Les folies des nouveaux maires écolos: leurs obsessions, leur idéologie, leurs dégâts

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ENQUÊTE – Élus en juin avec des taux d’abstention records, ils se sont empressés d’imprimer leur marque sur la vie quotidienne de leurs administrés. Transports, urbanisme, alimentation, rapports hommes-femmes: pas un domaine n’échappe à leur ardeur réformatrice. Florilège.

 
À Lyon, Grégory Doucet réservera les aides de la ville aux entreprises qui réduiront leur empreinte carbone.

À Lyon, Grégory Doucet réservera les aides de la ville aux entreprises qui réduiront leur empreinte carbone. Robert DEYRAIL/GAMMA-RAPHO
 

Vite, vite, vite! Les nouveaux maires estampillés EELV (Europe Écologie Les Verts) de Lyon, Bordeaux, Strasbourg ou Besançon, mais aussi leurs collègues de gauche écolo-compatibles de Marseille ou de Rennes n’ont pas perdu une minute pour engager le «changement de modèle» dont ils rêvent. Malgré ou parfois grâce à la crise sanitaire, à l’instar d’Anne Hidalgo qui a chassé les voitures de plusieurs grands axes parisiens au nom de la lutte contre le coronavirus, ils ont profité de leurs premières semaines de mandat pour modifier la physionomie de leur ville. C’est que le temps presse: quand on caresse des projets aussi ambitieux que, par exemple, l’autosuffisance énergétique et alimentaire – l’objectif d’Anne Vignot pour Besançon – six ans risquent de ne pas suffire.

La politique est d’abord affaire de messages. La maire de Paris y avait déclaré l’«état d’urgence climatique» en 2019. Pierre Hurmic, à Bordeaux, et Jeanne Barseghian, à Strasbourg, l’ont imitée dès leur prise de fonction, et la plupart de leurs collègues écolos ont suivi. Le concept ne repose sur aucune base juridique. Il vise simplement à légitimer une restriction des libertés individuelles au nom d’un intérêt proclamé supérieur. «Défendre une limitation des libertés au nom du changement climatique n’est pas liberticide», a résumé, fin août, devant les Verts, Manon Aubry, ex-tête de liste aux européennes d’une France insoumise qui rivalise de zèle écologiste avec EELV. Le secrétaire national du parti écolo David Cormand a approuvé.

“Assemblées citoyennes”

Mais rien n’énerve plus les écologistes que d’être traités de «Khmers verts». Ne sont-ils pas des apôtres de la «démocratie participative»? Dans les municipalités qu’ils ont conquises, il n’est question que d’«assises du pouvoir partagé» (Bordeaux), d’«assemblées citoyennes» (Besançon) et de «codécision» (Poitiers), de référendums et de «droit de pétition» ou d’«interpellation citoyenne». En plus de cette panoplie, Anne Vignot va doter Besançon d’un conseil de scientifiques et d’experts, sur le modèle du Giec (Groupement intergouvernemental d’experts sur les évolutions du climat), appelé à se prononcer sur «tous les projets de la ville». Elle compte notamment sur lui pour mener à bien le projet d’écoquartier qui doit remplacer les jardins des Vaîtes. Elle le portait déjà au sein de la majorité précédente en tant qu’adjointe à l’environnement, mais il est contesté par… plus écolo qu’elle! L’avis des experts primera car, a prévenu la maire, «ça serait quand même aberrant que l’on prenne des décisions justes parce que l’on aime bien avoir des jardins autour de soi!»

Les maires écologistes ont beau se revendiquer champions du « pluralisme », ils répugnent à partager les vrais leviers de pouvoir, au niveau de la municipalité comme de la métropole

À Tours, Emmanuel Denis n’a consulté personne quand il a interdit les voitures, mi-août, sur le pont Wilson, qui enjambe la Loire dans le centre-ville. Tollé de l’opposition, que le nouveau maire a traitée par le mépris: «C’est le vieux monde qui résiste!» L’arrêté a été pris pour trois mois, à titre expérimental, mais Emmanuel Denis envisage déjà d’y installer les villages du marché de Noël cet hiver. Des mesures comparables ont été prises cet été dans toutes les villes écolos, sans concertation véritable.

Quand les commerçants ont protesté, on leur a répondu «expérimentation»! Et l’expérience n’en finit jamais, comme à Annecy, où le maire écolo sans étiquette François Astorg vient de prolonger la période-test pour des pistes cyclables, au grand dam des ambulanciers qui dénoncent des ralentissements préjudiciables à leurs patients. La méthode Piolle fait des émules. Seul maire écolo d’une ville de plus de 120.000 habitants élu dès 2014, Éric Piolle a déployé à Grenoble des «autoroutes à vélo» à un rythme à faire pâlir de jalousie Anne Hidalgo avec ses «corona pistes».

