Dans un article “Pour une logique de l’indiscipline” qui faisait écho à l’ouvrage de mon collègue américain Alasdair Roberts “The Logic of Discipline : Global Capitalism and the Architecture of Government“, j’analysais comment le capital avait progressivement pris le pouvoir sur tout ce qui l’intéressait pour organiser la mondialisation – les routes, les ports, les aéroports, les chemins de fer… et bien sur, la Banque Centrale! – au travers des privatisations, les retirant de ce fait du tumulte du débat public (le marché étant un régulateur autrement plus logique et rationnel – efficient, comme on dit dans le langage supposé expert du néolibéralisme). L’idéologie sous-jacente est celle de la “crise de la démocratie” : les citoyens demandent trop et sont en même temps hostiles à “la réforme”, “le peuple n’ayant pas toujours raison” comme l’a proclamé Daniel Cohn-Bendit après le référendum sur le brexit. il faut donc remplacer la démocratie par la discipline des marchés. On reconnait ici les thèmes favoris du discours des soutiens du beau bébé, les Alain Linc, Jacques Attali et consorts.
Une fois cette mise sous discipline réalisée, Il faut donc bien laisser quelques miettes audit débat public: c’est ce que Roberts appelle les concours de beauté (beauty contest). Voilà quel a été le sens profond des “réformes de l’Etat”
La France s’enfonce dans les concours de beauté qui ont déjà envahi notre vie quotidienne, sont omniprésents sur les chaines de télévision (Ah le bon temps nous n’avions qu’une seule chaine en noir et blanc avec des productions haut de gamme et des émissions d’informations faites par de vrais journalistes…) animés par des animateurs de plus en plus vulgaires et des journalistes de plus en plus incultes.
La politique aussi: les élections présidentielles de 2017 sont en train de parvenir à devenir des élections sans aucun débat politique. Les politiques professionnels de la “classe politique” y ont ont mis du leur avec leurs primaires, qui nous auront permis de rigoler un peu en allant torpiller les candidats prédésignés par le système. Tout cela pour obtenir, d’un côté un candidat dont le dossier chargé d’affaires plus indécentes que pénales est sorti à point nommé par un chef d’orchestre localisé dans un bureau proche du “président” sortant et sorti, et de l’autre le candidat le plus nunuche et caricatural que la pseudo-gauche sait produire, ce qui offre au-dit président le luxe de régler ses comptes avec son propre camp.
Ainsi la voie est libre pour sortir du chapeau un produit fabriqué à grands coups de banquiers, de médias, d’oligarques faiseurs d’opinion – ou qui pensent l’être – qui va organiser des meetings devenus monstres grâce aux jeux de lumières et à une chorégraphie d’animateurs – pardon, de “Helpers” – qui donne une impression de foule en délire. Il faut dire qu’il y a de quoi tant le discours du candidat est inspirant : “l’eau ça mouille”, “le feu ça brûle” ouaaiiiisss…….
Le système hoquette en s’en prenant à Marine Le Pen en sortant des affaires cousues de fil blanc, comme cette pièce décisive…. recueillie deux jours plus tôt par une perquisition de police, et qui sort miraculeusement dans The Monde, le très mondialiste journal de l’oligarque Pierre Bergé. Certains esprits dérangés pourraient en conclure que juges, policiers (pas tous, les arrivistes, les corrompus et les trop lâches pour dire non… Ce qui fait quand même du monde) et journalistes, eux, tous, agissent de concert pour monter “une opération” comme on dit dans le métier.
Bref, cette campagne française réussit à organiser une élection sans qu’on n’y parle de politique et de projet pour le pays. Tout continuera donc comme avant, mais avec des beaumes pour calmer les douleurs: le revenu minimum couplé à un join de haschich devrait vous clamer les banlieues que l’on abandonne au nom du racisme d’Etat qui veut que l’on n’intègre plus, pour l’un, et pour l’autre, le sacrifice de 500000 fonctionnaire au Moloch néolibéral. Et pendant ce temps là les autres qui veulent parler programme et question de fond…? Quels autres?
En fait, Français, vous ne l’avez pas encore compris mais c’est la réélection de François Hollande, sous la figure du gnome Macron qui se prépare…
Donnons la parole à l’avocat Régis de Castelneau qui dissèque avec talent ce système qui a réussit à ce jour à exclure tous les sujets de fond du débat public.
