le grand espoir du XX° siècle, et qui a qualifié plus tard de trente glorieuses les années d’après-guerre de 1945 à 1993, avait repris cette classification. Cependant, comme il a été signalé une tribune récente[3], Jean Fourastié avait caractérisé surtout ces trois secteurs par les rythmes différents du progrès technique :

  • moyen dans le secteur primaire,
  • élevé dans le secteur secondaire,
  • faible dans le secteur tertiaire.

Selon lui, le problème de la productivité était fondamental. Il a expliqué, tout au cours de sa carrière, que le progrès technique domine l’histoire économique des pays : il a en conclu que “le progrès technique modifie inlassablement les bases naturelles et les effets du travail“. Et, en 1949, il a créé le “Comité provisoire de la productivité” pour inciter les entreprises à tirer parti, du mieux possible, des progrès pouvant être apportés par les technologies modernes.

C’est par une mauvaise lecture de Jean Fourastié que nos élites, aussi arrogantes qu’ignares, se sont imaginées que l’on allait passer dans une “société post-industrielle”. Ils pensaient que les pays occidentaux, qui dominaient le monde depuis le XV° siècle, resteraient les seuls détenteurs du savoir, laissant aux pays sous-développés le soin de produire tous les produits dont nous aurions besoin. La suite de l’histoire a montré cette erreur funeste. Dès 1985, elle fut perçue et dénoncée dans une tribune écrite en commun avec Christian Beullac[4]. En fait, les pays asiatiques se sont révélés capables d’une vitesse de rattrapage époustouflante, même dans les technologies les plus avancées.

1.3) Le libre-échange illimité dans la mondialisation

Depuis l’analyse de l’avantage comparatif, due à David Ricardo, on sait que les économies nationales trouvent intérêt à échanger entre elles les produits, chacune se spécialisant dans les productions où elle est la mieux placée. Cette analyse a été affinée par les travaux d’Eli Heckscher et Bertil Ohlin, tenant compte de la dotation relative de chacun en facteurs de production. Il est vrai que, même dans ce cas, les gains de l’échange pouvaient ne pas être équitables, en fonction des élasticités prix des demandes relatives (Stuart Mill), et donc qu’un pays pouvait parfaitement refuser la spécialisation spontanée résultat du libre jeu des marchés (List).

Après la seconde guerre mondiale, on s’est efforcé de développer graduellement l’ouverture aux échanges internationaux, pour éviter le retour au protectionnisme généralisé qui avait cours avant le conflit. L’Accord général sur les tarifs douaniers (GATT), qui court-circuitait la Charte de la Havane, a promu l’ouverture générale par des cycles successifs de négociations internationales (appelés Rounds), et ce mouvement a été poursuivi après 1995 par l‘Organisation Mondiale du Commerce (OMC).

La situation du commerce international a cependant été profondément altérée par deux phénomènes majeurs. Il s’agit tout d’abord de l’abandon, à partir de 1973, du système des taux de change fixes qui avait été institué par les Accords de Bretton Woods après la seconde guerre mondiale. De facto, la flexibilité des taux de change a rétabli, sous une forme monétaire, l’existence de l’avantage absolu, dû aux analyses anciennes d’Adam Smith. Ce sont effet les comparaisons des prix des différents produits, exprimés dans la même monnaie, qui déterminent leur compétitivité relative et donc l’orientation des courants commerciaux.

Le deuxième phénomène, qui n’avait pas été entrevu par les théoriciens postulant la fixité des facteurs de production, est l’avènement de la mondialisation à partir des années quatre-vingts, en raison de la révolution néolibérale. Non seulement les frontières étaient déjà ouvertes aux échanges commerciaux, mais elles devaient faciliter la mobilité des facteurs de production. Pour le “facteur travail”, la mobilité est restée relativement limitée, tant à l’émigration qu’à l’immigration, même si un certain patronat s’efforçait déjà d’en profiter pour peser à la baisse sur le niveau des salaires. Il est vrai que l’on assiste aujourd’hui à la difficulté d’assimiler une main d’œuvre étrangère trop nombreuse. Mais c’est surtout pour le “facteur capital” que la situation a été radicalement modifiée par la libération totale des mouvements de capitaux.

Les grandes entreprises sont devenues transnationales par l’investissement direct à l’étranger (IDE). Entre les pays développés, cet investissement direct correspond surtout à une recomposition du capital des entreprises – fusions ou acquisitions par l’OPA – et ne semble pas avoir d’impact direct sur la production (brown field).  En revanche, vis-à-vis des pays en développement, les investissements directs correspondent le plus souvent à la création d’activités (green field). Prenant d’abord la forme de l’établissement de filiales, ils créent maintenant divers types de relations de partenariat avec les entreprises locales, établissant ainsi des “chaines de valeur” au sein de réseaux productifs étendus à l’échelle mondiale.

Cette mondialisation a d’abord visé à profiter du coût relativement bas de la main d’œuvre dans ces pays en développement, en raison de leur forte dotation en facteur travail. Mais elle s’est accompagnée aussi d’un transfert de technologie. A priori, celui-ci est normal et contribue au développement de ces pays, à condition que la nation d’origine garde la maîtrise de sa technologie. Malheureusement, cela n’a souvent pas été le cas. D’une part, certains pays émergents comme la Chine ont pratiqué systématiquement l’espionnage industriel. D’autre part, de nombreuses entreprises transnationales ont laissé faire ce processus, soit par naïveté, soit par cupidité. C’est ainsi que, pour garder temporairement des contrats de ventes aéronautiques, on a transféré toute la technologie de la construction d’avions.

Dans ce commerce international dû à la mondialisation, le libre-échange illimité nous soumet désormais à un triple dumping. Celui-ci est d’abord social, car les conditions de travail dans de nombreux pays en développement sont insupportables, en raison de l’absence de démocratie et de syndicats libres et représentatifs dans beaucoup d’entre eux. Il est aussi monétaire car certains pays, dont la Chine, pratiquent une sous-évaluation systématique de leur monnaie afin d’amplifier leur compétitivité. Enfin, le dumping  est également environnemental, leurs conditions de production étant loin de se conformer à une saine écologie.

