Les banques, une mafia qui a pris le pouvoir !
Gael Giraud: Un projet insuffisant:
Le projet de loi de séparation bancaire discuté à l’Assemblée nationale depuis le 12 février paraît technique à beaucoup. C’est là sa principale faiblesse : entraîner le débat dans le labyrinthe de la technique bancaire.
En réalité, les deux enjeux sous-jacents à la scission des activités de marché et des activités traditionnelles de crédit et de dépôt sont simples. Le premier est politique : sommes-nous d’accord pour que la garantie de l’Etat soit donnée à toutes les activités de marché des banques ?
COUVRIR LES RISQUES DE CHANGE ET DE TAUX ASSOCIÉS
Si c’est non, alors il convient de définir les opérations auxquelles nous entendons l’accorder : les activités de crédit et de dépôt et celles qui servent à couvrir les risques de change et de taux associés, par des opérations simples.
Quant au reste, pourquoi les contribuables français devraient-ils y accorder la moindre garantie ? Sont-ils mis à contribution à chaque faillite d’entreprise industrielle ?
Cette garantie publique actuellement accordée aux opérations de marché n’est pas anodine puisqu’elle permet à nos banques de se financer sur les marchés à un taux artificiellement bas : selon la New Economics Foundation, elle a rapporté, en 2010, 48 milliards d’euros aux banques françaises, dont plus de 6 milliards à BNP Paribas, 12 au Crédit agricole, 5 à la Société générale, 24 au groupe BPCE (Banque populaire et Caisse d’épargne).
Il ne faut pas chercher ailleurs la source des bonus extravagants que perçoivent les 9 000 traders français et leurs dirigeants. Retirer la garantie de l’Etat à ces opérations serait aussi un moyen de crever la bulle des salaires financiers.
Ce serait, surtout, assurer la sécurité des dépôts des Français. Faut-il rappeler que, selon l’OCDE [Organisation de coopération et de développement économiques], sur les huit banques européennes les plus proches de la faillite figurent quatre établissements français ?
Que leurs appels au secours à l’égard de la Banque centrale européenne (BCE) sont les troisièmes, en volume, après ceux de l’Espagne et de l’Italie ? Que notre pays compte quatre établissements présentant un risque systémique, là où l’Allemagne n’en compte qu’un (Deutsche Bank) ?
LE FINANCEMENT DE L’ÉCONOMIE FRANÇAISE
Que l’actif bancaire français représente 340 % de notre produit intérieur brut (contre 85 % aux Etats-Unis) ? Que Dexia a déjà coûté 12 milliards aux contribuables français et belges ?
Que les pertes du Crédit agricole en 2012 pourraient s’élever à 6 milliards ? Que les banques françaises n’ont dû leur survie en 2008 que grâce aux 320 milliards de garantie apportés en catastrophe par l’Etat ?
Le second enjeu de la scission n’est autre que le financement de l’économie française. Aujourd’hui, sur 8 000 milliards de total de bilan bancaire français, seuls 10 % servent au financement des entreprises.
Et 12 %, au financement des ménages. Le reste, ce sont des opérations de marché : selon la Banque des règlements internationaux (BRI), 7 % des activités de dérivés financiers mettent en jeu une institution de l’économie réelle.
Ce qui veut dire que, sur le montant des 47 000 milliards associés aux activités de dérivés menées par BNP Paribas, 44 000 milliards (22 fois le PIB français !) n’ont pas pour contrepartie une entreprise de l’économie réelle.
Le financement de l’économie européenne – et la France ne fait pas exception– est tellement défaillant que la BCE envisage elle-même de se substituer aux banques privées pour financer l’économie réelle.
LE MODÈLE DE LA BANQUE UNIVERSELLE
Quant aux 200 milliards d’obligations émises en 2012 par les banques françaises pour financer le crédit hypothécaire, s’ils n’ont accouché que de 22 milliards de prêts immobiliers, c’est parce que le crédit hypothécaire est un moyen pour financer des activités de marché, et non l’inverse.
Le modèle de la banque universelle est, en vérité, celui d’une banque mixte qui détourne les dépôts des Français pour financer en priorité, et avec la garantie de l’Etat, des activités de marché.
Voilà pourquoi c’est un mauvais modèle. Les investisseurs internationaux, du reste, ne s’y trompent pas, eux qui ne veulent plus investir dans les banques universelles.
A l’inverse, plus nos banques de crédit et de dépôt seront protégées des aléas des marchés financiers, plus elles seront sûres, compétitives et capables d’attirer des capitaux à bas coût.
Les amendements Baumel et Berger (le premier considère que la tenue de marché doit être strictement définie de façon qu’elle ne recouvre pas d’activités spéculatives ; le second considère que la tenue du marché doit être filialisée au-delà d’un certain seuil livré à l’appréciation de Bercy) sont-ils à la hauteur de ces enjeux ?
Non. La garantie de l’Etat continuera d’être accordée à l’ensemble des groupes bancaires, lesquels n’auront pas davantage d’incitation à financer l’économie réelle plutôt que les fonds spéculatifs.
Pire, les prêts aux hedge funds ne seront toujours pas filialisés. Les dépôts des Français continueront donc d’être au service de la finance de l’ombre (shadow banking) et des paradis fiscaux.
PIOCHER DANS LE FONDS DE GARANTIE DES DÉPÔTS
De plus, la filialisation n’apportera aucune sécurité aux groupes bancaires, compte tenu de l’arrêté du 25 août 2010 qui autorise que, en cas de situation exceptionnelle, le seuil des 25 % (et non pas 10 % selon les banques et Bercy) d’engagement des fonds propres du groupe puisse être dépassé pour sauver une filiale en détresse.
Rien ne permettra d’éviter un scénario comme celui de l’assureur American International Group (AIG), mis en faillite par sa micro-filiale en 2008.
De plus, en cas de catastrophe, le gouverneur de la Banque de France et le directeur général du Trésor pourront décider de piocher dans le fonds de garantie des dépôts des Français pour sauver une banque ou même un hedge fund.
A eux reviendra d’engager ou non l’argent du contribuable pour éviter une faillite bancaire. Sachant que le testament bancaire de BNP Paribas fait déjà 1 800 pages, sera-t-il d’une quelconque utilité, quand il faudra décider en 48 heures de sauver, ou non, un établissement dont l’actif représente le PIB français ?
Le scénario de “résolution bancaire” que le projet de loi rend le plus vraisemblable est donc bien celui de SNS reaal – du nom de cette banque néerlandaise qui, pourtant jugée plus sûre que la Société générale en 2011, vient d’être “sauvée” de la faillite aux dépens des contribuables néerlandais sans qu’aucun obligataire senior n’ait été mis à contribution.
Voilà pourquoi le débat sur la scission bancaire, en France, ne fait que débuter.
Gaël Giraud, économiste et chercheur au CNRS
Nicolas Doze : Les experts : Spécial Réforme… par BFMBUSINESS
Gaël Giraud: “La réforme financière a été rédigée sous la dictée des grands banquiers”