De la nature du fascisme et du recours à l’argument moral

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Une campagne électorale est rarement un moment d’élévation intellectuelle à la hauteur de vrais enjeux, comme ce fut le cas du temps du gaullisme – et temporairement du débat sur la constitution européenne de 2005 qui a été d’excellent niveau- mais depuis lors tout a été fait pour les transformer en concours de beauté. Le professeur Alasdair Roberts a analysé ce phénomène comme le progrès de la logique de discipline : les choses sérieuses sont confiées au marché pour être mises à l’abri de la versatilité des peuples, le reste n’est plus que spectacle où il faudra d’autant plus s’étriper que tout continuera comme avant.

C’est pour cette raison que je suis un adversaire de la “démocratie représentative” conçue dès l’origine (Benjamin Constant) pour ne représenter que les représentants: « L’erreur de ceux qui, de bonne foi dans leur amour de la liberté, ont accordé à la souveraineté du peuple un pouvoir sans bornes, vient de la manière dont se sont formées leurs idées en politique. Ils ont vu dans l’histoire un petit nombre d’hommes, ou même un seul, en possession d’un pouvoir immense, qui faisait beaucoup de mal; mais leur courroux s’est dirigé contre les possesseurs du pouvoir, et non contre le pouvoir même. Au lieu de le détruire, ils n’ont songé qu’à le déplacer. »[1]  De longues conversations avec mon ami Etienne Chouard m’ont permis d’approfondir mes connaissances sur la démocratie directe.

Nous voici donc pris dans un délire collectif où l’injonction de “combattre le fascisme” est imposée à tous – pardon, “à toutes et à tous“, comme la nouvelle novlangue nous l’impose – face à une menace d’un nouvel Oradour et de la réouverture d’un Auschwitz annoncée par Arno Klarsfeld.

Le problème n’est pas que ce soit outrancier – c’est la loi du genre des concours de beauté – c’est que ça marche, et que ça marche auprès de gens qui s’autoproclament “les classes instruites” dont je suis censé faire partie. Je suis historien de formation, j’ai eu d’excellents professeurs en Sorbonne, fait ma maîtrise précisément sur le fascisme français d’avant-guerre. La prédominance de professeurs s’inscrivant dans la mouvance du PCF – qui commençaient toutefois à prendre du champ – m’avait amené à surpondérer le phénomène fasciste en France. Dans les archives des années 1930, on surpondérait le poids des Croix de feu du Colonel de la Rocque dont on faisait un parti authentiquement fasciste (le Parti Social Français, PSF). En me plongeant dans les textes internes de ce parti, sa sociologie et ce qu’on y disait réellement, il est devenu clair à mes yeux que ce parti n’était pas fasciste et qu’on lui a fait un mauvais sort dont il n’a été réhabilité que récemment. Il n’y avait en fait qu’un seul parti qui put approcher la définition du fascisme, ce fut le Parti Populaire Français, PPF, de l’ancien communiste Doriot.

Ce qui nous permet de clarifier une définition du fascisme:

