Scandales à gogo

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“Imagine-t-on Yvonne de Gaulle attachée parlementaire?” comme a pu l’écrire un commentateur. Au-delà de son aspect purement légal d’emploi fictif – qui semble beaucoup plus évident dans l’affaire de la Revue des deux mondes – doublé d’un délit d’abus de biens sociaux, que dans l’emploi d’attaché parlementaire de Pénélope Fillon, comme l’analyse l’avocat Regis de Castelnau – l’emploi d’un conjoint n’a rien d’illégal. Quand on connait les conditions de travail d’un député qui se consacre à son travail législatif sans appartenir à une formation politique et sans cumuler de mandat, son travail est effectivement celui d’une PME familiale, et, dès lors que sa famille est de facto impliquée il n’est pas anormal qu’il emploi son ou sa conjoint(e).  

La question est celle de la vertu civique, que, plus que tout autre citoyen, un élu du peuple, doit incarner (…valeurs que François Fillon prônait dans sa campagne!). Machiavel, dans la lignée des philosophes politiques classiques de la Renaissance, faisait du sens du Bien commun la clef de voute de la cité, qui ne pouvait être mieux défendue que dans une République, qui devait être incarnée par un Prince doté de virtù, qui est la synthèse de la force et de la vertu civique. Le dirigeant doit être exemplaire par sa force de caractère, c’est cela qui compte, c’est cela qui fait les bonnes institutions qui sont avant tout un esprit plus qu’un texte. 

Nos dirigeants n’ont ni la vertu ni la force, soumis qu’ils sont à l’Union européenne qui décident à leur place. Ils ont organisé leur impuissance et leur inutilité mais ne sont pas décidés pour autant à disparaître. Au contraire: c’est l’application de la loi de Parkinson: plus ils sont inutiles, plus ils sont nombreux, plus ils organisent des spectacles pour se mettre en scène et plus ils se payent. Cher. 


Deux scandales, ou prétendus tels, viennent d’éclabousser simultanément deux des candidats déclarés à l’élection présidentielle, M. François Fillon et M. Emmanuel Macron. Ces scandales touchent à l’argent, sujet sensible en France. Au-delà de la réalité de certains faits, qui reste à établir, le scandale véritable porte en effet sur le rapport à l’argent de ces deux hommes politiques. L’un, François Fillon, fait campagne sur sa probité personnelle mais aussi sur sa volonté d’imposer une terrible politique de rigueur aux français. L’autre, Emmanuel Macron, se construit par petites touches un personnage de bon gestionnaire des fonds publiques, d’homme nouveau, voire – il le prétend dans ses discours – d’extérieur au « système ». En fait, c’est tout le discours tenu par ces deux candidats qui apparaît ainsi brutalement dévalorisé par les révélations de ces scandales.

 

Les faits

La première accusation vise François Fillon, candidat des « Républicains » à l’élection présidentielle. Il est accusé d’avoir fourni un emploi fictif à sa femme, Mme Pénélope Fillon, qui aurait été payée environ 500 000 euros sur 8 ans dans ce cadre. François Fillon s’est, pour sa part, défendu avec vigueur au journal de 20h sur TF1 jeudi 26 janvier[1]. Interrogé sur la « réalité » du travaa-01-fillonil de sa femme, il a répondu que cette dernière avait « corrigé les discours [qu’il prononçait] (…) reçu d’innombrables personnes qui voulaient le voir (…), représenté dans des manifestations et des associations (…), [et fait] la synthèse de la presse ». Ceci est parfaitement possible. Mais cela ne répond pas au problème moral alors posé. En effet, ce qui choque dans ce cas n’est pas que M. Fillon ait employé sa femme pour tenir un rôle de secrétaire. C’est pratique courante, et il est plutôt à son honneur de l’avoir officialisé. C’est l’ampleur de la rémunération, en moyenne 5000 euros par mois, qui constitue le véritable scandale. Dans le même temps, on apprenait que Mme Pénélope Fillon avait été employée dans la célèbre « Revue des Deux Mondes », et rémunérée à hauteur de 100 000 euros pour sa participation à un « groupe de réflexion informelle » ainsi que pour la publication de deux courtes notes de lecture. Ceci est tout aussi scandaleux, voire plus. Pour un travail aux contours pour le moins mal définis, avec un « rendu » minimaliste, Mme Fillon a donc touché 100 000 euros. Il convient ici de bien lire le chiffre ! On comprend le soupçon de travail de complaisance, de cadeau déguisé, qui pèse à son sujet.