CR
L’arrivée au gouvernement le 26 août 2014, d’Emmanuel Macron, parfait inconnu, et tous les événements qui ont suivi montre qu’il est quand même un parfait veinard. Une furieuse et interminable campagne médiatique en sa faveur, des parrains timides puisqu’il refuse de les nommer, mais généreux qui lui permettent une campagne ruineuse. Les organes de contrôle de la régularité, de l’égalité et de la sincérité la campagne présidentielle brusquement atteints d’une forme grave de la maladie du sommeil. Un Président de la République qui laisse la place en faisant savoir qu’il se verrait bien présider l’UE. Et tous les copains de promo de l’ENA déjà à des postes judicieux, qui lui préparent le terrain. Et la justice pénale qui a adopté au tempo particulièrement bien ajusté qui lui ouvre un boulevard.
Je sais ce que je vais recevoir pour ne pas marcher dans le conte de fées que nous sert le camp du Bien. Ce sera, la nouvelle injure disqualifiante : complotiste ! Critiquer Macron et l’invraisemblable opération qui vise à en faire le futur Président de la République, c’est considérer que l’Histoire n’est qu’un complot judéo-maçonnique-illuminati-reptilien.
Je propose quand même d’essayer de mieux comprendre et pour cela je propose d’adopter la méthode de Lawrence Durrel dans son fameux « quatuor d’Alexandrie », qui avait raconté la même histoire sous quatre points de vue différents.
Commençons par l’affaire Fillon, qui a éclaté avec les informations gênantes du Canard enchaîné, provoquant en pleine campagne présidentielle un lynchage médiatico-judiciaire géant quoique finalement routinier. La primaire de la droite a choisi un candidat sur la solidité duquel les bourgeois de province auraient mieux fait de s’interroger avant. Les reproches qui lui sont faits sont en partie justifiés, sa défense initiale a été calamiteuse, et la justice qui alimente comme d’habitude les gazettes ne ferait que son travail. Et comme en plus François Fillon avait imprudemment et de façon très déplaisante pour ses adversaires, placé sa candidature sous l’égide de la probité de la rectitude, il prend le boomerang en pleine face. Dans un climat politique tendu, il n’y a aucune surprise à voir la clameur se déchaîner. Si la droite républicaine se retrouve aujourd’hui dans la nasse, elle doit s’en prendre à elle-même pour avoir choisi un cheval fragile et lancé l’épreuve présidentielle n’importe comment. Tout ceci est difficilement réfutable. Mais quand même, la droite républicaine ne doit-elle s’en prendre qu’à elle-même ? Voire.
Parce que si l’on raconte l’histoire en changeant de focale pour diriger l’objectif vers Emmanuel Macron apparaît une autre réalité. Finalement très inquiétante.
J’avais été frappé par le sourire radieux de Jean-Pierre Jouyet lorsque sur le perron de l’Élysée il annonça la nomination d’Emmanuel Macron en remplacement d’Arnaud Montebourg. Ce concentré de la haute fonction publique oligarchique était trop content du tour qu’il jouait à la France avec la promotion de son poulain qu’il eut sous ses ordres entre 2005 et 2007 à l’inspection des finances. La fusée était lancée, mise en orbite prévue mai 2017, soit comme premier ministre d’un François Hollande reconduit, voire d’Alain Juppé, soit carrément président. Cet objectif stratégique une fois défini, les différentes mises en œuvre tactiques sont très simples.
Nul besoin d’un groupe occulte et secret pour animer le déferlement. Une stratégie marketing onéreuse à base d’argent à l’origine obscure, de promotion médiatique grossière, de ralliements spectaculaires, le soutien tous ceux qui, accrochés à leurs privilèges, ont une peur panique du changement, la machine s’alimente toute seule. Mais en plus, il y a l’appui d’une partie de l’appareil d’État et de ceux qui le dirigent. Comme par exemple Madame Ernotte qui semble ne voir aucun inconvénient à ce que le service public radiotélévisé qu’elle dirige ait depuis longtemps abandonné le pluralisme que son statut exige pourtant. Ou le président du CSA inerte devant le formidable déséquilibre des temps de parole, le Président de la Commission Nationale des Comptes de Campagne qui regarde ailleurs et le Président du Conseil Constitutionnel qui assiste sans broncher à la confiscation de l’élection présidentielle. Il y aurait pourtant l’occasion de quelques remarques à propos du financement particulièrement réglementé de la campagne électorale d’Emmanuel Macron. L’origine des fonds, l’implication des services de l’État dans l’organisation de la campagne , ce mutisme qui commence à ressembler à un parti pris est particulièrement grave. Et constitue un dévoiement de l’appareil d’État qui devrait pourtant afficher une stricte neutralité.