Les maires écologistes ont beau se revendiquer champions du «pluralisme», ils répugnent à partager les vrais leviers de pouvoir, au niveau de la municipalité comme de la métropole quand ils y sont majoritaires. Pierre Hurmic à Bordeaux, Grégory Doucet à Lyon ou, encore, Jeanne Barseghian à Strasbourg n’ont attribué qu’à des proches les postes de décision stratégiques, notamment les délégations des intercommunalités. Ils ont aussi revisité les attributions de leurs adjoints et, surtout, leurs intitulés. Pour changer la réalité, changeons les mots! Éric Piolle avait lancé le mouvement en se dotant notamment d’une «adjointe à la tranquillité publique et au temps de la ville» en lieu et place d’une adjointe à la sécurité. Ses émules l’ont parfois dépassé: «transition écologique»,«résilience»et «inclusion» sont partout à l’honneur.

“Résilience alimentaire”

À Marseilleoù Michèle Rubirola a été élue grâce à un accord tardif avec EELV, l’organigramme municipal a des accents orwelliens: le premier adjoint est «en charge de l’action municipale pour une ville plus juste, plus verte et plus démocratique» et le portefeuille de la culture devient celui de «la culture pour tous et toutes», entre autres exemples. À Strasbourg, la «ville résiliente» et la «ville inclusive» ont chacune leur adjointe. À Poitiers, Léonore Moncond’huy a une adjointe «à l’économie circulaire et à l’économie de proximité». Bordeaux annonce la couleur avec une première adjointe «en charge des finances, du défi climatique et de l’égalité entre les femmes et les hommes», une autre «chargée de la démocratie permanente, de la vie associative et de la gouvernance par l’intelligence collective», un adjoint à «l’urbanisme résilient», des conseillers municipaux délégués à la «sobriété du numérique» et la «résilience alimentaire», à l’«économie circulaire», au «zéro déchet» et au développement d’une «monnaie locale». À Annecy, François Astorg a lui aussi décidé de développer une monnaie locale «complémentaire et solidaire».

À Grenoble, la politique mise en œuvre par Éric Piolle s’est traduite par une dégringolade de près de 40 % des permis de construire des logements depuis 2014

En attendant de donner de la consistance à leurs ambitions, les élus écolos se sont empressés de faire un grand ménage dans les projets de leurs prédécesseurs. Si ce n’est pas de la «décroissance», concept difficile à vendre à une population qui voit venir l’explosion du chômage, ça y ressemble fort. À Lyon, le projet de bouclage du périphérique et le développement de l’aéroport de Saint-Exupéry sont officiellement abandonnés. Grégory Doucet l’a dit à la Tribune de Lyon avant même de s’installer dans son fauteuil de maire: «Ce que je souhaite, c’est qu’on puisse avoir en valeur absolue beaucoup moins de gens qui viennent à Lyon en avion.» Y compris la clientèle d’affaires internationale, qu’il assume de voir baisser. Plus question, donc, d’ouvrir les lignes prévues avec Montréal et Dubaï. Le nouveau maire aurait aussi voulu en finir avec le projet de LGV Lyon-Turin, qui doit permettre de supprimer des poids lourds au profit du rail, mais il n’en a pas le pouvoir. En revanche, il lui a suffi d’un trait de plume pour annuler le projet de construction de tours à la Part-Dieu de Gérard Collomb. Pierre Hurmic, lui, est allé jusqu’à décréter le gel de tous les programmes immobiliers. À Grenoble, la politique mise en œuvre par Éric Piolle s’est traduite par une dégringolade de près de 40 % des permis de construire des logements depuis 2014.

À Tours, Emmanuel Denis a promis de ne pas renouveler le contrat qui lie la municipalité à la compagnie Ryanair et qui s’achève en 2021. Des militants de Greenpeace et d’Extinction Rebellion avaient bloqué l’accès à l’aéroport début juillet pour exiger l’arrêt des subventions «écocides» au transport aérien. À Besançon, Anne Vignot a pris position contre le projet de dédoublement de la RN57, qui contourne la ville. Elle entend «travailler avec le préfet» pour trouver des solutions alternatives, au premier rang desquelles «désynchroniser les heures de travail». Y a qu’à… Toutes les villes «verdies» ont décrété un gel, plus ou moins rigoureux, de l’artificialisation des sols et un moratoire sur l’installation de grandes surfaces sur des terrains non bâtis.

