Quelles capacités stratégiques pour les managers publics ?

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Le métier de gestionnaire public à l’aube de la gestion par résultats

Nouveaux rôles – Nouvelles fonctions – Nouveaux profils

         Sous la direction de 
Bachir Mazouz, Presses de l’Université du Québec

En ce début de XXIe siècle, être gestionnaire public c’est être aux commandes d’organisations au service du citoyen, d’abord, de la collectivité, de l’État, de l’entreprise, de la société et de l’économie d’un pays, ensuite. L’ère pendant laquelle le gestionnaire public se contentait d’un rôle de commis de l’État, aussi valorisant ce statut soit-il, est révolue ! Si nous admettons que la performance est dorénavant jaugée par les résultats d’une organisation, et ce, en nombre et en valeur, nous ne pourrons traiter utilement de l’évolution du métier de gestionnaire public sans aborder la nature des transformations qui affectent son rôle, ses fonctions et ses profils. Cet ouvrage nous aide à mieux cerner les mutations que les réformes administratives entreprises à l’échelle de tous les pays de l’OCDE ont introduites quant au métier de gestionnaire public. Par une analyse approfondie de la culture – valeurs, éthique, équité, transparence des décisions, responsabilité et imputabilité des agents publics –, de l’entrepreneurship – leadership, choix et actions stratégiques – et de l’action managériale – savoirs, habiletés, attitudes et compétences –, les auteurs tentent de mieux situer les débats sur la nécessaire et déterminante évolution du métier de gestionnaire public ainsi que sur l’obligation de développer des outils pédagogiques afin de mieux préparer la relève.

Résumé : Le courant de la nouvelle gestion publique a voulu promouvoir un idéal-type de manager public éthiquement neutre, destiné à remplacer celui du bureaucrate wébérien. A rebours de cette neutralité axiologique, le nouveau contexte de la III° révolution industrielle, par les arbitrages qu’il suppose, impose au contraire un retour aux fondamentaux de la philosophie politique classique. La nécessité d’un retour du politique est soulignée, contre le positivisme et managérialisme dominants, par la nécessité de prendre des décisions publiques dans l’incertitude, ce requiert de nouveaux processus comme le débat public, des allers et retours entre la pratique et la délibération philosophique que nous résumons sous le label « d’arts pratiques », et une solide formation des managers où les humanités classiques doivent retrouver toute leur place.

Abstract : The New Public Management hype intended to promote as an ideal type an ethically free manager who should replace the classical weberian bureaucrat. Going against this axiological neutrality, the context of the third industrial revolution requires trade-offs that call to get back to basics of political philosophy. The need to make public decisions under uncertainty implies processes such as public debate, back and forth between practice and philosophical deliberation we call “practical arts”, and intense training of managers where classical humanities must regain the place they have lost.


« Ce que l’infirmité du chef a, en soi, d’irrémédiable ne saurait être compensé par la valeur de l’institution. » 

Charles De Gaulle, Mémoires d’espoir.

 

Ce titre contient en lui-même toute sa problématique dès lors qu’on le lit en français ou en franco-canadien : l’Office québécois de la langue française retient « gestionnaires », tandis que l’Académie française valide « managers », terme d’origine française avant d’être anglicisé, mais avec une différence : les sciences de gestion du vieux pays auront tendance à réduire la gestion à l’administration des choses, aux tâches de comptabilité et d’organisation qui ne font pas appel à une réflexion stratégique sur les finalités de l’action, tandis que le manager est également en charge de choisir la stratégie pour parvenir à des buts.

Le modèle d’administration publique que nous avons hérité est celui de l’organisation rationnelle selon Max Weber, soit la recherche de l’efficacité, garantie par des procédures, séparant les faits des valeurs et voulant sauvegarder l’orthodoxie de la gestion publique des jugements de valeurs des agents. Max Weber n’était pourtant pas Frederik Taylor. Son modèle ne pouvait se comprendre sans un autre idéal type : celui du leader charismatique qui donne du sens à l’action publique. On ne peut pas, en outre, dire que Max Weber fut particulièrement satisfait du paysage ainsi décrit qui traduisait un désenchantement du monde où la mécanique administrative avait remplacé le sens de l’action.

Les valeurs wébériennes et le modèle wébérien d’administration publique ont été la bête noire du NPM (New Public Management ou nouvelle gestion publique). Le modèle wébérien est certes l’expression du paradigme organisationnel de la II° révolution industrielle : division du travail, organisation en silos, rationalisation par la routinisation des procédures, y compris des carrières. Faut-il pour autant jeter le bébé de la rigidité des principes wébériens avec l’eau du bain qu’est la spécificité du management public, comme a voulu le faire le NPM ? Celui-ci a prôné une séparation rigide entre les penseurs et les rameurs, entre le gouvernement et les agences, avec les conséquences dommageables dont on peut aujourd’hui faire le bilan : morcellement des administrations, retards dans le développement de l’administration électronique et surtout perte du sens des valeurs du service public, remplacées par des incitatifs matériels pour les hauts managers.

L’idée fondamentale du NPM, au-delà de la croyance « le privé fonctionne mieux que le public » (Kettl, 2005) qui est devenue un véritable credo (Gregory, 2005), a été que, pour autant que les incitatifs externes sont bons, la bonne gouvernance est garantie quels que soient les caractères individuels. Le scénario du NPM a été de construire bas mais solide en adoptant une configuration institutionnelle d’où toute valeur civique est absente au profit de la seule efficacité de gestion. Autrement dit, « bien faire les choses » (la gestion) impliquait ipso facto de « faire les bonnes choses » (la stratégie).

Les quelque deux décennies de NPM ont donc fait de l’efficience la quête du saint Graal. Parallèlement, on a assisté à un retour de l’économie institutionnelle avec les travaux de D. North qui a abandonné son orientation néoclassique initiale (où les institutions sont réduites aux droits de propriété) en identifiant une dynamique propre des institutions comme définissant les règles du jeu du développement. Est ainsi réhabilité ce qui fut la tradition de l’école américaine d’avant-guerre, celle de Commons et de Veblen.

Quittons donc le monde supposé harmonieux de l’équilibre général et de la « bonne gouvernance » pour retrouver le monde réel et rétablir ce lien nécessaire entre la qualité de gestion des organisations et la qualité d’une politique institutionnelle. Le manager public est à la confluence de ces deux mondes : la gestion – au sens strict – ne saurait se penser en dehors de son contexte mais est au contraire un art d’exécution d’une stratégie de politique publique (Dunleavy et Margetts, 2005). Il est donc un stratège au sens classique du terme. Pour définir les capacités dont il doit faire preuve, on définira d’abord les exigences du management public telles qu’elles doivent être repensées dans le paradigme de la III° révolution industrielle, pour revenir sur les critères et le processus de prise de la décision publique – qui vont quand même un peu plus loin que la « bonne gouvernance » promus par l’OCDE et le rationalisme gestionnaire éthiquement neutre du NPM,- et vers la question fondatrice de la philosophie politique classique, celle de la société juste et de la vie bonne.

I – Le contexte : le paradigme de la III° révolution industrielle ou le nécessaire retour du politique

Nous avons abondamment souligné que la transition vers le monde de la III° révolution industrielle nécessite plus d’Etat, mais un Etat différent de ce qu’il a été dans le paradigme de la II° (Rochet, 2007), un Etat plus stratège et moins gestionnaire. On peut à grands traits considérer avec D. North (2005) et Jacques Sapir (2005) ce changement de paradigme comme le passage d’un monde supposé être un système ergodique (i.e dont la compréhension à l’état présent permet de prévoir l’évolution dans un état futur) [1] à un monde non-ergodique où les principes de prévision, de planification et d’assurance contre les risques ne fonctionnent plus. Le NPM aura été la transposition dans le management public des principes de l’économie néoclassique : théorie des choix publics, anticipations rationnelles, théorie de l’agence et des coûts de transactions. Le NPM a prétendu être le nouveau paradigme du management public pour la III° révolution industrielle et c’est justement sur sa capacité à intégrer dans le management public les potentialités des technologies de l’information qu’il a échoué (Dunleavy et Margetts, 2005) et précisément pour ce qui est son hypothèse fondatrice : remplacer la politique par le « managérialisme », par la gestion.

Or, la transition vers le nouveau paradigme de la III° révolution industrielle est une rupture qui rend le rationalisme de l’ingénieur planificateur inefficace. La fin de l’hégémonie du déterminisme d’un monde ordonné par les lois de la nature, initiée en épistémologie par Gaston Bachelard et Karl Popper, est aujourd’hui bouclée par le renouveau de l’économie institutionnelle et les progrès de l’économie évolutionniste, incarnés, par des chercheurs d’origine aussi diverse que Chris Freeman, Moses Abramowitz, Douglass North, Richard Nelson, Masahiko Aoki, Carlota Perez, Wolfgang Drechsler ou Erik Reinert.

Cela n’est pas nouveau. Dans la série de fresques d’Ambroggio Lorenzetti décorant l’Hôtel de ville de Sienne, celle représentant « Le bon gouvernement » (figure 1) le montre reposant sur les quatre vertus cardinales de saint Ambroise (Tempérance, Justice, Force et Prudence) en compagnie de la Magnanimité et de la Paix, assises à ses côtés, et des trois vertus théologales de saint Paul (la foi, l’espérance et la charité). Mais la clé est la Justice, notamment sociale, qui repose sur la Concorde et l’Egalité qui doit régner entre les citoyens représentés en rang et tous tenant une corde (symboles de l’entente). Ce sens de la justice est le fondement de toute société. Il trouve sa source dans la philosophie politique romaine, notamment chez Cicéron pour qui seul l‘accomplissement des exigences de justice permettra à l’idéal du bien commun de se perpétuer. Si la justice était supprimée, dira Adam Smith, «le grand et immense édifice de la société humaine […] serait en un instant dispersé en atomes »[2]. De la fresque émane un sentiment d’équilibre et d’harmonie qui est la construction d’une cohérence systémique qui n’est pas le résultat d’un ordre naturel mais d’un ordre politique construit par l’homme. Le gouvernement de Sienne était assuré par neuf sages élus, qui alternaient au pouvoir afin d’éviter que se constitua une oligarchie, représentés par les neuf danseurs de la fresque sur les effets du bon gouvernement (Figure 2) qui illustrent la joie de la paix civile qui règne dans la Cité.

L’allégorie du bon gouvernement est dominée une figure imposante que l’on a longtemps interprétée comme le souverain incarnant le bien commun. Ce magistrat idéal possède toutes les vertus : les trois vertus théologales et les quatre vertus cardinales dont la plus importante est la phronesis (la prudence ou sagesse pratique), plus la vertu que Sénèque considérait comme essentielle pour occuper la magistrature suprême, la magnanimité, soit la capacité à « regarder avec dédain les toutes petites préoccupations que le commun choisit au détriment des plus grandes »[3]. Chacune de ces neuf vertus est représentée par chacun des neuf sages gouvernant la ville. Mais la présence éminente du magistrat montre qu’aucun ne peut prétendre les posséder toutes, que son rôle est de le leur rappeler et de les inviter à agir, sous le contrôle du peuple qui les élit, pour la poursuite du bien commun.

