«La classe politique n’a pas conscience du désastre dans lequel notre patrimoine est plongé»

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Le nihilisme mondain de nos “élites” ne peut supporter d’avoir la charge d’un pays qui a une longue histoire qui s’exprime dans ses monuments et son patrimoine. Regarder et visiter un bâtiment historique est une leçon d’histoire qui nous explique la tradition dont nous sommes les héritiers. Mais “du passé faisons table rase” est devenu le slogan des oligarques prédateurs qui ne veulent s’embarrasser d’aucune contrainte, tout comme ils entendent détruire toute trace de valeur morale au  nom du “progrès”.  Aussi les oligarques ne s’en prennent pas seulement à la famille, au devoir naturel d’altruisme qui était pourtant au coeur de l’oeuvre d’Adam Smith, ils s’en prennent aux bâtiments historiques qui doivent se plier à leurs fantasmes de “modernité” et de leur sous-culture d’hédonisme agressif du “puisqu’on peut le faire c’est que c’est bien et qui oserait m’en empêcher?”. Et tout ça pour le plus grand profit des escrocs et des affairistes de “l’art contemporain“.

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Par Eugnie Bastié

FIGAROVOX/GRAND ENTRETIEN – Dans un entretien-fleuve, le fondateur du magazine La Tribune de l’Art Didier Rykner dresse le bilan de la politique patrimoniale du gouvernement et celle du maire de Paris Anne Hidalgo, qu’il juge désastreuse. S’il salue la nomination de Stéphane Bern, il s’inquiète du manque de moyens alloués au patrimoine.


Didier Rykner est journaliste et historien de l’art français. Engagé pour la défense du patrimoine, il publie régulièrement ses enquêtes et analyses sur La Tribune de l’art.


FIGAROVOX.- Vous défendez régulièrement le patrimoine en France. Comment jugez-vous la politique menée par Emmanuel Macron à l’égard du patrimoine? Qu’en est-il de la nomination de Stéphane Bern?
Didier RYKNER.- Il faut distinguer Stéphane Bern, dont la sincérité du combat est hors de doute, d’Emmanuel Macron qui a une attitude très ambiguë sur ce sujet. Car au-delà des paroles, ses résultats sont pires que ceux de ses prédécesseurs, Nicolas Sarkozy et François Hollande. La situation est très grave. Même si, certes, nous ne sommes pas revenus à la période catastrophique des années 70 de Pompidou, avant que Valéry Giscard d’Estaing ne mette fin aux projets néfastes du successeur du Général de Gaulle. En 1981, il y eut aussi quelques années difficiles mais il faut admettre que Jack Lang a fait du très bon travail, notamment avec la création des Zone de Protection du Patrimoine Architectural, Urbain et Paysager (ZPPAUP), auxquelles Nicolas Sarkozy a mis fin… C’est en effet depuis la présidence de ce dernier, ainsi que depuis celles de François Hollande et d’Emmanuel Macron, que le patrimoine est menacé: pour ces trois Présidents, il faut construire à tout prix, fût-ce aux dépens du patrimoine. À cet égard, la situation est inquiétante.

C’est-à-dire?

Le patrimoine est actuellement très menacé. Prenons un exemple dramatique récent: en ce moment, à Perpignan, dans le quartier Saint-Jacques, un secteur sauvegardé où le bâti est très ancien, la mairie a décidé de démolir un grand nombre de maisons. Certes, elles sont en mauvais état mais rien n’empêcherait de les réhabiliter. Il est par ailleurs très facile de laisser l’habitat se dégrader et de s’en servir ensuite comme prétexte pour le démolir.

Stéphane Bern a de vraies convictions : il a, par exemple, pris publiquement position contre la catastrophe qui a lieu à Perpignan, et contre la loi ELAN

L’idée de nommer Stéphane Bern est un aveu d’impuissance: au lieu de mettre en place un vrai directeur du patrimoine, voire un ministre du patrimoine, qui aurait des moyens, on nomme un animateur populaire, qui aime sincèrement le patrimoine mais à qui on ne donne pas de pouvoir. Cela dit, Stéphane Bern a de vraies convictions: il a, par exemple, pris publiquement position contre la catastrophe qui a lieu à Perpignan, et contre la loi ELAN. Espérons qu’il soit écouté, mais j’ai peur, hélas, qu’on ne lui donne pas les moyens de ses ambitions. Par ailleurs, il est très populaire et son influence va rester: c’est une bonne chose pour le patrimoine, mais indépendante du pouvoir politique.
Que pensez-vous de la loi ELAN (loi logement 2018 qui va réformer le droit immobilier)?
La loi ELAN pose plusieurs problèmes. Dans un quartier sauvegardé ou aux abords des monuments protégés, on va pouvoir se débarrasser de certaines maisons puisque les architectes des bâtiments de France (ABF) ne pourront plus donner que de simples avis, c’est-à-dire non contraignants, si ces édifices sont considérés comme insalubres ou en péril. Les mêmes architectes des bâtiments de France qui sont déjà souvent soumis à des pressions politiques énormes.
Par ailleurs la loi ELAN va limiter le recours des associations devant les tribunaux. Cela poursuit une politique déjà mise en œuvre sous les prédécesseurs d’Emmanuel Macron: les associations créées après que le projet contesté ne soit commencé vont être davantage contraintes qu’elles ne l’étaient déjà. Il y a aujourd’hui une volonté de limiter l’action de la justice pour construire encore et toujours aux dépens de ce qui existe déjà.