  • La financiarisation de l’économie mondiale

La mondialisation a simultanément entrainé une profonde délocalisation, qui a affaibli le tissu industriel aux États-Unis comme dans de nombreux pays européens, en particulier en France. Des médicaments essentiels sont dorénavant produits à 80 % par la Chine ou l’Inde. De leur côté, nos grandes entreprises commerciales en ont profité pour importer des produits très bon marché, en récoltant des profits juteux. Nos citoyens en ont sans doute bénéficié à court terme, obtenant des prix plus bas en tant que consommateurs, mais ils y ont perdu sur le fond en tant que producteurs.

Alors que l’économie réelle stagne dans beaucoup de pays, on observe parallèlement une hypertrophie de la finance, avec la multiplication des produits dérivés et des effets de levier, ainsi que le trading à haute  fréquence sur les marchés internationaux. La crise découle directement de l’évolution du mode de création de la monnaie. Une superclasse mondiale abrite des fortunes gigantesques dans les paradis fiscaux afin d’échapper à toute solidarité nationale. Dans l’ensemble du monde, les dettes publiques et privées ont atteint un niveau historique. C’est pourquoi beaucoup craignent une déflagration financière pire que celle de 2008.

De multiples produits financiers ont ainsi vu le jour sur le plan mondial. Les esprits scientifiques les plus brillants ont été détournés des innovations industrielles, quelque peu délaissées, afin de mettre en place ces nouveaux produits. Attirés par des rémunérations de plus en plus élevées, ils se mettaient à constituer une caste de traders dans des “salles de marché”. Or ils n’ont pu créer toutes ces innovations financières que parce qu’ils pouvaient jongler avec les modèles les plus sophistiqués, grâce aux nouvelles technologies de l’information et de la communication.

Les places financières fonctionnent 24 heures sur 24, d’un bout à l’autre de la planète, chacune prenant le relais de la précédente. On ne souligne pas assez l’importance, dans ces développements, de la cotation en continu qui n’a, sur le plan économique, aucun sens (argument habituel étant la liquidité) et qui est profondément inéquitable car tous les acteurs ne sont pas outillés de la même manière. Un ou plusieurs fixings par jour permettraient de dégager des prix plus représentatifs, mais cela ficherait en l’air plusieurs activités lucratives car les dérivées exigent un hedging en temps réel très pointu.

C’est ainsi qu’en France, en particulier, les élites se sont d’autant plus détournées de l’industrie que la fausse idée d’une société post-industrielle avait façonné les esprits.  Dans les salles de marché des banques (y compris étrangères), il y avait des promotions entières des écoles d’ingénieurs des plus grandes écoles françaises. Et, pour cause, en une ou deux années, les meilleurs d’entre eux pouvaient gagner ce qu’un emploi industriel aurait pu leur offrir en une vie de travail. On ne connait pas d’études ayant estimé le coût d’opportunité de cette financiarisation pour les économies, et d’abord l’économie française

L’aboutissement du mythe post-industriel se trouve aujourd’hui dans la finance, mise au pinacle. En multipliant une prolifération financière, on a fini par construire une économie qui ne repose que sur le vide. Elle engendre des bénéfices exorbitants, qui sont dus uniquement à une création monétaire ex nihilo. Cette création de valeur est purement fictive, car elle n’apporte rien d’utile. Elle se distingue radicalement de la véritable création de valeur par les entreprises productives, qui associe de façon indissociable les travailleurs et les apporteurs de fonds.

1.5) Le rôle crucial du taux de change réel[5]

Dans tout pays, avant l’avènement de la mondialisation, les choix d’investissement productif des entreprises découlaient principalement de l’évolution prévisible de leur territoire d’origine, tant pour l’offre que pour la demande. Chaque nation avait sa propre dynamique de croissance. Les relations avec le reste du monde avaient ainsi un rôle d’ajustement, car les écarts relatifs de prix entre les différents territoires se traduisaient par le déséquilibre de leurs échanges extérieurs.

Dès lors que les prix sont exprimés dans la même monnaie, une loi du prix unique à l’échelle mondiale était postulée autrefois par certains théoriciens. Or toutes les études empiriques montrent que cette loi est radicalement fausse, aussi bien pour les PIB (Parité des Pouvoirs d’Achat) que pour chacun des produits de même qualité. Vis-à-vis de l’ensemble du monde, le niveau relatif de l’ensemble des prix d’un pays, représenté par son taux de change réel, est ainsi différent selon les cas. Dans l’ancienne économie internationale, il indiquait sa compétitivité relative : trop élevé, le taux de change réel engendrait un déficit de la balance commerciale et des transactions courantes ; trop bas, il se traduisait par un excédent. La balance globale de chaque économie nationale s’équilibrait alors spontanément, soit en cas de déficit courant par une baisse du taux de change et/ou des entrées de capitaux (principalement par l’endettement), soit en cas d’excédent courant par une hausse du taux de change et/ou des sorties de capitaux.

Ce mécanisme classique a été profondément modifié par la mondialisation, car celle-ci joue désormais un rôle déterminant dans la localisation de l’investissement productif. Que leur origine soit locale ou étrangère, celles des entreprises qui jouent une stratégie mondiale décident de localiser leurs capacités de production en comparant les conditions d’attractivité des économies nationales. Elles tiennent compte à la fois des réseaux d’infrastructure, des règles fiscales et législatives, mais aussi du niveau relatif des coûts salariaux (salaires versés, cotisations sociales incluses, par rapport au niveau de la productivité du travail).