Figure 1: L’allégorie du bon gouvernement

Cet Etat n’est nullement une entrave à l’activité commerciale et marchande. Lorenzetti décrit les effets du bon gouvernement à la ville (Figure 2) et à la campagne : des échoppes pleines, des paysans apportant leurs denrées à la ville : activité marchande et loisirs sont équilibrés, la ville est construite selon un plan d’urbanisme, des étudiants sont plongés dans leurs études. Le bon gouvernement n’est donc pas hostile aux affaires, il en est ici explicitement la condition. C’est également une économie du savoir : au centre de la fresque, un professeur de droit civil enseigne ses étudiants.

Figure 2 : les effets du bon gouvernement

Nous avons eu l’occasion d’analyser dans quelles conditions l’économie avait progressivement supplanté la philosophie morale dans l’art de conduire les nations (Rochet, 2007). Face à la difficulté et à l’exigence d’une définition du rôle du politique et du Prince, on se tourne avec Montesquieu vers ce qui apparait comme un moindre mal éloignant les hommes des passions sanglantes du politique pour une occupation plus pacifique : le commerce[4]. De ce moindre mal, on glissera vers un nouveau déterminisme : celui des lois de la nature censées parler à l’homme au travers de l’économie. Le positivisme, théorisé par Auguste Comte et son pendant en économie, Jean-Baptiste Say, allait établir le règne des experts : l’économie politique de Jean-Baptiste Say se réduit en fait à faire la politique de l’économie comme source de connaissance parfaite des lois de la nature[5].

Pourquoi le positivisme ne marche plus aujourd’hui ? Risque, incertitude, ergodicité

Dans un système évoluant dans un environnement stable on peut pratiquer l’art de la prévision à partir des enseignements de ce qui s’est déjà passé, généralement en se reposant sur des séries statistiques. Pour reprendre une définition ancienne de Hirsh, le risque est ce qui est statistiquement calculable et contre lequel on peut s’assurer. Dans ce contexte, les institutions peuvent jouer alors le rôle de « réducteur d’incertitude » en codifiant les configurations que peut prendre le système. C’est la position adoptée par l’école institutionnaliste, J.R Commons d’abord, puis de nos jours par North (1991).

Nous avons mis en avant (Rochet, 2007) que l’évolution des systèmes institutionnels suivait une trajectoire de ruptures en continuités, soit une succession d’états statistiquement prévisibles séparés par des ruptures que sont les transitions d’un cycle technologique à un autre : les cycles de Kondratiev, les cycles d’affaires de Schumpeter ou encore, de manière plus appropriée à notre champ d’étude, les paradigmes techno-économiques (Perez, 2002).

a)   Quand les institutions ne fonctionnent plus…

Un système public peut être considéré comme ergodique s’il évolue dans le même paradigme techno-économique dont on peut comprendre les grands principes de fonctionnement. Mais dès lors qu’il y a changement de paradigme avec l’entrée dans un nouveau cycle technologique, les pratiques héritées ne permettent plus de résoudre les problèmes d’un environnement devenu turbulent et incertain. Le comportement du système devient non-ergodique : la compréhension de son comportement à un moment ou face à un problème donné ne peut plus permettre de prévoir le comportement du système d’ensemble. Il faut donc accéder aux règles sous-jacentes (Heiner, 1983), plus profondes que celles, codifiées par les institutions actuelles, qui peuvent permettre de comprendre les principes de transition d’un paradigme techno-économique à un autre. Les institutions qui permettaient de réduire l’incertitude ne le permettent plus : elles sont à réinventer (North, 2005).

Cette distinction est essentielle pour comprendre le rôle des institutions :

  • Si les systèmes socio-économiques n’avaient aucune ergodicité, la compréhension du changement se réduirait à écouter une « histoire pleine de bruit et de fureur, racontée par un idiot…» (Shakespeare, Hamlet) donc à nier tout rôle positif aux institutions. On aboutirait alors à un libertarisme total, à l’instar de libertariens comme David Friedman
  • Si, à l’opposé, l’ergodicité était totale, comme dans l’hypothèse positiviste, l’observation permettrait de parvenir à une compréhension scientifique du monde : c’est « l’Etat positif » d’Auguste Comte où «l’observation a dominé l’imagination (…) et elle l’a détrônée ».

Dans les deux cas, les institutions sont inutiles ou, au mieux, secondaires

Le constat de régularités observables entre institutions et performance dans le temps long nous conduit à admettre, pour reprendre le vocabulaire de Samuelson, des ergodicités partielles et temporaires qui sont séparées par des périodes de crises où nous avons examiné le rôle décisif des ruptures technologiques (Rochet, 2007). Il y a donc succession de périodes régies par les principes déterministes ou probabilistes où l’hypothèse ergodique peut s’appliquer, et de périodes régies par une incertitude où elle ne le peut pas.

Il est dès lors clair que l’application de méthodes propres à un monde ergodique au pilotage dans un monde non-ergodique constitue une source majeure d’échec pour les politiques publiques: dans un monde non-ergodique la compétence clé devient la capacité d’apprentissage qui permet de réinventer les théories sous-jacentes à la conception des institutions (North 2005).

b)   L’Etat comme remise en cause des systèmes de croyance

Dans le rapport de l’OCDE « Moderniser l’Etat » (2005), il n’est question que « d’adaptation à l’évolution de la société ». Ce sont les « sociétés qui évoluent en permanence » et l’Etat qui doit suivre. Le titre anglais de ce rapport est « Modernizing Government », ce qui nous semble correspondre beaucoup plus à son contenu qui traite essentiellement des arts pratiques de la gestion publique que de l’évolution du rôle de l’Etat. Mais cette traduction est le reflet du système de représentation dominant qui réduit l’Etat à sa machinerie administrative.

Dans la pensée politique dominante, le rôle de l’Etat est réduit à la gestion et l’économie politique se résume à faire la politique de l’économie. La France, sans jamais faire référence au NPM, est passée dans les années 1990, de la notion de « réforme administrative » à celle de « réforme de l’Etat » dont le ministre n’est en fait qu’un ministre de la modernisation administrative[6]. Le dernier acte de cette confusion est levé avec le transfert, en 2006, des services de la réforme de l’Etat au Ministère des finances au sein d’une Direction de la modernisation de l’Etat. L’approche gestionnaire, financière et comptable a définitivement pris le pas sur la dimension politique de l’Etat.

Le rapport de l’OCDE ne traite en fait pas de l’Etat mais de la gouvernance, présentée comme les procédures formelles et informelles que les pays de l’OCDE ont en commun : démocratie, citoyenneté, Parlement, constitution, Etat de droit, pluralisme des partis, fonction publique, séparation des pouvoirs, participation des citoyens…. Le « bon gouvernement » est celui qui respecte les droits de propriété, le droit des personnes et l’Etat de droit, et ceux liés à la citoyenneté des personnes. Bref, ce rapport – dont les analyses techniques sur la modernisation des administrations sont pertinentes – en reste à une conception de l’Etat « prestataire de services » qui a toujours été celle de l’OCDE.

Dans un monde non-ergodique et à capacité de perception imparfaite, le rôle du politique va bien au-delà de la gestion et de l’amélioration incrémentale de l’existant, il est de stimuler l’apprentissage et l’évolution des modèles mentaux qui sont au cœur des systèmes de croyances. Erik Reinert, dans son fascinant article The Role of the State in Economic Growth, montre que, dans l’histoire, les pays gagnants ont eu des stratégies institutionnelles qui ont été des stratégies d’accroissement des connaissances basées sur la perception des ruptures dans le long terme.

Lorsqu’un système institutionnel basé sur une conception ergodique du monde[7] est confronté à la non-ergodicité de la réalité et à la prise de conscience de sa capacité de perception imparfaite, la crise est inévitable.

Xavier Raufer analyse cette rupture dans le traitement des violences urbaines. D’un côté souligne-t-il « le diagnostic pour l’essentiel est fait ». Mains rapports de la DST, des renseignements généraux, des douanes, alertent le gouvernement sur le pourrissement des « quartiers difficiles » par les trafics en tout genre et la disparition de tout sentiment de citoyenneté. Des chercheurs comme Sébastian Roché, qui contestent l’explication sociologique dominante de la délinquance et ont fondé les éléments d’une politique de sécurité publique, ont maintenant droit de cité. Mais il y a, souligne Xavier Raufer, un « refus de regarder la réalité en face » de la part des élites attachées à leur système de croyances positiviste. « Le responsable est, depuis l’ENA, un fanatique de l’ingénierie sociale, il relativise, prend les choses de haut et de préférence avec ironie. Deux décrets et une circulaire et « on va arranger cela ». De la sorte les choses ne sont pas seulement affadies quand elles arrivent au sommet, mais souvent en état de leucémie terminale » (Lagadec, 2000 :204).

En bref, ce refus de regarder la réalité en face est l’expression de la résistance au changement du système de croyances en place et de la fuite en avant vers le « plus de la même chose », comme disait Gregory Bateson, soit encore plus de positivisme et « d’ingénierie sociale ».

Le rôle de l’homme d’Etat, par opposition à l’homme politique soumis à la versatilité de l’immédiat, est précisément d’être capable de remettre en cause un système de croyances. Comme le conclut Xavier Raufer à propos des politiques de sécurité « Attendons que l’homme d’Etat, un vrai, s’empare de ces connaissances pour bâtir l’édifice de la sécurité au XXI° siècle ». L’homme d’Etat est celui qui rétablit la politique dans sa dimension de refondation permanente de la cité par l’évolution des croyances qui fondent les institutions. Cela suppose de rompre avec les mythes positivistes auxquels sont attachées les élites en place.

Le nécessaire retour au politique

En somme, la résistance au changement est le fait des hommes politiques et le changement peut être initié par les hommes d’Etat qui se hissent au niveau suffisant pour remettre en cause les croyances dominantes.

Se pose alors la question de ce « niveau suffisant ». Hayek a voulu le situer au-dessus du droit conventionnel, au niveau de « lois générales » supposées être celles de la sagesse. Mais d’où vient cette sagesse ? Soit elle est métaphysique et d’origine divine (ce qui est implicite chez Adam Smith qui s’inscrit dans la tradition philosophique morale de la scolastique), soit elle est l’œuvre des « hommes sages » chez Hayek, ce qui ouvre la porte à une « suprarationalité » positiviste que, précisément, il combat. Il n’y a chez Hayek aucun principe de philosophie politique fondé sur des valeurs et des vertus civiques qui pourraient fonder ses « lois générales ». Si la tentative de Hayek est des plus intéressantes, elle débouche sur une aporie[8].

