L’épidémie du coronavirus: ses antécédents et ses conséquences

Partager cet article:
Print Friendly, PDF & Email

Loading

Par Jacques Sapir

L’épidémie du Coronavirus (COVID-19 (1)) fournit alors un très bon exemple des conséquences de la globalisation. D’un strict point de vu sanitaire, nous avons été en présence d’une épidémie d’un virus à la dangerosité assez faible mais fortement contagieux (2). C’est pourquoi le nombre de cas est très supérieur à celui de l’épidémie de SRAS de 2003 et les conséquences économiques seront largement plus importantes. Cette épidémie, qui a pris naissance en Chine, s’est ensuite propagée à travers le monde du fait des moyens de transport, remettant en honneur les mesures traditionnelles de quarantaine(3).
Il y a peu de différence, si ce n’est évidemment la dangerosité de la maladie, avec l’épisode de la « peste de 1720 » à Marseille. Cette dernière était, elle aussi, liée à la globalisation de l’époque. C’est un navire, Le Grand Saint-Antoine, en provenance du Levant, qui amena les germes et leurs vecteurs, les puces et les rats. Cette épidémie n’était pourtant pas pas inévitable(4).

LES CONSEQUENCES TRAGIQUES DE L’APPAT DU GAIN

C’est à la suite de graves négligences, et malgré un dispositif de protection en théorie très strict et qui comportait la mise en quarantaine des passagers et des marchandises(5), que la peste se propagea dans la ville. Il semble bien que les règles de la quarantaine ne furent pas respectées et que l’attrait du gain fut la cause d’un débarquement trop rapide de la cargaison. Comme il était alors fréquent dans ce type d’épidémie, les quartiers déshérités et les plus anciens furent les plus touchés. La peste s’étendit rapidement dans la cité où elle entraîna environ 40 000 décès sur 80 000 à 90 000 habitants. Puis, elle se propagea dans toute la Provence, où elle causa entre 90 000 et 120 000 victimes sur une population d’environ 400 000 habitants.
De fait, en cours de route cinq personnes, dont le chirurgien de bord étaient décédées. L’alerte était donc grave et le capitaine décida de s’arrêter alors dans la rade du Brusc, à proximité de Toulon. Les raisons de cette escale sont assez mystérieuses, mais certains historiens estiment que le capitaine avait voulu prendre l’avis des propriétaires de la cargaison pour fixer la conduite à tenir(6).
Le Grand-Saint-Antoine fit alors demi-tour pour gagner Livourne, où il arriva le 17 mai. Les Italiens cependant décidèrent d’interdire l’entrée du navire dans le port et le firent mettre à l’ancre dans une crique gardée par des soldats. Cette précaution apparue d’autant plus judicieuse que le lendemain trois personnes décèdent à bord. Les cadavres qui furent examinés par des médecins détectèrent à une « fièvre maligne pestilentielle ». Mais, ce terme ne doit pas prêter à confusion. Pour les médecins de l’époque il ne désigne pas la peste(7). Les autorités de Livourne mentionnent, au dos de la patente de Tripoli, qu’elles ont refusé l’entrée du navire dans le port à cause de la mortalité d’une partie de l’équipage en raison de cette fièvre(8). Le navire retourna alors vers Marseille : il y avait eu, depuis le départ de Tripoli, pas moins de neuf décès à bord. Le bateau revint vers Marseille. Le 25 mai, le capitaine fit sa déclaration à l’intendant de santé Tiran. Ce dernier prit l’avis du bureau de Santé et décida de mettre le navire en quarantaine. Mais, le 29 mai ce même bureau décida, fait très inhabituel, de faire débarquer aux infirmeries les marchandises de valeur tandis que les balles de coton doivent être transférées à l’île de Jarre. Le 3 juin, cette décision fut étendue à toutes les marchandises. La peste se répandit alors dans Marseille et de là en Provence.

Si elles avaient été correctement appliquées, ainsi que les textes le prévoyaient, les mesures de quarantaine, équivalent du XVIII siècle avec nos mesures de « confinement », auraient été efficaces. Il y aurait certes eut des décès mais pas d’épidémie. C’est bien parce que l’on avait décidé de faire passer le profit avant la sécurité que la maladie put se répandre.
Cette combinaison d’avidité et de prise de risque inconsidéré se retrouve en partie dans la ville de Wuhan, mais aussi dans les décisions initiales du gouvernement chinois qui a plus cherché à faire taire les lanceurs d’alerte qu’à prendre des mesures qui, dans les derniers jours de décembre, auraient pu limiter l’épidémie à Wuhan.