  • Contrairement à l’opinion commune, les fascismes – et les totalitarismes en général – ont une fondation intellectuelle très solide: le nazisme s’inscrivait dans le droit fil du romantisme allemand et de la tradition volkish  comme l’ont montré les travaux de George Mosse, le fascisme italien se fonde dans un mouvement intellectuel et artistique, le futurisme du peintre Marinetti, qui exalte la modernité, le mouvement, la civilisation urbaine contre l’arriération des campagnes, la mécanisation, la vitesse…
  • Le fascisme est un partisan de la modernité technologique tout en condamnant la perte de sens induite par la civilisation industrielle, d’où son besoin de lui adjoindre une mythologie, une mystique selon ses termes, qui peut aller jusqu’à fonder une nouvelle religion anti-chrétienne, ce que tentera le nazisme. Le fascisme italien fut l’expression du Nord industrialisé contre le Sud agraire et arriéré. En France, ce fut le groupe X Crises – qui fonda l’idée de gouverner par la technocratie – dont beaucoup d’animateurs se retrouvèrent à Vichy autour du projet de “révolution nationale”. Le nazisme fut le premier état keynésien avec la politique de relance de Hjalmar Sachsle banquier du diable
    qui permit la réindustrialisation de l’Allemagne sous le nazisme et la résorption du chômage.
  • Le fascisme est un mouvement plus qu’un parti, c’est d’ailleurs le nom que Mussolini donnait au parti fasciste. C’est ce mouvement perpétuel vers un but indéfini qui le maintient “en marche“, c’est le mouvement qui créé du lien, qui soude les troupes, cette quête éternelle vers une renaissance morale, sa foi que les destructions qu’il cause sont porteuse d’une renaissance.
  • Le fascisme se construit contre un ennemi, il a besoin d’un intégrateur négatif, ce fut le juif, les communistes, les libéraux… dans une “lutte contre l’ennemi” revigorante, théorisée par le juriste Carl Schmitt, qui dérivera vers le national socialisme, bien que son oeuvre reste d’un grand intérêt et qu’il faille se garder à son égard de toute reductio ad hitlerum. Il n’est pas forcément belliqueux contre les autres nations: le fascisme de Salazar se contenta de l’empire colonial portugais, Franco refusa d’entrer en guerre aux côtés de Hitler, le premier chef d’Etat irlandais Eamon de Valera, admirateur prudent du fascisme italien, refusera toute entrée en guerre. L’ennemi intérieur peut lui suffire.
  • Le fascisme est un mouvement de masse qui s’appuie sur un parti de masse. Ce type de parti n’a pas pour fonction la discussion politique mais la fusion du peuple dans une communion autour de quelques idées simples, incarnées par un leader charismatique. Il considère que la foule n’a pas besoin de discuter programme, elle a besoin de cérémonies qui célèbrent une union d’un peuple qui l’a perdue quand l’industrialisation et la modernité technologique, le déclin du pays, ont brisé les cadres traditionnels. Le fascisme doit son succès à sa capacité à fournir une nouvelle mystique et à être un mouvement de masse, comme l’a analysé le communiste allemand Arthur Rosenberg, ce qui permettra des passerelles commodes du communisme au fascisme dans de très nombreux cas.
  • Le fascisme est l’expression des intérêts du capital financier. Cela ne veut pas dire qu’il ait été ab initio, promu par le capital financier comme l’analysait l’Internationale communiste dans les années 1930, considérant le nazisme comme “la dictature terroriste du capital financier” selon la formule de G. Dimitrov. Ce n’est qu’assez tard que les possédants soutinrent le nazisme, en courant après le succès, les seuls soutiens initiaux étant – quand même – les magnas de la sidérurgie allemande. Mais, dans les cas italien, espagnol, portugais le soutien est acquis dès le début, d’où le besoin pour ces gens de recruter un leader populaire pour créer ce mouvement de masse qui n’est pas leur genre de beauté.
  • Enfin le fascisme se caractérise par la violence et la répression des opposants, qui se traduit par la mort sociale et professionnelle des opposants mis au ban de la société. Il n’est plus aujourd’hui forcément besoin de recourir à la violence physique: la mort sociale, l’interdiction professionnelle, la destruction des carrières suffit généralement à réduire les récalcitrants.

Dire que le Front national est un parti fasciste est donc une absurdité sans nom. Je partage ici l’analyse de Jacques Sapir qui est celle à laquelle devrait parvenir tout esprit avec un minimum de capacité d’analyse et de sens critique :

Car, quelles que soient les critiques que l’on peut faire à Mme Marine le Pen, et j’en ai fait quelques unes dans ce carnet, la décence devrait obliger cette même meute de reconnaître qu’il n’y a rien de « fasciste » ni dans son programme ni dans le comportement de son mouvement. Où sont donc les milices armées qui tiendraient les rues ? Depuis des années elles viennent d’une toute autre mouvance que le FN. A prétendre que le FN est « antirépublicain » on s’expose de plus à une contradiction évidente : si ce mouvement fait courir un danger à la République, il devrait être interdit et ses responsables emprisonnés. Si tel n’est pas le cas, c’est que ce parti n’est pas un danger pour la République. A vouloir se draper dans l’Histoire, cette meute journalistique et écrivassière se prend les pieds dans le tapis. Le programme défendu par Mme Marine le Pen est un programme populiste, avec ses bons mais aussi ses mauvais côtés. C’est un programme souverainiste, même s’il n’est pas exempt de dérapages, comme sur la question du droit du sol et de la protection sociale. On peut le contester, on peut même le réprouver. Mais, en faire un épouvantail est d’un ridicule achevé. Non, nous ne sommes pas dans l’Allemagne de 1933. Nous ne sommes même plus dans la France de 2002. Les choses ont profondément changé, sauf peut-être l’inconscience crasse de cette meute bavante qui nous rejoue la même partition qu’elle nous avait jouée lors du référendum de 2005. Et, il faut le souligner, elle avait été battue à l’époque !