Hayek a fait œuvre utile en montrant l’impossibilité de la solution libérale telle que Hobbes et surtout Locke en ont bâti les fondements, ainsi que la nécessité de l’Etat comme condition de la liberté individuelle face aux prétentions de toute puissance de « la société ». Il échoue sur la question de la légitimité. Celle-ci n’a que deux solutions « ou bien elle tombe d’en haut, ou bien elle monte d’en bas » (Gauchet, 2005 :21). Ou bien elle vient d’un lien qui transcende les individus – rôle qu’a joué la religion avant l’apparition de l’Etat dans sa forme autonome de représentation du corps politique – ou bien elle vient de l’accord entre les citoyens porteurs de droits.

Revenir à la philosophie politique c’est précisément chercher ce point d’où penser le politique comme essence des sociétés humaines, pour reprendre la distinction de Marcel Gauchet entre le et la politique, cette dernière n’étant que l’organisation pratique du débat sur les enjeux de politique publique dans une société démocratique.

Mais pourquoi un tel retour ? Le divorce entre gestion publique et philosophie politique n’avait – et n’a – rien de fatal. On peut légitimement nous objecter qu’il n’est pas nécessaire que le management public se heurte à la faillite de la logique positiviste face à un monde non ergodique pour qu’il se pose la question du sens des mécanismes de gestion qu’il propose, question éminemment politique. Dans un ouvrage salutaire, Jean-Fabien Spitz (2005) nous fait revivre les principes fondateurs du modèle républicain français qui n’est pas positiviste mais pose la question du bien commun tout en étant fondé sur la liberté individuelle. L’association entre ergodicité et positivisme n’a donc rien de fatal, mais s’inscrit dans le cycle de longue durée de la dérive rationaliste de la modernité qui a rabaissé le rôle du politique pour n’en faire qu’un accessoire de type « bonne gouvernance ».

Ce retrait du politique participe au processus d’euthanasie bureaucratique de l’Etat : réduit à n’être qu’une simple mais énorme machine bureaucratique, il justifie lui-même son inutilité à mesure que son poids augmente. Pourtant le rôle de régulation et d’administration de la puissance publique ne diminue pas (Rochet, 2007). Dans leur œuvre maîtresse sur le changement technologique Freeman et Soete montrent que la puissance des technologies que nous développons accroît et ne diminuent pas – notre pouvoir sur la société que nous construisons et que l’évaluation éthique de la technologie n’en est que plus actuelle[9]. Mais l’Etat, ayant perdu toute dimension symbolique de représentation d’un dessein politique, n’est plus qu’une instance pratique d’administration, réduite au rôle de sismographe des mouvements de la société. Il devient aussi impuissant qu’envahissant : devenu un pouvoir essentiellement fonctionnel, il prive les individus de toute référence symbolique à la société comme un tout, tout en l’enserrant dans le réseau minutieusement construite par le développement de son potentiel gestionnaire.

Les Lumières éteignent-elles ce qu’elles éclairent ?

Pour Leo Strauss, la philosophie politique doit retrouver le statut qui avait été le sien avant la modernité : l’interrogation sur la nature de la « bonne société » et la question du bien commun. Il s’agit de se poser la question « les Lumières éteignent-elles ce qu’elles éclairent » et de « considérer la profondeur de la crise de l’Occident et de se donner les moyens de rectifier ce qui, dans le rationalisme moderne, est destructeur » (Pelluchon, 2005 : 14). La philosophie politique doit donc rompre avec les « sciences politiques » qui prétendent appliquer les principes des sciences naturelles à la politique, ce qui nous conduit à l’historicisme et au relativisme des valeurs. Pour Strauss, la tension fondatrice des sociétés humaines est celle qui lie et oppose Athènes et Jérusalem, soit l’unité et l’opposition du gouvernement par la loi et du gouvernement par la morale.

Cette tension fondatrice doit rester ouverte et est par nature irrésolue : elle va fournir au management public une base de réflexion pour la définition de la légitimité des décisions publiques et sur le rapport entre décision publique et bien commun. Ce qui nous renvoie aux fondamentaux de la philosophie politique classique, c’est-à-dire à la question de la « vie bonne », du bien commun, des valeurs.

Mais que veut dire « avoir des valeurs » ? Tout le monde a des valeurs. Comme l’a fort bien dit Allan Bloom (1987), les nazis et les communistes en avaient, la maffia, les maquereaux et les chefs de bande en ont. On a découvert le rôle des valeurs dans l’entreprise quand on a découvert que l’inspiration comptait désormais plus que la transpiration. Un compte d’exploitation ou un processus sous ISO 9000 ne font pas rêver, pas plus qu’une procédure administrative. On attend donc des managers qu’ils fassent rêver, qu’ils aient, selon ce terme devenu passe-partout, du « charisme ». Le modèle qu’a défini Max Weber du leader charismatique est à cent lieues du dirigeant rationnel et technocratique qui apparaît avec le positivisme et les économistes classiques du XIX°. Il était là pour compenser son modèle de rationalité bureaucratique mais aussi la fadeur du bourgeois allemand qui avait perdu l’esprit entreprenant des temps héroïques, celui de l’éthique protestante. Weber, bien qu’athée, présente, dans la lignée de son analyse de l’éthique protestante, l’énonciation de valeurs comme la forme humaine de la grâce de Dieu. Les valeurs ne se fabriquent donc pas, pas plus que le charisme ne s’apprend dans des séminaires de management.

Une telle approche est, par exemple, aujourd’hui conceptualisée par la notion de « servant leadership » qui apparaît sous la plume de Robert Greenleaf en 1970[10]. Greenleaf, tout en reprenant la notion de leader charismatique chez Weber, la précise en mettant l’accent sur le service : le leader est là pour servir et non se servir d’autrui. Sa conduite est fondée sur l’éthique soit le jugement personnel qu’il porte sur une situation précise à partir d’un corpus de normes partagées pour donner du sens à sa vie et à ses décisions. L’éthique, par opposition à la morale, n’est pas choisir au regard de ce que la société considère comme bien ou mal, mais entre le bien et le bien, en fonction d’un contexte. La décision publique éclairée est donc à la base une décision personnelle et une prise de responsabilité.

Des innovations considérables sont intervenues dans les formations des hauts militaires et des hauts fonctionnaires de la police et de la gendarmerie en France avec la création de l’Institut des hautes études de la défense nationale et son homologue pour la sécurité intérieure. Ces formations mêlent des publics divers, militaires, civils, industriels, associatifs, journalistes, scientifiques et intègrent des démarches de recherche dans la conception de leur formation. De même, la réforme en profondeur de l’Ecole de guerre, devenue Collège interarmées de défense (CID), point de passage obligé pour l’accès au grade de général, se considère comme la seule institution capable de se remettre en permanence en cause par une approche pluridisciplinaire qui lie réflexion stratégique et approche opérationnelle. Le CID est ainsi devenu le lieu de reconceptualisation des fonctions d’état-major face à la mutation des missions de l’armée qui repose sur une intégration totale des trois armes qui traditionnellement constituaient trois corps, voire trois ministères de fait, étanches et aux cultures hétérogènes. Ces formations s’étendent par grandes disciplines, avec la création de l’Institut des hautes études pour la science et la technologie autour des rapports entre la science et la société, et du club de la décision publique autour de la question de la décision publique comme décision complexe dans l’incertitude qui n’est plus une décision d’expert mais le résultat d’un processus socio-politique.

II – La décision publique face à l’incertitude n’est pas un long fleuve tranquille

Pour identifier si une décision publique doit se prendre en situation d’incertitude, on peut se référer aux travaux classiques de Herbert Simon (2004) qui distingue les décisions optimales et les décisions satisfaisantes. Dans le premier cas, « l’environnement interne du problème est constitué d’un ensemble d’actions possibles ». On connaît ces actions in extenso. L’environnement externe est un ensemble de paramètres qui peuvent eux aussi être connus avec certitude. Dans ce cas, la bonne décision procède d’un calcul de l’optimum mathématiquement calculable procédant de la maximisation des utilités dans un champ de contraintes délimité. Dans le second cas – qui est celui des décisions publiques en situation d’incertitude – ce n’est plus possible car l’environnement externe est ouvert et l’environnement interne est composé d’un ensemble d’actions possibles tel qu’il ne peut plus faire l’objet d’un calcul mathématique d’optimisation. Aucun optimum n’est possible et Simon a inventé comme critère le satisfecit pouvant être donné à la décision, satisfecit qui sera politique au sens où nous l’avons défini plus haut. La recherche de ce satisfecit suppose des itérations permettant de collecter des informations sur la structure du problème, celui-ci étant, comme tout système complexe, une architecture de sous-systèmes contribuant à une fonction globale et non pas une addition de ces sous-systèmes. Pour Simon, le processus de conception d’un tel système « est par lui-même une activité de valeur pour quiconque y participe ». C’est donc de la qualité du processus de conception et des arbitrages qu’il va, de proche en proche, susciter que peut naître une « bonne décision ». Il s’agit donc, comme le conclut Simon, de conjuguer professionnalisme technique et culture de l’honnête homme.

Un cas d’école : la traversée des Alpes

Les projets d’infrastructure de traversée des Alpes nous fournissent un cas d’école. Ce sont des grands projets complexes tels que définis par Miller et Lessard (2000): Ils sont uniques, non-reproductibles, ont le caractère d’un prototype et ont des impacts à long terme de toute nature : politique, économique, social, environnemental. Ils sont longs : au moins 5 ans de planification, 5 ans d’études et au minimum 5 ans de réalisation, mais au total ils peuvent durer plus de 50 ans. L’Etat agit ici comme un architecte et est le principal acteur de la décision par l’intervention des opérateurs publics, que la maîtrise d’œuvre soit ou non confiée au secteur privé. Comment s’assurer que les décisions prises incarnent le bien commun ?

Trois couches décisionnelles entrent en jeu :

  • La couche institutionnelle, au niveau de l’Etat, définit les grands enjeux stratégiques sur la base de plans à long terme, 20 ans en France, 30 ans en Suisse.
  • La couche organisationnelle, qui est celle du manager et de l’opérateur public qui est en charge d’évaluer les aspects techno-économiques sur la base d’indicateurs comme le taux de rentabilité interne.
  • Les citoyens et toutes les autres parties prenantes qui oçnt à évaluer les impacts sociaux et d’accroissement de bien-être du projet. Cela inclut de nombreux débats publics ouverts, sur fonds d’activités civiques intenses. Des catastrophes comme celle du tunnel du Mont Blanc ont stimulé une opposition qui soupçonne ces projets d’être à courte vue et de négliger la sécurité et les enjeux environnementaux pour le profit de l’opérateur principal.

