J’ai toujours eu une sainte haine, amplement justifiée, pour Cohn-Bendit. D’abord parce qu’il m’a pourri la vie quand j’étais étudiant avec cette obsession permanente d’être dans l’orthodoxie de la déviance que les ancêtres des bobos d’aujourd’hui faisaient régner.
Rappelons qu’il est venu en France à partir de l’opération montée par la STASI à Berlin-Ouest dans les universités: l’austère RDA finançait le libertarisme dans l’université pour contribuer à sa dislocation. Je renvoie au bon livre de Jean-Paul Picaper, Berlin Stasi, sur ce sujet. Picaper ne connait rien à la politique et son analyse reste superficielle mais le récit de ce professeur français dans la tourmente de l’agitation financée par la STASI à Berlin ouest est exact et fort instructif. Cohn-Bendit sera l’émanation de ce mouvement, aux marges de la naissance de la Bande à Baader, et viendra s’installer à Paris. Là c’est la CIA qui prend le relais pour déstabiliser De Gaulle, si l’on en croît Vincent Jauvert L’Amérique contre de Gaulle : Histoire secrète, 1961-1969, et qui manipule en sous-main le “mouvement étudiant”. Cohn-Bendit a donc toujours été un agent et jamais un “révolutionnaire”. Il n’a toujours eu qu’une mission: détruire la société construite durant les Trente Glorieuses où chacun était protégé contre les aléas du hasard, l’indépendance nationale assurée, la sécurité sociale à l’abri des forces du marché, la finance sous tutelle… Il fallait détruire tout ça. Il est tout à fait logique qu’il soit aujourd’hui maconien. Bien sûr si l’on annonce le programme crûment, c’est trop gros. Alors on empruntera la voie libertaire. J’ai analysé tout cela dans mon livre que j’ai écrit il y a douze ans: il n’y a pas une ligne à retrancher, bien au contraire cette sinistre histoire s’est poursuivie.
CR
Source: Rage Mag
Daniel Cohn-Bendit a annoncé qu’il prendrait sa retraite politique en 2014. À l’heure du bilan, certains s’étonnent du parcours du meneur charismatique de Mai 68, passé, semble-t-il, de la critique radicale du système à la social-démocratie européenne. Mais entre Dany le rouge et Dany le vert, y a-t-il véritablement une évolution ? Et si l’homme n’avait jamais changé ?
De Mai 68, la France a retenu une image. Celle d’un étudiant à la moue provocatrice, aux yeux hilares et aux cheveux hirsutes, campé candidement devant l’entrée de la Sorbonne, adressant aux CRS-SS qui l’entourent des regards de défi, des regards qui affirment son insoumission, des regards qui martèlent son courage et sa révolte. Ce visage clownesque, c’est celui de Daniel Cohn-Bendit alias Dany le rouge.
« Daniel Cohn-Bendit, comme Mai 68, est une arnaque globale. »
Sauf que cette image n’est qu’un fantasme. Un autre cliché, particulièrement éloquent, permet de dérouler une histoire alternative. Sur cette seconde photographie, Dany affiche toujours un sourire provocateur. Mais face à lui ne se dresse pas la glaciale impassibilité du pouvoir oppresseur, seulement le visage d’un CRS lui rendant généreusement son sourire. C’est un symbole fort : Dany n’est pas juste celui qui sourit aux CRS, il est aussi celui à qui les CRS sourient. Cet air séditieux, parce qu’il mute en connivence, s’annule aussitôt. Le destin véritable de Cohn-Bendit est contenu dans cette seconde photographie.
Conformiste social-démocrate
Nombreux sont ceux à trouver atypique la trajectoire de Daniel Cohn-Bendit. Leur naïveté les amène à s’interroger : comment cet étudiant fougueux a-t-il pu passer d’une critique radicale de l’impérialisme et du capitalisme à la très conformiste social-démocratie ? Comment se fait-il que l’indomptable révolutionnaire se soit si bien intégré au système qu’il dénonçait jadis ? En somme, comment Dany le rouge est-il devenu Dany le vert ?
Un passage de L’Idéologie allemande de Karl Marx se révèle très utile pour cerner le Daniel Cohn-Bendit profond : « La division du travail […] se rencontre aussi dans la classe dominante sous la forme de division entre le travail matériel et le travail spirituel, si bien que cette classe est en partie constituée des penseurs de cette classe […], tandis que ses autres membres gardent plutôt une attitude passive et réceptive envers ces idées et ces illusions […]. La scission qui se produit au sein de cette classe peut même aboutir, dans une certaine mesure, à antagonisme et opposition entre les deux parties. Cependant, lors de tout conflit pratique où la classe elle-même est en péril, cette opposition tombe d’elle-même et on voit se dissiper l’illusion que les idées dominantes ne seraient pas les idées de la classe dominante et leur pouvoir serait distinct du pouvoir de cette classe. » Dany est précisément ce que Marx nomme un intellectuel actif. Il appartient à cette partie de la bourgeoisie chargée de répandre les nouvelles idéologies, de forger des concepts et de faire évoluer les mentalités. Si elle prétendait être en rupture avec le pouvoir en place, l’idéologie de Mai 68 portée par Daniel Cohn-Bendit n’a jamais été un véritable danger pour le capitalisme. Au contraire.
