Je reproduis l’article de Coralie Delaume qui cloue son bec au ministricule Bruno Le Maire, ce champion du retournement de veste et d’aplaventrisme, sur les Français et la dépense publique.
J’ai analysé en détail cette antienne que nous recyclent nos oligarques sur “le bébé français et la dette publique”. En 2008, on lui imputait 20 000 euros de dettes au malheureux bébé, en 2010 30 000 …. alors que l’actif net de la France (dette – actif) lui donne une créance de 11 000 euros. Il est vrai que depuis nos oligarques ont pillé le patrimoine public français et que ce calcul gagnerait à être revu… à la baisse.
J’ai détaillé tout cela dans mon bouquin “Politiques publiques….“, un livre qui devrait être au chevet de tout citoyen éduqué. Coralie Delaume a raison de raisonner en termes de bilan et de richesse économique, d’investissement et de dépense, d’externalisé et non de dépenses de trésorerie.
On peut faire de fausses économies en réduisant les services publics, mais on ne peut pas pour autant réduire la réalité : Le citoyen des États-Unis consacre 65% de son revenu à l’achat de services publics (éducation, santé, transports…) tandis que le citoyen suédois n’y consacre que 11%, le reste, un des revenus par habitants les plus élevés du monde avec un taux de prélèvements public supérieur à celui de la France, est consacré à l’activité productive et à la consommation et donc à la génération de revenus ![i] Et il faut y ajouter la disparition de la réduction des inégalités par le système fiscalo-social qui, en France, les réduit d’un tiers entre les 30% les plus pauvres et les 10% des plus riches[ii]. Coralie a raison de souligner la coût exorbitant des frais de santé aux Etats-Unis (en fait presque 20% du PIB) mais qui sont pour moitié consacrés … aux contentieux avec les assureurs qui pratiquent des “dénis de service” en cherchant tous les moyens pour ne pas payer. Résultat les Américains vivent 8 ans de moins qu’un Français!
On peut taper sur les fonctionnaires : le poids de la masse salariale est resté stable depuis 1978 (+0,6% du PIB), mais sans doute estime-t-on qu’il y a trop d’enseignants, trop de policiers, trop de greffiers, trop de douaniers. ? La politique des « économies » a fait ses preuves dans bon nombre de pays : ce que l’on gagne à court terme d’une main, on le perd à long terme de l’autre en impact des services et des politiques publiques sur la croissance, et les effectifs supprimés réapparaissent à moyen terme (il faut bien que le travail soit fait) soit par une hausse des effectifs soit par dissimulation d’emplois publics sous la forme d’emplois privés par le biais du « contracting out », pratiqué par l’administration fédérale américaine pour faire baisser, sur le papier, les effectifs[1].
Car c’est bien de cela dont il s’agit : l’endettement de la France en 1946 était de plus de 290% de son PIB : il a été complètement effacé par la croissance et une inflation de bon aloi qui représentait l’accroissement de la richesse du pays (et à toute une génération de devenir propriétaire à des taux d’intérêt réels proches de zéro !).
Le bébé français n’a cure de savoir s’il trouve une dette dans son berceau, qui d’une part n’existe pas (aujourd’hui) et que de toutes façons il n’aura pas à payer. Mais il lui importe de savoir si le pays investit dans son avenir, si une politique industrielle oriente l’investissement vers les actifs stratégiques de demain. Sans une politique active de la famille, ce bébé ne serait sans doute pas né, car c’est grâce aux prestations familiales et à l’école maternelle que la France maintient une natalité au niveau du seuil de remplacement des générations – seul cas en Europe avec l’Irlande – qui est la seule garantie du développement économique et de l’équilibre des régimes sociaux.
Le bon emploi de la dépense publique est une source de préoccupation autrement plus sérieuse pour notre bébé français.
[1] Dans les pays de l’OCDE les biens publics sont fournis à hauteur de 40% par des organismes privés par le biais du « contracting out ». (The Economist, 21 janvier 2010)
[i] Murray, Richard, «2007, « The Welfare State », in Modernizing Government in Europe, Herman Hill ed. , Nomos, Speyer.
[ii] Plane, Mathieu « L’économie française en 2009 »
Coralie Delaume est essayiste, co-auteur de La fin de l’Union européenne et animatrice du site L’arène nue.
«Il y a une addiction française à la dépense publique (…). Comme toute addiction, elle nécessitera de la volonté et du courage pour s’en désintoxiquer», déclarait le Premier ministre Édouard Philippe lors de son discours de politique générale. Il faisait écho au ministre de l’économie Bruno Le Maire, lequel affirmait quelques jours auparavant «Depuis 30 ans, la France est droguée aux dépenses publiques. Oui, il faut les réduire: c’est une question de souveraineté nationale».
Bruno Le Maire, ministricule bruxellois
On se demande bien en quoi le fait de tout faire pour respecter des «critères de convergence» arbitraires tel celui des 3 % de déficit imposé par l’appartenance à l’Union européenne (quand il ne s’agit pas de «faire des réformes pour regagner la confiance de l’Allemagne») au détriment du bon fonctionnement de nos administrations et de la pérennité de nos services publics serait bon pour la souveraineté nationale. Ne serait-ce pas précisément l’inverse?