Les ingénieurs n’ont pas été formés à prendre des décisions selon un processus aussi turbulent : leur culture est de trouver « la meilleure solution » au regard de critères techniques et financiers et ils tendent à considérer la prise en compte d’autre critères comme irrationnelle. D’un autre côté les participants aux débats publics sont principalement des activistes environnementaux qui ne sont pas légitimes pour représenter le plus grand nombre. Les élus, les notables locaux, voient les débats publics comme une mise en cause de leur légitimité à représenter le peuple dans le contexte d’une démocratie représentative et voudraient les réduire à un débat à sens unique qui serait de la communication laissant peu de place au débat.

Dans chacun des trois pays concernés, les attitudes à l’égard de la démocratie directe sont très différentes : En Suisse, c’est la base de la vie civique. En France, l’Etat a une longue tradition d’ingénierie publique (l’industrialisation de la France durant les Trente glorieuses, l’énergie nucléaire, le TGV, …) et prend aujourd’hui conscience de l’importance du débat public comme moyen de légitimation des projets, pour éviter leur contestation et, quand ces projets sont hautement complexes, comme moyen de faire émerger des options alternatives. Mais le savoir-faire est pour le moment nouveau et reste à développer.

Deux questions structurent les débats : chaque partie prenante doit payer pour le projet, les collectivités locales lorsqu’elles demandent des aménagements spécifiques, les usagers, les résidents (en termes d’externalités positives ou négatives). Mais le problème le plus épineux est le changement du modèle d’activité du transport puisque le transport par route est plus économique que par rail : le projet doit donc créer des incitatifs au transport intermodal, en faisant transférer le fret sur des wagons plutôt que sur des camions.

Sur le plan technologique, le rail est neutre au regard des marchandises transportées et quant au risque d’obsolescence technologique : les arbitrages finaux se feront donc au regard de l’évaluation des enjeux bio-sociaux.

Deux projets de ce type sont en cours : le projet suisse AlpTransit qui vise à bâtir une infrastructure globale de transport au sein de la Confédération, interconnectée avec les réseau des pays voisins, et le projet de liaison Lyon Turin.

a)   Le cas Suisse ou la force de la démocratie directe

La Suisse présente l’intérêt d’être à la fois la terre de la démocratie directe et d’être au carrefour du trafic ferré et poids lourd de traversée des Alpes. En se basant sur l’expérience du tunnel du Saint Gothard, payé par l’Allemagne et l’Italie sur la base d’un traité, les Suisses ont décidé de conserver leur souveraineté sur le trafic en payant les nouveaux tunnels sur leurs propres deniers et de soumettre tout nouveau traité international à référendum. L’enjeu est d’éviter la traversée du pays par les camions de 40 tonnes et de le convertir en transport intermodal de fret par conteneur, en évitant de transporter les camions, qui sont une charge à valeur ajoutée nulle. Pour concevoir l’architecture de ce projet, il faut avoir une vision globale de l’architecture du réseau européen pour rendre les Alpes traversables en au maximum 10 heures. Le projet global, AlpTransit, est adopté par référendum en 1992 après une campagne dure et hostile du lobby des camionneurs. La première livraison de ce projet est le tunnel du Lötschberg (2007) qui va permettre le transfert de 180 000 camions (sur 1,2 millions) par an, de la route au rail.

En procédant ainsi, les Suisses ont décidé :

– de financer le projet et de choisir le mode de financement approprié pour maintenir leur indépendance et pour garder le contrôle sur le trafic.

– de dessiner un réseau national interconnecté avec les réseaux européens : d’un côté ils ont rejeté la solution du TGV – non pertinente au regard de la taille du pays – au profit de celle du réseau express national qui permet d’avoir accès à un train InterCity sans se soucier de consulter un horaire (330 trains par jour entre Lausanne et Genève). D’un autre côté, ils ont décidé de financer les investissements dans les pays riverains pour assurer la connexion aux réseaux à grande vitesse, finançant, par exemple, la liaison entre Macon et Genève.

Débat public, démocratie directe, architecture globale ont conduit à de nombreuses innovations au niveau local comme l’élimination des murs anti-bruit, l’innovation dans les matériaux et l’amélioration des connexions pour le trafic local. La nouvelle liaison à grande vitesse entre Paris et Strasbourg n’a pas intégré cette approche globale et l’amélioration de la liaison longue distance s’est faite au détriment des dessertes locales, tout l’effort ayant porté sur le TGV.

b)   Le cas Italien : l’oubli de l’enseignement de Machiavel

Sur le versant italien du projet de liaison Lyon Turin, le spectacle est tout différent. Le projet n’a pas fait l’objet d’un débat et a généré une manifestation hostile de 50 000 personnes dans les rues de Turin et la rébellion de toute la vallée du Val di Suza. L’ancien ministre en charge (Lunardi) était un ingénieur sans culture du dialogue dans la conception de tels grands projets et a fait bénéficié son fils, entrepreneur en percement de tunnels, de marchés publics. Même les prêtres ont prêché en chaire contre le projet ! Le mouvement du Val di Suza est typiquement un mouvement de type “not in my backyard” (NIMBY) qui est le résultat de l’impossibilité, au travers d’un débat public correctement conduit, de réconcilier le bien commun local des habitants et le bien commun global du plus grand nombre de l’ensemble du pays.

Le nouveau gouvernement italien a dû remettre le projet sur les rails en instaurant un processus de débat public qui se déroule chaque semaine depuis la fin 2005, en examinant les 4 options (trafics passagers et fret, évaluation de la rentabilité, choix du tracé). L’organisation de ce débat a été confiée à un médiateur indépendant habitué à gérer de tels processus délibératifs. Les points de vue des opposants sont, depuis, publiés (ce qui est encore impensable du côté français où le processus est encore dans l’enfance et considéré comme une menace envers le principe de démocratie représentative). Bien que le projet n’ait pas soulevé en France d’opposition organisée, la réaction italienne – et les deux ans de retard qu’elle inflige au projet – a amené les autorités à revoir la planification globale du projet pour intégrer les questions soulevées par le débat italien.

En comparant comment ces débats sont menés en Suisse, France et Italie autour de la conduite de projet dont les termes de références techniques sont globalement identiques, on voit les impasses auxquelles mènent les approches technocratiques descendantes et le règne des experts incapables de faire face aux assauts de l’incertitude – la fortuna – et le besoin de donner une nouvelle vigueur aux principes républicains formulés par Machiavel : éduquer et donner du pouvoir au peuple, développer la vie civique – le vivere politico – pour prendre de bonnes et légitimes décisions dans le pilotage des projets complexes.

 Une nouvelle version de la fable du lièvre et de la tortue

Des recherches déjà anciennes du « symbiotic intelligence project » menées au Laboratoire National de Los Alamos (Etats-Unis) démontrent qu’il existe une corrélation fortement positive entre la pertinence, la stabilité des décisions en situations complexes et le nombre et la diversité des parties prenantes au processus décisionnel. L’hypothèse de base est celle de la rationalité limitée : un seul individu ne peut maîtriser toute la complexité des systèmes sociaux. Le travail en groupes de résolution de problèmes permet de mettre en relation les processus d’apprentissage des individus et des sous-groupes pour faire émerger un processus d’apprentissage commun. La créativité du groupe provoque un phénomène de chaos déterministe (au sens scientifique du terme) qui met les solutions possibles en concurrence les unes avec les autres et ne retient que les solutions viables et stables.

Le projet Symbiotic Intelligence fait apparaître quatre points clés pour la réussite d’un tel processus :

  • Le débat permet de passer du bruit à l’information

Chaque acteur du système entre dans le processus avec sa vision, son expérience et son langage pour décrire les phénomènes perçus. Le débat et la confrontation permettent de comprendre les différentes visions du monde en présence, les différents registres sémantiques et de bâtir une représentation commune du problème (Rochet, 1998). On passe donc du bruit et de la cacophonie de représentations conflictuelles à l’information sur le vécu collectif du problème. Il se crée de ce fait un effet d’apprentissage collectif qui fera que le système décisionnel ainsi créé restera stable quand de nouvelles crises l’exposeront à de nouveaux bruits : l’individu est très sensible au bruit, le système collectif y est insensible (Johnson, 1999)

  • Procéder de manière émergente

La solution émerge du débat, ce qui suppose en premier lieu pour les participants – et surtout pour les décideurs politiques – d’accepter de se laisser surprendre par la solution qui émergera, et même plus, d’accepter une solution qu’ils ne comprendront pas du premier abord. Cela suppose une confiance dans la pertinence et dans la fiabilité du processus. La tendance générale dans les modèles décisionnels classiques est de ne pas faire confiance au débat collectif considéré comme uniquement producteur de bruit, et donc de « l’orienter » de manière plus ou moins discrète vers une solution préétablie et jugée rationnelle.

  • Le large débat est gage de stabilité

Dans tous les cas observés la préparation et de l’apprentissage ex-ante, avant d’avoir à prendre la décision, apparaît comme essentielle. Il n’y a pas de corrélation entre la rapidité de la phase d’apprentissage et la capacité à décider vite (Johnson & alii, 1998) : on peut donc passer beaucoup de temps à l’apprentissage collectif.

En outre, le débat large permet d’intégrer les extrêmes dans le modèle décisionnel : plus le débat est large, plus le modèle décisionnel est stable et peut produire des décisions robustes. Il est contre-performant de vouloir limiter la participation au débat à de supposés « meilleurs éléments ». Les expériences du programme Symbiotic Intelligence ont montré qu’il existe une corrélation entre la réduction du débat aux « meilleurs éléments » et la perte de stabilité de la solution choisie.

  • Garantir la traçabilité du processus décisionnel.

Il serait tentant pour des décideurs publics de vouloir habiller le modèle décisionnel traditionnel des habits du nouveau, et de n’en faire qu’une opération de communication où les solutions sont choisies d’avance et où le public ne joue qu’un rôle de figurant. Non seulement cette pratique ne produira rien – on peut tromper quelques personnes quelques fois mais on ne peut pas tromper tout le monde tout le temps – mais discréditera l’ensemble du processus des conférences décisionnelles et des controverses sociotechniques.

À l’inverse, il est essentiel que tout au long du processus, il soit fait mémoire des débats, des conflits, de la construction des consensus et des disensus, du traitement des données, de l’évaluation du processus lui-même. Le processus doit être en lui-même une propriété collective : sa rigueur, sa fiabilité et sa crédibilité sont liées à sa transparence et à sa traçabilité.

a)   Le lièvre et la tortue comme liaison entre système de décision et système d’information de la politique publique

On peut affiner cette analyse : David Lazer et Allan Friedman (2005) distinguent de manière expérimentale deux dynamiques d’interaction : celle du « petit monde » où les communications circulent vite (le lièvre) et qui a de meilleures performances dans le court terme car elle va plus vite à la « bonne solution ». Tandis que le « grand monde » (la tortue), où les interactions sont moins rapides mais beaucoup plus denses, est moins performant à court terme, mais beaucoup plus performant à long terme car il explore un plus grand nombre de solutions possibles et peut permettre de parvenir à des solutions plus adéquates.