Quelle est la priorité absolue aujourd’hui en ce qui concerne le patrimoine?

Il faut simplement faire appliquer la loi. La loi n’autorise par exemple pas – même si la ELAN va contribuer à empêcher cela – à détruire des immeubles classés comme «à conserver» dans un secteur sauvegardé, et c’est pourtant ce qui se passe à Perpignan. Faire respecter la loi, c’est empêcher que des bâtiments récents dénaturent des monuments historiques protégés, c’est entretenir nos monuments, nos fontaines, nos statues, nos églises. Le ministère de la Culture a normalement un devoir: celui de faire imposer des travaux d’offices lorsqu’un monument classé est menacé. Il s’agit bien davantage d’une question de volonté que de budget.

Le budget consacré aux monuments historique représente seulement 3% du budget du ministère de la culture, qui lui-même représente 1% du budget total de l’État.

Il faudrait aussi éviter le vandalisme officiel: il y a trois ans, par exemple, l’intérieur entier d’une aile du château de Versailles datant du XVIIe siècle et de la Restauration a été détruit par l’établissement public du château de Versailles avec la complicité du ministère de la Culture. À la place on a imposé une horrible entrée signée Dominique Perrault, laquelle ressemble plus à un hall d’hôtel d’Abu Dhabi qu’aux canons esthétiques du Grand Siècle… Mais tout cela est passé comme une lettre à la poste.
L’État vandalise son patrimoine et plus personne n’a d’emprises au ministère de la Culture. Depuis des mois, il n’y a plus de directeur général des patrimoines, plus de directeur des musées, plus de directeur des archives… et le précédent directeur des patrimoines était un fonctionnaire compétent, certes, mais absolument pas dans le domaine du patrimoine! Or il s’agit d’un poste essentiel. Il y a un personnel excellent à la direction du patrimoine, mais il souffre à cause de responsables qui ne sont pas du tout au niveau. Ce qui donne des résultats catastrophiques.

N’est-ce pas avant tout une question de budget?

Il existe en effet une marge de manœuvre en matière budgétaire. Rendez-vous compte: le budget consacré aux monuments historique représente seulement 3% du budget du ministère de la culture, qui lui-même représente 1% du budget total de l’État. C’est l’équivalent du café du matin pour une personne normale: si on le double cela ne se verra même pas. Nous sommes bien loin des 50% du budget de l’audiovisuel public.
Je crois qu’il faudrait recentrer les actions du ministère de la culture sur le patrimoine, voire, pourquoi pas, créer un ministère dédié. Le ministère de la Culture aujourd’hui est inefficace, il se désengage du patrimoine alors que le protéger est pourtant l’une des missions régaliennes de l’État.

La fiscalité actuelle encourage-t-elle le patrimoine?

Certains éléments comme la défiscalisation des dons encouragent la sauvegarde du patrimoine, mais je pense qu’il faudrait aller plus loin. Par exemple, on pourrait imaginer que les travaux sur les monuments historiques soient dispensés de TVA, ou bénéficient d’une TVA réduite. Ils sont en effet très coûteux car il y a des normes et des règles à respecter.

Nos élus ont de moins en moins de sens esthétique… C’est aujourd’hui le règne du ludique, du convivial et du participatif… L’inculture satisfaite règne en maître.

Pourquoi, selon vous, est-ce important de préserver le patrimoine français?