Lorsque les coûts salariaux leur paraissent trop élevés sur le territoire d’un pays, les entreprises sont incitées, d’une part à renoncer à toute extension des capacités sur celui-ci, d’autre part, à favoriser la production de territoires étrangers plus attractifs, directement (IDE green field), ou indirectement (partenariat de l’entreprise-réseau). En élevant les coûts salariaux nationaux vis-à-vis de la moyenne mondiale, la hausse du taux de change réel oriente par conséquent l’investissement productif intérieur dans le sens des seuls gains de productivité, les capacités de production restant constantes voire devenant décroissantes. La croissance économique est freinée en cassant la dynamique de l’offre.

Le changement de comportement est tout aussi net en ce qui concerne la formation des salaires. Les grandes entreprises, qui jouent un rôle-clé dans la diffusion des normes salariales, changent d’attitude dès lors que les pouvoirs publics abandonnent toutes les préférences nationales et régionales. Les salaires ne sont plus perçus que sous l’angle des coûts puisque de vastes perspectives de débouchés sont ouvertes à l’extérieur par la croissance de pays émergents. À partir du moment où une entreprise a pour seul objectif un profit élevé, il n’y a qu’un seul moyen de le réaliser : peser sur les coûts et d’abord sur les salaires. Comme les employés hautement qualifiés sont rares et très demandés, donc chers, les salaires des catégories inférieures sont comprimés à l’extrême. Un niveau trop élevé des prix relatifs suscite par conséquent une pression à la baisse du salaire réel, qui engendre fatalement un ralentissement de la consommation intérieure. Ce processus est ensuite relayé par toutes les autres entreprises, c’est-à-dire par toutes celles qui ne sont directement concernées que par la situation du marché local.

Dans les pays dont le niveau relatif des prix et des coûts salariaux est trop élevé, et donc le taux de change réel surévalué, la croissance de la demande intérieure est donc doublement ralentie à moyen terme, puisque l’investissement productif et la consommation sont freinés.  Inversement, dans ceux où le niveau des prix et des coûts salariaux est relativement bas, et donc le taux de change réel sous-évalué, le même raisonnement donne des résultats opposés : la croissance est alors stimulée à moyen terme par l’investissement productif intérieur, tant par des entreprises locales que par des entreprises étrangères, cependant que les salaires peuvent progresser d’autant plus que leur niveau relatif reste bas.

C’est pourquoi la financiarisation a été particulièrement néfaste en Europe où l’on a créé la zone euro. Auparavant, la Banque centrale de chaque pays créait sa propre monnaie nationale en fonction des conditions de croissance en valeur de l’économie. Si elle était raisonnable, elle pouvait financer un déficit budgétaire modéré et, depuis l’instauration des changes flottants, piloter intelligemment son taux de change nominal vis-à-vis du reste du monde. Or on vient de voir que, dans une économie mondialisée, le taux de croissance en volume du pays est déterminé par son taux de change réel, c’est-à-dire la combinaison du taux de change nominal et du niveau général des prix.

L’euro, comme monnaie unique, se traduit dorénavant par un taux de change nominal uniforme pour tous les pays de la zone, cependant que leurs taux de change réels demeurent différents en raison de la divergence de leurs rythmes d’inflation. Globalement, pour l’ensemble de la zone, compte tenu de la politique monétaire restrictive pratiquée la plupart du temps par la Banque Centrale Européenne, le  taux de change réel de l’euro a été le plus souvent trop élevé. Il a par conséquent engendré un taux de croissance économique qui est devenu le plus faible du monde, accompagné globalement par une surévaluation excédentaire. Simultanément, pour chacun des pays à inflation relativement plus forte, comme la France et les pays d’Europe du Sud, la surévaluation a été encore plus accentuée. Or les règles du Traité de Maastricht ont interdit tout soutien budgétaire, de sorte que la croissance de l’économie y a été encore plus réduite, avec ralentissement de l’investissement productif et multiplication des délocalisations industrielles.

1.6) La faiblesse structurelle du capitalisme français

Après la vague de nationalisations qui suivit l’élection de François Mitterrand en 1981, le gouvernement de Jacques Chirac et de son ministre de l’économie, Édouard Balladur, entreprit une large privatisation, qui sera poursuivie en 1993. Cependant, pour éviter que les entreprises ainsi privatisées ne soient achetées par l’étranger, il institua un système de “noyaux durs“, inspiré de la méthode japonaise, le croisement des participations permettant à chacune des entreprises de détenir une part significative du capital des autres. Cette formule astucieuse devait sauvegarder l’appartenance française des grandes entreprises, championnes de notre économie.

Malheureusement, en 1997, c’est le même Édouard Balladur qui enterra cette formule. Selon Favilla[6], “le constat est cruel : l’incapacité du capitalisme d’État à passer le flambeau à un capitalisme privé, d’une surface financière suffisante pour agir aux dimensions de l’Europe, est patente. La transition d’un mode de gestion à l’autre n’a pas encore été réussie“. Le résultat est que dorénavant, le capital des grandes entreprises françaises, cotées au CAC 40, est possédé pour plus de moitié par l’étranger, principalement anglo-saxon, soit par des fonds de pension, soit par des fonds d’investissement qui n’ont qu’une exigence de rentabilité immédiate.

Le fait est que nous observons une oligopolisation de l’économie mondiale et que la constitution de champions nationaux est indispensable, ce que la législation européenne nous interdit. C’est pourquoi les exemples abondent de grands noms de notre industrie qui ont ainsi été rachetés purement et simplement par des entreprises concurrentes, ou même totalement démantelés pour faciliter la délocalisation de leur activité. Lorsqu’il était ministre de l’économie, Arnaud Montebourg a même tenté de protéger nos entreprises stratégiques. Son successeur Emmanuel Macron a au contraire autorisé le rachat de la partie la plus stratégique d’Alstom par General Electric… En outre, ce sont également de petites et moyennes entreprises françaises de haute technologie, de véritables pépites,  qui sont souvent la proie du capital étranger.