Le pilotage stratégique de l’action publique dans un monde non-ergodique pourrait ainsi combiner un système de pilotage « lièvre » (décision rapide et ad rem) et un processus de débat public « tortue » (une exploration large de la complexité et la création de solutions plus adéquates et consensuelles) qui permet de parvenir à des décisions reposant sur un consensus dynamique et dont la légitimité ne reposera plus sur l’illusion d’une rationalité parfaite du « décideur ».

Sans la capacité de décision du lièvre, la tortue en est réduite à l’empirisme besogneux qui mène à la pratique administrative que Crozier a qualifiée d’incrémentalisme[11]. Sans la capacité d’exploration empirique de la tortue, le lièvre sombre dans l’ubris de la rationalité illimitée. Les nouveaux modes de décision publique dans un monde non-ergodique devront précisément apprendre à conjuguer l’agilité du lièvre et l’opiniâtreté de la tortue.

A défaut, il y a décalage entre le système d’information et le système de décision. Ce dernier est alors contraint de tenter de remédier à l’incertitude par des procédures dont l’objet réel est le refus de mise en cause du système de croyances des élites dominantes. Il y a disjonction entre pouvoir et autorité, qui est à la base du phénomène bureaucratique et de la société bloquée qu’a analysé Michel Crozier : « Ceux qui décident n’ont pas les moyens de connaissance suffisants des aspects pratiques des problèmes qu’ils ont à traiter. Ceux qui ont des connaissances n’ont pas le pouvoir de décision » (1970 :85). C’est une nouvelle étape du processus d’euthanasie bureaucratique : pas d’Etat n’est-il pas préférable à un Etat aveugle et bureaucratisé ?

Comment le management public peut-il contribuer à identifier quand faut-il être lièvre, quand faut-il être tortue et comment gérer l’interaction entre les deux ? Le Tableau 3 tente une synthèse des rôles face aux horizons de la décision publique :

  • Pour les décisions qui concernent le long terme, il s’agit d’identifier les grands enjeux stratégiques et les risques associés. Au lièvre de poser ces grands enjeux au grand monde des tortues. Ces grands enjeux peuvent émerger soit de l’analyse prospective faite par le politique, soit de la pratique des organisations publiques qui auront identifié ces risques, p. ex. les risques sanitaires, environnementaux, énergétiques, géopolitiques…, et qui en auront rendu au compte au politique. Le politique est ici dans ses responsabilités stratégiques tout en étant conscient de sa rationalité limitée et du besoin de légitimité qu’il doit conférer à ses décisions.
  • L’appropriation du débat par les tortues est un processus d’apprentissage collectif qui contribue à fonder la légitimité de la décision, mais peut-être surtout à explorer d’autres options de mise en œuvre. Ce processus de débat public permettra de peser les risques acceptables par la société, ce que nous avons identifié comme étant en dernier ressort le critère d’acceptabilité de la décision.
  • Pour les décisions de court terme, le rôle « tortue » est celui de la gestion de l’équilibre des contributions, de la transparence et de l’ajustement entre les acteurs par la démocratie au quotidien.
  • Le rôle « lièvre » est celui de la décision, celui de la mise en œuvre des décisions complexes issues de ce processus et des décisions non complexes associées. Mais il est aussi celui de gardien de ce processus. Selon la formule de Marcel Gauchet, il s’agit de définir « les limites que le politique impose à la politique pour lui donner les moyens de poursuivre sa tâche spécifique de réalisation du droit » (2005 :549). Le politique doit assurer la prépondérance des choix collectifs autour des grands enjeux fondamentaux de la nation et de limiter le jeu de la politique en mettant en tension intérêts individuels et intérêt collectif, tâche d’autant plus essentielle quand les média permettent à n’importe quel groupe minoritaire de se transformer en groupe de pression.

Tableau 1 : Les rôles « lièvre » et « tortue » dans la décision publique

  Court terme Long terme
Lièvre Décider, garantir la prépondérance des choix collectifs, assurer la cohésion des membres par la mise en tension intérêts individuels / intérêt collectif.

 

Identifier les grands enjeux stratégiques, les grands choix possibles et les risques associés.

Tortue

 

Gestion de l’équilibre des contributions par la démocratie au quotidien.

Explorer de manière approfondie les risques et faire émerger les options possibles.

Bâtir les consensus socio-politiques nécessaires autour des risques acceptables.

b)   Et le hibou ?

Mais ne manque-t-il pas un membre au bestiaire de notre fable : le hibou, représentant la sagesse, au-dessus des jeux du lièvre et de la tortue, soit la philosophie politique nous permettant de penser la relation entre l’individu et l’Etat ?

La liberté de l’acteur peut-elle se contenter d’une logique procédurale, comme nous le proposent Rawls, Habermas ou les principes de l’OCDE concernant la « participation des citoyens » ? Pour Sen, il faut dépasser la seule logique procédurale pour juger des conséquences effectives, les « fins ultimes » de la décision, et ce jugement doit s’entendre au plein sens du terme, soit dans sa dimension éthique.

Jean-Fabien Spitz nous montre dans son étude de la philosophie politique de la République en France, qu’elle avait développé une véritable pensée de la liberté de l’individu dont la condition était qu’elle s’exerça dans un projet politique incarné par l’Etat, qui procède d’une vision de la liberté de l’homme fondée sur le droit naturel. À l’opposé, la conception de la liberté fondée uniquement sur les droits de l’individu repose uniquement sur l’intérêt et l’utilité et refuse toute transcendance. C’est la dérive qu’Henry Michel[12] pointe dans la célèbre analyse de Benjamin Constant sur la liberté des anciens opposée à celle des modernes : pour les anciens, la liberté individuelle n’existait pas et le sacrifice pour la liberté publique était la règle. Pour les modernes, il s’agit de fonder une vie politique sur la liberté individuelle. Pour Michel, Constant introduit un biais par lequel l’intérêt privé prend le pas sur la vertu civique pour participer à la vie de la cité : je participe parce que j’en retirerai un intérêt en retour. Cela n’est bien sûr pas faux, mais, en coupant l’individualisme de tout fondement éthique et de toute transcendance morale, il rétracte l’individualisme alors qu’il ne peut exister sans un impératif métaphysique qui affirme la possibilité de l’indétermination de la volonté humaine, ce qui était la position d’Adam Smith dans La théorie des sentiments moraux. En pratique, une telle posture rend toutes les problématiques de type NIMBY (Not in my back yard) non arbitrables.

La conception de l’individualisme uniquement fondée sur les droits en revient à la négation du politique et du rôle de l’Etat, pour s’en remettre à une supposée loi de la nature, et en pratique se retourne contre le projet politique d’émancipation de l’individu, abandonné à lui-même et aux vicissitudes du sort. Celle-ci suppose au contraire une vision politique de l’homme rendu libre par les trois principaux moyens qu’avait mis en place la République : l’instruction pour accéder à l’autonomie par le savoir, l’égalité des chances en gommant les effets des situations héritées et par une politique de promotion sociale, et la protection contre les effets du hasard.

La question de la liberté individuelle est donc une question morale et politique. J.F Spitz montre clairement, au travers de l’étude de ses théoriciens, Henry Michel, Emile Durkheim, Célestin Bouglé, Léon Bourgeois, que le projet politique républicain en France n’était pas anti-libéral comme on a pu le décrire mais reposait sur un projet d’émancipation de l’individu, et qu’il n’avait rien à voir avec le positivisme. Le positivisme d’Auguste Comte est aux antipodes de cette tradition et descend beaucoup plus de Joseph de Maistre que de Rousseau par sa vision de la société dirigée par le centre par les élites techniques du savoir et de l’administration.

La pensée de l’interaction entre le lièvre et la tortue n’est donc pas un problème procédural, même si le management public peut fournir un ensemble de techniques permettant de garantir l’efficience de ce processus.

III – La performance revisitée : vers de nouveaux arts pratiques de l’action publique

Cela nous conduit à mettre en avant le besoin de nouveaux arts pratiques de l’action publique, pour reprendre la formule de Jean-Gustave Padioleau (2003) : la gestion dans l’incertitude, la prise de risques, la résolution de problèmes, l’apprentissage collectif, le pilotage stratégique, le débat public,…

Ces arts pratiques ne sont pas des recettes, les « bonnes pratiques » de la « nouvelle gestion publique », mais de la connaissance empirique, au sens de Mokyr, qui ne peut être disjointe de sa base épistémique :

« Plus la connaissance utile managériale (Ch. Barnard, H. Simon, J. March, H. Mintzberg, et al.) maîtrise et intègre des épistémés de l’économie, de la sociologie ou de la psychologie, plus les connaissances prescriptives des Arts Pratiques apparaissent pertinentes et durables » (Padioleau, 2003 :21)

Développer des arts pratiques en management public nécessite un travail permanent sur la base de connaissance. À défaut, ils se figent en « bonnes pratiques » universelles dans la plus pure tradition positiviste, produisant ce que Padioleau appelle le « réformisme conservateur pervers » qui oublie le lien entre un mode opératoire et le processus de résolution de problèmes qui l’a généré. Ainsi la privatisation, qui peut être une solution d’un problème spécifique à un moment donné peut apparaître comme un bon principe en soi de caractère universel. Ce qui fut le cas du réformisme de Margaret Thatcher en Grande-Bretagne. Ses premières réformes furent réellement des réformes qui inversèrent une pente qui conduisait son pays à la paralysie progressive. Casser une bureaucratie devenue improductive par la privatisation peut être une solution qui ne fait pas pour autant de la « privatisation » une « bonne pratique » de management public. La privatisation de Railtrack a été un échec retentissant, qui a coûté plus cher au Trésor britannique que la société publique British Railways et qui a été re-nationalisée implicitement par recapitalisation à l’aide d’émissions d’obligations garanties par l’Etat[13].

L’oubli qu’un art pratique n’est qu’un art pratique, une phronesis, et n’est pas une vérité en soi mène à des erreurs radicales, car « le réformisme conservateur pervers jumelle souvent les excès de la reproduction de pratiques standards et les démesures d’un rationalisme artificiel » (Padioleau, 2003 : 166). Il est l’oubli du lien entre le « quoi » et le « comment » ou de ce que nous avons appelé (Rochet 2002, 2003, 2004, 2005) la différence entre « bien faire les choses » et « faire les bonnes choses ».

