Les raisons d’une rechute
La nouvelle dégradation de la situation économique, la France a enregistré un recul de son PIB de -0,1% au troisième trimestre de 2013 a pris le gouvernement français à contre-pied. En effet, ce dernier escomptait une poursuite de l’amélioration de la situation économique sur la base des résultats qui avaient été enregistrés au 2ème trimestre. La rechute enregistrée au 3ème trimestre vient sonner le glas de ces espérances.
On le constate dans les faits, l’économie française n’est pas sortie de la stagnation dans laquelle elle se débat depuis maintenant près de deux ans. De ce point de vue, l’analyse des facteurs contribuant à la croissance du PIB est extrêmement éclairante. La croissance n’est tirée de l’avant que par le mouvement des stocks. Mais, il est clair que ce mouvement, qui compense des fortes baisses de fin 2011 et 2012, ne va pas se maintenir au 4ème trimestre. La consommation des ménages reste atone, et ce pour deux raisons : les revenus sont ponctionnés par la hausse des prélèvements fiscaux, et ils le seront encore plus avec la hausse de la TVA au début de 2014, et les inquiétudes suscitées par la politique du gouvernement dans le domaine des retraites pousse les ménages à maintenir leur épargne. À cela s’ajoutent deux facteurs qui tirent le PIB à la baisse, le solde du commerce extérieur (qui est en partie responsable des mauvais résultats du 3ème trimestre) et l’investissement.
Graphique 1
Source : INSEE : « Au troisième trimestre 2013, le PIB baisse légèrement »
URL : http://www.insee.fr/fr/themes/info-rapide.asp?id=26&date=20131114
L’évolution du solde du commerce extérieur était prévisible, car plusieurs facteurs pèsent sur ce dernier. Il y a en premier lieu le taux de change de l’Euro face au Dollar, qui pénalise particulièrement l’économie française, car celle-ci commerce beaucoup hors de la zone Euro. Nous sommes l’un des pays les moins intégrés dans cette zone. Mais, il faut voir dans la dégradation de ces résultats les effets des politiques de dévaluation interne auxquelles ont été obligés de se soumettre certains de nos voisins comme l’Espagne, le Portugal et même, dans une certaine mesure, l’Italie. La baisse des coûts salariaux, obtenus de manière très brutale par une politique aux résultats effrayants en matière d’emploi (Espagne et Portugal) et de croissance (pour l’ensemble de ces pays), a amélioré leur compétitivité à notre détriment. Cela serait tolérable si nous pouvions, à notre tour, améliorer notre compétitivité par rapport à l’Allemagne, dont les excédents commerciaux déstabilisent l’économie européenne, mais aussi aux pays dont les monnaies sont indexées, plus ou moins, sur le Dollar. Si nous nous livrons, nous aussi, à un exercice de dévaluation interne, comme le veut l’opposition (car telle est bien la recette proposée par MM. Fillon, Copé et Le Maire de l’UMP) nous devons nous attendre à une chute du PIB car la consommation s’effondrera et à une explosion du chômage, qui pourrait rapidement monter à 16%-18% de la population active. Le futur semble donc se réduire à cette alternative : une lente dégradation avec la politique actuelle du pouvoir socialiste ou une très prévisible catastrophe avec la politique proposée par l’opposition.
On voit bien cependant qu’il y aurait une alternative : la dissolution de la zone Euro. Celle-ci en redonnant aux différents pays leur souveraineté monétaire et la possibilité de dévaluer, permettrait tout à la fois un ajustement de la compétitivité française tant par rapport à la zone Dollar que par rapport à l’Allemagne, et un ajustement des pays de l’Europe du Sud par rapport à l’Allemagne mais aussi par rapport à la France. Si on suit les mouvements de parité de change nécessaire à l’équilibre des balances commerciales, ce qui implique des dévaluations plus importantes en Europe du Sud qu’en France, mais pour cette dernière une dévaluation de 23%, on constate que les effets seraient très positifs pour l’ensemble de ces pays, France y compris. La dévaluation supérieure de l’Espagne, de l’Italie et du Portugal, serait en réalité plus que compensée par la dévaluation par rapport au Dollar et au « nouveau » Deutsch Mark. Ces calculs ont été faits dans la brochure Les scenarii de dissolution de la Zone Euro qui a été publiée par la Fondation Res Publica en septembre dernier. On rappelle qu’ils incluent l’effet de l’augmentation des prix de l’énergie et des importations, mais aussi les effets dits « de deuxième tour », soit les hausses des importations induites par les hausses des exportations engendrées par l’amélioration importante de notre compétitivité. En fait, la dissolution de la zone Euro apparaît comme une politique gagnante non seulement pour la France mais aussi pour ces pays de l’Europe du Sud. Dans ces conditions, il ne faut pas craindre un effet de dévaluation compétitive car l’impact des dévaluations qui ont été simulées est très positif pour l’ensemble de ces pays.
