Le Made in France est-il efficace? A propos du rapport du CEPII

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Entretien donné à Atlantico: par Claude Rochet

ATLANTICO

 

Q: Une étude du Cepii révèle que le remplacement de produits importés par des produits fabriqués en France pourrait se révéler très onéreux. Le surcout pour les ménages français pourrait se chiffrer de 100 à 300 euros par mois. Dans ces conditions, le Made in France est-il véritablement efficace économiquement ? Quelles seraient tous les autres effets pervers d’une telle politique ?

Dans ces conditions non, mais ce sont justement ces conditions qu’il faut modifier. La mondialisation repose sur le postulat posé au début du XIX° siècle par David Ricardo selon lequel toutes les activités économiques se valent et, au nom de l’avantage comparatif, les pays doivent se spécialiser dans ce qu’ils savent faire. Une pays qui produit des biens à basse valeur ajoutée va donc se spécialiser dans ce type de bien dont il va inonder le marché des pays développés, ce que fait la Chine, mais pour financer par son excédent commercial son développement industriel, en se moquant pas mal des théories de l’avantage comparatif. L’Angleterre  du XIX° et les Etats-Unis au XX° ont entendu dominer le monde en se spécialisant eux dans l’industrie et le haut de gamme et les autres dans les produits primaires et à faible valeur. Il n’est tout simplement pas possible de faire du Made in France en restant dans un régime de libre-échange comme aujourd’hui. De ce point de vue, les auteurs du rapport ont raison.

Q:Les auteurs de l’étude ajoutent que si “la paire de chaussures de sport françaises est deux fois plus chère, les ménages la remplaceront moins souvent”. Au-delà de l’impact sur le pouvoir d’achat, les relocalisations pourraient-elles également avoir un impact sur la consommation avec quelles conséquences en termes d’emplois ?

Il faut réintégrer deux types de coûts qui ne sont pas pris en compte par l’étude: 

1) Le coût de non-qualité des produits qui va se traduire par une obsolescence accélérée qui amènera une surconsommation du produit dans le meilleur de cas. Dans le pire, l’usage de ce produit peut générer des risques sanitaires (p. ex. cuirs imprégnés de produits toxiques) ou techniques (non fiabilité des produits qui générera des dommages sur d’autres produits). 

2) Le coût des emplois perdus par délocalisation se répercute par pression à la baisse sur les salaires et à la hausse sur les coûts sociaux (chômage) et, plus loin, par la dégradation du capital social liée au sous-emploi (délinquance, drogue,  perte de foi dans l’avenir …)

Délocalisation, désindustrialisation et baisse du niveau de vie : C’est une spirale infernale et mortelle, car dans une compétition par les coûts, il n’y a qu’un seul vainqueur: celui qui pratique les couts les plus bas. S’il a une politique industrielle comme la Chine et l’Asie du Sud-Est, il pourra jouer sur les deux registres, celui des bas salaires et celui de la montée en gamme: il n’en tuera que plus vite les pays délocalisateurs.

Q:Selon les auteurs de l’étude du Cepii, le Made in France pourrait notamment avoir un impact sur la consommation de services. Le gain en emplois dans le secteur industriel, qui pourrait être modéré étant donné l’ampleur de la robotisation, peut-il vraiment compenser les pertes en emplois de service ?

Oui, car les activités créatrices de richesse reposent généralement sur des interactions entre activités. Par exemple, on peut marier une activité à basse intensité technologique comme le textile avec de l’électronique pour faire des chaussettes pour diabétique et des chemises pour cardiaques. Ce mariage demande des compétences de conception de systèmes complexes et de développement de la R&D concurremment dans le domaine textile, dans le domaine électronique et dans le médical.

Q:La hausse des prix devrait en principe provoquer une déflation. Dans ces circonstances, la baisse du pouvoir d’achat serait-elle réellement pérenne ? La perte d’emplois de services ne pourrait-elle pas être seulement de courte durée ?

Friedrich List, le père du protectionnisme éducateur, expliquait en 1841, face à la propagande anglaise qui poussait les pays d’Europe à exporter leurs produits primaires pour importer des produits industriels anglais, que le surcoût induit par la taxation des produits importés était le prix de l’éducation industrielle d’un pays. Les consommateurs consommeront moins, mais de mieux en mieux avec l’amélioration de la qualité des produits et les effets induits sur la réindustrialisation du pays. Des emplois seront perdus dans des activités à rendements décroissants au profit d’activités à rendements croissants. Cela s’inscrira dans le temps et demandera des politiques publiques actives de qualification de la main-d’œuvre.

Q:Le déficit commercial français se chiffre à 4,4 milliards d’euros tandis que l’Allemagne enregistre des excédents. Cette situation est-elle tenable à long terme et quel serait le moyen d’inverser la tendance si ce n’est la Made in France ?

La Made in France est impossible sans réindustrialisation qui suppose la protection, ce qui a été la voie suivie par tous les pays industrialisés. A court terme il faut arrêter l’hémorragie en instaurant, par exemple, la taxe Lauré (l’inventeur de la TVA) sur les importations des pays à bas salaires. Le produit de cette taxe sera affecté à ces pays soit pour financer les exportations des pays industrialisés soit pour améliorer leurs standards sociaux afin de neutraliser l’avantage indu que leur procure le dumping social. Les tarifs douaniers peuvent, produits par produits et pays par pays, contribuer à cette politique. Puis, il est possible de développer des partenariats de développement avec des pays émergents dynamiques sur de projets spécifiques. Par exemple, le développement urbain avec le Maroc peut permettre de développer des compétences sur l’immense marché très concurrentiel de l’urbanisation et du développement durable sur les marchés émergents en associant les compétences des entreprises françaises et le dynamisme de l’économie marocaine, pays francophone qui joue un rôle stratégique sur le continent africain, dont les Américains et les Chinois rêvent de nous expulser.

Recherche, innovation, nouveaux marchés, le Made in France ne peut être qu’une politique industrielle d’ensemble.

Claude Rochet
Voir sur Atlantico l’entretien complet avec Eric Veraeghe

 

 

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