Une telle situation a diverses causes. Tout d’abord un capitalisme populaire, c’est-à-dire la détention d’actions des entreprises par les particuliers, n’a pas été encouragé par l’État, celui-ci  favorisant surtout les Assurances-Vie. Ensuite, les droits de succession sont visiblement trop élevés, ce qui handicape la transmission des petites entreprises familiales. Enfin, l’existence de fonds de pension, qui permettraient de compléter notre système de retraite par répartition, demeure insuffisante, contrairement au cas de nombreux autres pays.

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2)   Comment sortir de la crise après le coronavirus ?

Au début de 1994, face aux défis de la mondialisation, une étude d’expertise sur l’industrie française fut demandée par le Premier Ministre de l’époque, Édouard Balladur. Une mission fut alors réalisée en Chine, à Hong Kong et en Corée du Sud, après avoir consulté les plus hautes autorités de l’industrie et de l’administration. Un rapport fut ensuite rédigé, qui lui fut présenté en novembre 1994, et dont il n’a malheureusement été tenu aucun compte. En a été tiré, en revanche, un livre qui a eu un certain succès[7].

Désormais, différents moyens doivent impérativement être mis en œuvre pour sortir de la très grave crise qui se profile aujourd’hui, après la pandémie du coronavirus. Ce sont, respectivement, la nécessité impérieuse de la souveraineté nationale, l’établissement d’une Europe des nations, une formation efficace de la population active, la mise en œuvre d’une ingénierie industrielle, une incitation massive à la modernisation des équipements, l’instauration d’un capitalisme populaire.

2.1) La nécessité impérieuse de la souveraineté nationale

Au lieu de subir passivement les effets délétères de la mondialisation, la France doit retrouver les instruments de sa souveraineté. Le premier élément en est le rétablissement de notre propre monnaie, le franc français. Il convient par conséquent de sortir de l’euro, non pas de façon unilatérale, mais plutôt de façon concertée avec nos partenaires, sauf en cas de crise grave, afin de rétablir des taux de change réels adaptés à l‘économie de chacun des pays membres. Il est souhaitable que la concertation se fasse en bon ordre, pour permettre une transition harmonieuse et un traitement optimal des dettes de chacun. En l’occurrence, celles-ci vont devenir colossales, les règles du Traité de Maastricht ayant dû être abandonnées partout en raison de l’explosion des dépenses budgétaires : chaque pays a voulu limiter les conséquences d’une crise économique particulièrement grave, résultant des mesures de confinement décidées pour tenter d’enrayer la pandémie.

Le rétablissement de notre souveraineté doit également être effectué en matière de politique commerciale. En Europe, la création du marché commun, en 1957, s’était accompagnée d’une politique commerciale unique, avec une préférence communautaire (tarif douanier commun et politique agricole commune). Toutefois, ces deux instruments ont été graduellement démantelés par le libre-échange mondialiste, et certains de nos partenaires ne veulent plus en entendre parler. Il est vrai que, dans le passé, des formes néfastes de protection avaient été utilisées chez nous pour tenter de défendre des industries de bas de gamme ou en déclin[8].

Dans ces conditions, il convient désormais de créer en Europe une nouvelle zone de libre-échange, qui ne serait réservée qu’à nos voisins dès lors qu’ils auront pu établir des taux de change réels correspondant à leur situation économique. Comme toute autre zone du même type, il faut en même temps rétablir des frontières nationales, non seulement pour des raisons sanitaires devenues maintenant évidentes, mais aussi pour obtenir des certificats d’origine. Ceux-ci sont effet nécessaires pour éviter tout détournement de trafic.

Ce n’est que vis-à-vis du reste du monde qu’il faut restaurer une politique commerciale souveraine. Des mesures protectionnistes peuvent y être utilisées efficacement, tout d’abord en cas de légitime défense, pour faire face à une concurrence déloyale qui se manifeste sous forme de dumping monétaire, fiscal, social ou environnemental, ou bien pour sauvegarder des secteurs essentiels. Le rôle le plus utile de la politique commerciale doit cependant être offensif, en faveur de la protection des industries naissantes, notamment par des achats publics. Une politique commerciale stratégique[9] doit ainsi permettre de créer de nouveaux avantages pour les industries domestiques. Il faudrait également pouvoir donner des normes objectives pour établir les tarifs protecteurs, sachant que l’établissement de quotas doit être envisagé pour protéger les savoir-faire car les avantages comparatifs ne sont pas éternels…..,

Toutefois, la France devrait adopter des mesures plus favorables pour ses échanges avec les pays francophones d’Afrique[10] . Afin de les faire bénéficier d’une préférence commerciale, il faudrait alors exiger, de la part de ces pays, deux contreparties : d’un côté, qu’ils prennent des mesures contraceptives pour réduire leur explosion démographique, de l’autre, qu’ils recueillent chez eux leurs ressortissants indésirables, soit parce qu’ils sont venus frauduleusement chez nous, soit parce qu’ils ont été préalablement condamnés en raison de leur délinquance.

2.2) L’établissement d’une Europe des nations

Telle qu’elle a existé jusqu’à présent, l’Union Européenne a exercé un rôle très néfaste, tant du point de vue politique que sur le plan économique. Des institutions purement technocratiques, dépourvues de toute légitimité démocratique, ont prétendu dicter leur loi aux États nationaux.  C’est d’abord le cas de la Commission de Bruxelles, qui s’est faite l’auxiliaire de la mondialisation néolibérale. Au nom d’une “concurrence libre et non-faussée”, elle nous a insérés dans un libre-échange illimité. Elle s’est ainsi opposée aux restructurations nécessaires en refusant toute politique industrielle. Sous le prétexte de réduire les dépenses publiques, elle a prétendu également dicter aux États leur propre politique budgétaire, provoquant l’affaiblissement graduel des nécessaires équipements collectifs. Soumise à l’influence d’une multitude de lobbies, elle a appliqué parallèlement aux citoyens une accumulation invraisemblable de normes en tout genre, exigeant que les gouvernements se soumettent à ses directives impérieuses.