Haro contre la 5G

L’objectif général est d’emmener les entreprises sur le chemin de la vertu environnementale, en alternant incitations et contrainte. À Strasbourg, Jeanne Barseghian va flécher sur la rénovation thermique et énergétique l’essentiel des 350 millions d’euros d’emprunt qu’elle a annoncés. À Lyon, Grégory Doucet réservera les aides de la ville aux entreprises qui réduiront leur empreinte carbone. Tous ces maires veulent choyer «l’économie sociale et solidaire», que le programme de Pierre Hurmic, «Bordeaux respire!», promeut en tant qu’«alternative à la privatisation des profits».

Tous, aussi, crient haro contre la 5G, cette technologie «qui sert à regarder du porno en HD dans les ascenseurs» selon Éric Piolle. Le plus virulent sur le sujet est aussi Pierre Hurmic. «Il y a des dangers de la 5G», a-t-il affirmé à plusieurs reprises, sans s’appuyer sur la moindre donnée scientifique. Et pour cause: il n’en existe pas. Ce qui n’empêche pas le maire de Bordeaux de promettre un moratoire, le temps que la population ait «un vrai débat» sur le passage à la 5G dans sa ville, où l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (Arcep) a autorisé des entreprises à l’expérimenter. Pierre Hurmic est un adepte du «low-tech» (par opposition au high-tech), autrement dit d’un progrès technique économe en énergie, peu coûteux et qui produit des outils que des non-spécialistes peuvent réparer, voire construire eux-mêmes. Il a même confié un poste de conseiller municipal délégué à l’un des fondateurs de l’association Low-tech Bordeaux.

De tous les aspects de la vie quotidienne, il en est un qui passionne beaucoup moins les nouveaux élus : la sécurité

Réélue à Nantes grâce à un accord avec la liste verte, la socialiste Johanna Rolland a dû se rallier elle aussi à la demande d’un moratoire sur la 5G, également réclamé par Anne Vignot à Besançon. Cette campagne a bien peu de chances d’aboutir, puisque le Conseil d’État, saisi, a déjà précisé que les maires ne disposent pas du pouvoir de «réglementer l’installation des antennes relais sur le territoire de leur commune», qui relève d’«une compétence exclusive» des «autorités de l’État». Emmanuel Denis, tout aussi remonté contre la 5G, mais plus pessimiste que ses collègues sur l’issue du bras de fer, a promis aux Tourangeaux de «créer des logements protégés pour les personnes électrosensibles». Rappelons que si l’OMS a bien identifié une «hypersensibilité électromagnétique», personne n’a encore réussi à établir un lien entre ces ondes et la liste de symptômes divers et variés que présentent les personnes qui s’en plaignent. Le maire de Tours, lui, est convaincu de la nocivité de la 5G. Il faut dire qu’il a longtemps milité au sein de l’association Robin des toits, qui lutte contre l’expansion du téléphone portable et les installations d’antennes relais…

De tous les aspects de la vie quotidienne, il en est un qui passionne beaucoup moins les nouveaux élus: la sécurité. Éric Piolle n’a pas réagi la semaine dernière aux vidéos d’autopromotion diffusées par les dealers locaux, mais il a regretté l’opération de police qui s’est ensuivie en parlant de «coup de com’» du gouvernement. Le maire de Grenoble, où le niveau de délinquance était déjà supérieur de 53 % à celui enregistré en moyenne dans les agglomérations de même taille en 2018 (notre enquête dans Le Figaro Magazine du 17 février 2020), ne s’est pas non plus ému outre mesure des sept fusillades, dont trois mortelles, qui se sont produites dans sa ville depuis fin juin. Son réflexe est toujours le même: pointer les défaillances de l’État. «Nous avons demandé des effectifs supplémentaires au début du confinement parce que nous savions que ça allait créer des tensions, a-t-il affirmé sur BFMTV. Nous n’avons pas eu de réponse.» Ausitôt, Gérald Darmanin a publié le courrier sanglant qu’il lui a envoyé pour lui rappeler que l’État s’est mobilisé mais que la ville, elle, se distingue par «un niveau particulièrement bas d’investissement dans la sécurité».

À Lyon, où un policier municipal s’est fait rouer de coups par une bande début juillet, Grégory Doucet envisage d’augmenter les effectifs d’une vingtaine d’agents seulement (ils sont actuellement 335) pendant son mandat. Pendant la campagne, il avait estimé que «la première sécurité des Lyonnaises et des Lyonnais, c’est d’être en bonne santé, d’avoir accès aux soins, mais aussi de ne pas tomber malade du fait des conditions environnementales» car «les incivilités ne forment pas le seul enjeu qui conditionne la paix dans la cité». Pour améliorer la «tranquillité publique de tous», il avait parlé de créer un «budget sensible au genre».

