Qu’est-ce qui fait qu’une ville est intelligente?

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Chapitre du livre:  Les villes intelligentes: réalité ou fiction?

L’adjectif smart est aujourd’hui accolé à des systèmes technologiques. Tout système qui est capable de s’autoréguler sur la base d’un phénomène de rétroaction est qualifié d’intelligent, à l’image d’un thermostat. L’intelligence se définit comme la capacité à modifier son comportement en fonction du résultat consécutif à une action. Cette régulation se fait de manière empirique selon le principe de l’induction, qui permet d’induire le semblable à partir du semblable. C’est le principe du cygne blanc : après avoir constaté que N cygnes sont blancs j’en infère que tous les cygnes sont blancs. Ce principe conduira le système à faire « plus de la même chose », par exemple, pour un thermostat, entreprendre des actions pour que la température visée soit atteinte. Mais le système peut enrichir son fonctionnement en intégrant des ressources théoriques – qui donc ne viennent pas de l’expérience empirique – qui peuvent induire une autre manière de faire, en l’occurrence parce que le numérique introduit une autre possibilité de faire les choses et de réguler le système urbain. C’est le principe de la déduction, qui part d’une théorie pour aller vers la pratique.

Le courant des smart cities entend introduire de nouvelles théories qui modifient les régulations traditionnelles du fonctionnement urbain, en se fondant sur le fait que le système empirique de régulation ne conduit qu’à la reproduction de situations non satisfaisantes. L’innovation dans ce cas, si innovation il y a, est totalement exogène, elle vient de l’extérieur du système urbain. C’est tout l’intérêt, du point de vue d’une stratégie marketing, d’attacher une portée idéologique à un outil proposé à un acteur socio-économique qui constate que les recettes empiriques ne fonctionnent plus.

Le problème avec cette approche est qu’elle ne produit que des automatismes. Nous sommes dans la régulation simple : avec l’arrivée des technologies numériques, on introduit d’autres outils de régulation, mais qui ne tendent toujours qu’à l’homéostasie du système. Le discours sur la smart city ne voit l’évolution de la ville que dans la promesse d’une évolution technologique qui apportera toujours plus de possibilités en vue d’un new age mythique, mais qui dépendra toujours des fabricants de technologies. Il manque à ce système, pour qu’il soit réellement intelligent, la capacité d’apprendre. Et l’apprentissage, c’est la capacité à remettre en cause ses hypothèses de départ, c’est inférer le différent à partir du semblable, ce qu’on appelle en épistémologie l’abduction, ou, pour reprendre l’expression de Karl Popper popularisée par Nassim Nicholas Taieb, la théorie du cygne noir : ce n’est pas parce que l’on a constaté que 99 cygnes sont blancs que l’on doit en inférer que le 100eest blanc, ce qui s’est effectivement produit quand on a découvert des cygnes noirs en Australie.

Le principe de l’intelligence est l’innovation et l’évolution, qui supposent un va-et-vient entre la technologie et la pratique empirique, tout en tenant compte de l’histoire qui structure notre manière d’apprendre – ce que l’on appelle la dépendance de sentier (plus on apprend, plus on sait apprendre plus on s’inscrit dans une manière d’apprendre et un capital culturel et social accumulé) – de manière endogène. Le discours sur la smart city ignore totalement cette capacité endogène d’évolution qui a été au cœur des villes intelligentes du passé.

Suite Les leçons de la ville médiévale

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