Dans chaque pays européen, comme pour l’ensemble de l’Europe, le rôle de la technocratie s’exerce également par une interprétation abusive de la jurisprudence, au nom d’un prétendu “État de droit”. Dans les pays de “droit romain”, ce qui est encore en principe le cas de la France, les lois votées par le pouvoir législatif devraient jouer un rôle prédominant. Or la tradition juridique anglo-saxonne, dite de la common law, instaure un véritable “gouvernement des juges”, ceux-ci étant susceptibles de prendre des décisions en dehors de la volonté des autorités légitimes, élues par la voie démocratique. Et cette tradition anglo-saxonne a tendu de plus en plus à s’imposer en Europe.

C’est d’abord le cas de la Cour de Justice de l’Union européenne, qui siège à Luxembourg. Lorsqu’il s’agit d’arbitrer un litige qui oppose un État membre, voulant défendre ses intérêts nationaux, à la Commission de Bruxelles, cette Cour donne toujours raison à celle-ci au nom de l’intégration supranationale. C’est aussi le cas de la Cour européenne des droits de l’homme, qui siège à Strasbourg. En omettant systématiquement le droit des peuples, elle prétend imposer sa propre interprétation des droits de l’homme aux lois votées démocratiquement par les parlements nationaux. Cette extension abusive de la jurisprudence fait ainsi que des juges non élus, qui ne disposent d’aucune légitimité démocratique, bafouent systématiquement la souveraineté populaire.  

Est-ce à dire que toute forme d’Europe soit néfaste ? Pour répondre aux défis du futur dans les nouvelles technologies, des alliances industrielles entre pays européens peuvent s’avérer utiles. Ceci a été le cas, jusqu’à présent, dans l’aéronautique et l’espace, où ont vu le jour tant Airbus que l’Agence Spatiale Européenne. Mais ces projets ont été montés à partir d’initiatives d’États nationaux, souvent de la France, accompagnant des entreprises de leur nationalité. Ils ont fonctionné efficacement car ils ont été menés totalement en dehors des instances supranationales actuelles

Plutôt que de tenter vainement de réformer l’Union Européenne telle qu’elle existe, il faut dorénavant la mettre à bas. Elle doit être remplacée par une Union confédérale des nations européennes, pilotée par leurs chefs d’État ou de gouvernement. La Cour de Justice de l’Union européenne doit ainsi être abolie. Quant à la Commission bureaucratique de Bruxelles, elle doit être  dissoute, étant remplacée par un secrétariat léger et permanent, dont les membres seraient des fonctionnaires nationaux détachés uniquement pour une période de cinq ans non reconductible.

2.3) Une formation efficace de la population active                                           

Pour restaurer un système correct d’enseignement, apte à assurer une formation efficace de la population active, il va falloir entreprendre un travail de longue haleine. Avant de mettre en place dans ce domaine une véritable révolution, il faudra procéder à un remplacement complet de l’équipe responsable du désastre, c’est-à-dire la plupart des technocrates du Ministère de l’éducation nationale. Telle est la condition sine qua non pour changer radicalement de système et redresser la barre. Parallèlement, il faudra également corriger un vieux penchant français, selon lequel  les professions intellectuelles sont préférées au travail manuel. En l’occurrence, une fois n’est pas coutume, on devrait ici s’inspirer de l’Allemagne, car celle-ci parvient à former une main d’œuvre ouvrière très qualifiée, qui demeure nécessaire au développement de nombreux secteurs industriels. La formation professionnelle est donc, avec la restauration d’un véritable enseignement, la clé du succès.

Il convient ainsi de mener une politique de formation de la main d’œuvre, pour favoriser l’entrée sur le marché du travail et la formation tout au long des cycles de la vie active. La compétitivité et la créativité d’une économie ne peuvent se développer que si la formation des esprits à l’économie moderne et la maîtrise des savoirs vont de pair, pour donner une envie de participer à l’aventure industrielle/économique du pays et y réussir sa vie personnelle, tout en étant utile à la société dans son ensemble.

Dans ce domaine, il faut :

  • Rationaliser (un BBZ s’impose : un trop gros pourcentage de gens s’occupe de tâches non- enseignantes) ;
  • Restaurer la compétition et la méritocratie ;
  • Relever les conditions des enseignants, en s’accompagnant d’un relèvement de leur niveau qui a baissé en même temps que celui des élèves ;
  • Donner un plein développement aux nouvelles technologies dans les méthodes d’enseignement.

Du point de vie de la formation des jeunes, ceci implique :

–     Former la jeunesse au raisonnement (dialectique) et à l’expression écrite et orale (rhétorique) ;

  • Fin du pédagogisme et assurance de la maîtrise des savoirs élémentaires ;
  • Mettre le bac à la fin de la première et instituer des Collèges universitaires (2 ans de filtres propédeutiques, où les jeunes pourront s’autoévaluer et s’auto-orienter) ;
  • Sélection à l’entrée de l’université et quotas d’admissions selon les perspectives d’emploi ;
  • Abolition des objectifs absurdes (80% d’une classe d’âge au niveau baccalauréat), par une approche fondée sur la sélection/orientation favorisant les filières scientifiques, technologiques et professionnelles ;
  • Ouverture aux matières scientifiques par l’utilisation de techniques pédagogiques, adaptées au monde de l’entreprise tel qu’il fonctionne et aux contraintes d’une économie moderne ;
  • Développement, à partir d’un certain niveau (brevet), de formations combinées entreprise/école (apprentissage).

Du point de vue de la formation des adultes :

  • Incitation à la formation permanente des adultes (comptes formation exportables) ;
  • Fin de la mainmise syndicale sur la formation et ouverture massive à la concurrence ;

–      Recyclage obligatoire des personnes sans emploi après une durée élevée de recherche.

