En 1946, la dette de la France représentait 290% du PIB avec un appareil productif détruit. Trente ans après, elle était devenue une grande puissance industrielle sans dette avec un système de protection sociale et de santé des meilleurs au monde. Comment cela a-t-il été possible: grâce à la combinaison croissance * inflation, la doctrine gaulliste étant en la matière inflation <= croissance du PIB. Les dettes ont été effacées (aux dépends des rentiers et au profit des industriels et des salariés qui ont pu s’endetter à des taux d’intérêt réels négatifs. Jacques Sapir rappelle ici ce principe pour la crise actuelle. |
10 février 2013
Par Jacques Sapir
La question de la dette publique est l’objet de confusions importantes. En réalité, elle tourne toute entière autour de la question de la croissance nominale (croissance réelle + taux d’inflation) et non pas de celle de la pression fiscale. La question de la pression fiscale est importante pour déterminer le niveau de déficit budgétaire qui pourrait être acceptable.
Dette et croissance nominale
La formule utilisée pour mesurer le poids de la dette ou Dette/PIB contient déjà une confusion. Elle compare un stock (la dette) à un flux, la richesse crée dans une période de référence (ici une année) et mesurée par le PIB (somme des valeurs ajoutées). Une mesure plus cohérente consisterait à comparer la dette au stock des immobilisations et du capital (infrastructures) que possède l’État. Ce stock est largement supérieur à la valeur annuelle du PIB. Si nous conservons la formule Dette/PIB, qui est une formule en analyse statique, la formule en dynamique (dérivée) s’écrit Déficit Budgétaire/Croissance Nominale du PIB.
Le déficit budgétaire (numérateur) étant mesuré aux prix courants, il faut, bien sûr, que le dénominateur le soit aussi. On rappelle que la croissance nominale est le produit de la croissance en termes réels du PIB par le taux d’inflation. Le niveau de la croissance nominale dépend donc de ce que l’on appelle la « croissance » (en réalité la croissance en termes réels du PIB) et le niveau du taux d’inflation. Le niveau du taux d’inflation acceptable dépend de la compétitivité de la France par rapport à ses principaux concurrents. Nous noterons (f) les grandeurs relatives à la France et (c) celles qui sont relatives aux pays concurrents. La compétitivité est, toutes choses égales par ailleurs, mesurée ici par l’écart d’inflation (If/Ic) que divise la croissance comparée de la productivité du travail entre la France et les pays concurrents (Prodf /Prodc).
On a donc une limite fixée par les gains de productivité. Si la France avait des gains très forts par rapport à ceux des pays concurrents, elle pourrait se permettre d’avoir une inflation également supérieure dans la même proportion. Quand ce n’est pas le cas, le taux d’inflation potentiel est limité par la compétitivité. Mais, nous avons raisonné jusqu’à cet instant avec des taux de change fixes. Quand un pays (comme le Japon) provoque une dépréciation de sa monnaie par rapport à l’Euro, ceci équivaut à un gain en productivité apparent, et le niveau d’inflation que pourrait se permettre le Japon en est naturellement augmenté.
Si nous raisonnons désormais en considérant que la France récupère sa souveraineté monétaire, une dévaluation du Franc par rapport aux monnaies des pays qui sont nos concurrents permettrait d’avoir un taux d’inflation supérieur à celui de ces pays.
Le niveau d’inflation naturel de la France
On a publié un « working paper » sur ce sujet en juin 20121. On y démontre que dans TOUTES les inflations il y a une composante monétaire et une composante réelle, que l’on appelle le taux d’inflation « naturel ». Les déterminants de cette inflation « réelle » sont à rechercher dans les structures économiques. Ces déterminants se décomposent en facteurs « structurels-techniques », en facteurs « institutionnels » et en facteurs « sociaux » (voir le tableau 1). L’un des principaux résultats démontrés était que toute politique visant à ramener l’inflation à 0 aurait un effet d’autant plus délétère sur la croissance économique que l’inflation « naturelle » de cette économie serait élevée.
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