Michel Onfray, qui se dit athée (mais, c’est un long débat, on peut être dans la foi sans le proclamer explicitement en récitant le credo…), explique très clairement le lien indissociable entre notre civilisation occidentale et le christianisme, que l’on soit croyant ou non. Tout ce que nous sommes, notre conception de la vie, notre rapport à l’autre, notre sens du partage et de la justice, tout cela, meme déformé et perverti par le modernisme, est d’origine chrétienne. C’est au christianisme que nous devons la laïcité (et non le laïcisme) qui est la séparation du temporel et du spirituel, c’est à Thomas d’Aquin que nous devons toute le philosophie politique de la République, au vrai sens du terme, bien sur, et pas au sens politicien actuel. Si M. Mélenchon peut raconter autant d’âneries sur le christianisme, c’est grâce au christianisme. Si Bastien Lachaud peut se permettre de proférer autant d’outrances et de stupidités c’est grâce à nos institutions issues de l’humanisme chrétien (Seigneur, qu’avons-nous fait pour mériter cela?).
A la différence de Michel Onfray, je suis catholique. Ma formation chrétienne s’est faite du temps de la liturgie en latin d’où émanait une puissance spirituelle venant des racines de notre histoire. Ces mots que nous ne comprenions pas toujours faisaient le lien entre notre réalité et sa dimension intemporelle et surnaturelle. Tout cela s’est perdu avec les curés modernistes, qui, comme celui de Saint-Jean Baptiste de Belleville qui me déclara quand j’avais 18 ans “croire en Jésus ou en Mao, l’important est de croire à quelque chose”. Fin de partie? Le curé qui m’a marié résuma bien ce naufrage de l’Eglise et sa perpétuelle renaissance par une formule “ce qui prouve que l’Eglise est d’origine divine, c’est que les curés n’ont pas réussi à la tuer”.
Il est nécessaire et souhaitable qu’il y ait une confrontation entre modernisme et tradition dans l’Eglise. Le catholicisme a une longue habitude des controverses qui sont à la base de son évolution théologique. BenoitXVI avait commencé à la permettre, François la clôt, donnâtes raison et ouvrant a voie à tous les Sébastien Lachaud.
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TRIBUNE – L’écrivain et philosophe*, bien qu’athée, voit dans l’Église catholique et ses rites le pouls de notre civilisation. Il explique pourquoi la décision du pape François de restreindre la messe en latin le consterne.
Par Michel Onfray
Je suis athée, on le sait, mais la vie de l’Église catholique m’intéresse parce qu’elle donne le pouls de notre civilisation judéo-chrétienne bien mal en point. Car si Dieu n’est pas de mon monde, mon monde est celui qu’a rendu possible le Dieu des chrétiens. Quoi qu’en disent ceux qui pensent que la France commence avec la Déclaration des droits de l’homme, ce qui est aussi stupide que de croire que la Russie est née en octobre 1917, le christianisme a façonné une civilisation qui est la mienne et dont j’estime que je peux l’aimer et la défendre sans battre ma coulpe, sans avoir à demander pardon pour ses fautes, sans attendre une rédemption après confession, contrition et agenouillement. C’est fou comme ceux qui répugnent au christianisme en disant qu’il n’a pas eu lieu s’en trouvent imprégnés comme de rhum le baba que l’on sait!
Benoît XVI fut un pape philosophe formé à l’herméneutique et à la phénoménologie allemande. Il a également lu les auteurs catholiques français dans le texte. Son Jésus de Nazareth (2012) s’inscrit dans l’histoire de l’idéalisme allemand, notamment de l’hégélianisme qu’on dit de droite pour le distinguer de celui qui, dit de gauche, conduit au jeune Marx.
Le pape François n’est pas de ce niveau théologique, loin s’en faut. Mais il ne manque pas de la rouerie jésuitique qui fait que, venant de la Compagnie de Jésus, il choisit pour nom de souverain pontife celui qui se trouve le plus à l’opposé des intrigues et des antichambres du pouvoir où les jésuites aiment à se trouver, à savoir celui de François d’Assise. Jorge Mario Bergoglio, chimiste de formation, vient du péronisme ; Joseph Ratzinger, théologien de formation, de l’antinazisme.