Herbert Simon nous fournit une autre vision du lien à bâtir entre arts pratiques et politique :

« L’idée d’objectifs finaux n’est pas cohérente avec notre capacité limitée de prédire ou déterminer le futur. Le résultat réel de nos actions est d’établir les conditions initiales pour les prochaines étapes de l’action. Ce que nous appelons objectifs « finaux », ce sont en fait des critères de choix des conditions initiales de ce que nous laisserons à nos successeurs » (Simon, 2004 :290)

L’objectif final ne peut être qu’une idée, une vision qui se concrétise au fur et à mesure que l’on progresse, par itérations successives, dans un processus de résolution de problème. Dans cette optique, la politique n’est plus l’art de concevoir des cités idéales, mais d’être en chemin pour progresser, par apprentissage, dans la concrétisation de l’idée. Elle ne porte plus sur la définition précise des objectifs finaux, mais sur les critères de choix de la décision publique, dans un environnement incertain et à risques. Ces critères de choix sont fondamentalement politiques, pour apprécier le bon et le mauvais et parvenir à la décision adéquate. Ainsi, le processus de débat public, par itérations entre l’intérêt individuel et l’intérêt général, permet de faire émerger une vision du bien commun qui peut fonder la légitimité et la pertinence d’une décision publique.

Ces « arts pratiques stochastiques », comme les définit Padioleau, ont deux sources : la sagesse pratique accumulée, la phronesis, et de la connaissance conjecturale qui fait face à des situations nouvelles, la métis des Grecs, étudiée par Détienne et Vernant. Dans une situation de non-ergodicité, c’est bien sûr la metis qui sera la première sollicitée pour faire face aux situations ambiguës et déconcertantes (Baumard, 1996). Les arts pratiques « combinent le flair, la sagacité, la prévision, la souplesse d’esprit, la feinte, la débrouillardise, l’attention vigilante, le sens de l’opportunité, mais où toujours l’accent est mis sur l’efficacité pratique, la recherche du succès dans un domaine de l’action » (Padioleau, 2003 :171).

Face à une situation nouvelle, les généralisations abstraites de l’épistémé sont impuissantes, la sagesse pratique de la phronesis a besoin de s’enrichir à la source de nouvelles expériences qui se forgeront par l’exercice de la métis. Dans ce dernier cas, les technologies du management public sont de peu d’utilité. Ce dont le responsable a besoin c’est beaucoup plus d’instruction – au sens des humanités classiques, celles qui développent la faculté de juger – que d’une formation technique à l’emploi des outils du management public qui ne font pas sens par eux-mêmes. La métis reste un art pratique largement lié au caractère, à la virtù, du responsable public. Mais une fois la situation sentie, le problème caractérisé comme tel peut devenir collectif et les arts pratiques peuvent devenir une pratique de l’agir public, une voie de constitution et de mise en œuvre de l’intelligence collective.

Dans la perspective de refonder le management public comme science morale, nous nous concentrerons dans cette conclusion sur trois blocs d’arts pratiques qui nous semblent être les briques de base de tout système public solide :

  • Qu’est-ce qu’une bonne décision publique ?
  • Comment stimuler l’innovation institutionnelle par la performance organisationnelle ?
  • Quelle métrique pour la performance ?

Diapositive4

Figure 3 : Du « comment » au « quoi », lier action pratique et finalité lointaine

Qu’est-ce qu’une bonne décision publique?

Guy Peters souligne que « Les gouvernements ont à coeur de proposer de «bonnes politiques»; toutefois, ils ignorent le sens de ce qualificatif laconique. » (1996). La bonne décision publique ne peut se contenter d’obéir à des règles de formalisme, comme le débat parlementaire et la consultation des citoyens. Elle ne peut se contenter de respecter quelques règles de gros bon sens comme l’aptitude à résoudre le problème posé et être applicable. Ces définitions simplistes gagneraient à être prises en compte : qui a participé à une assemblée plénière du Conseil d’Etat connaît les propos acerbes de son ancien Vice-président, Renaud Denoix de Saint Marc, sur les « lois vides de sens » comme « le droit à l’air pur » ou sur la prolifération des clauses pénales dans les textes de loi, dont seulement 10% sont aujourd’hui appliquées en France.

Au-delà de ces critères basiques, la bonne décision est celle qui permet de « déroger sensiblement au statu quo et de mettre en œuvre les modifications avec succès » (Peters 1996) et donc de pouvoir faire un choix pertinent entre les stratégies progressives et les stratégies radicales. Mais il n’y a pas, souligne Peters, d’indicateurs de bonne politique. Les gouvernants doivent s’en remettre à leur intuition et à leur jugement.

Dans un environnement non complexe et stable, une bonne décision publique pourra résulter d’une démarche positiviste et utilitariste : une décision publique sera guidée par le principe des trois « E », Economie, Efficacité, Efficience: nous en avons vu les limites et les impasses dès que l’environnement devient turbulent. La bonne décision publique se rapproche ici de la décision de gestion.

Dans la perspective évolutionniste où il s’agit d’équilibrer action sur l’environnement et évolution du système institutionnel, il faut remettre la politique au cœur du système décisionnel pour concilier poursuite de l’idée, du but lointain, arts pratiques de la gestion dans l’incertitude et apprentissage. Nous revenons aux classiques de la philosophie politique républicaine, formulés par Machiavel : la force de caractère pour agir en vue du bien commun (la virtù), constamment menacée par la corruption (la corruptio, qui a chez Machiavel un caractère essentiellement moral[14]), l’art de conjuguer la phronesis (la sagesse pratique) face aux caprices de la fortuna (l’incertitude)

Cela nous conduit à faire dépendre la qualité de la décision publique de son processus d’élaboration, beaucoup plus que d’indicateurs externes de la bonne décision.

La première conséquence de l’introduction des principes de rationalité limitée et de non-ergodicité dans le pilotage stratégique des politiques publiques, est l’abandon du concept de « décideur » au profit de la conférence décisionnelle. Le « décideur » est un concept typiquement issu du positivisme logique. Il suppose un individu capable de parvenir à la « connaissance vraie » par le seul exercice de la raison, capable d’appréhender l’ensemble des faits. Cette posture n’est plus tenable et nous proposons de nous rapprocher d’un decision making process inspiré par H. Simon et basé sur des boucles heuristiques qui permettent de parvenir à des décisions éclairées par une construction progressive et partagée de la représentation du problème.

a)   Procédure et substance

Mais peut-on déduire du rôle clé du processus d’élaboration que la bonne décision publique est relative et contingente au contexte, ce qui nous ramènerait aux principes de « bonne gouvernance » de l’OCDE pour qui une bonne décision est celle qui respecte une bonne procédure ?

Jacques Sapir (2005) propose d’adapter la distinction de Herbert Simon entre rationalité substantielle (qui parvient à prendre la bonne décision) et rationalité procédurale (qui définit les procédures pour parvenir à une décision satisfaisante compte tenu de la rationalité limitée des acteurs) – qui est la recherche du bien commun.

La légitimité substantielle est fondée sur les valeurs. Elle renvoie à un principe de légitimité transcendantale, ou alors qui se limite aux décisions « dont la totalité des conséquences sont raisonnablement prévisibles » (Sapir, 2005 :417). Cela pose deux questions :

1) Celle de la transcendance : Julien Benda, le critique le plus radical de « la trahison des clercs » ralliés au positivisme rationaliste, dénonçait cette dérive qui a amené les clercs à vouer « au mépris des hommes la poursuite de biens proprement spirituels, des valeurs non pratiques ou désintéressées. (…) On a vu ceux qui durant vingt siècles, avaient prêché au monde que l’Etat doit être juste se mettre à proclamer que l’Etat doit être fort et se moquer d’être juste »[15] Et Benda de condamner la dérive de la modernité vers la « politique expérimentale » qui prétend se fonder de manière scientifique, inductive en fait, sur l’expérience. Le rejet des valeurs de l’universel au profit du particulier incite les clercs emportés par le « romantisme du positivisme » à considérer que l’homme est tel qu’il est et « qu’on ne le changera jamais ». « Le clerc moderne aura fait ce travail assurément nouveau : il aura appris à l’homme à nier sa divinité » (id. p. 266), avec pour conséquence le mépris total pour l’individu et sa liberté au nom de la soumission à la politique conçue comme une science. La méta – physique est ici, chez Benda, à prendre dans son sens strict : ce qui est au-dessus du monde physique et concerne les valeurs de ce qui fait la bonne société, et non le religieux inaccessible à la raison humaine et lui imposant ses lois.

2) La légitimité substantielle ne concerne-t-elle que les décisions dont les effets sont prévisibles, soit les phases ergodiques de la vie des sociétés ? Cela exclurait tout jugement de valeur sur la prise de risques dans les phases non-ergodiques, ce qui est précisément le rôle du politique : « d’où l’intérêt et l’urgence pour la société post-moderne du risque de rénover ou de découvrir des institutions démocratiques de procédures d’examen, de décision, de jugement des modalités et des conséquences de prise de risques » (Padioleau, 2003 : 44). En pratique, la légitimité substantielle pose la question de l’évaluation des conséquences de la décision publique, conséquences prévisibles dans les phases d’ergodicité temporaire, conséquences non prévisibles dans les phases de non-ergodicité et qui supposent une acceptation du risque irréductible lié à la décision publique.

La légitimité procédurale : Jacques Sapir identifie trois principes de cette légitimité procédurale:

  • La responsabilité: nul ne peut prendre une décision ou contrôler une décision sans assumer la responsabilité des effets de cette décision. Ce principe permet de lier liberté individuelle de décider en participant au processus décisionnel et contrôle social sur les conséquences de ces décisions.
  • La liberté d’organisation: le choix d’un mode d’organisation et d’un principe de régulation sociale reste sujet à nos capacités de perception imparfaite des conséquences de nos décisions et de l’évaluation des risques. La gestion ne doit donc définir que des modalités de mise en oeuvre et non des principes intangibles comme « service public implique gestion par l’Etat » ou, à l’inverse, « le recours à la concurrence est par principe supérieur à la gestion publique ».
  • L’égalité d’accès à la décision: le management public doit intégrer l’approche par les capacités d’Amartya Sen en veillant à ce que chaque membre de la collectivité puisse effectivement participer à la prise de décision et en contrôler la mise en œuvre selon les deux principes précédents. Les perspectives ouvertes par la « démocratie électronique » doivent ainsi être regardées non pas comme un outil miracle qui résoudrait par lui-même le problème de la participation à la décision, mais comme une opportunité de repenser les pratiques sociales afin de permettre à chaque membre de la collectivité de participer.