2.4) La mise en œuvre d’une ingénierie industrielle

Au lieu d’être absorbée et étouffée par les financiers de Bercy, l’industrie devrait alors faire l’objet d’un Ministère spécifique de l’industrie et du commerce extérieur. Cela ne signifie pas, pour autant, que l’on puisse pratiquer une politique autonome, car Il ne s’agira pas d’une politique industrielle au sens où on a pu l’entendre naguère, concoctée dans les ministères et centrée sur de grandes entreprises, souvent nationales. Il faut désormais mettre en œuvre une “ingénierie industrielle”, visant à construire l’environnement le plus compétitif possible pour les entreprises du pays, afin qu’elles assurent sa croissance et son équilibre extérieur, une fois réalisées les conditions générales de compétitivité.

Un sain libéralisme permettra l’entrée en France d’IDE (investissements directs étrangers), provenant d’entreprises industrielles productives. La mise en place de joint ventures peut même s’avérer très utile dans certains cas. La condition sine qua non est cependant que ces IDE soient vérifiés soigneusement par le nouveau Ministère de l’industrie et du commerce extérieur. Devront alors être prohibés deux cas de figure : d’une part, les achats d’actions par des fonds financiers spéculatifs, qui n’ont que des objectifs de rentabilité à court terme, d’autre part, des tentatives de contrôle ou de démantèlement de nos entreprises stratégiques. Si besoin est, on ne doit pas hésiter alors à les nationaliser.

Par sa politique commerciale stratégique, l’État doit favoriser systématiquement certains pôles qui sont essentiels pour le maintien du niveau technologique et de l’indépendance de décision de la nation :

  • Soutien à certains secteurs clefs où la France détient des avantages comparatifs, comme l’industrie nucléaire et la technologie EPR, les industries civiles et militaires de haute technologie ;
  • Soutien à des secteurs porteurs d’avenir comme l’Intelligence artificielle, les biotechnologies, l’informatique quantique, les applications de l’hydrogène ;
  • Peut-être, le dessin de grands projets d’avenir comme le transport ultra-rapide (Hyperloop) ou l’urbanisme du futur.

Une politique souverainiste doit rénover et restructurer le tissu économique des entreprises :

  • Amortissement accéléré, autorisé dans la mesure où il y a réalisation d’un programme d’investissement nouveau ;
  • Avec déduction fiscale sur les bénéfices réinvestis ;
  • Grandes entreprises : amortissement accéléré des équipements ;
  • PME : amortissement en une année des équipements réalisés ;
  • Pour les TPE/PME : réduction du taux d’imposition au prorata du chiffre d’affaires réalisé à l’exportation ;
  • Déduction fiscale concernant les impôts sur le revenu ou la fortune, pour tout apport net de capital à une entreprise de type TPE/PME (en création ou existante) ;
  • Nouvelles entreprises : allègement des procédures de création, suppression de toutes charges (en plus des charges sociales) pendant 3 ans ;
  • Favoriser le financement des entreprise s par tous les canaux possibles, rôle de la BPI à renforcer (allongement du financement, nouvelles techniques de répartition des risques, interventions en fonds propres) ;
  • Révision à la hausse des seuils de déclenchement pour application de la législation sociale ;
  • Simplification radicale des lois, règlements et normes touchant à l’activité des entreprises.

 

Parallèlement, il est nécessaire de mener une politique énergétique, visant à renforcer la compétitivité de la France, tout en délivrant une énergie aussi propre que possible. La fuite en avant vers les énergies dites “renouvelables“, ce qui est appelé “la transition énergétique”, risque d’obérer de manière substantielle les coûts de l’énergie, tant pour les ménages que pour les entreprises. Il n‘y a aucune raison que la France presse le pas en la matière et renonce à ses potentialités susceptibles de lui fournir des avantages comparatifs :

  • Remise en cause du mix des énergies renouvelables (renforcement du solaire et renoncement à la poursuite d’un éolien qui pollue nos paysages) ;
  • Maintien de l’énergie nucléaire comme source prépondérante dans le mix énergétique ;
  • Abolition de la loi interdisant toute recherche d’énergies fossiles (gaz de schiste) sur le territoire national.

Enfin il convient d’améliorer le dispositif de la présence française à l’étranger, en présentant une approche globale de coopération politique, culturelle, technologique et économique. Il faut proposer un vaste partenariat, en se mettant à l’écoute de ce que veulent les dirigeants locaux. Il faut également regrouper dans un même lieu les antennes des administrations et des syndicats professionnels avec la chambre de commerce, à l’exemple de ce qu’a fait l’Allemagne, celle-ci ayant par exemple établi, dans les grandes villes chinoises, des “maisons de l’industrie allemande”.     .

 

2.5) Une incitation massive à la modernisation des équipements

Le redressement de l’économie française, que ce soient l’agriculture, l’industrie manufacturière ou l’ensemble des services industriels, suppose aujourd’hui un changement radical des orientations économiques en se fondant sur deux principes essentiels :

  • Les entreprises sont, d’une part, à la source de la création de richesse et de l’amélioration du bien-être dans nos sociétés et, d’autre part, de la capacité de l’économie nationale à croître de manière équilibrée, en sauvegardant l’équilibre de ses comptes extérieurs ;
  • Dans un pays qui n’est plus en phase de rattrapage de l’économie la plus avancée, comme dans la période d’après-guerre qui s’est achevée en 1974, il s’agit maintenant pour notre économie de chercher ses propres sources de croissance par la recherche et l’innovation, dans une recherche constante de la meilleure compétitivité au plan mondial, en acceptant la concurrence, pourvu qu’elle soit vraiment fondée sur des avantages comparatifs réels et non sur des avantages sociaux et environnementaux indus.