À mes yeux, l’acte majeur du pape Benoît XVI a été le discours de Ratisbonne où, le 12 septembre 2006, dans l’université allemande où il a été professeur, il a fait son travail de pape en estimant que le christianisme et l’islam entretiennent par les textes une relation antinomique, notamment sur l’articulation entre foi et raison, mais également sur la question de la violence en général et sur celle du djihad en particulier. Je dis par les textes car c’était ici son souci, il présentait en effet l’exégèse personnelle d’un dialogue situé au début du XV siècle entre l’empereur Byzantin Manuel II Paléologue et un érudit persan. L’invitation à réfléchir sur cette question fut prise pour une insulte planétaire faite à l’islam…
L’acte majeur du pape François est, toujours selon moi, de s’être fait photographier devant un crucifix sur lequel Jésus porte le gilet de sauvetage orange des migrants. C’est ici l’icône triomphante de Vatican II qui congédie tout sacré et toute transcendance au profit d’une moraline tartinée de façon planétaire comme une gourmandise de scout.
C’est selon cette logique qu’il faut comprendre la décision du pape François d’abroger, disons-le dans un terme profane, la décision prise par Benoit XVI de permettre la messe en latin, dite messe Tridentine, pour ceux qui le souhaitent. Dans Summorum pontificum, Benoît XVI libéralisait la messe dite de Pie V. Dans Traditionis custodes, François efface cette libéralité. Benoît XVI voulait dépasser le schisme avec les traditionalistes, François va le restaurer en prétextant bien sûr, jésuite un jour, jésuite toujours, qu’il entend de cette façon réunir ce qu’il sépare. Les vocations chutent avec Vatican II. Mais les religieux qui conservent le rite latin ne connaissent pas la désaffection,mieux, ils remplissent les séminaires. Le pape François préfère les églises vides avec ses thèses que pleines avec celles de Benoît XVI.
Séparer n’est-ce pas la fonction dévolue… au diable? L’étymologie témoigne. Si j’avais la foi catholique, je ne pourrais m’empêcher de penser à l’Épître de Jean qui dit: «Tout esprit qui divise Jésus-Christ n’est point de Dieu ; et c’est là l’Antéchrist, dont vous avez entendu dire qu’il doit venir ; et il est déjà maintenant dans le monde.» (I.4:3).
Ce qui se joue dans cette affaire, c’est la suite de Vatican II, autrement dit l’abolition du sacré et de la transcendance. La laïcisation du rite réduit à une liturgie dont La vie est un long fleuve tranquille a montré toute la puissance avec son curé cool qui joue de la guitare et chante bêtassement «Jésus, Jé-é-é-é-sus, reviens». On peut préférer le chant grégorien sans être pour autant un nostalgique de Vichy…
Or le génie du christianisme, les différents conciles sur la possibilité ou non de figurer le Christ en témoignent, a été de rendre possible une civilisation de l’allégorie, de la symbolique, de la métaphore. Le génie juif se trouve dans l’herméneutique, celui du christianisme dans l’explication des paraboles. Les juifs inventent l’herméneutique pour les plus savants, les rabbins lecteurs de la kabbale ; les chrétiens élaborent l’herméneutique populaire, pour les fidèles à qui l’on raconte des histoires à déchiffrer avec l’histoire sainte. Notre civilisation de l’image, de la raison explicative, de la philosophie séparée de la théologie, procède de ce monde-là.
La messe en latin est le patrimoine du temps généalogique de notre civilisation. Elle hérite historiquement et spirituellement d’un long lignage sacré de rituels, de célébrations, de prières, le tout cristallisé dans une forme qui offre un spectacle total – un Gesamtkunstwerk, pour utiliser un mot qui relève de l’esthétique romantique allemande.
Pour ceux qui croient en Dieu, la messe en latin est à la messe du Long fleuve tranquille, celle que semble affectionner le pape François, ce qu’est la basilique romaine contemporaine de saint Augustin à une salle polyvalente dans une barre d’immeubles à Aubervilliers: on y chercherait en vain le sacré et la transcendance. Quelle spiritualité dans ces cas-là?
Disons-le de façon énigmatique, le pape François fait bien ce pour quoi il est là où il se trouve… Ajoutons d’une façon tout aussi énigmatique, mais pas tant que ça, qu’on se demande pourquoi nous vivons dans une époque avec deux papes.