PARTIE II : Le devoir de fiabilité dans les organisations publiques
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a fiabilité du service public fait partie des objectifs institués par la Loi Organique relative aux Lois de Finance (2001) demandés aux administrations françaises. Il pourrait donc être pertinent pour les administrations de s’approprier les principes des HRO pour fiabiliser leurs activités.
Dans cette seconde partie, nous définirons les organisations à devoir de fiabilité avant d’appliquer ce concept à une administration existante : un service d’incendie et de secours.
A. Les organisations à devoir de fiabilité
Pour autant, elles restent différentes des HRO puisque ces dernières évoluent dans un environnement où une erreur peut avoir des conséquences dramatiques, mais où finalement les erreurs sont assez rares. Les accidents ou erreurs ne sont donc pas un bon critère méthodologique à utiliser pour des organisations classiques puisque les erreurs n’y sont pas rarissimes. Les usagers du service public, néanmoins, s’attendent tout de même à ce qu’il n’y ait aucune erreur, surtout lorsque l’activité traite de leur santé, leur sécurité ou celle de leurs biens. Les « organisations à devoir de fiabilité » se distinguent ainsi des organisations hautement fiables et de la théorie de la haute fiabilité. Les premières sont des « organisations qui opèrent dans des conditions risquées »[16] tandis que les organisations hautement fiables sont des organisations à devoir de fiabilité qui ont effectivement un taux d’erreurs très faible : ce sont elles les High Reliability Organizations.
Le devoir de fiabilité est donc en partie un devoir de construction d’un sens plausible de la situation (déjouer les pièges, détecter les signaux…) et s’il y a effondrement du sens, l’on assiste à une crise. Dans cette optique, il devient alors primordial que l’organisation favorise la compétence de construction efficace de sens dans les situations à risque : les hommes doivent développer une vigilance qui leur permet d’interpréter ce qui se passe autour d’eux. C’est pour cette raison que l’on considère qu’il n’y a pas les HRO d’une part et les non-HRO d’autre part, mais plutôt une continuité d’organisations soumises au risque et dont la forme la mieux adaptée à ce jour est l’HRO. L’incertitude est alors ce qui gêne le plus les organisations à devoir de fiabilité, qu’elle soit sous forme d’incomplétude ou d’ambiguïté. Ces organisations vont donc chercher à la réduire : elles réduiront l’incomplétude par une plus grande précision de mesures et une utilisation de modèles plus raffinés, incluant de nouvelles variables. Pour cela, elles analyseront les causes des accidents survenus et s’il y a des liens de cause à effet, elles élimineront les causes de l’accident pour l’avenir. Néanmoins, cette pratique complexifie les procédures existantes d’une part, et d’autre part elle n’empêche pas d’autres évènements de survenir à cause de phénomènes extérieurs à l’organisation, ou non explorés par l’organisation.
Le secteur de la santé génère de nombreux exemples d’organisations à devoir de fiabilité. Des recherches ont ainsi pu tester des études sur le travail d’équipe inspiré des principes des HRO dans un hôpital : le but commun peut être la santé des patients, les activités y sont interdisciplinaires et les conséquences des erreurs peuvent effectivement avoir de dramatiques conséquences puisque la sécurité des patients est en jeu.
B. Un exemple : le cas d’un service d’incendie et de secours
Les opérations de secours constituent une « fenêtre particulière sur le fait organisationnel »[17]. En effet, les services d’incendie et de secours doivent par définition gérer l’inattendu. De fait, leur situation renvoie à des problématiques organisationnelles fondamentales : stabilité et changement, sources de changement internes ou sources de changement externes, interrelations entre actions individuelles et structure organisationnelle, etc. Ainsi, « étudier comment dans l’urgence l’organisation se confronte à l’impensé, c’est plonger au cœur du fait organisationnel »[18]. Un service de secours doit en effet prendre des directions contradictoires sans cesse, puisque d’un côté il doit reconstruire en permanence le sens des situations (incertaines et imprévues), et d’un autre il doit stabiliser ce sens pour qu’il y ait action collective efficace. Si un service de secours parvient à gérer ces deux exigences contradictoires, cela rend ses opérations plus fiables (ils qualifieront ces deux exigences de « contrôle » et « écoute »). L’on perçoit ainsi une « tension organisationnelle » à laquelle sont soumis les sapeurs-pompiers en intervention, mais qui conditionne le succès des opérations.