Les enjeux de compétitivité pour nos économies relèvent d’une vision globale, qui englobe diverses dimensions de l’action politique : politique budgétaire dans ses dimensions aussi bien conjoncturelle (régulation de la dépense globale) que structurelle (poids et orientation des dépenses publiques, charge globale et répartition de la fiscalité), politique monétaire et financière, politique en matière de R&D, politique d’éducation nationale et de formation, politique d’aménagement du territoire…. Dans un contexte de compétition internationale, avec une ouverture, même contrôlée, des frontières,  tous les aspects de la politique menée doivent renforcer la compétitivité de l’économie et donc obéir à “l’impératif industriel”.

À côté de la recherche de compétitivité, l‘Etat doit avoir le rôle d’inciter massivement à la modernisation des équipements. La France se signale en effet par un sous-équipement préoccupant en matière d’installation de robots, en raison probablement de la faible rentabilité des entreprises (hors multinationales) et de la difficulté à opérer des ajustements de main d’œuvre dans le contexte social français. Il convient donc de créer un fonds de développement industriel, dont le financement pourrait être assuré par un grand emprunt, sans accroître la dette publique en circulation (la réforme monétaire permettant de neutraliser instantanément un montant de l’ordre de 150 milliards € de dette publique détenus par les banques et la BdF). Il faut également apporter le soutien de l’État à la formation d’une main d’œuvre plus adaptée, ainsi qu’à la mobilité par le développement de dispositifs de flexisécurité.

Parallèlement, une politique de Recherche et Développement doit avoir pour objet de favoriser l’innovation et la création d’entreprises :

  • Recentrer les dispositifs d’aide à la R&D sur les PME, en évitant les effets d’aubaine pour les grandes entreprises qui, de toutes façons, auraient développé cet effort sur leurs capitaux propres ;
  • Pousser la recherche privée plutôt que la recherche publique, dont l’expérience montre qu’elle est moins efficace en termes de brevets et d’innovation ;
  • Réformer les Institutions publiques de recherche, pour les dé-fonctionnariser, et lancer les chercheurs dans la création d’entreprises, afin d’exploiter les brevets en liaison avec leurs organismes de rattachement ;
  • Resserrer les liens entre les Grands pôles universitaires technologiques-et les entreprises, pour désenclaver les chercheurs et leur faire prendre conscience des besoins des entreprises.

Il convient également d’engager une politique systématique de renforcement du tissu de PME car, contrairement à l’Allemagne, la France ne manque pas de ITE/PME mais de moyennes/grosses PME ; or seules celles-ci sont vraiment capables de R&D et de capacités exportatrices :

  • Adaptation de tous les seuils réglementaires qui bloquent la progression de la taille des entreprises ;
  • Favoriser la création et le développement des entreprises, en créant ou renforçant des réseaux de financement privilégiés :
  • Soutien aux PME à travers les budgets d’investissement publics et les appels d’offres des collectivités publiques ;
  • Favoriser les sociétés en commandite ;
  • Allègement des droits de succession, afin de maintenir la poursuite des entreprises familiales au fil des générations.

Enfin, on doit également mener une vraie politique d’aménagement du territoire, afin de  favoriser les spécialisations relatives des régions en fonction de leurs compétences propres. Il faut ainsi permettre l’investissement productif de proximité dans les entreprises régionales. On peut également poursuivre la politique des “pôles de compétitivité”, en étant plus sélectif pour pouvoir y concentrer plus de moyens publics et être donc plus efficaces (recherche d’effets clusters), tout en articulant les pôles universitaires et les centres de recherche et implantations industrielles. Avec le développement des nouvelles technologies, l’agglutinement dans de grandes métropoles n’est plus de mise, compte tenu du coût énorme que cela provoque et de la baisse de la qualité de vie qui s’ensuit. Il faut utiliser tous les leviers à notre disposition pour obtenir une répartition plus harmonieuse des activités sur le territoire, avec un développement des transports rapides.

2.6) L’instauration d’un capitalisme populaire

Il est nécessaire de remédier à la vulnérabilité de nos entreprises, en raison de la faiblesse structurelle du capitalisme français, mentionnée plus haut. Chaque entreprise est d’abord une collectivité qui unit les compétences de tous ses travailleurs, qui vont de l’entrepreneur à l’ensemble de ses ouvriers, en passant par ses employés et ses cadres. C’est un rassemblement d’hommes et de femmes, dont chacun apporte un ensemble d’aptitudes, de qualifications et d’expériences accumulées. Tel est l’ensemble du facteur travail, ce que les économistes appellent le capital humain propre à l’entreprise. Celle-ci utilise également son capital productif, qui a été acheté à d’autres entreprises, et qui n’est que le fruit accumulé d’un travail antérieur (auquel s’ajoutent seulement les ressources naturelles). Cette logique avait été mise en évidence dès le XIX° siècle par l’École classique anglaise. Dans toute entreprise, ce capital productif est inscrit à l’”actif” du bilan.

À côté du capital humain et du capital productif, tout autre est la fonction du troisième concept de capital, celui du capital financier provenant des apporteurs de fonds. Ceux-ci, en constituant le capital financier qui figure au “passif” dans le bilan de l’entreprise, servent à financer l’achat du capital productif. Le capital financier est évidement nécessaire, car il représente l’argent fourni par les apporteurs de fonds. Mais s’il a permis d’acheter le capital productif, il ne l’a pas fabriqué, car il ne produit rien par lui-même. Contrairement à ce qu’imagine le néolibéralisme, les apporteurs de fonds n’ont donc pas créé le capital productif.

C’est en réalisant des profits, par différence entre le montant de ses ventes et le coût de sa production, que chaque entreprise va créer de la valeur. Quelle est alors la valeur d’une entreprise ? Au départ, elle correspond automatiquement aux apports de fonds à risque. Ceux-ci ont en effet financé le capital productif, auquel s’ajoute le solde entre les avoirs et les engagements financiers. Cependant, dès que l’entreprise se met à fonctionner, elle engendre une création de valeur, fruit de l’association nécessaire entre le capital humain interne et les apports de fonds. La création de valeur est devenue prédominante aujourd’hui, exprimée par le concept de “survaleur” ou goodwill, ce qui correspond à une extension de la notion traditionnelle du “fonds de commerce”.