Mais il y a pire, c’est l’instrumentalisation comme cela a été si souvent le cas dans ce quinquennat, de la justice à des fins politiques. Qui peut croire que c’est par hasard, ou grâce à la sagacité de ses « enquêteurs », comme on appelle désormais les journalistes sans que cela ne les gêne, que la presse s’est trouvée alimentée d’informations sur des faits parfois vieux de 20 ans ? Qui peut croire que c’est chose normale que le parquet financier se soit saisi avec cette rapidité, et ait pu mener de façon fulgurante ses premières investigations sans qu’elles aient été préparées à l’avance ? Qui peut penser que ces violations insensées du principe de séparation des pouvoirs d’abord par la descente de la police dans les locaux du Parlement sans que le président Bartolone n’y trouve à redire (!), relèvent de l’improvisation ? Et qui peut imaginer ensuite qu’au parquet financier on ne sache pas le caractère grossièrement inconstitutionnel de sa décision d’ouvrir une enquête préliminaire concernant un parlementaire dans l’exercice de ses fonctions, sans qu’elle ait été précédée d’une enquête du bureau de l’assemblée ? Qui ne peut pas être scandalisé que, comme hélas c’était prévu, les éléments du dossier couverts par un strict secret se retrouvent instantanément entre les mains des « enquêteurs » du Monde, préposés à ce genre de besogne et par ailleurs confidents officiels du Président de la République?
Nous avons même eu droit à un ridicule écran de fumée voulant faire porter la responsabilité du déclenchement du barrage d’artillerie à Rachida Dati.
Eh bien, si l’on y regardait d’un peu plus près ? Jean-Pierre Jouyet secrétaire général de l’Élysée a su s’entourer c’est le moins que l’on puisse dire. Il y a Gaspard Gantzer, camarade de promotion de Macron à l’ENA, à qui ses fonctions permettent d’être comme un poisson dans l’eau dans la presse parisienne. Les avaient rejoints Pierre Heilbronn énarque inspecteur des finances lui aussi, qui a longtemps collaboré avec François Fillon, pour ensuite aller occuper la fonction de directeur général adjoint du cabinet de Michel Sapin. Il est parti en juillet dernier à la direction de la BERD, mais avant son départ, Jean-Pierre Jouyet a recruté sa compagne Ariane Amson, nommée conseillère justice au cabinet élyséen. Cette magistrate n’est pas énarque, mais arrive directement… du parquet financier.
Mais, qu’est-ce que tu vas chercher ? Mais rien voyons, je suis persuadé que tout cela n’a aucun lien avec les ennuis de François Fillon, ce genre de choses n’arrive jamais. De la même façon, le renvoi précipité en correctionnelle de Nicolas Sarkozy à l’aide d’une ordonnance qu’un des deux magistrats co-saisis, et pas n’importe lequel, a refusé de signer, ne saurait en aucun cas être considéré comme une initiative visant à définitivement fermer la voie d’un plan B Sarkozy, et à gêner la droite encore un peu plus. Ce serait fadaise, n’est-ce pas ?
Complotiste ! Tu ne perds rien pour attendre, les décodeurs du Monde et de Libération vont te mettre à l’index, ça ne va pas être long. Parce que, dans cette volonté furieuse de ne rien changer, la presse amie du pouvoir met le paquet. Et lance la chasse à ceux qui pensent mal. Avec toute une série d’initiatives visant à réprimer la liberté d’expression.
Alors, effectivement il y a deux approches de l’affaire Fillon. Tout d’abord considérer que François Fillon n’a que ce qu’il mérite. Et que tout cela relève d’un fonctionnement démocratique.
Il y a aussi une autre lecture, tout aussi recevable mais qui pose un lourd problème démocratique. Le moment choisi, les méthodes utilisées et l’objectif poursuivi par ceux qui manifestement sont à la manœuvre caractérisent un dévoiement des services de l’État visant à confisquer l’élection présidentielle et faciliter l’arrivée d’Emmanuel Macron au deuxième tour de l’élection, pour qu’il puisse l’emporter grâce au réflexe de front républicain. En bon français, cela s’appelle un coup d’État.
C’est jouer avec le feu. Rien ne garantit une victoire électorale du candidat de tous les conservatismes, mandataire de l’establishment énarchique et financier. Et quand bien même l’emporterait-il, sa victoire ne réglerait rien. Et les méthodes utilisées affaibliraient encore plus les institutions et créeraient autant de précédents très dangereux pour les libertés publiques.
Quant à Marine Le Pen, elle aura beau jeu de se présenter comme seule candidate du changement, et de la défense des libertés publiques. Il est assez stupéfiant de voir que notre establishment n’a rien appris des élections américaines.
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