Philippe Muray

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Le rire salvateur de Philippe Muray

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[amazon_link id=”2844462510″ target=”_blank” ]Causes toujours[/amazon_link] rassemble les chroniques de l’écrivain parues dans le journal La Montagne entre 2000 et 2006. Jubilatoire et brillant.

 

Philippe Muray - Causes toujoursEn préface de ce recueil, un article de Jean Baudrillard, publié dans Le Nouvel Observateur lors de la mort de Philippe Muray en mars 2006, cerne parfaitement ce qu’il nommait «l’Empire du Bien» : «cette pacification grotesque» s’accompagnant d’une «désincarnation du monde réel» à travers laquelle l’individu contemporain «semble vouloir se ridiculiser dans l’assouvissement de tous ses désirs, dans la libération inconditionnelle de toutes ses possibilités».

Chasser le négatif, le Mal, la part maudite, les contradictions et les dualités de la condition humaine : au moins dès son magistral essai consacré à Céline, Muray avait identifié la gigantesque entreprise d’éradication à l’œuvre en Occident et ses méthodes. Notre société, qu’il qualifia d’hyper festive, marie un discours d’autocélébration extatique à la traque frénétique des déviants, au harcèlement des irréguliers. L’auteur d’[amazon_link id=”2070783839″ target=”_blank” ]Après l’Histoire[/amazon_link] avait compris que le nouvel ordre libéral-libertaire était taraudé par «l’envie de pénal» et que les nouveaux droits iraient de pair avec de nouvelles surveillances, de nouveaux délits, au nom bien sûr de la lutte contre les «discriminations». Renversement des valeurs et des rôles : «la nouvelle Sainte Inquisition est acclamée par ceux mêmes qui se prétendent les héritiers directs de ses plus farouches adversaires.»

Des droits pour tous

En 2002, plus de dix ans avant l’émergence du «pourtoussisme», il écrivait : «Ce n’est pas bien de se crisper sur le biologique. Pas bien du tout. On ne voit donc pas non plus ce qui empêchera ceux qui ont les cheveux blonds d’exiger d’avoir en même temps les cheveux bruns. Ou roux. Ou bleus. Et roux et bleus. Et d’en appeler aux plus hautes instances pour obtenir ce droit. Et que celui-ci soit inscrit dans la loi. Bien explicitement. Bien profondément.» Plus de limites, tout est permis, tout est possible. Même si les maîtres du temps présent sont parfois schizophrènes en prétendant lutter contre des maux qu’ils contribuent à instaurer. Ainsi, Muray relève que «la relativisation de la famille occidentale classique» et «l’effacement généralisé de la différence des sexes» impliquent à plus ou moins long terme une levée de l’interdit de l’inceste, cet inceste que cette notre société considère encore – à juste titre – comme une barbarie.

En attendant, il faut faire table rase, chasser le concret, tourner le dos au monde d’avant et au péché originel dont l’écrivain voit parfaitement combien il est devenu encombrant : «On ne saurait mieux décrire la naissance de l’inhibition, des complexes, du sentiment de culpabilité, de la fin du naturisme, du sentiment du temps qui passe. On ne saurait mieux évoquer le début de ces grandes catastrophes qu’on appelle bien légèrement histoire de l’humanité et qui ont toutes leur origine dans cet épisode désastreux : connaissance d’autrui et de la différence sexuelle, défaite de l’exhibition infantile, conscience de l’humaine imperfection et ainsi de suite.»

Roues carrées

Si les lecteurs les plus fidèles de Philippe Muray connaissaient déjà la plupart de ces textes, ils impressionnent encore une fois par leur puissance comique, ils ridiculisent la farce officielle qui se prend au sérieux et la renvoie à son burlesque involontaire. Dans «L’étiquette», à propos des avertissements adressés aux femmes enceinte sur les bouteilles de vin, se déploie un sens génial de l’absurde qui n’est pas sans évoquer Raymond Devos puisque suivant la logique à l’œuvre «Il faudra même étiqueter les étiquettes, qui comportent sûrement elles aussi des risques.»

Au-delà des formules qui font mouche («la rébellion des rebelles professionnels», les «ZIP» (Zones d’indignation protégée), «l’obésité passive»), [amazon_link id=”2844462510″ target=”_blank” ]Causes toujours[/amazon_link] nous réconforte par le rire des destructions en cours, de la perte générale de la raison, de la bêtise fière d’elle-même érigée en norme transformant des jugements ou des sentiments qui furent «des banalités de base pendant des siècles et des siècles» en crimes de la pensée. Il faut ainsi citer «L’étonné nouveau», inspiré par un journaliste de Libération qui déplore les «horreurs» et les «propos confus» d’un acteur déclarant que «deux mamans, ce n’est pas possible, qu’il faut un père». «Il y a une nouvelle innocence, une nouvelle forme de candeur, une manière moderne de s’étonner que tout ne soit pas encore tout à fait moderne, complètement moderne, moderne à cent pour cent, et plus si affinités», souligne Muray. Oui, des êtres bizarres, anachroniques, s’acharnent à estimer que les roues ne sont pas carrées ou que deux et deux font quatre. Combien de temps ? Viendra bientôt le moment où «l’étonné nouveau» n’aura plus d’occasions d’étonnement car «demain tout le monde pensera comme lui, c’est-à-dire non-pensera. Il ne sera plus, alors, l’étonné nouveau, il sera le nouveau. Tout court. Il l’est déjà

Christian Authier
Un Article de l’Opinion Indépendante

 

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