Or, sur le plan microéconomique, c’est-à-dire pour la direction des entreprises, la notion de création de valeur a été pervertie. L’impact du néolibéralisme est ici encore plus négatif qu’au niveau macroéconomique. Alors que, depuis plusieurs décennies, les actionnaires n’avaient qu’un rôle limité dans la gestion, l’idéologie dominante est devenue celle de la “primauté actionnariale” vis-à-vis des entrepreneurs ; celle-ci s’est traduite par une augmentation constante des pouvoirs des actionnaires dans les sociétés cotées, aucun contre-pouvoir n’y étant opposé.

Toutefois, de nombreux hommes politiques, en France ou à l’étranger, ont tenté de faire en sorte que les travailleurs aient un rôle actif, d’une part en ayant  leur mot à dire dans la direction de leur entreprise, d’autre part en touchant une partie du fruit de sa réussite. Dans les pays anglo-saxons, ce développement est cependant resté limité à la formule des “fonds de pension”, contrôlés par les financiers. En France et en Europe, les projets de participation d’inspiration gaulliste ont été plus ambitieux, sans aller cependant jusqu’à permettre à l’actionnariat des travailleurs de jouer un rôle très important. Or la participation, qui est devenu vitale au XXI° siècle, ne pourra prendre tout son plein essor que lorsque ses mécanismes auront été profondément repensés.

La participation obligatoire, instituée en France en 1967 sous l’égide du Général de Gaulle, correspondait au partage de la création annuelle de valeur entre le capital humain et le capital financier Le profit était réparti selon les parts respectives des parties prenantes dans la valeur ajoutée de l’entreprise. On déduisait simplement les intérêts traduisant, pour les apporteurs de fonds à risque, la préférence pour le présent. L’ampleur de ce mécanisme devrait désormais être triplée, d’une part en l’étendant à un nombre accru d’entreprises, d’autre part en supprimant sa double limitation, tant par l’impôt sur les bénéfices des sociétés que par l’abattement forfaitaire appliqué jusqu’à maintenant. Mais surtout, au lieu de faire l’objet de revenus additifs, bloqués pendant cinq ans, la participation devrait être conçue dans la perspective d’une longue durée, jusqu’à la fin de la carrière.

Dans cet esprit, la seule solution logique serait ainsi que la réserve de participation fasse uniquement l’objet d’une attribution gratuite d’actions ou de parts de l’entreprise, de façon à développer un capitalisme populaire. Ainsi serait changée en profondeur la nature même de chaque entreprise, transformant chaque travailleur en un propriétaire (notamment en salarié actionnaire). La réserve de participation devrait donc concerner tout le personnel, en permettant à la fois de financer l’investissement productif et d’élever la part des travailleurs dans le capital de l’entreprise. La participation offrirait également le moyen d’apporter un complément de retraite sous forme de capitalisation, sans pour autant remettre en cause le régime de base qui doit, évidemment, demeurer celui de la répartition.

Il faut cependant permettre une diversification des risques, pour éviter qu’un travailleur ne mette tous ses œufs dans le même panier. Chacun d’entre eux devrait donc pouvoir céder une fraction plus ou moins grande de ses actions, ou parts d’entreprise, à un fonds de placement à la française. En l’occurrence, ce placement diversifié ne devrait pas être laissé entre les mains d’agents financiers jouant contre les intérêts des travailleurs, selon la méthode anglo-saxonne, ni être géré par les syndicats, qui doivent garder un rôle purement revendicatif. Un tel fonds de placement devrait par conséquent reposer sur les travailleurs eux-mêmes, qui devraient alors se regrouper par corps de métier pour s’organiser démocratiquement.

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Conclusion

Depuis plus de quatre décennies, la plupart des responsables politiques, englués dans une idéologie mondialiste et européiste, ont été incapables de maintenir la présence en France d’une industrie puissante, apte à faire face aux défis de l’avenir. En dépit d’une repentance tardive, l’actuel Président de la République, Emmanuel Macron, inféodé à la finance, va très probablement continuer à se situer dans la même lignée. C’est pourquoi, lors de la prochaine élection présidentielle, il sera essentiel de congédier ce personnel discrédité.

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[1] Premiers auteurs : Christian Gomez, Gérard Lafay, Philippe Murer, Henri Temple, Jacques Sapir, Jean-Claude Werrebrouck

[2] Lafay Gérard, “La mutation de la demande mondiale”, Economie prospective internationale, janvier1980.

[3] Sicard Claude, “Comment une mauvaise lecture de Jean Fourastié a conduit à l’erreur de la désindustrialisation”, Figaro-Vox, 9 avril 2020.

[4] Beullac Christian et Lafay Gérard, “L’industrie appartient-elle au passé ?”, Le Monde, 5 juillet 1985.

[5] Voir Lafay Gérard,  “Une théorie du change réel dans une économie mondialisée”, Revue d’économie politique, n° 114 (6), novembre–décembre 2004.

[6] Favilla, “Feu les noyaux durs”, Les Échos, 24 novembre 1997.

[7] Lafay Gérard, “Comprendre la mondialisation”, quatre éditions successives jusqu’en 2002, Economica, Paris.

[8] Lafay Gérard; “Le protectionnisme qui a endormi l’industrie française”, Le Monde, 7 novembre 1989.

[9] Krugman Paul et Smith Alasdair(eds), Empirical Studies on Strategic Trade Policy, NBER, The University of Chicago Press, 1994.

[10] Simultanément, il faut également inciter ceux d’Afrique sub-saharienne à mettre en place des taux de change qui ne soient pas surévalués, en particulier ceux des deux zones franc CFA.

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