… nous dit Coralie Delaume dans un article paru dans Marianne.
L’allemagne a effectivement bien géré la crise parce qu’elle a eu des masques, des tests et des lits d’hôpitaux. Elle les a eu par qu’elle bénéficie d’une Union européenne qui, depuis le Traité de Maastricht, a été taillée sur mesure pour ses intérêts et cntre les intérêts de la France, le fruit de la stratégie du Président Mitterrand qui a voulu “contrôler” la puissance allemande après la réunification. On sait aujourd’hui que cette stratégie a abouti au résultat inverse, ce que Coralie Deleaume nous explique. On pourra ajouter que les hôpitaux allemands sont gérés par les régions et ont û développer des stratégies qui ont pu s’adapter aux conditions spécifiques des territoires, sans la bureaucratie stérilisante des ARS.
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Coronavirus : l’Allemagne, redevenue bon élève ? Pas si simple
C’est entendu, l’Allemagne s’en sort mieux que la France. Moins de 6.000 morts du Covid-19 outre-Rhin à la date du 27 avril pour près de 23.000 morts dans l’Hexagone. Un confinement commencé plus tard et appelé à se terminer plut tôt. Ne parlons pas du plan de relance économique, spectaculaire : 1.100 milliards d’euros mis sur la table sans hésiter, au pays du « zéro noir » (équilibre budgétaire parfait) et du « frein à l’endettement » constitutionnalisé. Voilà de quoi remettre de l’eau au moulin des zélotes français du « modèle allemand », qui en avaient bien besoin. Avant la crise sanitaire, leur pays de référence montrait des signes de faiblesse. Le ralentissement économique chinois, les tensions commerciales sino-américaines et le début d’une rétractation des flux commerciaux planétaires plombaient l’Allemagne mercantiliste. Elle tutoyait la récession et l’on commençait à douter de sa supériorité. Mais aujourd’hui, on peut à nouveau s’émerveiller de ses prouesses.
Nous allons donc en souper une fois de plus, du « modèle allemand » ! La République fédérale dispose de masques, de tests et de respirateurs autant que de besoin ? Elle peut les fabriquer parce qu’il lui reste des usines. Or s’il lui en reste, c’est parce qu’elle « aime » son industrie. Quant au montant de son plan de relance économique, il doit tout à la vertu budgétaire de notre grand voisin. Endetté à hauteur de 61 % de son PIB seulement, celui-ci dispose d’importantes marges de manœuvre. Et Le Monde d’écrire aussitôt : « par la puissance de son excédent budgétaire, l’Allemagne fait une leçon de rigueur ».
LE MARCHÉ UNIQUE A FORTIFIÉ L’ALLEMAGNE
Le problème est que ces propos mélangent de justes constats avec des explications courtes. Bien sûr l’Allemagne est demeurée une puissance industrielle et cela l’avantage considérablement dans la crise. Le poids de l’industrie y représente 23 % du PIB contre seulement 12 % de celui de la France, et le pays peut aujourd’hui mobiliser les PME industrielles de son Mittelstand pour produire ce dont son système de soins à besoin. Mais ce n’est pas parce que l’Allemagne « aime » son industrie quand nous détesterions la nôtre. De même, si la RFA peut aujourd’hui dépenser sans compter pour limiter les effets économiques du Covid, ce n’est pas qu’elle a été « rigoureuse » quand nous aurions été « laxiste ». La montagne d’excédents sur laquelle elle est assise et dont elle peut aujourd’hui mobiliser une partie, ne doivent pas grand-chose à la « vertu », ni à quelque autre considération morale que ce soit. Les atouts – incontestables – dont dispose la patrie de Goethe pour affronter l’épreuve doivent beaucoup aux modalités de son insertion dans l’Union européenne, à la configuration du Marché unique et à l’existence de l’euro.
Le Marché unique tel qu’il fonctionne depuis la signature de l’Acte unique en 1986, tout d’abord, a considérablement fortifié l’industrie de l’Allemagne (et de tout le cœur de l’Europe). Pour des raisons historiques, le pays était déjà en position de force industrielle lorsque les « quatre libertés » (libre circulation des capitaux, des personnes, des services et des marchandises) ont été établies. Comme l’explique l’économiste David Cayla, cela tenait à l’histoire économique longue de l’Allemagne, aux modalités de son entrée dans la Révolution industrielle au XIX° siècle, au fait que la présence de charbon et de minerai de fer dans la vallée du Rhin ou en Saxe avaient alors permis l’éclosion de pôles industriels puissants. A l’échelle européenne, des industries moins performantes ne s’en sont pas moins développées dans d’autres pays, restés longtemps protégées par les frontières nationales. Y compris lorsque le traité de Rome est signé en 1957, car seule la libre circulation des marchandises dans le Marché commun est alors mise en place.