Pour notre part, nous avons tenté ici d’appliquer les différentes pratiques recensées dans la littérature des HRO de manière à mettre en évidence la possibilité d’articuler la théorie de la haute fiabilité et une organisation de secours, à devoir de fiabilité. L’organisation choisie est un service départemental d’incendie et de secours (SDIS) dans lequel est actuellement menée une recherche-action sur la fiabilité apportée par les pratiques de systèmes d’information. Cet établissement s’est lancé depuis plusieurs années dans une démarche qualité visant à réduire les dysfonctionnements de son activité.
Ainsi, les principales pratiques relevées chez les HRO ont été mises en relation avec le SDIS observé :
- un développement de multiples mises en situations et anticipations pour une activité opérationnelle qui doit être performante (redondances, simulations, prévention, entraînement) ; il nous apparaît alors évident que les acteurs des processus opérationnels d’un service départemental d’incendie et de secours (SDIS) vivent cette culture au quotidien : la prévention et la prévision (en charge des simulations de scénarios de secours) représentent l’activité la plus importante d’un SDIS et les exercices, entraînements et simulations sont le quotidien des sapeurs-pompiers. Par ailleurs, la démarche qualité engagée visait principalement à l’origine à réduire les dysfonctionnements de l’organisation.
- Une valorisation de l’expérience et de l’apprentissage pour une amélioration continue de l’activité ; or, si le retour d’expérience n’est que peu développé au SDIS étudié de manière formelle, l’expérience individuelle du terrain est, elle, fortement valorisée. C’est cette expérience qui fondera la légitimité du commandement de chaque supérieur hiérarchique de terrain. La démarche qualité du SDIS introduit aussi cette dimension car elle est déployée dans un objectif d’amélioration continue des activités de l’organisation. L’on perçoit ainsi une volonté affichée de tendre vers une performance toujours plus élevée.
- Une structure organisationnelle valorisant un rapport hiérarchique fort ; nous remarquons que les sapeurs-pompiers sont organisés en grades calqués sur l’Armée de Terre. Le respect de la chaîne hiérarchique y est prédominant et le SDIS encourage une conformité à la règle (respect des procédures, uniformes et soin à l’apparence physique, etc.).
- Un travail d’équipe dans l’activité opérationnelle ; les sapeurs-pompiers sont précisément formés à travailler en équipe sur le terrain : coordination et rôles de chacun, valeurs d’accomplissement collectif des missions et de loyauté vis-à-vis d’une communauté. Les entraînements, exercices et simulations se font eux aussi en équipe afin de consolider cette compétence.
Le SDIS étudié semble donc bien pouvoir être considéré comme une organisation à devoir de fiabilité dont l’esprit collectif et les interactions bienveillantes fondent la fiabilité. Les principales préconisations relevées dans la partie précédente pourront alors être appliquées de manière à ce que ce SDIS puisse tendre vers une fiabilité accrue :
- Le travail d’équipe étant déjà existant, il s’agira de renforcer cette culture : l’esprit collectif et les interactions bienveillantes fonderont la fiabilité de l’activité. Considérer l’organisation comme un système d’équipes multiples permettra par ailleurs de ne pas perdre de vue l’hypercomplexité de l’organisation.
- L’apprentissage organisationnel, l’un des buts de la démarche qualité mise en place, sera aussi à cultiver : favoriser la circulation de l’information, et donc la communication, de manière verticale comme horizontale et ce malgré les cloisonnements des services et l’organisation hiérarchique, permettra l’apprentissage par les acteurs et le puisement des ressources et solutions que les experts peuvent fournir. Ce partage d’information permettra notamment aux acteurs de partager leurs représentations de la réalité, et augmentera donc la sensibilité de l’organisation au contexte.
- Elle devra enfin être vigilante, tant quant aux possibilités d’échecs en analysant les presque-erreurs et les petits dysfonctionnements de son organisation que quant aux représentations simplifiées, à actualiser régulièrement, avec lesquelles elle travaille. Là encore, la communication sera essentielle pour réaliser ces analyses et ces ajustements.
L’on perçoit ainsi que ces pratiques des HRO sont fortement interconnectées les unes aux autres et que le SDIS concerné ne pourra fiabiliser ses services que s’il parvient à organiser une avancée sur ces différents fronts, en favorisant une culture et des comportements d’apprentissage organisationnel et de travail d’équipe.