Destruction de la SNCF: l’euthanasie bureaucratique à la manœuvre

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Puisqu’on sait que ça marche, pourquoi se priver de recommencer? Ils nous refont le coup de l’euthanasie bureaucratique avec la SNCF. On bureaucratise un service public, on le rend contre-performant, voire odieux au public, on publie un rapport qui décrit tous ces défauts et en conclut qu’il faut tuer le malade pour le guérir en faisant miroiter une réforme qui accouchera d’un nouveau dispositif moderne et rationnel. Le dispositif avait été testé pour la réforme de la loi sur le pauvres en 1834, le système de Speenhamland. Il est systématiquement reproduit avec tous les artifices que permettent les techniques moderns de propagande et de subversion du langage où les dispositifs les plus crapuleux s’habillent d’un langage moderne et progressiste.
Pour que ça marche, il faut un repoussoir: en politique c’est le Front national, qui, par ses outrances verbales dévalorise la cause qu’il prétend défendre et joue parfaitement son rôle d’intégrateur négatif au service du “système”. Le parti de Mélenchon, avec son discours confus qui mèle des thèmes de gauche et un racisme d’extreme-droite sous prétexte d’anti-colonialisme, joue le même rôle en pire puisqu’il se rallie in fine au système au nom du mythe de la lutte contre le fascisme. Pour la SNCF, on a Sud Rail et les groupes trotskystes qui vont défendre des positions ultra-corporatistes qui dressent les citoyens contre le service public.
Dans ce court papier du Monde Diplomatique, Serge Halimi résume très bien la stratégie à l’oeuvre. Matraquer l’argument de la modernité, interdire toute discussion – alors que les réformes des années 1980 ont été un échec que j’ai abondamment commenté – aller vite au nom de l’inefficacité de la démocratie qu’il faut remplacer par la discipline du marché.

L’offensive générale

Un ancien ministre de l’économie socialiste qui, plus tard, créera un parti libéral à son image a un jour détaillé l’art et la manière d’enfanter une société de marché : « N’essayez pas d’avancer pas à pas. Définissez clairement vos objectifs et approchez-vous en par bonds en avant qualitatifs afin que les intérêts catégoriels n’aient pas le temps de se mobiliser et de vous embourber. La vitesse est essentielle, vous n’irez jamais trop vite. Une fois que l’application du programme de réformes commence, ne vous arrêtez plus avant qu’il soit terminé : le feu de vos adversaires perd en précision quand il doit viser une cible qui bouge sans arrêt. » M. Emmanuel Macron ? Non, M. Roger Douglas, en novembre 1989, en Nouvelle-Zélande. Il livrait alors les recettes de la contre-révolution libérale que son pays venait d’expérimenter (1).
Près de trente ans plus tard, le président français reprend toutes les vieilles ficelles de cette « stratégie du choc ». SNCF, fonction publique, hôpital, école, droit du travail, fiscalité du capital, immigration, audiovisuel public  la honte de la République ») : où regarder et comment résister quand, au prétexte de la catastrophe qui vient ou de la dette qui explose, l’engrenage des « réformes » tourne à plein régime ?
Les chemins de fer ? Un rapport confié à un compère dépoussière l’inventaire des prières libérales jusque-là inexaucées (fin du statut des cheminots, transformation de l’entreprise en société anonyme, fermeture des lignes déficitaires). Cinq jours après sa publication, une « négociation » s’engage déjà pour maquiller le diktat qu’on veut imposer aux syndicats. Il convient en effet de profiter sans tarder du climat de démobilisation politique, de division syndicale, d’exaspération des usagers devant les retards, les accidents, la vétusté des lignes, la cherté des billets. Car l’« urgence à agir »qu’invoque la ministre des transports, elle est là. Quand l’occasion se présente, « vous n’irez jamais trop vite », insistait déjà M. Douglas.
Le gouvernement français compte également sur les fake news des grands médias pour disséminer des « éléments de langage » favorables à ses projets. L’idée — vite lancée, aussitôt reprise — que « la SNCF coûte 1 000 euros à chaque Français, même ceux qui ne prennent pas le train », rappelle d’ailleurs à s’y méprendre le fameux « chaque Français paierait 735 euros pour l’effacement de la dette grecque », qui, en 2015, a contribué à l’étouffement financier d’Athènes.
Parfois, la vérité éclate, mais trop tard. Plusieurs « réformes » des retraites ont été justifiées par l’allongement général de l’espérance de vie. Une étude officielle vient cependant de conclure que, « pour les générations 1951 et suivantes », c’est-à-dire 80 % de la population française, « la durée moyenne espérée passée à la retraite devrait baisser un peu par rapport à la génération 1950 » (2). Autant dire qu’un progrès historique venait tout juste de s’inverser. Ce genre d’information n’a pas martyrisé nos tympans. Et M. Macron ne semble pas penser qu’il y aurait « urgence à agir » sur ce front…

Serge Halimi

(1Cf. Le Grand Bond en arrière. Comment l’ordre libéral s’est imposé au monde, Agone, Marseille, 2012 (1re éd. : 2004).
(2« L’âge moyen de départ à la retraite a augmenté de 1 an et 4 mois depuis 2010 » (PDF), Études et Résultats, no 1052, direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees), ministère de la santé, Paris, février 2018.

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3:51 Lu par Arnaud Romain
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