Il faut une opération vérité pour (sauver) l’euro

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22/01/2014 | Christian Stoffaës

LE CERCLE. par Christian Stoffaës – En économie, le juge de paix du vrai et du faux, c’est l’histoire économique permettant de confronter la théorie aux faits – l’équivalent de la méthode expérimentale en sciences exactes. Deux références utiles éclairent nos débats actuels sur l’euro et sur la politique économique fédérale en Europe.

Le Plan de 1958 est la success-story qu’on enseigne partout d’une politique économique réussie – l’orgueil du gaullisme qui donna à la France quinze années de croissance à 5 % sans inflation. Or, on l’a quelque peu oublié, cette brillante période est inaugurée par une dévaluation massive qui ampute le franc du tiers de sa valeur : 20 % en juin au lendemain de l’investiture ; 17,55 % en décembre dès l’annonce du plan de stabilisation Pinay-Rueff.

La dévaluation avait été le mal endémique de la IVe République : 60 % en 1945 ; 45 % en 1948 ; 22 % en 1949. Déjà le Front populaire avait dévalué de 60 % le franc Poincaré. Les coalitions de centre-gauche qui dominent les gouvernements sont obsédées par l’opprobre de devoir à nouveau brader la monnaie du pays. Seul de Gaulle avait la légitimité pour dévaluer de par l’électrochoc des événements et de par son mandat pour redresser le pays. Le « nouveau franc » et le rétablissement des équilibres monétaire et budgétaire sont présentés comme une opération vérité pour solder les comptes du régime discrédité et pour entrer dans le Marché commun. Car les réformes structurelles, si douloureuses en situation de dépression, sont grandement facilitées par le ballon d’oxygène de la dévaluation.

Le plan Hamilton fut, lui, il y a deux siècles, l’acte fondateur de l’Etat fédéral américain. La confédération issue de la déclaration d’indépendance laissait l’essentiel des pouvoirs à chacune des treize anciennes colonies, jalouses de leur récente souveraineté, ruinées par les dépenses de la guerre d’indépendance. La banqueroute menaçait.

Pour éviter cette banqueroute, Hamilton, représentant de New York, proposa au Congrès de mettre en commun les dettes des Etats. Entre ceux qui avaient déjà remboursé et les impécunieux, le compromis fut le transfert de la capitale fédérale en Virginie, l’Etat de Jefferson. La prise en charge par l’Union de l’amortissement des dettes déboucha sur la création de l’administration fédérale : Trésor, fiscalité, Banque des Etats-Unis.

 Le parallèle avec nos grands débats sur l’euro, entre cigales et fourmis, entre européistes et souverainistes, est tentant, alors que le poids des dettes accumulées étouffe le Sud, exacerbe les divisions, suscite les extrémismes, menace l’unité de l’Europe. Les dettes publiques accumulées pendant la décennie folle sont-elles remboursables, quand il faudra des budgets non pas équilibrés mais excédentaires pendant longtemps ?

Mais quel dirigeant européen dispose aujourd’hui de la légitimité nécessaire pour porter l’opprobre historique du renoncement à vingt années d’efforts pour construire la monnaie unique ?

En réalité, s’agit-il de détruire l’euro ou de le sauver ? La dureté du remède imposé fait monter les populismes, exacerbe les frustrations anti-européennes. Ainsi, malgré les efforts surhumains imposés aux finances publiques et à l’économie, la dette de la Grèce continue d’augmenter, illustrant le cercle vicieux réduction du déficit-baisse des rentrées fiscales-croissance étouffée. La dette grecque est gérable par la solidarité européenne, mais celle des grands pays du Sud ne le serait pas si leur dette devait être attaquée sur les marchés financiers comme le fut la dette grecque en 2010, par exemple si la drachme sort de l’euro, ou quand la Fed remisera sa planche à dollars.

Vivrons-nous une génération dette, comme il y eut la génération perdue de l’entre-deux-guerres ? Si la dette n’est remboursable qu’au prix d’une déflation de longue durée, ne vaut-il pas mieux reconnaître qu’elle est irremboursable et y remédier dans l’ordre plutôt que dans la panique financière ? C’est-à-dire par une opération vérité, négociée multilatéralement comme le fut Bretton Woods, avec un régime de parités fixes mais ajustables, accrochées autour d’un euro transformé en monnaie commune et un retour (temporaire) aux monnaies nationales pour les pays faibles.

Le pire a été évité, certes. Mais les opinions publiques et les dirigeants européens doutent que les mesures de replâtrage suffisent à sauver durablement l’euro. Il faut oser poser la question d’un acte refondateur.

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