Doublement libéral
Daniel Cohn-Bendit est depuis toujours un libéral-libertaire. En cela, il est doublement libéral : il accepte les règles de l’économie de marché et milite pour l’émancipation des mœurs. Son combat n’a jamais été un combat de classe. Rappelons qu’il existe deux Mai 68 hétérogènes : l’étudiant et l’ouvrier. Le Mai 68 étudiant était l’allié objectif du libéralisme. En faisant la promotion des slogans « Il est interdit d’interdire » et « Jouir sans entrave », il a bien plus favorisé que combattu le capitalisme.
« Le pouvoir, toujours habile dès lors qu’il s’agit d’organiser le Spectacle, a braqué les projecteurs sur les étudiants plutôt que sur les ouvriers. »
Le philosophe Michel Clouscard est le premier à identifier cette contradiction et à dénoncer « cet assouplissement permissif des mœurs » menant à l’atomisation de la société en individus jouisseurs. Rien ne compte désormais plus que le plaisir de chacun, la cohésion sociale et la lutte des classes sont reléguées. À Mai 68 a succédé de nouveaux segments de marché liés à l’idéologie du désir. La pornographie en est le symbole le plus explicite. Aux yeux de Clouscard, la jouissance dans la société libérale passe nécessairement par la consommation. Qui dit consommation dit pouvoir d’achat, qui dit pouvoir d’achat dit privilège de classe. L’ouvrier, qui travaille 8 heures par jour et qui gagne seulement de quoi renouveler sa force de travail, n’a ni temps ni argent à consacrer à cette apologie de la jouissance. Le Mai 68 étudiant est donc exclusivement une lutte de la bourgeoisie pour la bourgeoisie par la bourgeoisie. L’ouvrier, quant à lui, s’inscrit dans des problématiques plus fondamentales et n’est pas directement concerné par les revendications étudiantes.
Mai 68, consécration du libéralisme
Pourquoi le mouvement ouvrier a-t-il été moins médiatisé, moins mythifié ? C’est simple : le pouvoir, toujours habile dès lors qu’il s’agit d’organiser le Spectacle, a braqué les projecteurs sur les étudiants plutôt que sur les ouvriers. Comme l’explique Jean-Claude Michéa dans La double pensée, ce « Mai 68 imaginaire (est) réduit pour les besoins de la cause à ses seules dimensions étudiantes et parisiennes, elles-mêmes réduites à leur seul aspect libéral-libertaire (pour ne pas dire œdipien) ; version des événements réels progressivement réécrite et mise en scène par les spin doctors de la propagande officielle, avec l’aide de quelques anciens combattants nostalgiques, des communicants spécialisés de l’industrie publicitaire, et de certains universitaires […] » Pour Michéa, Mai 68 apparaît dans l’histoire du XXe siècle français comme la consécration de la religion du progrès, indissociable de son envers, la religion de la croissance. Daniel Cohn-Bendit, comme Mai 68, est une arnaque globale. Sous couvert d’anti-capitalisme et d’anti-impérialisme, cette révolte servile a abouti à deux choses : la démission du général de Gaulle et la mort du Parti communiste français. De Gaulle, dans le contexte de la Guerre Froide, incarnait une troisième voie. Il était à la fois un anti-impéraliste et un totem conservateur. De même le PCF, seul parti qui défendait véritablement les intérêts des ouvriers, a périclité après les événements de 68 pour finalement laisser le champ libre au Parti socialiste, autrement dit à la gauche libérale.
Les conséquences de Mai 68 ne sont pas paradoxales, elles sont profondément logiques. Ce n’est pas une coïncidence si Raymond Aron, le pape du libéralisme, a beaucoup milité pour que l’interdiction de séjour de Dany soit levée. Entre Daniel Cohn-Bendit et de Gaulle, le libéral, c’était bien Cohn-Bendit. Ses prises de positions actuelles ne peuvent que confirmer cette thèse (européisme aveugle, diabolisation des régimes contre-impériaux). Dany n’est pas devenu. Dany est ce qu’il a toujours été. Il est resté fidèle à lui-même. Aujourd’hui député européen et membre d’EELV, Dany demeure un trublion pour bien-pensant, un subversif castré, un rebelle institutionnalisé, un agitateur labellisé.
Daniel Cohn-Bendit scandaleux à Apostrophe
Boîte noire
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Pour comprendre le rôle des libertaires dans la destruction des acquis du Conseil National de la Résistance:
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