Il en va de considérations historiques autant qu’esthétiques. On ne peut pas vivre dans un pays où l’on élimine toute trace du passé! Autant pour nous que pour nos enfants. Entre les pavillons et les zones industrielles ou commerciales d’entrée de ville, l’isolation par l’extérieur ou les éoliennes, on ne peut pas dire que la recherche du beau soit prioritaire aujourd’hui. Il y a de belles architectures contemporaines, mais elles ne sont hélas pas majoritaires. À l’inverse, je ne vois pas d’églises du XVe siècle qui soient laides. Nos élus ont de moins en moins de sens esthétique… C’est aujourd’hui le règne du ludique, du convivial et du participatif… L’inculture satisfaite règne en maître, c’est une question d’éducation, il faut enseigner l’histoire de l’art à l’école.
On ne peut pas tout garder en l’état. Comment distinguer ce qu’il faut conserver et ce qu’il ne faut pas?
Des lois existent pour cela. Avec des classements, des experts, des historiens de l’art qui délimitent ce qui est à garder ou non. Pour certaines œuvres, cela relève tout de même du bon sens: il paraît évident qu’on doit garder une église du XVe siècle. Et ne pas exclure le XXe siècle dont le ministère parle beaucoup sans protéger ce qui mérite de l’être: à Fontainebleau, une magnifique halle en béton des années quarante a par exemple été détruite.

Le bilan patrimonial d’Anne Hidalgo est désastreux.

Parlons maintenant de Paris: que pensez du bilan d’Anne Hidalgo dans la capitale?

Le bilan patrimonial d’Anne Hidalgo est désastreux. À Paris, les principaux bâtiments publics historiques sont des églises. Les églises de Paris sont parmi les plus extraordinaires au monde, notamment en termes de peinture murale. Pourtant, ce patrimoine est très largement laissé à l’abandon. L’intérieur de nos églises est en très mauvais état. Chaque année très peu d’argent y est alloué. Et il n’y a pas que les églises. J’ai fait ma propre enquête sur les fontaines de Paris: 60% sont en mauvais état, sales ou hors d’eau, et la mairie ne fait rien pour y remédier. L’état de la voirie parisienne est désastreux: les poubelles en formes de préservatif pendouillent, les rues sont sales, on transforme la place de la République en terrain de skates, on supprime le mobilier urbain pour le remplacer par des morceaux de bois, les kiosques à journaux de forme haussmannienne disparaissent au profit de kiosques banals, les réverbères sont dégradés…
La ville part en morceaux, la publicité est partout dans l’espace public, parfois sur les monuments historiques en travaux, sans compter désormais l’apparition d’écrans publicitaires numériques qui s’installent même dans les vitrines des magasins et contre lesquels la loi ne peut rien, même en secteur sauvegardé… Et savez-vous qu’il n’y a que deux secteurs sauvegardés à Paris? Une partie du 7ème arrondissement et le Marais. L’île Saint-Louis, le quartier de la Nouvelle Athènes, une grande partie des quartiers historiques ne sont pas protégés de manière globale, ce qui permet d’y détruire ce que l’on veut à l’intérieur des immeubles non classés. Quant aux tours, en dépit de l’opposition des Parisiens, de nombreux projets sont en cours pour s’ajouter à la tour Montparnasse. Or Paris, comme Rome, est une ville horizontale, hormis les clochers des églises. Et les tours sont antiécologiques et énergivores. C’est criminel de faire pousser des tours dans Paris!

Proposer aux répugnants individus qui urinent dans la rue au vu et au su de tout le monde, de le faire dans des trucs rouges et moches, on en arrive réellement au degré zéro de la civilisation.

Vous vous êtes aussi élevé contre la dernière trouvaille des «uritrottoirs»…
Avec cette dernière idée d’Hidalgo, les pissotières «écologiques» dites «Uritrottoir», une invention d’une société nantaise qu’elle s’est empressée d’adopter, on touche vraiment le fond. Proposer aux répugnants individus qui urinent dans la rue au vu et au su de tout le monde, de le faire dans des trucs rouges et moches, avec des petites fleurs au-dessus – et évidemment sans rien pour se laver les mains -, on en arrive réellement au degré zéro de la civilisation. C’est un véritablement encouragement à l’exhibitionnisme, et pas très inclusif quand on y pense puisque les femmes ne peuvent pas s’en servir! Quand on pense qu’au même moment les toilettes Art nouveau protégées monuments historiques, sur la place de la Madeleine, sont livrées aux vandales et aux squatters, on comprend que le patrimoine et la beauté de Paris sont vraiment les dernières choses qui comptent pour la municipalité
Les Jeux Olympiques auront-ils un impact sur le patrimoine?
Oui. Un seul exemple. Pour remplacer le Grand Palais et accueillir des épreuves olympiques, un grand bâtiment – censé être éphémère mais qui durera tout de même plus de quatre ans!- sera installé devant l’École Militaire, dans le Champ de Mars, qui est déjà un champ de ruine où pullulent les rats et où les pelouses sont ravagées.. Les Jeux olympiques vont nous ruiner et contribueront à la ruine de notre patrimoine.

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