Le meilleur moyen de domination est celui des idées – le soft power – plutôt que le pouvoir des armes – le hard power. Il s’agit de convaincre les autres de considérer les idées qui correspondent à votre stratégie de puissance comme les bonnes idées qu’il est normal d’adopter – ce que fit l’Angleterre au XIX° siècle avec le libre-échange …. une fois parvenue à la puissance par le protectionnisme – et c’est encore mieux par la « morale ». La corruption étant une arme de pauvres, les pays parvenus à la richesse vont vouloir en priver les autres au nom de la “morale”, alors que la corruption a été un levier du développement économique, quand bien même il devient vite un frein. Les Etats-Unis sont un pays corrompu, les entreprises américaines pratiquent la corruption pour obtenir des marchés à l’international, mais elles le font par des moyens sophistiqués qui échappent aux dominées qui sont obligés d’en rester à la bonne vieille pratique des commissions et des rétro-commissions. Les entreprises américaines vont, entre autres, gérer les carrières de leurs partenaires étrangers: études dans de grandes universités, recrutement dans des cabinets d’audit puis dans de grandes entreprises.
Anti-corruption, l’arme américaine pour affaiblir les économies concurrentes
Cette stratégie s’incarne dans une loi : le Foreign Corrupt Practices Act (FCPA) initialement promulguée en 1977 à l’encontre des entreprises américaines qui devaient montrer l’exemple d’un pays parfait dans le contexte de la guerre froide. Il est actualisé après la signature de la Convention de l’OCDE en 1998 qui fait obligation aux pays signataires d’adopter une législation réprimant la corruption sur les marchés internationaux. Dès lors le FCPA devient d’application extra-territoriale, en s’appuyant sur l’usage d’Internet et les nouveaux moyens de renseignement de la NSA. Une transaction en dollars, un courrier électronique, tout cela passe par le territoire américain et suffit à déclencher la procédure.
Comment se déroule-t-elle ? L’entreprise reçoit une lettre du Department of Justice (DoJ) qui lui demande de clarifier sa situation sur la base de simples suspicions. Pour ne pas risquer plus d’ennuis, celle-ci est priée d’embaucher un cabinet d’avocat américain qui va passer en revue les procédures de négociation de l’entreprise et les contrats en cours. A la remise de son rapport le Procureur du DoJ indiquera à l’entreprise le montant de l’amende qu’elle doit payer pour éviter les poursuites pénales. Le montant de celle-ci représente généralement l’équivalent des sommes gagnées par la corruption. L’entreprise, dans la logique de la procédure transactionnelle américaine, n’a qu’une hâte : payer pour ne pas risquer d’être exclue des marchés publics et risquer beaucoup plus gros.
Que se passe-t-il si l’entreprise ne coopère pas – ce qui fut le cas de Alstom sous la présidence de Patrick Kron? Les choses s’enveniment et l’entreprise peut être déférée devant un juge qui va exiger des investigations approfondies, et pourra solliciter les moyens du FBI et de la NSA. Dans l’affaire Alstom, pour faire pression sur Patrick Kron et lui faire comprendre qu’il pourrait subir le même sort, le DoJ fait arrêter en avril 2013 un haut cadre d’Alstom lors d’un passage aux Etats-Unis qui sera enfermé durant 14 mois dans un quartier de haute sécurité avec les caïds de cartels de la drogue. Otage économique dont le gouvernement français s’est désintéressé alors qu’il se démenait à l’époque pour Florence Cassez au cas autrement plus louche. Pierucci était-il corrompu et avait-il corrompu ? Non. Le motif d’incrimination par le FCPA est simplement d’avoir eu connaissance de faits de corruption et de ne pas les avoir dénoncés. Pierucci a été libéré sous caution quand la vente d’Alstom à GE a été sur les rails, GE qui a reconnu avoir participé aux négociations avec le DoJ pour fixer le montant de l’amende… pour faire préciser que celle-ci devrait être payée par la partie de l’entreprise qui resterait française.
Depuis sa création et sa montée en puissance (en gros depuis 2002, ce qui correspond à la montée en puissance de la NSA) le FCPA a infligé 150 milliards de dollars d’amende au point d’être surnommé FCPA Inc. Les entreprises françaises qui sont tombées dans les rets de la justice extra territoriale américaine ont versé à ce jour (2015) 12,3 milliards de dollars d’amende… quand elle ne paye qu’une portion congrue d’impôts en France.
Une cash machine aussi pour les cabinets d’avocats qui sont chargés de mettre en œuvre des procédures de compliance censées garantir l’intégrité des procédures de l’entreprise. Ces cabinets doivent remettre un rapport au DoJ qui valide in fine ces procédures. Un « moniteur » mandaté par le DoJ, a accès à tout dans l’entreprise et ne peut se voir opposé aucun secret des affaires. Si c’est un avocat américain, il est statutairement officer of the Court, il est obligé de révéler au DoJ tout ce dont il a connaissance. C’est non seulement un business juteux – que Transpency Int’l évalue à 50 milliards de dollars par an – mais également une belle arme d’intelligence économique puisque le moniteur aura accès à toutes les données de l’entreprise.
Comment se défendre ? La convention de l’OCDE prévoit que la procédure doit être diligentée par l’Etat le plus à même de le faire, ce qui suppose qu’il soit en mesure d’imposer des amendes suffisamment lourdes pour faire jouer le principe international de droit non bis per idem selon lequel nul ne peut être jugé deux fois pour la même cause. Le justice suisse a validé le versement de 1 million de dollars par Alstom à la Croix Rouge pour réparer les dommages de la corruption dans les pays concernés, une procédure identique a été appliquée aux Pays Bas qui ont permis d’échapper au FCPA.
Il est urgent que s’instaure en France une justice transactionnelle qui permette au Procureur de faire payer rapidement, lourdement et efficacement les entreprises fraudeuses, autant pour les mettre à l’abri du DoJ et de leur mise sous tutelle par ses moniteurs, que pour récupérer le produit des amendes pour le Trésor Public.
Une norme ISO 37001 va être publiée en 2016 pour indiquer aux entreprises les normes à mettre en œuvre pour être en conformité avec les lois anti-corruption. Mais qui va faire les audits ? Quelle sera la valeur des certifications ? Voilà un nouveau beau chantier pour l’intelligence économique.
Claude Rochet.
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