LES CONSEQUENCES ECONOMIQUES

Les conséquences de cette épidémie sur l’économie mondiale seront importantes mais ne peuvent être précisément déterminées au moment où ces lignes sont écrites. Ces conséquences seront néanmoins importantes, du fait du poids de l’économie chinoise. Lors de la précédente épidémie de SRAS en 2003, la Chine ne pesait que 8,5% du PIB mondial. Elle en pèse désormais près de 20%. Ces conséquences peuvent être classées en trois catégories.
Il y a tout d’abord les conséquences immédiates de la mise à l’arrêt d’une grande partie des industries chinoises. La production baisse, mais la consommation de matières premières baisse elle aussi. Si, durant le premier trimestre de 2020, le PIB de la Chine a reculé de -2% comme on l’annonce, alors, cela implique un recul de -0,4% sur le PIB mondial. L’impact direct, pour un pays comme la France, sera aussi lié à la baisse du tourisme et de la consommation qui lui est liée.
Mais, la production hors de Chine est aussi touchée car une partie non négligeable de la valeur ajoutée produite en Europe est liée à la production chinoise. Ainsi, entre 60% et 80% des principes actifs des produits pharmaceutiques sont-ils produits en Chine et en Inde. De même, dans l’automobile, de nombreux composants, des batteries des véhicules électriques aux composants électroniques, sont fabriqués en Chine. Au-delà donc du choc direct il y a un choc indirect. Les chaînes de valeurs impliquent une présence de la Chine dans la production mondiale et pas seulement dans le made in China.
Il y aura, enfin, un choc différé. D’autres pays sont touchés (la Corée du Sud, l’Italie, voire les Etats-Unis). L’effet direct de cette épidémie, comme l’effet de panique qu’elle provoque, aura des conséquences délétères sur la production. Les pays touchés hors la Chine devraient voir leur production baisser au deuxième trimestre 2020. L’étude de l’OCDE, qui chiffre à -0,5% sur l’année l’impact de l’épidémie, tout en ne prenant qu’une estimation « moyenne », montre bien l’impact sur l’économie mondiale de cette épidémie(9).

CONSEQUENCES FINANCIERES

Si ces effets se manifestent dans la sphère réelle, cette épidémie aura aussi des conséquences financières. De nombreuses entreprises vont se trouver avec des problèmes de trésorerie dus à la chute de leurs chiffres d’affaires. Cela provoque mécaniquement une montée des « mauvaises dettes » pour les banques. Les compagnies d’assurances devront aussi indemniser des clients assurés contre le risque épidémique. Bien entendu, les Banques Centrales sont conscientes de ce problème. Elles maintiendront le loyer de l’argent à des niveaux très bas. Mais, leur capacité à relancer le production est en réalité assez faible. On mesure ici la relative faiblesse des instruments financiers. De fait, les gouvernements devront reprendre la main ce qu’a reconnu le Bruno le Maire.

UNE REMISE EN CAUSE DE LA MONDIALISATION ?

Cette épidémie a fait prendre conscience que les principes de la souveraineté économique, que cette souveraineté soit pharmaceutique, alimentaire, voire industrielle, sont centraux pour la stabilité de nos sociétés. Mais, ces notions de souveraineté économique sont en réalité contradictoires avec la mondialisation. Ainsi, à travers une crise que l’on pouvait penser passagère, c’est l’ensemble de l’équilibre entre mondialisation et souveraineté qui est remis en cause.

NOTES

(1) https://www.who.int/…/emerg…/diseases/novel-coronavirus-2019
(2) https://jamanetwork.com/journals/jama/fullarticle/2762130
(3) Wilder-Smith A, Freedman DO. « Isolation, quarantine, social distancing and community containment: pivotal role for old-style public health measures in the novel coronavirus (2019-nCoV) outbreak » in J Travel Med. 2020; doi:10.1093/jtm/taaa020 ; Voir aussi Du Z, Wang L, Cauchemez S, et al. « Risk for transportation of 2019 novel coronavirus disease from Wuhan to other cities in China » in Emerg Infect Dis. 2020, vol. 26 n°5. 10.3201/eid2605.200146
(4) Carrière C., M. Coudurié et F. Rebuffat, Marseille ville morte : la peste de 1720, Marseille, Jean-Michel Garçon, 1988
(5) Hildesheimer F., Le Bureau de la santé de Marseille sous l’Ancien Régime : Le renfermement de la contagion, Marseille, Fédération historique de Provence, 1980.
(6) Gaffarel P. et de Duranty, La peste de 1720 à Marseille & en France, Paris, Librairie académique Perrin, 1911
(7) Mourre C., « La peste de 1720 à Marseille et les intendants du bureau de santé », p. 135-159, dans Provence historique, tome 13, fascicule 52, 1963
(8) Dutour O., M. Signoli, E. Georgeon et J. Da Silva, Préhistoire anthropologie méditerranéennes, t. 3 : Le charnier de la grande peste (rue Leca), Aix-en-Provence, Université de Provence, 1994, p. 191-203.
(9) https://www.lefigaro.fr/…/le-coronavirus-met-l-economie-mon…
(10) https://www.economie.gouv.fr/coronavirus-soutien-entreprises

Partager cet article:

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.