Conseillère voilée

À Bordeaux en revanche, Amine Smihi, l’adjoint chargé de la sécurité, espère doubler les effectifs municipaux sur le terrain d’ici à la fin du mandat de Pierre Hurmic. Des «faits graves» dus essentiellement à des «conflits de territoire entre dealers» se sont produits «de façon quasi quotidienne entre le 28 juin et le 28 juillet» dans les quartiers bordelais les plus sensibles, rapporte-t-il. Très sévère pour le bilan du juppéiste Nicolas Florian sous la mandature précédente, où il affirme que «la police municipale était l’un des services les moins dotés», il s’insurge contre la «caricature des écolos en beatniks» indifférents à la délinquance. «La sécurité est évidemment une préoccupation pour nous, mais pas un étendard», corrige-t-il. Même s’il juge nécessaire dans certains cas une «réponse sociale», il reconnaît volontiers que «ce ne sont pas des médiateurs qui vont régler les problèmes de trafic de drogue!» 

Pour autant, il n’envisage pas d’armer les policiers municipaux, ni de multiplier les caméras dans les rues «comme Christian Estrosi à Nice»«Je ne parle pas de vidéosurveillance mais de vidéoprotection, et la nuance sémantique est importante, précise Amine Smihi. Les caméras ont un outil au service d’une police de proximité et d’îlotage que nous souhaitons développer. S’il s’avère qu’il faut les augmenter dans ce but, aucun souci, d’autant que dans le cadre de notre plan “Bordeaux marchable”, la vidéoverbalisation aura toute sa place». Problème: la Commission nationale informatique et liberté a déjà rappelé àl’ordre plusieurs communes qui abusaient de la vidéoverbalisation par reconnaissance des plaques d’immatriculation, autorisée seulement en cas d’infractions au stationnement payant.

Selon l’adjoint à la sécurité, les problèmes de radicalisation islamiste, eux, sont «de loin le sujet le moins préoccupant à Bordeaux»«Nous sommes relativement épargnés, mis à part quelques problèmes très localisés», affirme-t-il. En matière de communautarisme, sujet connexe, les écolos sont en général très accommodants, surtout quand ils sont alliés à La France insoumise. Les Grenoblois avaient pu apprécier l’embarras et les contorsions d’Éric Piolle sur le port du burkini dans les piscines municipales. Ce défenseur autoproclamé de l’égalité des sexes n’a aucune opinion sur les symboles de la soumission de la femme dans l’islam. Jeanne Barseghian, elle, a été plus claire: les Strasbourgeois ont désormais une conseillère municipale voilée. On peut encore voir sur les réseaux sociaux une vidéo, tournée pendant la campagne, où un soutien de la candidate EELV vante au pied d’une cité «la seule liste avec une daronne voilée». Comble de l’ironie: il se fait rembarrer par les habitants présents, choqués qu’il utilise le voile comme argument électoral.

Dans ce domaine comme dans d’autres, les élus écolos ne peuvent encore donner leur pleine mesure, puisqu’ils sont obligés de faire avec les budgets votés par leurs prédécesseurs. Rendez-vous l’an prochain!

Élucubrations vertes

• «Dégenrer» les cours de récréation. C’est l’un des grands chantiers lancés cet été par Éric Piolle à Grenoble. Il estime que les cours d’écoles sont «trop réservées aux pratiques des garçons». Mais au fait, dire que les jeux de ballon sont des jeux de garçon, ce ne serait pas un stéréotype sexiste?

• Interdire la voiture en ville. Ils en rêvent tous, mais Pierre Hurmic a commis la maladresse de le dire tout haut, en précisant que sa stratégie consisterait à «dégoûter progressivement l’automobiliste» de circuler à Bordeaux.

• Réquisitionner les logements vides. Sur ce sujet-là aussi, Pierre Hurmic s’est montré le plus directif, en pointant du doigt les odieux spéculateurs: «Quand vous êtes investisseur, même un logement vide rapporte de l’argent», a-t-il affirmé.

• Le Tour de France indésirable. Officiellement, c’est pour des raisons financières que la maire PS de Rennes a refusé d’accueillir le départ du Tour, mais ses alliés écolos lui reprochent de polluer et de dégrader l’image de la femme. En revanche, la Cyclonudista naturiste et écologiste programmée le 13 septembre est la bienvenue.

• Lyon zone interdite pour la Patrouille de France. Les Alpha Jet devaient survoler Lyon le 13 juillet avant de participer au défilé le lendemain à Paris, mais Grégory Doucet a décidé de priver les Lyonnais du spectacle, pour ne pas provoquer d’attroupement en période de crise sanitaire. Quand le coronavirus sert d’alibi à l’antimilitarisme.

• Généraliser l’écriture inclusive. Pourtant dénoncée comme un «péril mortel» pour notre langue par l’Académie française, l’écriture inclusive s’est imposée à tous les étages dans les villes écolos. Les «électeur·rice·s» leur en seront sûrement reconnaissants.

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