Ayn Rand, la haine froide ou le fascisme sans führer

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Ayn Rand est inconnue en France, hormis dans certains cercles libertariens et ce bien qu’elle ne se soit jamais classée comme libertarienne. C’est une erreur car l’idéologie qu’elle a produite et continue à nourrir post mortem est la quintessence du néolibéralisme. Elle peut se résumer par cet extrait d’un de ses livres : « la vertu d’égoïsme » :

  • « La méthode appropriée pour déterminer quand et si on devrait aider une autre personne s’appuie sur notre propre intérêt personnel… S’il s’agit d’un étranger {en train de se noyer} il est moralement approprié de le secourir seulement lorsque le danger pour sa propre vie est minime; lorsque le danger est grand, il serait immoral de le faire puisque seul un manque d’estime de soi pourrait donner plus de valeur à la vie d’un étranger qu’à notre propre vie »

L’homme est un calculateur rationnel de tous les instants et le seul régulateur de la vie sociale est l’individualisme, le culte de sa propre volonté, ce qu’elle formule sous une conception du libre arbitre qui n’a rien à voir avec le libre-arbitre des humanistes.

Selon sa théorie du libre-arbitre, l’individu contrôle fondamentalement sa propre vie, il se forge son propre caractère, et il est moralement responsable de ses propres actions. La volonté est contrainte par un seul choix fondamental : penser ou de ne pas penser. L’individu peut faire de véritables choix, indépendamment de toute contrainte.

«Vous proposez d’établir un ordre social fondé sur le principe suivant : que vous êtes incapables de diriger votre vie personnelle, mais capables de diriger celle des autres; que vous êtes inaptes à vivre librement, mais aptes à devenir des législateurs tout puissants; que vous êtes incapables de gagner votre vie en utilisant votre intelligence, mais capables de juger des hommes politiques et de les désigner à des postes où ils auront tout pouvoir sur des techniques dont vous ignorez tout, des sciences que vous n’avez jamais étudiées….»

Ayn Rand, La grève

Cela se résume dans la phrase qu’elle fait prononcer à son héros, John Galt, dans La grève : « Je n’ai besoin ni de justification ni de sanction pour être ce que je suis. Je suis ma propre justification et ma propre sanction. »

Rand éprouve un dédain particulier pour Emmanuel Kant, qu’elle dit être un « monstre » et « le plus mauvais homme de l’histoire » car il prône un système éthique fondé sur la responsabilité envers la collectivité.

Au-delà d’un style littéraire qu’on ne peut lui nier, l’œuvre d’Ayn Rand ne vaut que par sa portée politique. Elle a connu son heure de gloire durant la guerre froide car son idéologie est une sorte de stéréo inverse du bolchevisme dans lequel elle a été formée durant ses études en URSS. A l’idéal collectiviste du citoyen qui doit être au service de la communauté au point d’en oublier son propre sort, elle oppose l’individu héroïsé capable de définir ses propres fins indépendamment de tout rapport social. Sa vision idéalisée de l’entrepreneur comme surhomme acquérant tous les droits sur les autres au point de décider de les faire périr s’ils ne sont pas reconnaissants n’a rien à voir avec l’entrepreneur chez Schumpeter.

On a pu dire qu’il y avait là une inspiration de Nietzsche, ce qui n’est que caricature quand on comprend l’œuvre de Nietzsche qui ne fait pas du nihilisme un but mais un étape vers la découverte des choses profondes.

Quant à son rapport à la connaissance et à la réalité, ce n’est que du positivisme logique poussé au stade de la caricature, qui a été battue en brèche par l’œuvre de Karl Popper et toute l’épistémologie du XX° siècle.

Au bout de compte, l’idéologie de Ayn Rand est un fascisme sans führer et sans mouvement de masse : l’individu est sa propre prison et son propre juge qui se condamne s’il échoue. Il n’a d’autre issue que de se dépasser ou d’être un esclave.

Tout cela fait sens quand on sait que Ayn Rand a été l’inspiratrice d’Alan Greenspan et que les néolibéraux au pouvoir proclament vouloir détruire les restes de l’Etat providence qui a assuré la croissance de l’Occident et, en France, remettre en causes les acquis du Conseil National de la Résistance. Mort aux faibles, aux victimes des hasards de la vie, aux malades qui n’ont pas pu se payer une police d’assurance, aux salariés qui voudraient se contenter de vivre de leur travail, aux minables qui pensent aux autres.