Mais, François Fillon n’est pas le seul candidat éclaboussé par un scandale. Emmanuel Macron, le sémillant dirigeant du mouvement « En Marche », qui s’apprête à recueillir une bonne partie de l’appareil et des électeurs du P « S » aujourd’hui en décomposition, est lui aussi mis en cause pour l’utilisation abusive des fonds du Ministère des finances quand il était à Bercy. Le livre de Marion L’Hour et Frédéric Says, « Dans l’enfer de Bercy » aux éditions JC Lattès, apparaît comme accablant pour l’ancien ministre et l’actuel candidat[2]. On apprend ainsi qu’en huit mois, jusqu’à sa démission, Emmanuel Macron a grignoté 80 % de l’enveloppe des frais de représentation que devaient se partager en 2016 tous les ministères de Bercy. La défense qu’il présente semble à cet égard bien faible.

 

Ô ministres intègres !
Conseillers vertueux

Il est très probable que dans les deux cas rien ne soit légalement reprochable tant à M. Fillon qu’à M. Macron. Mais, le problème moral reste entier. Il devient même un problème particulier en raison de la campagne que mène actuellement ces deux hommes et de la manière dont ils entendent, l’un et l’autre construire leur image.

Dans le cas de François Fillon, quelle légitimité peut-il encore avoir à demander des sacrifices aux travailleurs, par son projet de réforme de la sécurité sociale, d’abandon des 35h, de modification du régime des retraites ? Il s’agit bien ici de la légitimité. Quant à la légalité des faits qui lui sont reprochés, c’est affaire de justice et, de ce point de vue, il est probable que l’on ne trouvera pas ici matière à poursuites. Mais, pour un homme qui s’était distancié de l’ancien président Nicolas Sarkozy justement sur la question de la probité personnelle, qui aime tant citer le Général de Gaulle, quitte à appliquer une politique aux antipodes de la sienne, cette affaire est un véritable désastre. a-01-alivremacronOn se souvient sans doute de l’anecdote portant sur le Général de Gaulle qui, installé à l’Elysée, fit placer un compteur électrique pour séparer sa consommation en tant que Président de celle en tant que personne privée. La comparaison avec les pratiques du couple Fillon, aussi légales puissent-elles être, est plus que cruelle ; elle est politiquement dévastatrice. François Fillon commence à en payer le prix[3]. Si François Fillon était élu Président, ce qui est aujourd’hui douteux, imagine-t-on sa légitimité à prendre les mesures qu’il propose ? Avant lui Alain Juppé, alors Premier-ministre de Jacques Chirac avait durement payé en 1995 les arrangements sur son logement et ceux de sa famille. C’est le sort qui, probablement, attend François Fillon s’il est élu.

Quant à Emmanuel Macron, ce candidat qui aime bien arguer de sa jeunesse et de sa prétendue pureté face au monde politique, le voici ramener à la réalité des faits. Il est un pur produit du « système » qu’il aime bien vilipender. Il fut banquier d’affaires, et des affaires il a gardé le gout. Il a usé et abusé des avantages du pouvoir, que se soit comme conseiller de François Hollande puis plus tard comme Ministre. Pour lui, l’argent, les moyens matériels sont un dû. Et c’est le même homme qui, après avoir mis la main à la funeste « loi travail », après avoir prétendu lutter contre le chômage à coup d’autocars (à propos, combien de faillite aujourd’hui… ?), prépare l’ubérisation de la société française. Car, son projet économique n’est autre que celui de transformer la société française en société de service, grand rêve de la haute bourgeoisie qui depuis deux siècles ne cesse de se lamenter de ne plus être servie.

Oui, à M. Fillon comme à M. Macron on a envie d’emprunter la plume de Victor Hugo et de dire, comme dans Ruy Blas[4] :

« Bon appétit, messieurs !, (…)

Ô ministres intègres !
Conseillers vertueux ! 

Voilà votre façon
De servir, serviteurs qui pillez la maison !


Donc vous n’avez pas honte et vous choisissez l’heure,


L’heure sombre où l’Espagne agonisante pleure !