Jacques Sapir

 

Par contre, l’examen du mouvement En marche d’Emmanuel Macron fait apparaître des caractéristiques inquiétantes:

  • La distorsion de l’histoire qui confine à la pornographie avec l’affaire d’Oradour, et le discours du candidat truffé de références historiques farfelues, sans parler des fautes d’orthographe et de français qui foisonnent.
  • Des discours volontairement creux et la proclamation par le candidat que le programme ne compte pas, seul compte le charisme du leader.
  • Des meetings qui se veulent une messe où les applaudissements “spontanés” sont rendus obligatoires par des “helpeurs” rémunérés qui encadrent le public.
  • Un candidat créé de toutes pièces par la finance et le pouvoir: 1000 m2 de locaux de campagne, 55 permanents, tout le ban et l’arrière ban de l’oligarchie, même en état d’obsolescence avancé comme les Robert Hue, Alain Minc, Attali….., les patrons de presse et le CAC 40, l’appui de l’appareil d’Etat que l’on a vu se déchainer contre François Fillon qui ne voulait pas laisser sa place au candidat unique, les journalistes transformés en militants politiques qui se comportent en aboyeurs ou en serviteurs selon qui ils interrogent…
  • Le mépris ahurissant de la classe dominante pour la France périphérique, qui est accusée de ne pas se convertir aux charmes de la “transition numérique”. Le vote massif des pseudos classes instruites et urbaines pour Macron est inquiétant et la célébration du phénomène de métropolitisation dont j’ai souligné les méfaits est un ferment de dislocation de l’identité française, ce qui est d’ailleurs le projet du candidat.
  • Une campagne qui tourne au terrorisme, promettant à la mort sociale tout ceux qui ne se rallient pas à lui: Même des curés prônent en chaire le ralliement à Macron (sous peine d’excommunication??). Même le timide Mélenchon est accablé, pour ne pas parler de Nicolas Dupont Aignan qui n’a fait qu’acter la convergence de son programme avec celui de la dernière candidate en lice. Les autres ne se gênent pas pour réunir dans un même panier à salade tous les fonds de sauce de la cuisine politicienne, les opposants n’en auraient pas le droit au nom du pseudo antifascisme, plus, ils osent convoquer la morale!!

Personnellement, je n’ai aucun attirance pour madame Le Pen. Je trouve ses discours mauvais, qu’elle soit incapable de parler sans papier n’est pas à la hauteur de la fonction, qu’elle commence ses discours par “mes chers amis” est énervant au plus haut point: on n’a pas à être ses amis mais ses concitoyens, la politique ne se résume pas à Facebook.

Mais Emmanuel Macron est autrement plus inquiétant avec l’annonce de la destruction de la protection sociale, l’alignement sur l’Allemagne et les Etats-Unis pour partir en guerre contre la Russie, la promotion du communautarisme, la discrimination positive, le foulard islamique à l’université, la hausse de la CSG et de la TVA, bref l’application du programme de Bruxelles qu’Asselineau a bien analysé dans sa campagne, les fameuses GOPE … la liste est longue.

Alors on peut être pour, on peut être contre. Le débat entre l’économie néoclassique (dite néolibérale) et l’économie mixte, entre le rôle de la finance et l’économie de production, sur le rôle de l’Etat, sur le libre-échange, est ancien et sous-tendu par une littérature de qualité. Nous avons des analyses sociologiques brillantes pour argumenter les points de vue des uns et des autres.

Il y a tout pour argumenter et le recours au mythe du fascisme, à la manipulation de l’histoire (notamment à la II° guerre et au régime de Vichy) , au terrorisme qui n’est déjà plus seulement intellectuel, à la condamnation à la mort sociale de tous ceux qui ne plient pas, à des méthodes de propagande plus que douteuses, est inacceptable.

Il appartient à chacun de le condamner par la voie qu’il trouvera la plus appropriée.

 

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2 réponses pour “De la nature du fascisme et du recours à l’argument moral”

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