Le partenariat transatlantique : ce que nous allons perdre pour ne rien gagner

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Le 16 septembre 2013 s’est tenu à la Fondation Respublica une table-ronde réunissant, autour de Jean-Pierre Chevénement, Jean-Luc Gréau, Xavier Bertrand, Hubert Védrine et Jean-Michel Quatrepoint sur le partenariat transatlantique Union européenne Etats-Unis. Ce papier est largement inspiré des propos qui s’y sont tenus, que j’ai complétés par mes recherches en histoire économique.

La création d’une zone de libre-échange transatlantique est un vieux rêve qui remonte à Jean Monnet, mais qui avait été enterré avec l’émergence de la Chine-Amérique, qui offrait une nouvelle zone d’expansion aux entreprises américaines. Mais les multinationales ont réalisé que le marché chinois serait réservé aux Chinois et que la Chine ne tombera pas dans la stratégie classique des Etats-Unis – qui ont reproduit la stratégie de l’Angleterre aux XVIII° et  XIX° siècle – convertir les nouveaux pays industriels au libre-échange pour y exporter les produits de leur industrie et maintenir ceux-ci dans l’exportation de produits non facturés ou à faible valeur ajoutée.

L’émancipation de la Chine et l’instabilité du monde

Au contraire, la Chine, qui a parfaitement compris la stratégie d’impérialisme du libre-échange des Etats-Unis, a clairement défini sa stratégie dans le National Medium- and Long-term Talent Development Plan (2010–2020) qui vise à passer du « Made in China » au « Innovated in China ». La stratégie d’accueil des délocalisations industrielles des pays occidentaux n’est qu’un vecteur d’apprentissage de la technologie occidentale qui doit lui permettre d’accumuler les capacités pour être un leader en innovation en 2020 et l’économie dominante du monde en 2050, ce qui sera sans doute atteint avant : Une étude de l’Université de Singapour et de Harvard prévoit que la Chine aura dépassé les Etats-Unis en parité de pouvoir d’achat en 2018[1].

Cette politique est basée sur une complémentarité entre politiques publiques et entreprises privées. Pour devenir à l’horizon 2050 le leader mondial de l’innovation, les marchés publics doivent intégrer les produits innovants chinois. La pratique de la copie reproduit en plus grand ce qu’a fait l’Angleterre au XVII° siècle avec les technologies hollandaises (le drap), italiennes (le verre) et allemandes (les mines) pour devenir le leader industriel de l’Europe.

La Chine reproduit également les recettes de croissance de l’Occident en combinant richesse et puissance. Les Chinois ont acheté un porte-avion aux Ukrainiens, le Varyag, pour faire un casino à Macao, qui est finalement devenu un vrai porte-avion qui sera pleinement opérationnel en 2018. Un 2° porte-avion en chantier à Shanghai. La possession d’une Marine de souveraineté est la priorité de la Chine, selon une stratégie très orientale de progression en tâche d’huile : maîtrise des côtes, puis du détroit de Taïwan et aujourd’hui de la haute mer. Or, Washington entend bien rester en Mer de Chine !

Autre levier de la souveraineté chinoise, la monnaie : Pékin veut faire du Yuan la monnaie des transactions internationales. Une entente a été conclue avec les BRICS pour échanger en monnaie nationale.  Après Fukushima, le Japon a demandé à Pékin une aide monétaire : une part de leur commerce sera libellé en Yen et en Yuan, la Banque du Japon achètera de la dette chinoise et depuis 2012 le Japon redresse ses comptes en laissant filer le Yen surévalué depuis les accords du Plazza. Le dollar est hors-circuit, ou presque!

De plus Tokyo achète les îles Sunkaku appartenant à des privés japonais, qui devaient revenir à la Chine en 1945 et toujours revendiquées par Pékin, qui y voit une provocation qui entraîne de très violente réactions.

Si Obama est aujourd’hui à reculons sur les dossiers internationaux, c’est que l’enjeu asiatique est primordial. Les Japonais vont vouloir réarmer. Il n’y a plus de gendarme international, nous sommes entrés dans un « monde apolaire », instable et imprévisible, avec l’émergence de puissance régionales Inde, Brésil voire Nigéria, et de multinationales qui sont de tous les pays. Les États-Unis ne seront plus une superpuissance : un hub du système mondial, pas plus. Or, ils entendent bien revenir à la première place!

La riposte américaine: les partenariats

En riposte les USA lancent le TPP, Trans Pacific Partnership (Australie, Brunei Darussalam, Canada, Chili, Malaisie, Mexique, Nouvelle Zélande, Pérou, Singapour, et Vietnam) qui repose sur trois piliers : 1) Libre-échange 2) accès aux exportations pour les PME américaines 3) Intégration des marchés grâce aux TIC et implantation de l’accord sur la propriété intellectuelle de l’OMC.

Le traité transatlantique avec l’UE a pour but de compléter ce dispositif et de remettre l’Amérique au centre du jeu mondial. Son commerce avec l’UE est largement déficitaire de 118 milliards USD sur l’Europe, essentiellement au profit des Allemands, dont les grands groupes soutiennent le projet d’accord. L’objectif n’est pas tant les droits de douane, qui sont faibles (3%), mais les barrières non-tarifaires que constituent les normes. Qui fixe la norme, fixe le marché à son profit. Or, la France est très négligente dans le combat pour les normes dans lequel elle ne voit qu’un débat entre techniciens et pas un débat stratégique et politique[2].