Donc vous n’avez ici pas d’autres intérêts


Que remplir votre poche et vous enfuir après !
Soyez flétris, devant votre pays qui tombe


Fossoyeurs qui venez le voler dans sa tombe ! ».

Légitimité et souveraineté

Car nous en sommes là. Il y a en France, rappelons le 4,5 millions de chômeurs et plus de 6 millions en fait en comptant le quasi-chômage[5]. Notre pays voit aujourd’hui ses usines partir à l’étranger, comme dans le cas de Whirlpool, il voit aussi sa parole décrédibilisée par une politique étrangère stupide menée depuis 2010. Et l’on peut se demander si ces comportements, qui viennent hélas s’ajouter à une longue liste, que l’on pense à M. Cahuzac, à certaines phobies administratives, mais aussi aux liens financiers entre un ancien Président et Kadhafi, pour ne pas parler de diverses autres affaires où la corruption donne la main à la collusion, ou le népotisme danse avec le clientélisme, ne découle pas directement de l’abandon de la souveraineté du peuple français à laquelle ont consenti les élites, qu’elles soient de « goooche » ou de droite, depuis ces dernières années. Ces abandons de souveraineté se sont additionnés. Le traité « Merkozy », négocié par Nicolas Sarkozy mais que François Hollande a fait ratifier en octobre 2012[6], est l’exemple le plus éclairant de cette collusion entre ce qui était les deux grands partis de la politique française. De ces abandons découle l’idée que tout est permis à ceux qui nous gouvernent puisqu’ils n’auront pas de comptes à nous rendre. Les comptes sont réservés à la bureaucratie de l’Union européenne devenue, peu à peu, à pas de loup, le véritable pouvoir, celui qui peut imposer justement le principe de la « loi travail »[7], que M. Emmanuel Macron sut si bien mettre en musique, et cela avec quelques autres mesures de même origine. Et, quand on n’a plus de comptes à rendre, quand on ne prête plus attention aux intérêts supérieur du pays et de ses habitants, alors, oui, tout semble permis.

 

Ces deux affaires sont symptomatiques de l’état de déliquescence moral de l’élite politique, ce que l’on appelle « l’establishment » dans notre pays. Elles appellent des réponses exemplaires, non tant point sur le plan pénal, car il y a fort à parier que la justice conclura que ces pratiques étaient légales, mais du point de vue de la légitimité du pouvoir. Mais, alors, il faudra se souvenir qu’il ne peut y avoir de légitimité QUE perce qu’il existe une souveraineté. C’est la principe de souveraineté qui permet d’établir la légitimité, et de penser la nécessaire distinction entre le juste et le légal, entre la légitimité et la légalité[8].

Il faudra s’en souvenir et en tirer toutes les conséquences au niveau du vote lors de l’élection présidentielle.

 

Notes

[1]http://www.lemonde.fr/election-presidentielle-2017/article/2017/01/26/francois-fillon-renoncera-a-la-presidentielle-s-il-est-mis-en-examen-dans-l-affaire-de-l-emploi-suppose-fictif-de-sa-femme_5069771_4854003.html#BMwzVQb36UxptE53.99

[2]http://www.leparisien.fr/politique/le-livre-polemique-sur-ses-depenses-a-bercy-25-01-2017-6614616.php

[3]http://www.lefigaro.fr/flash-actu/2017/01/27/97001-20170127FILWWW00044-3-francais-sur-4-veulent-interdire-aux-parlementaires-d-embaucher-des-membres-de-leur-famille.php

[4] Victor Hugo, Ruy Blas, – Acte III – Scène II, 1838. Voir

La tirade commence à 4’30’’.

[5] Voir Sapir J., « Le chômage et la honte de nos gouvernants » note publiée sur RussEurope, le 27/12/2016, https://russeurope.hypotheses.org/5551

[6] Sapir J., « Honneur aux soixante-dix », note publiée sur RussEurope, le 9 octobre 2012, https://russeurope.hypotheses.org/266

[7] Voir le débat au Sénat, https://www.senat.fr/basile/visio.do?id=d47144220160613_7&idtable=d47144220160613_7&_c=GOPE&rch=ds&de=20160127&au=20170127&dp=1+an&radio=dp&aff=51342&tri=p&off=0&afd=ppr&afd=ppl&afd=pjl&afd=cvn

[8] Sapir J., Souveraineté, Démocratie, Laïcité, Paris, Editions Michalon, 2016.

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