Pour la France seule, la croissance pourrait s’accroître de 20% dans les trois à quatre ans qui suivraient cette dissolution de la zone Euro, tandis que les créations d’emplois nettes pourraient atteindre de 1 à 2,5 millions. Au contraire, la poursuite de la politique actuelle se traduit par une érosion régulière de l’emploi. Non seulement nous n’avons pas retrouvé d’emploi d’avant la crise en 2007, mais on peut constater que l’emploi industriel baisse de manière très alarmante depuis 2002.
Graphique 2
Source : INSEE, enquête emploi.
On mesure ici l’impact en matière de désindustrialisation qui a été provoqué par l’Euro, impact lié tant à la perte de compétitivité avec l’Allemagne (qui s’est livrée la première à une dévaluation interne, déchirant le contrat implicite sur lequel l’Euro était fondé) qu’a la perte de compétitivité par rapport à la zone Dollar liée à l’appréciation importante de l’Euro face au Dollar à partir de 2003. En un sens, la dissolution de la zone Euro permettrait de « remettre les compteurs à zéro » tant par rapport à l’Allemagne qu’aux pays de la zone Dollar.
La politique actuelle a, de plus, un aspect très inquiétant par la baisse de l’investissement productif (la FBCF) que l’on constate depuis 2000. Cette baisse est particulièrement forte depuis 2012 et tend à ramener le volume de l’investissement vers le niveau qu’il avait en 1997.
Graphique 3
Formation Brute de Capital Fixe, indice 100 = 1997
Source : INSEE, Séries longues investissement-NAF2
Or, ceci signifie que par rapport à un stock de capital (car l’investissement est un flux) qui a augmenté depuis 1997, le renouvellement du capital productif se fait désormais de plus en plus lentement en France. Ceci se traduit par un ralentissement des gains de productivité, mais aussi par une moindre innovation dans l’économie car pour que les innovations se matérialisent, elles nécessitent un fort investissement productif. Ce processus survenant après le choc de la crise de 2008, et après les baisses de l’investissement qui s’étaient produite lors du passage à l’Euro, hypothèque très gravement les perspectives de croissance future pour notre pays. La croissance ne sera possible dans les prochaines années, en admettant que l’on inverse ce mouvement de l’investissement dès 2014, que par un accroissement très fort de la compétitivité, accroissement qu’il n’est possible d’avoir que par une forte dépréciation de notre monnaie par rapport à la monnaie de l’Allemagne et au Dollar, soit par une dissolution de l’Euro. On peut même soutenir que l’inversion de la tendance actuelle de l’investissement ne sera possible qu’après une dépréciation forte du taux de change et une dissolution de la zone Euro. En effet, seule une forte croissance, telle qu’elle est envisageable dans le cas d’une dissolution de l’euro et d’une dépréciation de notre monnaie, produira les incitations suffisantes dont les entrepreneurs privés ont besoin investir massivement. Notons que ceci s’applique aussi en parie au phénomène de l’innovation et de la recherche appliquée. Si le processus de désindustrialisation continue dans notre pays, nous verrons les centres de recherches se délocaliser afin de suivre les usines qu’ils servent. En effet, il ne peut y avoir de recherche appliquée sans production.
La dissolution de la zone Euro, le retour à notre souveraineté monétaire et une dépréciation forte de notre monnaie étaient nécessaires depuis plusieurs années. Les lecteurs qui me suivent savent que je l’envisage publiquement depuis 2006[1]. Elle est désormais absolument impérative pour la survie de l’économie française à court terme. Les risques de déchirures de notre tissu productif d’ici à trois ans sont devenus tels qu’il nous faut agir ou périr. Plus nous attendrons et plus le coût d’une politique de retour à la croissance et à l’emploi sera élevé, plus les phénomènes de dissociation de notre tissu social en raison de la montée d’un chômage important seront graves.