En réalité, tout cela ne sert qu’à introduire la batterie de mesures austéritaires qui seront annoncées en septembre lors de la présentation du projet de Loi de finances 2018. La Cour des comptes les a rendu plus inévitables encore avec la publication de son rapport «accablant» du 29 juin mais elles seraient intervenues quoiqu’il arrive pour satisfaire Bruxelles. Passons donc sur cette aberration qui consiste à affirmer que la souveraineté nationale consiste à chérir le carcan supranational.
Car une autre erreur se trouve à l’origine des allégations d’Édouard Philippe et de Bruno Le Maire. Une erreur commune, qui consiste à considérer que la France dépense trop non seulement au regard de ses engagements européens, mais aussi «en général» puisque ses dépenses publiques représentent 56 % de son PIB. Il est vrai que ce pourcentage semble élevé comparé à une moyenne de 48,5 % pour la zone euro et de 47 % seulement si on raisonne à l’échelle de l’Union. Aussi est-il de bon ton de faire l’effrayé, et de feindre de croire que 56 % de Produit intérieur brut français est dépensé par le secteur public pour ne laisser que 44 % de la richesse nationale au privé.
Oui mais voilà: c’est faux. On s’en rendrait aisément compte si l’on utilisait les mêmes modalités de calcul pour rechercher le montant des dépenses privées rapportées au PIB. Certes on ne le fait que rarement. Mais l’économiste atterré Christophe Ramaux s’y est essayé, et a trouvé un pourcentage de dépenses privées s’élevant à 260 % du PIB! On comprend immédiatement qu’un tel montant ne peut correspondre à une fraction du produit intérieur brut: ce serait totalement absurde. Et c’est exactement la même chose pour la dépense publique. Les 56 % de dépenses publiques ne sont pas une part du PIB. Le calcul du ratio dépenses publiques/PIB relève d’une convention et sert essentiellement à comparer entre eux les différents pays.
Il faut d’ailleurs rappeler que la convention de calcul qui permet d’obtenir les fameux 56 % comptabilise comme dépenses publiques des dépenses qui «irriguent» en quelque sorte la dépense privée. Bien sûr les traitements des fonctionnaires leur sont d’abord payés. Il s’agit donc bien une dépense publique. Mais ils sont ensuite dépensés, notamment auprès du secteur privé puisque les agents du public son aussi, bien sûr, des consommateurs. Il en va de même pour les prestations sociales que touchent les ménages. Cette manne financière soutient leurs dépenses privées. Les administrations, enfin, passent des commandes et des marchés – de sous-traitance par exemple – auprès du secteur privé.
A ce stade, l’objection semble aisée. Le montant des dépenses publiques en France est bien supérieur à celui des États-Unis (où il se situe à 37 % du PIB environ) ou à celui certains grands pays d’Europe comme l’Allemagne (où il est d’environ 44 % du PIB). Pour autant, la réponse est aisée elle aussi. Ces différences tiennent à des niveaux de «socialisation des dépenses» différents dans chacun de ces trois pays. Or, tout ce qui n’est pas «socialisé» (ce qui n’est pas assuré par le secteur public) est financé d’une autre manière… au détriment parfois de l’efficacité sociale!
L’exemple des dépenses de santé est à cet égard frappant. Aux États-Unis les individus paient beaucoup plus cher qu’en France pour se soigner. Les dépenses de santé y atteignent 16 % du PIB – c’est le record du monde – contre 11 % pour la France. La part du financement public y est inférieure et celle des coûts supportés par les individus bien supérieure. En revanche l’efficacité est moindre: l’espérance de vie est inférieure en Amérique à ce qu’elle est en France et la mortalité infantile est presque deux fois plus élevée.
Le cas de à l’Allemagne est encore différent. L’économiste Olivier Passet explique ici le rôle majeur qu’y jouent les Églises dans le domaine de la santé. «Le réseau hospitalier des Églises représente environ 30% de la capacité hospitalière du pays, le personnel employé dans ce domaine dépasse le million. Les organisations confessionnelles participent aussi à la formation, assurent la préparation aux diplômes d’État dans les professions de santé par exemple» détaille l’analyste avant de conclure que «le système est inimitable pour la France».
On n’essaiera donc pas de l’imiter. En revanche, on peut désormais comparer. C’est bien à cela que sert le ratio dépense publiques / PIB: à donner un indice du type de société auquel on à affaire, des grands choix qui y ont été faits, des modalités de fonctionnement des différentes économies. En aucune façon à mesurer la part de la richesse nationale qui «partirait» en dépenses publiques.
Ainsi la France n’est-elle pas spécialement «droguée aux dépenses publiques» puisque cette affirmation n’a pas de sens. Au demeurant, il faut savoir que l’un des postes qui coûte le plus cher à l’État français est celui de l’indemnisation du chômage (2 % du PIB). Il y aurait moins de chômage, il y aurait à la fois moins de dépenses et davantage de cotisants.
Hélas, ce n’est pas en rajoutant sans cesse de la rigueur à la rigueur et en cédant à une forme aiguë «d’addiction à l’austérité» qu’Édouard Philippe et Bruno Le Maire le feront baisser.