Comment d’autres pays sont parvenus à revivifier des bassins d’emplois sinistrés
Alors que le chef de l’Etat se déplace dans la Loire pour tenter d’apporter des solutions à la crise de l’emploi, d’autres pays réforment leur modèle productif et développent de nouveaux leviers de croissance.
Atlantico : François Hollande est en déplacement à Roanne et Saint-Etienne pour parler emploi. Deux communes situées dans des bassins d’emplois qui ont connu ces dernières années des difficultés et qui affichent des taux de chômage au dessus de la moyenne nationale (respectivement 17,3% et 16,2% contre 10,9% en France). Quels pays sont parvenus à redynamiser des zones d’emplois sinistrées ? Et selon quelle méthode ?
Claude Rochet : Le chômage est le produit de la désindustrialisation qui est l’enfant d’une théorie funeste selon laquelle toutes les activités économiques se valent, que les services valent autant que l’industrie et que le marché sait choisir les “bonnes activités”. C’est la théorie héritée de Ricardo, forgée au début du XIX° siècle pour justifier la suprématie industrielle de l’Angleterre et maintenir les autres nations dans des activités à rendements décroissants. Or le développement de l’Europe est justement basé sur la compréhension que toutes les activités économiques ne se valent pas : il y a des activités, l’industrie par exemple, à rendement croissant et des activités à rendement décroissant comme l’agriculture et les services. Dès 1613, le Napolitain Antonio Serra a exposé ce principe en comparant la stagnation de Naples qui possédait un riche territoire et la richesse de Venise qui n’avait pas de terre ferme ni d’agriculture mais une industrie puissante basée sur son arsenal.
Nous vivons actuellement une crise de transition de la II° révolution industrielle basée sur la production de masse vers la III° révolution industrielle basée sur les technologies numériques et les réseaux. Ce développement par cycle est un processus aujourd’hui bien analysé : ces cycles durent une cinquantaine d’année, ont la forme d’une courbe en S avec des phases d’ascension et de déclin. Les pays qui s’en sortent sont ceux qui ont compris ce cycle et savent gérer la destruction créatrice. En France particulièrement, la foi béate dans la capacité autorégulatrice du marché et dans le libre-échange fait que l’on n’assiste qu’à une “destruction destructrice” : les vieilles activités meurent sans qu’aucunes nouvelles activités ne les remplacent.
L’industrie méprise les politiques de “revitalisation” basées sur le tourisme ou des activités tertiaires et non vers des mutations industrielles. Or l’industrie est basée sur des synergies entre activités économiques et crée des rendements croissants dont les effets se propagent à toute la vie économique et pas sur le tourisme, la construction de musée, le développement de chambres d’hôtes, qui sont des activités à rendements décroissants peu productives. Les pays émergents l’ont compris et investissent dans l’industrie, captent le capital technologique de l’Occident et développent les “bonnes activités”.
Quelle dose d’intervention étatique s’est révélée dans ces cas optimale ? Y a-t-il des politiques fiscales qui ont fait leur preuve en la matière ?
Oui, l’innovation est une affaire d’Etat qui doit identifier les activités porteuses. Cela veut dire créer des institutions qui permettent à l’activité scientifique de se développer, un climat intellectuel qui sait accueillir l’innovation et soutenir les entrepreneurs qu’il ne faut pas confondre avec les capitalistes financiers. L’entrepreneur est “le concentré du génie humain” selon la formule de Nietzsche, il n’agit pas par recherche du profit – par définition l’innovation ne répond à aucun besoin du marché! – mais par vision et goût de la création.
Le système français de soutien à l’innovation, englué dans les doctrines du “marché autorégulateur” est fasciné par le souci de la rentabilité à court terme et châtient les projets innovants qualifiés de “trop scientifiques” et peu porteurs d’emplois. Si l’inventeur de l’iPhone ou de la tablette se présentait devant un guichet de financement de l’innovation en France, son projet serait écarté !
Historiquement, la fiscalité dans les pays industriels a soutenu l’innovation, les activités à rendements croissants (par exemple en préférant l’impôt indirect à l’impôt direct) et en taxant la rente, autrefois foncière et aujourd’hui financière.
Certains secteurs se sont-ils montrés davantage porteurs ? Comment accompagner la transition vers ces secteurs ?
Notre politique est toujours basée sur l’idée qu’il y a des filières industrielles porteuses. Cela était vrai dans la II° révolution industrielle, cela ne l’est plus aujourd’hui. Ce qui crée l’activité, c’est la synergie entre activités.
En Suisse, l’industrie horlogère a été fortement menacée par l’arrivée du numérique et des montres digitales. L’industrie horlogère a redéployé son savoir-faire vers l’industrie de la prothèse médicale qui savait exploiter son savoir faire en micro mécanique. Cela a redynamisé toute l’industrie de l’arc jurassien et finalement l’industrie horlogère a absorbé le numérique.
En France, certaines régions comme la Lozère ou le Cantal connaissent des taux de chômage inférieurs à 6%. Peut-on s’en inspirer pour redresser la situation de l’emploi à l’échelle nationale ?
L’important est de mettre de la connaissance dans les activités : l’industrie du plastique autour d’Oyonax a su développer un savoir-faire d’architecte des planches de bord pour l’industrie automobile. C’est le plasturgiste qui a absorbé l’activité de l’électronicien (les Siemens et les Bosch) en fournissant des systèmes complets et non des kilos de plastique : les plasturgistes vendent de l’ingénierie et un savoir-faire d’architecte et d’intégrateur. Le prix du plastique incorpore cette connaissance et n’est plus le même !
Le choletais est connu pour avoir réussi sa transition d’une activité traditionnelle – les mouchoirs de Cholet – vers des activités industrielles : le climat social, marqué par la tradition du capitalisme chrétien, a permis de gérer la transition en valorisant le savoir-faire traditionnel et le redéployant sur de nouvelles activités. Dans le même département, le saumurois stagne dans des activités primaires et connait un chômage plus élevé.
Propos recueillis par @Sacha CONRARD