 Avec la crise et l’explosion des inégalités, l’Amérique est devenue une zone de bas coûts salariaux. L’enjeu pour Obama est de relocaliser les industries américaines qui ont délocalisé et externalisé leur chaîne logistique en Asie. Ainsi chaque iPhone vendu par Apple creuse le déficit commercial des Etats-Unis[3]. Les multinationales américaines relocalisent, payent des impôts et emploient des Américains en échange de l’ouverture des marchés par l’Etat : tel est le deal conclu entre Obama et les grandes entreprises, représentées par le patron de GE qui est le conseiller d’Obama. On produira aux USA des modèles vendus aux USA et en Europe.

Les grandes entreprises allemandes ont tout à gagner : leur excédent commercial se fait de moins en moins en Europe et elles ont déjà délocalisé en Amérique. L’alliance entre Mme Merkel et les grandes entreprises pour défendre l’intérêt allemand est tout à fait justifiée. Il en va autrement en France ou la particularité des multinationales françaises… et de ne plus être française mais sous capitaux étrangers. Est-ce cela qui explique la quasi-clandestinité de ces négociations en France, alors qu’il y a eu du débat pour le GATT et l’OMC? A-t-elle peur des conséquences ?

Aux USA c’est le Président qui parle, pour les Européens c’est Barroso, Karel de Gucht et Van Rompuy, en Allemagne Merkel pilote, de même Cameron en Angleterre. Il n’y a eu aucune prise de position publique en France avant l’affaire de l’exception culturelle. Nicole Bricq, ministre du commerce extérieur n’a pas de mandat interministériel Le dossier n’est géré au bon échelon pour autant qu’il soit géré.

Personne ne connaît les priorités. Les USA ont affiché la couleur, Merkel aussi : les  normes pour les industries exportatrices allemandes. C’est d’ailleurs une fuite de wikileaks qui a informé le monde que ce projet serait le cœur de la présidence allemande de l’UE et une autre fuite qui a révélé le mandat de négociation. Pour les USA il s’agit de se mettre position d’arbitre entre l’Asie et l’Europe en jouant sur le volet non tarifaire qui sera commun avec le TPP. Cameron a inclus l’agriculture dans son mandat, y compris défense. Ils ont en ligne de mire les subventions, PAC principalement. La vraie confrontation portera sur les normes. Il n’y a pas de stratégie française. Au mieux les Français ont été les idiots utiles qui ont servi de monnaie d’échange avec l’exception culturelle (qui couvre tout ce qui est « google-isable ») et les industries de défense…

La soumission de la Commission européenne et de la France en particulier

La « classe politique »  se désintéresse de cet accord qui sera le plus grand accord bilatéral jamais négocié, alors qu’il y a eu du débat pour le GATT et l’OMC. Et Barroso a bien l’intention de conduire les négociations à marche forcée, avant les élections européennes.

Le résultat du bilatéralisme commercial instauré par les traités de libre-échange entre puissances inégales (et ne tombons pas dans le mythe d’une Europe unie avec une dynamique industrielle commune) est toujours le même : la désindustrialisation pour le pays le plus faible. Il n’est en effet pas de marché commun possible sans cadre monétaire stable. En 1973 le marché commun a été complété par le SME après l’effondrement de Bretton-Woods. Donc, on peut supposer qu’il y aura sur la table un système monétaire transatlantique.

Autre condition défavorable pour les Européens, la politique de la concurrence, appliquée par la Commission s’est américanisée. : Validation des OPA hostiles, aides d’Etat interdites… L’autorité européenne de la concurrence a inversé la finalité de la concurrence telle qu’elle existait initialement dans les traités, soit pour le bien-être social et non pour elle-même.

Ce traité réintroduit l’AMI qui avait été rejeté en 1999, soit la capacité pour des multinationales de réclamer dédommagement pour un profit qu’elles n’auraient pas pu faire du fait de la politique d’un Etat. Ainsi la compagnie suédoise Vattenfall réclame à l’Allemagne 3,7 milliards d’euros en compensation de la perte de profits potentiels liés à deux de ses centrales nucléaires, du fait de l’abandon de la filière nucléaire.

Que gagnerons-nous, puisque nos gouvernants nous chantent les louanges d’un traité qui va traiter des emplois à foison ?

Ce traité est destiné à rééquilibrer les échanges au profit des USA. Pour que le jeu soit égal, il faudrait que la parité des monnaies le soit. Or, la compétitivité de notre industrie requiert un euro à 1,10 USD au maximum (selon les calculs de Jean-Luc Gréau), mais Mme Merkel veut maintenir 1,3 puisque l’euro est la monnaie taillée sur mesure pour l’Allemagne.

Cela ne va pas éliminer la bureaucratie, les procédures, ni créer des emplois : On nous avait promis pour le marché unique 6 millions emplois, alors que l’EU en a perdu 4 Millions, et la bureaucratie paperassière de l’Union européenne a explosé.

Nous y gagnerons le droit non contestable de manger du veau aux hormones américain, des OGM et la disparition de toutes les règles sanitaires qui défendent notre agriculture, notre qualité et notre art de vivre, pour n’être plus qu’une zone de sous-traitance de l’industrie américaine, une nouvelle variété de maquiladora, version Baroso.


[1] D.W. Jorgenson, K.M. Vu / Journal of Policy Modeling 33 (2011) 698–716

[2] Rapport de Claude Revel : Développer une influence normative internationale stratégique pour la France http://proxy-pubminefi.diffusion.finances.gouv.fr/pub/document/18/14133.pdf,

[3] How iPhone Widens the US Trade Deficits with PRC Yuqing Xing, Neal Detert,  http://www3.grips.ac.jp/~pinc/data/10-21.pdf

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