Nous avons soutenu que le bien commun était une réalité émergente du débat public et des controverses démocratiques animées par la virtù du chef. Cela nous conduit à interroger l’existence de méta-normes immanentes. Hayek s’est engagé dans une impasse avec sa conception d’un droit à l’abri des contingences humaines. Mais cela veut-il dire qu’il n’y a pas de méta-normes ? Que ce soit chez les philosophes politiques romains puis néo-romains, chez les humanistes de la Renaissance issus du thomisme il y a des méta-normes, qu’il s’agisse des vertus politiques, des vertus théologales ou du droit naturel thomiste qui inspirent le droit positif et la décision publique. La république, rappelle J-F. Spitz, suppose une transcendance, mais qui n’a rien de religieux. La transcendance vient de l’existence de valeurs civiques qui font que le bien commun est supérieur à la somme des biens individuels. La construction du monde moderne, telle qu’elle ressort clairement des travaux de Pocock et de Bayly, se fait par un débat sur la place des vertus civiques et le conflit possible entre développement industriel et commercial et république vertueuse (que l’on retrouve dans le débat entre Jefferson et Hamilton lors de la fondation des Etats-Unis).

Ces valeurs civiques sont en nombre limité. Même parmi les vertus théologales – la foi l’espérance et la charité – saint Paul nous dit que celle qui ne s’éteint jamais c’est la charité (caritas, qu’il est plus approprié aujourd’hui de traduire par « amour ») qui ne s’éteint jamais[16] et ne se réfère pas à l’adhésion à une croyance religieuse. Les méta-normes viennent à la fois du haut – la transcendance – et du bas, leur libre expression par le débat public. Chez les philosophes politiques, des Romains à Tocqueville, le débat porte sur leur hiérarchie notamment sur le rapport entre justice, liberté et égalité. C’est la mise en contexte de ces valeurs et leur interprétation pour définir la « bonne décision publique » qui fait sens et est l’illustration pratique de la tension entre Athènes et Jérusalem qui est au cœur de l’oeuvre de Léo Strauss.

b)   Cheminer vers la bonne décision publique

La « bonne décision » renvoie à une conception du bien commun, soit aux questions : « Quel est le pari et le risque que la société est prête à accepter sachant que toute décision comporte une part d’incertitude», et « quels sont les nouveaux consensus sociaux à rebâtir » ? À partir de là peuvent se prendre les risques quant à l’impact escompté d’une décision et quant à son coût de mise en œuvre.

Les conférences décisionnelles doivent se fonder sur l’exposé des enjeux définis par un homme d’Etat tel que le définit Machiavel, capable de faire progresser le peuple dans le souci du bien commun – donc conjuguant la force et la vertu, la virtù– et la délibération d’acteurs décentralisés afin de mettre en tension enjeux locaux et enjeux globaux, perception des prises de risques et acceptation des responsabilités liées à la décision publique.

La décision publique est donc une décision émergente qui procède de la conjugaison de la poursuite du but lointain et du processus d’apprentissage quotidien qu’est la prise de décision dans des environnements de plus en plus complexes. La décision publique peut être représentée comme une « trajectoire d’équité » où le « décideur public » a « un rôle ambigu, partagé entre ses aspirations ontologiques et ses devoirs pragmatiques » (Kéramidas, 2005). En conclusion de son importante thèse, Olivier Kéramidas montre que ces tensions peuvent être gérables en maîtrisant ces trajectoires d’équité qui se structurent entre une position normative ex-ante, des considérations pragmatiques hic et nunc et équilibrent trajectoire délibérée et trajectoire émergente.

Comment stimuler l’innovation institutionnelle par la performance organisationnelle ?

L’innovation organisationnelle du secteur public permet d’adresser des problématiques plus complexes que dans le secteur privé et d’identifier de nouveaux enjeux stratégiques, comme nous l’avons vu dans le cas de la BNF (Rochet, 2007). L’objet du management public peut donc être de garantir ces capacités d’innovation :

  • En dégageant l’Etat des rentes et des sinécures des bureaucraties publiques, phénomène inhérent au secteur public qu’avait bien pointé Adam Smith, lié à la longueur des feedbacks de l’action publique et la difficulté d’évaluation des conséquences des décisions publiques ;
  • En développant un corpus de pratiques managériales, les Arts pratiques, qui soutiennent l’innovation organisationnelle.

Ainsi, la décision, ans les années 1990, d’externaliser l’expertise de l’Etat en matière de sécurité sanitaire par le Directeur général de la santé Jean-François Girard a représenté une rupture dans le paradigme wébérien de l’administration française , il semble suicidaire pour le directeur d’une grande administration technique de se défaire de son expertise si l’on en reste à une logique où la puissance d’une administration est celle de ses effectifs et de ses budgets. Bien au contraire, en réduisant les effectifs de l’administration centrale à quelque 250 personnes, cela permettait de la recentrer sur sa mission stratégique essentielle qui pouvait s’appuyer sur une expertise rendue indépendante des lobbies administratifs et politiques. La DGS a gagné en capacité de manœuvre stratégique et la gestion par agence a permis de développer la lisibilité de l’expertise publique, sa crédibilité et sa fiabilité (Rochet, 2002).

La recherche de nouvelles combinaisons organisationnelles devient un art pratique et n’est plus guidée par l’idéologie « public vs. privé » mais peut permettre d’affiner la définition de ce qui doit être et de ce qui ne doit pas être dans le service public. La définition canonique du périmètre du service public reste pour nous celle d’Adam Smith dans la Livre V de la La Richesse des Nations, soit le  rapport entre valeur ajoutée sociale et valeur ajoutée privée:

           «  Le troisième et dernier des devoirs du souverain ou de la république est celui d’élever et d’entretenir ces ouvrages et ces établissements publics dont une grande société retire d’immenses avantages, mais qui sont néanmoins de nature à ne pouvoir être entrepris ou entretenus par un ou par quelques particuliers, attendu que, pour ceux-ci, le profit ne saurait jamais leur en rembourser la dépense »

Nous pouvons y ajouter un autre critère : celui de l’innovation organisationnelle. Tout ce qui peut être routinisé et qui n’est pas une compétence stratégique pour l’Etat peut être externalisé. Il n’est pas ainsi stratégique que Bercy soit gardé par des douaniers, alors que le développement des trafics en tout genre multiplie les terrains d’intervention de la douane. De même pour la fonction immobilière qui n’est pas un service public par nature. Tout ce qui allège l’Etat de ses charges de gestion est de nature à lui redonner de la capacité de manœuvre stratégique.

Ainsi pour les PPP (partenariats publics privés) qui sont dans l’idéologie actuelle la traduction de la croyance que « le privé gère mieux que le public », et qui génèrent approbation ou désapprobation de principe selon le côté duquel on se trouve[17]. Dans l’absolu, cette croyance est fausse comme l’ont montré les faillites de toutes les tentatives de privatiser la gestion des biens collectifs et des utilités essentielles, comme le chemin de fer,, l’électricité ou les renseignements téléphoniques. Appliquée comme telle, cette croyance mène à des contre-performances car elle pousse à ignorer le contexte et la difficulté de réussir cette combinaison spécifique à chaque cas. Si l’Etat n’a pas de vision stratégique de ce qu’il attend du PPP, il en résulte une perte d’expertise de l’Etat au profit du partenaire privé, dont il devient dépendant, voire un échec devant l’impossibilité de conjuguer les finalités et cultures divergentes inhérentes à un acteur public et un acteur privé[18].

Mais il en va autrement si l’on considère les PPP du point de vue des arts pratiques. Les PPP pratiqués dans des domaines où l’innovation est intense peuvent être un moyen d’intégrer, par l’innovation organisationnelle, les données du nouveau paradigme socio-économique. Nous avons amplement montré comment l’endogénisation de l’innovation technologique par l’administration électronique pouvait être une ressource pour concevoir une politique technologique appropriée à l’entrée dans la société de l’information, pour autant que l’Etat développe les capacités de pilotage stratégiques nécessaires (Rochet, 2007).

Stéphanie Blankenburg (2000) fait le lien entre pratique des PPP et théorie de la connaissance. Elle montre clairement que l’évaluation de la pertinence ou non des PPP ne peut se faire qu’au regard de la nature de la connaissance comme bien public ou privé. Dans le cas où l’on considère la connaissance comme un bien privé, les PPP ne sont qu’une étape vers la privatisation des services publics. Mais dans l’autre cas, ils constituent une opportunité pour la politique publique de stimuler l’apprentissage collectif et l’innovation. Nous sommes alors dans l’optique de l’Etat comme architecte au service du bien commun qui a été au centre de nos recherches (Rochet, 2007) et comme Erik Reinert l’a parfaitement montré pour ce qui est du développement depuis la Renaissance.

Quelle métrique pour la performance ?

Dans la dynamique actuelle de passage à un pilotage par les résultats, s’en tenir à des métriques purement quantitatives est non pertinent, tant au niveau de la mesure de la performance des politiques (Rochet, 2003) que de la mesure de la performance organisationnelle.

La gestion de la performance apparaît comme se répartissant en deux versants:

  • L’un, technique, qui ressortit aux techniques de contrôle de gestion et de maîtrise budgétaire, soit le domaine de ce qui se mesure : ce sont des ratios de productivité assez classiques du management des organisations, auxquels il faut ajouter un ratio plus complexe à calculer qui est le coût global d’une politique.
  • L’autre, politique, qui ressortit à une évaluation de la pertinence de la politique, soit le domaine de ce qui se juge : l’évaluation doit ici développer de nouvelles compétences qui sont des compétences de modélisation de la complexité, celle du lien entre les livrables d’une politique et ses impacts. Nous en revenons ici à la conception par itérations successives, selon le modèle des heuristiques développé par Herbert Simon. La question finale est celle du jugement de la politique en comparant ses impacts à son coût, soit poser la question «est-ce que la valeur vaut le coût ? » (Rochet, 2003).

La logique de base du fonctionnement d’un tel modèle est l’acceptation de la rationalité limitée du « décideur » public et l’intégration d’une dynamique d’apprentissage permanent. Il y a une herméneutique de la décision publique, au sens où nous ne traitons pas de situations physiques qui nous seraient données mais de situations que nous avons créées et que nous interprétons au travers de l’état de notre connaissance. À défaut d’un texte premier révélé à la connaissance humaine et qui en serait indépendant – la Loi, selon la philosophie politique de Strauss, dans l’optique de Jérusalem – l’herméneutique fait ce travail d’interprétation entre le phénomène et le tout, qui nous renvoie au questionnement de la philosophie politique classique – dans l’optique d’Athènes – sur le sens de l’action publique :

           « Que dit, en effet, l’herméneutique? Que le principe de sens est l’indéfinitude et réside dans ce nuage d’inconnaissance dont parlent par ailleurs les mystiques; que cette inconnaissance radicale, garante de l’ouverture indéfinie du sens, n’exige pas moins de l’individu qu’il fasse un effort vers la science, qui est dépliement (ex-plication) du sens; que le réel se construit, dès lors, dans le déploiement successif des commentaires »[19].

