L’URSS, contre laquelle le monde « civilisé » s’est armé, s’est effondrée toute seule pour deux raisons : son modèle économique ne pouvait plus fournir à ses habitants les conditions matérielles de vie satisfaisantes, et ce malgré les progrès réalisés durant les années 50 et 60 qui ont correspondu à un modèle de capitalisme d’Etat qui convenait au paradigme techno-économique de la II° révolution industrielle. Ensuite, elle a été incapable de donner à ses citoyens les libertés nécessaires qui accompagnent un processus de développement. Quand Gorbachev a réalisé qu’il fallait lâcher du lest, il était trop tard pour contenir les forces centrifuges au sein de l’URSS et il a suffi d’un petit événement – l’ouverture de la frontière RDA Autriche – qui s’est transformé en « effet papillon » pour que l’ensemble du système s’effondre.
Les crises d’hystérie des auto-dénommées élites, dont Jean Quatermer est un exemple pathologique, après le brexit révèlent leur vrai caractère – mélange de haine de classe, de déni du réel et de proclamation du caractère néfaste de cette forme élémentaire de démocratie directe que constitue le référendum – et montrent que ce système, comme l’URSS, n’est pas réformable. Mais rien de nouveau sous le soleil : Christopher Lasch a fort bien analysé depuis longtemps ce phénomène de révolte des élites contre le peuple.
Dans un papier de 1999 “L’Union européenne contre le Bien commun” que j’ai repris dans mon livre de 2001 « Gouverner par le Bien commun » je montrais que du point de vue de la dynamique des systèmes complexes et de la philosophie politique du bien commun – alliance de la plus ancienne école de philosophie politique et des avancées les plus récentes en sciences des systèmes – le machin européen, « l’Organisation de Bruxelles » comme l’avait surnommée Maurice Allais, n’avait aucune cohérence. Il n’y aurait pas grand-chose à ajouter à ce texte et encore moins à y retrancher : On a appris depuis, grâce au journaliste britannique Ambrose Evans Pritchard, que la fameuse Organisation, censée nous permettre de « peser face aux Américains » était en fait une création des Américains!
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La raison de fond de cette destinée fatale est que ce projet repose sur une théorie économique fausse : la théorie ricardienne de la valeur selon laquelle toutes les activités économiques se valent, les pays doivent se spécialiser dans leurs « avantages comparatifs » et les rendements sont décroissants. Pour le marxisme, les forces productives cessaient de croître, pour l’UE, appliquant en cela les théories économiques néoclassiques, l’industrie avait fait on temps et était venue l’ère des services.
De cela est né le postulat que « plus c’est gros mieux c’est » et qu’en ajoutant des pays qui n’ont rien en commun, on créé de la richesse. Se vantant de devenir une grande puissance économique, l’UE n’a en fait réussi qu’à créer une zone atone de croissance faible et de chômage intense. Le summum de cette ubris a été la « stratégie de Lisbonne » qui, dans la logorrhée de la Commission européenne, devait faire de l’Europe « l’économie de la connaissance la plus performante du monde », a été un échec total : procédant d’une logique purement quantitative de l’innovation, ignorant les spécificités nationales et la dynamique des systèmes nationaux d’innovation, ne comprenant pas la dimension immatérielle de la technologie, l’enracinement dans l’histoire et les territoires de la connaissance, elle ne pouvait trouver les leviers endogènes de l’innovation basés sur les systèmes d’apprentissage.
En Europe, les pays les plus prospères, sont les petits pays, à commencer par les deux pays libres que sont la Suisse et la Norvège auxquels on peut ajouter l‘Islande qui a réussi sortir du piège. Le premier n’a pas de ressources naturelles, pas de mines, pas de grandes plaines agricoles, pas de puissance maritime… Ce pays est le produit de l’intelligence humaine mobilisée par une dynamique politique et sociale basée sur la démocratie directe. Une chèvre pourrait être élue présidente de la Confédération que cela n’aurait aucune importance puisque le dernier mot revient au peuple. La Suisse s’est procurée du capital par la neutralité, la banque et un tourisme de luxe attirant les fortunes internationales, mais pas pour créer une rente mais pour l’investir dans l’industrie. La Norvège gère les ressources tirées du pétrole en bon père de famille dans un fond qui investit dans l’industrie, conserve son agriculture qu’elle subventionne autant que les Suisses. Les pays de l’UE les plus eurosceptiques comme le Danemark suivent la même voie.
Le phénomène le plus ahurissant de cette histoire, qui appartiendra, souhaitons le plus rapidement possible, bientôt au passé, est l’aveuglement volontaire des élites : après tout, la stratégie du « plus c’est gros mieux c’est » aurait pu être une option stratégique que l’on peut évaluer et discuter. Il n’en est rien : c’est devenu, en fait dès le départ, un dogme, comme le communisme qui était « la jeunesse du monde » et « l’avenir de l‘humanité » auquel tout individu instruit devait adhérer, sous peine de se voir taxé, encore comme en URSS, de maladie mentale, de quelque machin-phobie.
Il reste que l’effondrement d’un système ne donne pas naissance par nature à quelque chose de nouveau : là-encore l’exemple de l’effondrement de l’URSS doit nous inspirer avec les sinistres années Eltsine qui a vu ce grand pays chargé de culture et d’histoire sombrer sous le règne des maffias.
Une fois la gueule de bois passée, il sera temps de revenir au réel, et le réel c’est, tout simplement pourrait-on dire, revenir aux enseignements de l’histoire économique pour comprendre comment les Anglais ont fait d’une nation pauvre, peu peuplée, avec peu de ressources naturelles, une puissance dominante dans les arts littéraires, philosophiques et techniques.
J’ai montré dans mes travaux sur l’Etat stratège que les asiatiques savaient tirer les enseignements de cette histoire pour leur propre compte. Si l’Europe sombre avec l’Union européenne c’est qu’elle aura cru à ses propres mythes. Certes ce ne sera que justice mais nous risquons de sombrer avec.
L’Union européenne contre le Bien commun by Claude Rochet
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