Pour Etienne Chouard

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Je lis énormément de livres. Non plus des romans, que pourrais-je lire aujourd’hui dans cet univers de mièvrerie commerciale après avoir dévoré durant mon adolescence et ma prime jeunesse Jack London, les Rougon Macquart de Zola, Stefan Zweig, Arthur Schnitzler, Albert Camus….? Non. Je lis des livres d’histoire, de philosophie, d’économie, des essais.

Mais il y a un gaillard qui lit encore plus que moi c’est mon ami Etienne Chouard. Quand je dis “ami” ce n’est pas une clause de style. A un ami on dit tout, on partage beaucoup, on discute et on se dispute. Il m’a fait découvrir énormément d’auteurs (et je crois que je lui en ai fait aussi découvrir beaucoup). Je ne citerai que les travaux de Jean-Paul Jouary sur Rousseau  Rousseau, citoyen du futur ou de Yves Sintomer sur Petite histoire de l’expérimentation démocratique.

Avec Étienne, naturellement, on ne fait pas que lire. Nous avons un autre point commun – que nous partageons avec un autre de ses amis, Franck Lepagel’éducation populaire. J’ai grandi dans les mouvements de jeunesse et d’éducation populaire avec cette idée que l’émancipation du genre humain passait par la culture qui permet à l’homme de se construire et d’être une personne autonome contribuant au bien commun. Tout ce qu’abhorre la gauche sociétale elgébétiste, les sociologues nihilistes d’Etat à la Eric Fassin, les petits bobos, les enseignangnans du SGEN CFDT, les écrivaillons de cour à la Mazarine Pingeot, les journalistes qui croient que la politique est une science (ils ont fait une école pour ça) et les économistes qui ont choisi, pour leur carrière, de penser que le marché est rationnel. Tout ce petit monde vénère l’individu roi, ne supporte pas la moindre objection à la satisfaction immédiate de ses désirs, quand il ne professe pas un nihilisme militant au nom  d’un relativisme des valeurs obsessionnel.

Etienne Chouard a une grande vertu que je n’ai pas et que je n’ai pas l’ambition d’avoir: la capacité de discuter avec patience avec tout le monde, même et surtout ceux qui ne partagent pas son analyse (quel intérêt sinon?), les emmerdeurs et les abrutis. Par exemple, je n’ai nulle intention de consacrer une seconde d’énergie à discuter avec une nullité du genre Pierrick Le Feuvre. Nullité au sens mathématique du terme, une valeur nulle qui n’ajoute rien quand on l’additionne et qui annihile le résultat quand on la factorise. Ce genre d’individu est une cloche. Au sens propre: il ne “raisonne” pas, il “résonne” des poncifs diffusés par l’oligarchie qui a compris depuis bien longtemps qu’un système oppressif fonctionne mieux quand on utilise l’arme du moralisme et de la culpabilisation que celle de la répression directe. C’est l’archétype du petit soldat de l’ordre établi qui utilise l’arme de la moraline, néologisme inventé par Friedrich Nietzsche pour désigner une fausse morale chrétienne, dont la bourgeoisie bien-pensante du XIX ième se drapait pour mieux camoufler ses exactions, autoriser son pouvoir et lui permettre de continuer d’exploiter le peuple des travailleurs abêtis sans états d’âme au nom de Dieu. Etienne l’accueillera et discutera avec patience. Moi, non. Je suis un chercheur, un professeur qui produit et publie, j’ai fait le choix de ne pas introduire de valeur nulle dans mon processus de production. Choix naturellement utilitariste et discutable et j’admire Etienne de ne pas l’avoir fait.

On connaît le combat d’Etienne: redonner vie aux formes historiques de la démocratie, la vraie, celle du pouvoir du peuple, face à la gigantesque escroquerie qu’est la “démocratie parlementaire” qui réduit la politique à un spectacle, un concours de beauté pendant que les vraies affaires se déroulent ailleurs. J’ai donné mon analyse de ce phénomène et de ses racines historiques dans mon article “Pour une logique de l’indiscipline“.

Mais voilà. Quand on prône cela, on donne la parole à tout le monde et on étudie toutes les propositions. Etienne le fait. Il citera Eustache Mullins pour sa dénonciation de la réserve fédérale au Etats-Unis et des lascars qui brandissent l’étendard de la révolte comme Alain Soral. Mullins a produit une analyse du rôle de la réserve fédérale qui est sans doute à prendre en considération, mais il est devenu franchement nazi. Quant à Soral, cela fait partie pour moi des beaux esprits qui ont pu produire des intuitions qu’ils ont eux mêmes enfouies sous leur narcissisme et des obsessions monomaniaques qui rendent leur discours sans intérêt, sinon nuisible.

C’est un sujet de discussion avec Etienne: J’ai lu Mein Kampf, le journal de Goebbels et son “Combat pour Berlin” qui est un manuel bien fait d’organisation de la subversion et de prise de pouvoir. On peut même avoir eu des analyses intéressantes au départ et mal évoluer: prenons le cas de Gottfried Feder qui a écrit un livre intéressant sur la nécessité de briser les chaînes du prêt à intérêt dans lequel il voyait l’une des causes du déclin de l’Allemagne. Il entrera au parti nazi où il incarnera “l’aile gauche”, et c’est même lui qui recrutera Hitler! Et je lis bien d’autres choses non recommandables. Mais je ne les recommande pas et je ne référence pas ces auteurs sur mon site, sauf bien sûr pour citer une référence précise à titre technique.

Il est comme ça, Etienne. A-t-il tort ou raison? Il souhaite discuter avec les gens qui suivent de mauvais prophètes, il souhaite éveiller leur intelligence. Et depuis plus de dix ans qu’il met des grains de sable dans le système, il a de belles réalisations à son actif.

Mais pourquoi ce qui ne devrait être qu’un objet de discussion et de stratégie devient-il un objet de procès? Les S.A du régime – ceux qui s’autodénomment par antiphrase les “anti-fas” – lui tombent dessus. C’est normal et c’est leur rôle. Ils sont d’autant plus furieux que sa stratégie de constitution de réseaux de gentils virus ne peut pas être arrêtée par des déferlantes de bandes de petites frappes qui constituent le gros des “anti-fas”.

Mais Etienne s’en prend à une vache sacrée : notre Sainte Mère “la gauche”. Etienne croit encore qu’il existe une “vraie gauche”, pas moi qui partage sur ce point les analyses de Jean-Claude Michéa. Pour les cul-bénis “de gauche” qui sont les professionnels de la moraline, il y’a une humanité noble qui est “de gauche” et des êtres arriérés et des sous-hommes qui n’ont pas de conscience politique (lointain héritage de la théorie de Lénine développée dans Que faire?) ou, pire, qui est “de droite”. Cette approche racialiste de “la gauche” a été admirablement croquée par mon regretté camarade le professeur François Gaudu dans un article de la revue que nous avions créée ensemble, Perspectives républicaines: la gauche ethnique, que j’avais complété par un “Pourquoi la gauche est-elle de droite et vice-versa?“.

C’est que justement ses idées marchent et que même les “élites” qui voient s’effriter les fondations de leur pouvoir se mettent à parler de démocratie directe et de tirage au sort. Et le Mélenchon de ressortir sa VI° République, comme si changer de numéro allait changer quelque chose sur le fond, à part amuser le public. Point de hasard que l’offensive anti-Chouard se renforce.

Aidons le, soutenons le et manifestons lui encore plus notre amitié.

 

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Une réponse pour “Pour Etienne Chouard”

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