Intervention de Ayn Rand devant un parterre de businesmen américains: “seuls la morale et l’altruisme peuvent détruire le capitalisme de l’intérieur”. L’altruiste, voilà l’ennemi! On comparera ces deux vidéos: l’idéologie (dominante) de Ayn Rand et la réalité altruiste du comportement humain, ce que peut démontrer aujourd’hui le progrès des neurosciences:

L’Amérique d’Ayn Rand

par Jacques Dufresne

 Qui est Ayn Rand? Une inconnue dans le reste du monde qui, aux États-Unis, a presque autant d’influence que la Bible; en réalité un auteur médiocre, gouverné par une double haine : celle de la terre et  celle des hommes, alternant autour d’un absolu, la raison, elle-même réduite au calcul rationnel de l’intérêt égoïste cher aux économistes de l’école de Chicago. Une folle selon la définition de Chesterton : « Le fou est celui qui a tout perdu sauf la raison. » J’exagère. Non, je m’adapte à mon sujet : il faut éviter de faire l’honneur des nuances aux auteurs qui se font un devoir de ne pas s’en encombrer.

Depuis les balcons de l’histoire, on se montre facilement sévère pour tous ceux qui ayant été témoins de la montée d’une doctrine totalitaire et haineuse, n’ont rien fait pour en briser l’élan. Quand on est immergé dans l’histoire, la lucidité est plus difficile, mais elle demeure possible à condition que l’on découvre le bon auteur au bon moment. En ce qui a trait à l’évolution des États-Unis vers le fascisme, un fascisme sans Führer pour le moment, Nicole Morgan est le bon auteur et son dernier livre, [amazon_link id=”2021076229″ target=”_blank” ]La Haine froide[/amazon_link], paraît au bon moment.

La haine est en effet si froide en ce moment dans la droite américaine qu’on en viendrait à regretter la guerre froide et même le mur de fer, lequel est devenu plus dangereux depuis qu’au lieu de séparer les deux grands blocs de la planète, il sépare les deux grands partis politiques dans le pays le plus puissant de la planète avec 45% des dépendances militaires.

Les faits et les idées font rarement si bon ménage que dans La Haine froide. Nicole Morgan est une philosophe journaliste dans le meilleur des sens de ces deux mots. Née en France où elle a fait ses études, elle a fait carrière au Canada dans un prestigieux collège militaire, celui de Kingston, petite ville située entre Montréal et Toronto sur les bords du St-Laurent : fleuve assez large pour donner de l’objectivité au regard qui observe l’autre rive : américaine!

Je vis moi aussi à quelques kilomètres des États-Unis. Pour mieux comprendre où va ce pays et le monde sous sa gouverne, j’accepte d’être bombardé tous les jours par la publicité du Viagra et de cette autre énergie propre appelée charbon. (Il ne s’agit pas de la chaîne Fox qui vocifère du Ayn Rand à cœur de jour, mais de CNN, la chaîne intellectuelle)

Ces deux publicités résument bien la situation outre frontière, où une entreprise entre dans l’illégalité quand elle prend le risque de réduire son profit en poursuivant un autre but : social ou environnemental. Au début était le livre, la Bible bien entendu, nous y reviendrons. C’est au second livre après la Bible que nous nous intéresserons d’abord : Atlas Shrugged La révolte d’Atlas, un roman paru en 1957, que l’on commence à peine à traduire en langue étrangère. Voici un aperçu de son importance au États-Unis. Il se vendait, depuis sa parution, plus de 75 000 exemplaires par année. Les ventes ont commencé à augmenter à partir de 2000 pour atteindre 300 000 exemplaires en 2009. En 2011, le livre est passé à la tête des ouvrages les plus vendus sur Amazon.com.

Atlas, c’est l’entrepreneur divinisé. Il est fatigué de soutenir seul la planète entière, alors que pullulent autour de lui les parasites. Il suffit qu’il se mette en grève avec l’ensemble de ses homologues pour que tout s’effondre autour de lui. La liberté absolue pour l’entrepreneur, la mort pour tous ceux qui vivent grâce à lui sans se soumettre à sa loi. On exagère à peine quand on résume ainsi l’œuvre de Ayn Rand.

Voici à ce sujet quelques passages du livre de Nicole Morgan:

«La force d’Ayn Rand vient de ce qu’elle a, sans relâche, montré du doigt ces ennemis de la force de la nation. Elle a répété sans fin les mots «parasites», «pilleurs», «mendiants à la petite semaine» «poux», «imitations d’humains», «lie» «vermine» ou« zombies» pour décrire tous ceux qui ne produisent pas la richesse mais en vivent.»ii

Lire la suite Encyclopédie Homo Vivens | L’Amérique d’Ayn Rand.

Ayn Rand s’inscrit dans la tradition du libéralisme classique

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