Le livre de Claude Rochet, Gouverner par le bien commun, est un essai d’une ampleur étonnante.
Face aux discours nous annonçant la fin de l’Histoire, du politique, de l’Etat ou de la nation sur l’autel de la modernité techno-marchande, l’auteur réhabilite la pensée et l’action. Difficile de résumer la richesse de cet ouvrage roboratif dont l’une des premières qualités tient en la trajectoire de son auteur. Historien de formation, ancien élève de l’ENA, tour a tour travailleur social, professeur, haut fonctionnaire, cadre dirigeant d’une grande entreprise industrielle, consultant au sein de firmes nord-américaines Claude Rochet n’appartient pas a quelque cénacle de penseurs officiels et ses écrits sont frappés autant par l’empreinte du praticien que du théoricien.
Gouverner par le bien commun veut renouer avec la tradition d’une pensée globale nécessaire pour comprendre une époque chaotique livrée aux “experts” autoproclamés et aux “autorités morales” douteuses. Face a la déliquescence du débat public, son ouvrage résonne comme un défi. Perte de la responsabilité et nihilisme sont, selon l’auteur, parmi les maux principaux qui ont gangrené notre société. En abdiquant devant des totems aux pieds d’argile (sens de l’Histoire, marché conquérant), les individus ont a la fois leur responsabilité et leur liberté.
Sur ce double renoncement a prospéré un nihilisme doucereux ou toutes les régressions sont masquées derrière un habillage moderne inspire par la vulgate libérale libertaire post-soixante-huitarde.Claude Rochet s’élève contre ce pernicieux déclin et s’interroge sur le sens à donner au “bien commun”. Qu’est-ce qu’une bonne société ? Comment endiguer l’irresponsabilité collective ? Contre le renoncement “Il faut faire bouger la France” martèlent de concert des politiques en mal de programmes, les idéologues de l’air du temps et les maîtres de l’économie. On sait que sous ces appels sympathiques au mouvement perpétuel et au grand bond en avant quotidien se dissimulent des arrière- pensées beaucoup moins avouables (à savoir la marchandisation intégrale de la société). Or, si l’auteur ne tombe pas ici dans le piège du “bougisme”, il n’en délivre pas moins un examen critique et précieux d’un système français qui a réussi à combiner coûteuse lourdeur bureaucratique et laisser-faire liberal.
De propositions concrètes à la nécessaire réforme de l’Etat (qui ne consiste pas a l’abattre au profit de super-regions et d’une hyper-bureaucratie européenne) au démontage de quelques idées revues – ainsi, la mobilité et la flexibilité du marché du travail génèrent au final (selon la très libérale OCDE) une baisse de compétitivité des économies nationales par la perte des savoir-faire – Gouverner par le bien commun passe en revue les défis présents.
Riche en informations, bourré de références, ce stimulant panorama débusque l’obscurantisme des faux prophètes en s’appuyant sur des exemples évocateurs. Les passages sur la destruction de l’enseignement (ainsi que ceux consacrés aux violences à l’école) ou sur l’effacement démocratique dans la construction européenne frappent juste et fort. Maniant la satire du moraliste et le sérieux du philosophe politique, Claude Rochet signe avec ce livre, qui se présente comme “un précis d’incorrection politique a l’usage des jeunes générations”, un puissant antidote au fatalisme. Une lecture d’une actualité brûlante. “
C. A
Christian Authier, L’Opinion indépendante
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