Les musulmans et la machine de guerre nazie, de David Motadel
Environ deux millions d’étrangers combattirent dans les rangs de l’armée allemande durant la seconde guerre mondiale, dont plusieurs dizaines de milliers dans les rangs de la Waffen SS. Leurs raisons furent diverses. Pour les prisonniers soviétiques, c’était le seul moyen d’échapper à la mort de faim et de froid dans les camps de prisonniers, et de déserter à la première occasion. Il y eut aussi l’attirance d’avantages financiers et l’image de la modernité portée par les unités SS. Pour une minorité il y eut des raisons politiques : anticommunisme, hostilité au pouvoir soviétique en URSS, l’attirance d’une « mystique » de la pureté de la race et de la société idéale. Le nazisme fut en effet une utopie du monde parfait d’une humanité réconciliée avec elle-même une fois débarrassée de ses éléments indésirables : juifs, communistes et capitalistes matérialistes. Sans cette aide des étrangers, l’Allemagne aurait perdu la guerre dès 1943.
Mais l’engagement des musulmans dans la machine de guerre nazie fut d’une autre sorte et bien plus profonde, ce qu’étudie l’historien britannique David Motadel[1]. Dans leur progression en Yougoslavie comme dans les régions musulmanes de l’URSS, les troupes allemandes furent surprises de l’accueil enthousiaste qu’elles reçurent de la part des populations musulmanes. Il y avait certes les conflits locaux, hostilité envers les serbes orthodoxes née du refus de la création du royaume de Yougoslavie, hostilité des Tatars de Crimée au pouvoir soviétique, antisémitisme traditionnel de l’islam. L’islam ne fut pas le seul car l’état fasciste oustachi, qui s’appuyait sur l’Eglise catholique, ne fut pas en reste dans le massacre des populations juives et n’a pas vu d’un bon œil le soutien des nazis aux musulmans des Balkans.
La relation entre islam et nazisme fut plus qu’une alliance conjoncturelle et opportuniste : ce fut une véritable fascination idéologique, une véritable histoire d’amour. Pour les nazis, l’idée de califat s’apparentait au fuhrerprinzip national-socialiste. A partir de 1943, le NSDAP accepta officiellement dans ses rangs des adeptes de l’islam. Toute critique de l’islam fut interdite dans le III° Reich qui construisit des moquées et créa des instituts de formation d’imams chargés d’enseigner aux musulmans la continuité entre le prophète et le führer. On cessa de se dire antisémite puisque les arabes étaient des sémites pour se dire seulement anti-juif. Hitler et Himmler voyaient dans l’islam une « religion d’hommes » animée par « une foi puissante masculine et martiale » Hitler considérait que la victoire de Charles Martel en 732 face aux arabes avait précipité la dislocation de l’Europe dont l’islam aurait sauvegarder l’unité, alors que le Christianisme, religion molle, avait contribué à l’abaissement du rôle des Germains.
Le livre de David Motadel, historien britannique, n’est pas un essai mais le fruit d’une recherche d’une dizaine d’années à partir de sources très riches, essentiellement allemandes, sans aucun parti pris idéologique. Il s’agit d’un grand livre d’histoire, comme le souligne Christian Ingrao dans sa préface.
Il est curieux de constater que de nombreuses critiques de ce livre ont pour souci de dédouaner l’islam, tant par les temps actuels, le rapprochement entre islam et nazisme, est sulfureux.
La politique des nazis échoua, tout d’abord parce qu’ils perdirent la guerre, mais aussi parce qu’elle reposait sur une conception panislamiste du monde musulman qui n’avait aucune réalité. Les tentatives de lever des troupes musulmanes au Maghreb échouèrent et on sait que le Roi du Maroc Mohamed V – alors protectorat français – refusa d’appliquer la politique de Vichy imposant le port de l’étoile jaune aux juifs.
Cette politique ne fut pas perdue pour tout le monde puisque le grand Mufti El Husseini de Jérusalem qui passa plusieurs années en Allemagne pour animer cette politique du régime a pu être exfiltré d’Allemagne via la Suisse vers le Caire avec l’aide des Américains qui comptaient récupérer l’hostilité de l’islam envers le communisme, pour préparer la guerre froide. El Husseini contribua à l’essor des frères musulmans qui toutefois le marginalisèrent.
Il est intéressant de constater que si la vision panislamiste des nazis n’a pas prise à l’époque, elle est aujourd’hui au cœur de l’idéologie du califat développée par Daech.
Un mauvais esprit pourrait faire un parallèle entre cette déclaration de Jean-Luc Mélenchon (en 2012 sur France Culture déplorant la victoire de Charles Martel en 732) « … Si on avait pu s’épargner les siècles d’obscurantisme que nous a valu la mainmise de l’Eglise sur l’Occident chrétien, si on avait pu, nous, gagner l’apport des civilisations arabes, arabo-andalouses… » et cette analyse de Hitler que cite Motadel (p 73), « Vous voyez notre malheur est d’avoir la mauvaise religion ( …) La religion mahométane ( …) aurait été bien plus compatible avec nous que le christianisme. Pourquoi cela a-t-il dû être le christianisme avec toute sa mollesse et sa veulerie ». L’islamisme d’aujourd’hui, porté par les frères musulmans qui entendent soumettre la chrétienté à ses dogmes est-il un retour de ce lien historique entre islamisme et nazisme ? En tout cas, M. Mélenchon, leader des « insoumis » ferait bien de se souvenir qu’islam veut dire précisément « soumis ».
[1] David Motadel, Les musulmans et la machine de guerre nazie, Paris, La Découverte, 2019, 439 p., traduit de l’anglais par Charlotte Nordmann et Marie Hermann, préface de Christian Ingrao, ISBN : 978-2-7071-9934-8.
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