Il est de ce point de vue assez grave de voir un auteur avec lequel on peut se retrouver sur nombre d’idées et de positions comme Jacques Généreux, continuer ses palinodies sur ce point dans un articles récent[2]. Les positions qu’il défend dans cet article sur l’Euro sont tout d’abord économiquement fausses. Oui, la crise est due à l’Euro. Les deux arguments donnés en « défense » de l’Euro sont d’ailleurs frappants de mauvaise foi : (i) « la dérèglementation de la finance, qui a conduit à une débauche de spéculation et produits toxiques » et (ii) « un mauvais partage des richesses depuis plus 30 ans : on n’a cessé de comprimer la rémunération du travail, au profit des hautes rémunérations et revenus financiers (qui nourrissent eux-même la spéculation) ». Ces arguments sont tout d’abord partiels. Ils font silence sur l’accumulation excessive des excédents commerciaux par l’Allemagne et sur le fait que, en monnaie unique, nous avons perdus le principal et le plus efficace moyen de rétablir de manière régulière notre compétitivité. Jacques Généreux ne veut pas voir que quand des pays ont des taux d’inflation structurelle différents, ce qui est le cas en Europe, chercher à les faire cohabiter dans une même monnaie ne peut qu’aboutir aux catastrophes économiques et sociales qu’il dénonce par ailleurs. Ensuite, ces mêmes arguments se retournent contre lui, car ils sont en réalité induits par l’Euro. Si les banques européennes se sont chargées de produits toxiques américains, c’est bien en raison de la croissance plus faible de l’Europe (au sens de la zone Euro) par rapport aux Etats-Unis. À cause de l’écart de croissance, dont il est aujourd’hui bien établi qu’il découle directementde l’Euro, les banques européennes ne pouvaient pas maintenir leur position compétitive sur la base uniquement de titres européens. C’est l’Euro qui, indirectement, les a poussé à acheter des titres toxiques américains. Ensuite, dire qu’il n’y a pas de liens de causalité entre le partage des richesses en zone Euro et l’Euro, quant on regarde tant la partage entre pays que le partage au sein des pays à la suite des politiques dites de « dévaluation interne » (et au départ en Allemagne) est une contre-vérité dont l’affirmation impudente confine à la mauvaise foi.
Par ailleurs, Jacques Généreux continue de répéter tel un perroquet la vieille antienne sur les dévaluations compétitives. Reprenons son affirmation : « On risque alors d’assister à des sorties en cascade : Grèce, puis Portugal, Espagne, Italie, et même France : celle-ci ne pourra pas faire face à la fois à la compétitivité allemande et à la compétitivité retrouvée – par la dévaluation – des pays du Sud. Ce serait alors l’éclatement dans le désordre de la zone euro. Et si tout le monde dévalue, le gain est où ? On entre alors dans une logique de guerre économique »[3]. Que se passerait-il en cas de dévaluation en cascade en réalité ? Le premier pays à sortir aurait un léger avantage comparatif mais, à l’horizon de deux ans, tous les pays qui seraient sortis de l’Euro bénéficieraient de cette sortie. L’analyse des élasticités-prix montre qu’il y a des niveaux optimums de dépréciation des monnaies. Oui, tout le monde doit dévaluer (sauf l’Allemagne) mais ces dévaluations seront différenciées en raison de l’existence de ces niveaux optimums qui sont calculés tant en France qu’en Italie et en Espagne. Cet argument n’en est pas un et n’est présent que pour lourdement insister sur les soi-disant « inconvénients » d’une dissolution de l’Euro que, dans son for intérieur, Jacques Généreux refuse. Il serait plus honnête et plus clair pour tout le monde qu’il assume alors pleinement sa position.
Cette position est, de surcroît, politiquement désastreuse car elle empêche les électeurs du Front de Gauche et au-delà une grande partie des électeurs socialistes de voir la dimension centrale qu’occupe aujourd’hui l’Euro comme verrou des politiques d’austérité et de déflation en Europe. L’Euro est un verrou économiquement car il empêche la mise en place de politiques économiques de croissance et d’emploi. Il est un verrou politiquement car il sert de justification aux politiques d’austérité et à la suicidaire « imitation » de l’Allemagne (comme on parlait au XVIIème siècle d’une « imitation de Jésus Christ). Il est enfin un verrou symbolique en cela qu’il justifie dans le domaine des représentations les abandons de souveraineté à Bruxelles, abandons qui sont les instruments institutionnels verrouillant ces politiques d’austérité et de déflation. On voit bien aujourd’hui que la question se concentre sur l’Euro, et la position de Jacques Généreux (et avec lui sans doute du Front de Gauche), quelles que soient les explications qu’il fournit à juste titre sur les effets des politiques d’austérité, parce qu’elle véhicule ces énormes confusions tant économiques que politiques aboutit à désarmer les classes populaires et les prépare à capituler en rase campagne.
L’Euro est aujourd’hui irrécupérable et constitue un point de blocage essentiel dans le carcan qui enserre les économies de l’Europe du Sud. Le plus vite nous en serons débarrassés le mieux cela vaudra, non seulement pour les Français mais aussi pour une majorité d’Européens.
[3] http://www.rue89.com/2013/11/16/jacques-genereux-priorite-cest-sauver-leurope-leuro-247475
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