Casser l’euro pour sauver l’Europe d’une impasse démocratique et sociale

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Outre le fait d’avoir exposé tous les mécanismes qui font de la monnaie unique un monstre économique, les auteurs du livre présente une synthèse très convaincante de l’après-euro, mais le livre est également une intéressante réflexion politique sur l’Europe.

Le difficile problème allemand

Si l’euro a « des fondations bancales », c’est parce qu’il est « made in Germany », une copie du mark sur tous les plans. Et l’obsession allemande de l’inflation et des déficits des voisins les a poussé à promouvoir la libéralisation, qui impose la surveillance des marchés. Sur la base de nombreux témoignages, ils détaillent la genèse de la monnaie unique. Le journaliste du Financial Times, David Marsch confirme les propos de l’ancien président de la Bundesbank, Karl Otto Pöhl : « je pensais qu’il était très peu probable que les autres européens adoptent simplement le modèle de la Bundesbank ». Ce serait la chute du mur de Berlin qui aurait poussé la France à accepter les conditions drastiques des Allemands.

Comme Sapir, ils notent que « l’Allemagne obtient un droit d’accès sans restriction tarifaire à des marchés voisins qui ne peuvent plus dévaluer » et ils le citent en notant cela « leur offre la possibilité de s’endetter à bon compte pour… acheter des produits allemands ». Mais ils ne blâment pas l’Allemagne, qui ne fait que défendre ses intérêts dans le cadre que nous avons accepté. Ils notent aussi que la hausse des prix de l’immobilier, pousse Berlin à refuser l’assouplissement de la politique monétaire, qui n’est pas adapté à la situation du pays. Ils notent néanmoins la logique très culpabilisatrice et superficielle du pays en citant Angela Merkel qui disait fin 2013 : « la vie n’est pas juste : si vous avez trop mangé et trop grossi, mais que d’autres personnes sont toujours minces, je vous aiderai à payer le docteur ».

Un problème démocratique et social

Ils notent le caractère anti-démocratique de l’euro puisque « toute majorité démocratique, aussi bien au niveau national qu’européen, doit s’y soumettre, puisque les principes qui y sont inscrits ne peuvent être réformés qu’à l’unanimité ». Pour eux, « la nécessité de mettre fin à la monnaie unique ne nous est apparue que progressivement » du fait « de la détresse des millions de chômeurs et de nouveaux pauvres de la zone euro ». Ils dénoncent « le refus borné de certains, souvent parmi les plus favorisés, de remettre en cause, ne serait-ce qu’une parcelle de leurs certitudes ». Ils clament leur « révolte contre le dogmatisme et la pensée magique érigés en système clos, où rien ne doit venir contrarier le confort des certitudes rassurantes ». Pour eux, « poursuivre ainsi, ce serait risquer, outre la déflation généralisée, une explosion politique et sociale. Bien plus risqué, en fait, que cette sortie de la zone euro tant diabolisée ».

Ils citent Jean-Claude Juncker pour qui le TCE a été rejeté « parce que les électeurs – et c’est pourquoi nous avons besoin de cette période d’explication et de débat – n’ont pas compris que le texte du traité constitutionnel, la nature du traité constitutionnel visaient à répondre à leurs préoccupations ». Ils dénoncent une Europe qui prend ses distances avec la démocratie, refusant les référendums, poussant au changement de dirigeants sans élection en Grèce ou en Italie. Pour eux, « chaque avancée fédéraliste réalisée au nom du sauvetage de l’euro constitue en tout cas un recul démocratique, puisqu’elle se fait au profit de la seule technocratie européenne », notamment la BCE et la Commission dont ils se demandent si elles ne sont pas les « César du 21èmesiècle ». Pire, ils notent que « la carence démocratique, à laquelle le peuple européen peut s’accomoder par temps faste, devient flagrante et insoutenable lorsqu’elle se traduit par l’obligation de payer le prix d’une crise financière dont il n’est que très partiellement responsable ».

L’impossible fédéralisme

Ils font un parallèle intéressant avec l’histoire de l’unification des Etats-Unis à la fin du 18ème siècle puisqu’à l’époque deux conceptions s’affrontaient : celle d’Hamilton, qui défendait une unification financière entre les états et celle de Jefferson, qui refusait la péréquation entre états. C’est le premier qui gagnera et imposera la création d’une banque centrale commune, mais en 1829, cette dernière sera démantelée et les dettes étatiques seront à nouveau séparées. Il faut noter que le fait de partager une monnaie n’a pas empêché une guerre civile. Il faudra attendre Roosevelt pour retrouver un état central fort. Pour les auteurs, cela démontre qu’il faut un état central fort et un budget central important pour qu’une monnaie unique fonctionne. Ils notent d’ailleurs que Thomas Sargent, un prix Nobel d’économie, a affirmé que l’Europe était dans la situation des Etats-Unis en 1777, avant, lui aussi, de finir par changer d’avis.

Les auteurs parlent de « produits dérivés du fédéralisme ». D’abord, il y a les euro obligations mais ils notent que cela aurait renchéri à terme le coût de la dette de 20 milliards d’euros par an en France et de 46 milliards par an en Allemagne selon Natixis… Pas hostiles au fédéralisme par principe, ils le considèrent hors de portée. Ils notent ensuite l’apparition d’un « fédéralisme punitif », citant Jean-Pierre Jouyet en 2011, pour qui « le fédéralisme va se faire. C’est cela où le système saute » et qui appelait à une « mise sous tutelle » de la Grèce. C’est ce qui a produit les trois camisoles budgétaires européennes : le six pack, le two pack et le TSCG, s’appuyant sur le MES, « ce fond indépendant des Etats et des institutions européennes, dont les locaux et les archives sont inviolables et qui ne peut faire l’objet de poursuitres »…

Pour eux, la conclusion est claire le fédéralisme est impossible, reprenant une citation remarquablement adaptée du Général de Gaulle : « on ne fait pas d’omelette avec des œufs durs ». Ils reprennent les études de Sapir ou Artus, qui chiffrent à 9% du PIB tous les ans le coût pour l’Allemagne, deux fois la réunification. En conclusion, pour eux, « souverainistes et pro-européens pourraient se réconcilier autour d’une France intégrée dans une Europe resserrée, plus agile, mais aussi plus respectueuse des peuples et de leur diversité », avec un grand plan de réindustrialisation.

Je vous recommande donc vivement ce livre, malmené par les moines-soldats de l’euro. Au final, le démontage de la monnaie unique se fera car, pour les reprendre, comme le dit Alice : « le seul fait de refuser d’évoquer publiquement une hypothèse démontre bien à quel point on y pense ».

Source : « [amazon_link id=”B00F4MSG9G” target=”_blank” ]Casser l’euro pour sauver l’europe [/amazon_link]», Franck Dedieu, Benjamin Masse-Stamberger, Béatrice Mathieu et Laura Raim, édition LLL, Les Liens qui Libèrent

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