Le management public, confronté au monde incertain de la rupture technologique actuelle, nous fait donc effectuer une « boucle étrange »[20] qui nous ramène aux questions fondamentales du sens, de l’incomplétude, de l’indécidable, soit l’expression parfaite de la liberté humaine : celles des sciences morales.

Conclusion : Instruire et éduquer les élites

Qualité de la culture et qualités opérationnelles sont intimement liées. Un dirigeant enfermé dans un rationalisme déductif ne sera pas en mesure de stimuler un tel cycle de pilotage stratégique et de créer de la connaissance par la remise en cause des modèles mentaux.

Le premier levier est sans doute de ne plus « figer les élites dans un modèle intellectuel hiérarchique qui stérilise largement toute capacité de recherche et d’expérimentation » (Crozier 1979 :155) et de valoriser le caractère, l’esprit de recherche et d’innovation. Le principal trait d’un leader est sa capacité à remettre en cause le statu quo et à créer de la connaissance nouvelle. Cela requiert de donner plus d’autonomie stratégique (que nous distinguons bien de l’autonomie de gestion) aux dirigeants d’agences et aux responsables de programmes. Nous avons mis en avant une corrélation positive entre autonomie et performance des politiques publiques dans notre étude sur les établissements publics en France (Rochet, 2002). Elle est également relevée aux Etats-Unis par Daniel Carpenter (2001) qui souligne que la capacité des dirigeants d’agences à tisser un réseau social autour de leur organisation est un facteur clé de réussite. Barzelay et Campbell (2003) identifient deux autre leviers : la capacité à assumer sa liberté de choix dans la définition des orientations stratégiques de son mandat, dont le terme est par nature plus court que l’horizon stratégique de sa mission, et le sens des circonstances pour les mettre en tension avec les objectifs à long terme.

Force morale, légitimité personnelle et intelligence sont donc intimement liées et ne peuvent se résumer à la combinaison de l’intelligence déductive et de la légitimité statutaire des élites françaises.

Dans la perspective d’un modèle néo-wébérien de l’administration publique qu’évoquent désormais plusieurs auteurs (Politt et Bouckaert 2004 ; Drechsler 2005), il ne s’agit pas de remplacer le managérialisme du NPM par un retour pur et simple au modèle wébérien comme d’aucuns en sont tentés, mais de refonder les valeurs wébériennes dans ce qu’elles ont d’intemporel (Tableau 2).

Pour nous démarquer du courant dominant en éducation, qui tend à la réduire à l’acquisition de « compétences », nous distinguons instruction et éducation. Par instruction, nous entendons la nécessaire formation de l’homme, ce que Leo Strauss appelait « l’éducation libérale », celle qui « consiste à apprendre à écouter de petites voix et par conséquent à devenir sourd aux haut-parleurs ». C’est de l’instruction au sens classique, celui des humanités : « Dans l’état actuel des choses, nous pouvons espérer un secours plus immédiat de la part des humanités bien entendues que de la part des sciences, plus de la part de l’esprit de finesse que de l’esprit de géométrie » (Strauss, 1990 : 44-45). Cet esprit impose une prise de distance d’avec l’esprit déductif dans lequel Michel Crozier voyait la base du pouvoir de la technocratie. Face à cela, proposait-il, il faut jouer la connaissance à la base de toute stratégie de changement afin que « les communautés scientifiques et technologiques soient vigoureuses et ouvertes, pour que les relations soient plus rapides et vivantes entre la connaissance fondamentale, la connaissance appliquée et l’utilisation finale. » (Crozier, 1979 : 171).

Insistance sur la formation éthique et capacité à faire de l’Etat un espace de controverse sont donc les deux axes de la formation des élites afin de les rendre capables d’animer les processus d’évolution institutionnelle et de contrer leur penchant à la « trahison des clercs ».

Tableau 2: La transition vers un modèle néo-wébérien d’administration publique

L’instruction : Valeurs héritées du modèle wébérien L’éducation : Les nouvelles compétences
Les valeurs à actualiser :
  • L’Etat comme architecte des solutions politiques au service du bien commun
  • Le droit public écrit et spécifique comme conséquence de l’inégalité de la relation entre l’Etat et le citoyen
  • Le statut de la fonction publique comme reconnaissance de la spécificité des valeurs du service public

Des compétences appropriées à un monde ouvert et incertain :

  • La scénarisation stratégique dans un environnement non-déterministe
  • L’intégration du citoyen :
    • dans la prise de décision publique
    • dans la conception des services
  • Une logique de création de valeur mesurable et évaluable
  • Les systèmes d’information comme levier de la réforme administrative

Les valeurs wébériennes à abandonner :

  • La hiérarchie
  • L’emploi exclusif
  • La division du travail

De nouvelles valeurs à promouvoir :

  • Redéfinir les rôles, responsabilités et modes de relations entre le centre et la périphérie
  • Développer l’approche horizontale des politiques publiques
  • Favoriser la mobilité privé public et public privé
  • Organisation modulaire, évolutive et résiliente des dispositifs publics.

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[1] L’observation, dans le temps ou dans l’espace, des propriétés d’une partie du système permet de former des hypothèses sur les propriétés du système d’ensemble. Les systèmes ergodiques ne comprennent que des états d’équilibre et la transition d’un état à un autre est statistiquement prévisible. À l’opposé, pour comprendre le comportement d’un système non-ergodique, il faut accéder à ses principes organisateurs sous-jacents ou pouvoir le situer dans un ensemble plus vaste de systèmes dont le comportement pourra être ergodique. La théorie ergodique est issue des travaux du chimiste Bolzman et ses fondements mathématiques ont été bâtis par Von Neumann pour la compréhension du comportement des systèmes dynamiques. Elle a été introduite dans l’analyse économique par Haavelmo et Samuelson.

[2] A. Smith, Théorie des sentiments moraux, trad. coll., PUF, 1999, p. 141-142.

[3] Sénèque, cité par Skinner (2003 : 49)

[4] : « On a commencé à se guérir du machiavélisme » écrit-il « et il est heureux que pendant que leurs passions leur inspirent la pensée d’être méchants, ils ont pourtant intérêt à ne pas l’être » Montesquieu, « L’Esprit des Lois », XXI, 20

[5] « La manière dont les choses sont et dont les choses arrivent, constitue ce qu’on appelle la nature des choses; et l’observation exacte de la nature des choses est l’unique fondement de toute vérité. (…) L’économie politique … est établie sur des fondements inébranlables, du moment que les principes qui lui servent de base sont des déductions rigoureuses de faits généraux incontestables », Jean-Baptiste Say, Traité d’économie politique, 1803

[6] Après une première tentative de créer un ministère de la réforme administrative sous la IV° république qui ne dura que dix jours (Paul Giacobbi en 1950), un véritable ministère de la réforme administrative est créé sous De gaulle, confié à Louis Joxe avec rang de Ministre d’Etat, de 1962 à 1967. Ce ministère disparaîtra entre 1974 et 1988. Il prendra le nom de ministère de la réforme de l’Etat en 1995. Autrement dit, quand l’Etat avait un véritable rôle et une stratégie politique, on distinguait bien l’administration de l’Etat, et, inversement, c’est quand l’Etat perd ses marges de manœuvre qu’il se réduit à l’administration qui se confond avec l’Etat institution politique.

[7] Nous sommes conscient que cette formulation pourrait porter à penser qu’un monde ergodique génère fatalement le positivisme, ce qui est historiquement faux comme le montre Spitz dans son histoire du moment républicain en France (Spitz 2005). A ce stade, disons simplement que le positivisme peut fonctionner dans un monde ergodique, tant qu’il rencontre des problèmes non complexes dont la solution peut être induite par l’étude des événements passés, et qu’il ne le peut plus dans un monde non ergodique.

[8] En philosophie des apories sont des difficultés irréductibles dans une question philosophique ou dans une doctrine.

[9]Thus, in broader terms, technological change stems from within the economic and social system and is not merely an adjustment to transformations brought about by causes outside that system. Societies have, in other words, a say in the shape technology is likely to take. Hence the importance of technology assessment for the policy choice which need to be made.” (Freeman and Soete, 1997:429)

[10] Greenleaf a été inspiré par le roman Journey to the East d’Hermann Hess où il aurait trouvé une première représentation de ce qu’il entend par un leader servant (servant leader) : « The central figure of the story is Leo, who accompanies the party as the servant who does their menial chores, but also sustains them with his spirit and his song. He is a person of extraordinary presence. All goes well until Leo disappears. Then the group falls into disarray and the journey is abandoned. They cannot make it without the servant Leo. The narrator, one of the party, after some years of wandering, finds Leo and is taken into the Order that had sponsored the journey. There he discovers that Leo, whom he had known first as servant was in fact the titular head of the Order, its guiding spirit a great and noble leader. » (Greenleaf, cité dans Spears 1998, p.15-16)

[11] L’incrémentalisme peut se définir comme la méthode qui consiste à ne jamais considérer l’action collective qu’à partir des problèmes que pose l’ajustement mutuel de tous les acteurs. Aucune action raisonnable ne peut être menée à partir de synthèse a priori. (Crozier, 1970 :195)

[12] Henry Michel « L’idée de l’Etat », 1896

[13] The Economist « Railtrack’s bankruptcy, Blood on the tracks » Oct 11th 2001

[14] « Un Etat que sa vertu ou la nécessité forcent à agir saura toujours s’élever au-dessus des autres. Au contraire, on verra toujours remplie de ronces et d’herbes sauvages, on verra changer de maître de l’hiver à l’été, jusqu’à ce qu’enfin la chute arrive, on verra échouer dans ses projets toute cité qui, avec de bonnes lois a cependant des moeurs corrompues. » Machiavel, Discours

[15] « La trahison des clercs », Julien Benda, Hachette Pluriel, 1977, p. 248

[16] Saint Paul ; Epître aux Corinthiens. Le Christ en croix fait l’expérience de la perte des deux premières vertus théologales (« Père, pourquoi m’as-tu abandonné ? ») mais pas de la troisième, l’amour (« Pardonnez leur car ils ne savant pas ce qu’ils font »).

[17] Rappelons que le principe des PPP, qui apparaît aujourd’hui comme le fer de lance du modernisme, a été inventé en France en 1860.

[18] Nous renvoyons sur ce sujet à l’important dossier consacré par Télescope, la revue de l’ENAP (Montréal) aux PPP (2005).

[19] Lucien SFEZ « Critique de la communication » Points p. 462

[20] « Le phénomène de boucle étrange se produit chaque fois que, à la suite d’une élévation (ou d’une descente) le long d’un système hiérarchique, nous nous retrouvons à notre grande surprise, au point de départ » (Douglas HOFSTADTER « Gödel, Escher, Bach » p. 12).

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