POLARISATION INDUSTRIELLE
Lorsque le Marché unique succède au Marché commun et que sont posées les quatre libertés, c’est terminé. Grâce à la libre circulation des capitaux notamment – qui sera parachevée avec l’entrée en vigueur de l’euro – le capital productif peut aller s’investir sans entraves dans les régions où l’industrie est préalablement plus développée. Apparaissent peu à peu ce que les économistes appellent des phénomènes et « polarisation industrielle », à la faveur desquels la richesse va s’agglomérer au cœur industriel de l’Europe, délaissant les périphéries. Voilà pourquoi l’Allemagne (mais également d’autres pays du cœur comme l’Autriche) ont développé leur industrie cependant qu’elle disparaissait doucement dans les pays d’Europe périphérique… mais aussi en France. Les chiffres parlent d’eux-mêmes. En un peu moins de 20 ans (2000-2018), la production industrielle a crû de 26 % en Allemagne (et de près de 6 % en Autriche) alors qu’elle chutait en Italie (- 19%) mais également en France (-5,7%).
Ceci dit, la période considérée est aussi celle de l’entrée en vigueur de l’euro. Or la monnaie unique, tout le monde en convient aujourd’hui, est une côte mal taillée. Elle est trop forte pour les uns et trop faible pour les autres. Selon le FMI par exemple, l’euro serait sous-évalué de 18 % pour l’Allemagne et surévalué de presque 7 % pour la France. De quoi accroître artificiellement la compétitivité-coûts du made in Germany, et plomber un peu plus encore celle de l’industrie française.
INDUSTRIE PUISSANTE ET COMPÉTITIVE
Si l’on considère enfin que depuis l’élargissement de l’UE aux pays d’Europe orientale, l’industrie allemande dispose d’un vaste hinterland industriel à l’Est, où elle fait massivement fabriquer des sous-ensembles à faibles coûts pour ne se charger elle-même que de l’assemblage, la boucle est bouclée. L’Allemagne « aime » sans doute son industrie, mais la surperfomance de celle-ci est liée à des structures qui produisent mécaniquement leurs effets. Ces structures sont celles du Marché et de la monnaie uniques. Dans le cadre de ces mêmes structures, il est impossible à l’économie française d’égaler l’allemande.
Quant aux marges de manœuvres budgétaires du pays d’Angela Merkel, elles sont en partie liées elles aussi au fait qu’il est un grand gagnant de l’intégration européenne. Bien sûr, l’austérité n’y est pas pour rien. Le pays sous-investit par phobie des déficits. Beaucoup d’équipements publics (ponts, routes, autoroutes) sont en mauvais état, et l’institut patronal IW estimait récemment le besoin d’investissements du pays à 45 milliards par an. Il n’y a guère que le système de santé qui n’ait fait les frais du malthusianisme budgétaire, ce que l’historien Johann Chapoutot explique fort bien : « L’Allemagne a économisé sur presque tout (…) . Elle a appliqué son mantra ordo-libéral du zéro déficit. C’est ce que demandait l’électorat de la droite allemande, fait de retraités, qui détient des pensions par capitalisation privée. (…)[Mais] en raison de la volonté de cet électorat également, il n’y a pas eu d’économies sur les hôpitaux, car c’est un électorat âgé, qui veut faire des économies, mais pas au détriment de sa santé. » Reste que grâce à son industrie puissante et compétitive, notre voisin dispose d’excédents courants gigantesques. Or les excédents des uns étant les déficits des autres, on s’aperçoit que l’Allemagne s’est muée en véritable « pompe aspirante » de l’épargne de ses partenaires. Sa dette tient lieu de « valeur refuge », recherchée par ceux qui veulent investir en euros à moindre risque, et les taux à 10 ans auxquels elle emprunte sont tout bonnement négatifs.
La République fédérale dispose dans cette crise d’avantages directement liés à la configuration de l’Union européenne. Ces atouts ont comme contrepartie les faiblesses des autres (Italie, Espagne, France), qui sont désindustrialisés et endettés. Les trajectoires économiques des pays du cœur de l’Europe et des pays périphériques divergent du fait des structures communautaires. En résultent des capacités de relance très différenciées. Au terme de la présente crise plus encore qu’après celle de 2008-2012, certains pays (dont l’Allemagne) auront pu relancer vigoureusement leur économie quand d’autres (dont la France) auront dû s’auto-limiter et connaîtront une récession plus profonde. L’eurodivergence va donc continuer de croître, dans des proportions inégalées. Elle met en péril tout l’édifice.