L’anticorruption, une arme d’intelligence économique: autour du cas Alstom

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La perte d’Alstom au profit de l’américain General Electric (GE), n’est pas seulement qu’une catastrophe industrielle – une de plus après la perte de l’industrie de l’aluminium, de la sidérurgie, de l’automobile … – qui met en cause notre indépendance nationale mais est aussi l’illustration de la stratégie américaine d’utilisation de la législation anticorruption extraterritoriale basée sur la convention de l’OCDE de 1998, le ‘Foreign Corrupt Practices Act (FCPA). Dans l’affaire Alstom, il  n’est pas possible de dire que cette loi a été délibérément utilisée pour favoriser la prise de contrôle par GE dès le début, il est clair, par contre, qu’il y a eu une convergence des deux stratégies.

Cette stratégie s’inscrit dans la palette des stratégies d’influence ou de soft power, de domination par les idées, et dans ce cas précis, par le droit. Ce sont des stratégies anciennes que j’ai analysées dans mes recherches sur l’Etat stratège: le moyen le plus efficace de dominer les autres pays est de le faire par les idées – le soft power – plutôt que par le pouvoir des armes – le hard power. Il s’agit de convaincre les autres de considérer les idées qui correspondent à votre stratégie de puissance comme les bonnes idées, les idées qu’il est normal d’adopter.

Au XIX° ce fut le libre-échange, idée imposée par l’Angleterre, puis par les Etats-Unis …. une fois parvenue à la puissance par le protectionnisme. La liberté du commerce fut imposée au monde après la seconde guerre mondiale, puis surtout après l’effondrement du monde communiste. Cette domination s’exerce toujours au nom d’idées généreuses, la liberté, la démocratie libérale dont la victoire fut présentée après 1989 comme la “fin de histoire“. La corruption étant une arme de pauvres, les pays parvenus à la richesse vont vouloir en priver les autres au nom de la “morale”, alors que la corruption a été un levier du développement économique, quand bien même il devient vite un frein. Les Etats-Unis sont un pays corrompu, les entreprises américaines pratiquent la corruption pour obtenir des marchés à l’international, mais elles le font par des moyens sophistiqués qui échappent aux dominées qui sont obligés d’en rester à la bonne vieille pratique des commissions et des rétro-commissions. Les entreprises américaines vont, entre autres, gérer les carrières de leurs partenaires étrangers: études dans de grandes universités, recrutement dans des cabinets d’audit puis dans de grandes entreprises. Tout cela entre dans ue stratégie de domination par les idées intelligemment conçues.

On ne peut faire grief aux Etats-Unis de défendre leur intérêt et de les promouvoir comme étant un bien commun de l’humanité, au nom de la “destinée manifeste” dont ils se disent porteurs. On doit faire grief, par contre, à ceux qui gobent sans hésiter cette “belle histoire” en premier lieu les dirigeants français qui ne manquent par une occasion de courber l’échine devant la puissance dominante, exercice où nos “socialistes”, et leurs alter ego de la pseudo droite, excellent.

Dans la stratégie américaine, qui reproduit celle de l’Angleterre du XIX° siècle, une idée généreuse est toujours le paravent d’une stratégie de puissance, qui fonctionne fort bien dès lors qu’ils ont en face d’eux des gogos qui prennent pour argent comptant la “lutte pour la démocratie”, les “droits de l’homme”, la “protection de l’environnement”, belles idées, certes, mais qui dans la logique anglo-saxonne sont avant tout là pour permettre de bonnes affaires et renforcer son pouvoir d’influence.

 

Un précédent « d’impérialisme moral »: la loi d’interdiction du commerce des esclaves de 1807
En 1807 l’Angleterre, suivie par les Etats-Unis, prohibe le commerce des esclaves (mais non l’esclavage qui ne sera aboli qu’en 1838). Elle crée une escouade de l’Atlantique chargée d’intercepter les navires négriers entre l’Afrique et l’Amérique. Initialement, cela ne concerne que les navires anglais, mais au nom du principe « le pavillon n’est pas la nationalité » elle s’octroie un droit de visite sur tous les navires suspects, compte tenu de la suprématie de la marine britannique. Les capitaines de vaisseau sont punis d’une amende de 100 livres par esclave à bord, mais la loi est étendue à la simple découverte d’équipements laissant préjuger de l’activité de commerce d’esclaves. Appliquant le droit de haute mer de lutte contre la piraterie, elle confisquera ainsi 1600 navires, souvent revendus à leurs propriétaires qui reprendront le commerce illégal des esclaves qui ne s’arrêtera pas. Cela constitua un revenu important pour la Couronne et pour les équipages, rémunérés sur la base de leurs prises. L’Angleterre imposera aux autres Etats riverains des traités réprimant le commerce des esclaves et de facto, par la pratique du « droit de visite » et de la suspicion de commerce négrier, s’octroya un droit de contrôle sur tous les navires marchands non britanniques. En prohibant la traite, l’Angleterre s’était créé un désavantage concurrentiel, qu’elle va compenser par une application extraterritoriale de sa loi qui va renforcer sa suprématie maritime.

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Une stratégie crûment formulée au XIX° siècle par Lord Gladstone qui fut quatre fois Premier ministre: “L’Angleterre n’a pas d’alliés ou d’ennemis permanents, elle n’a que des intérêts permanents“.

Eric Dénécé, Leslie Varenne et Jean-Michel Quatrepoint ont étudié en détail  ce dossier, que présente cette vidéo, ainsi que le livre de Jean-Michel Quatrepoint. Il faut également lire le dossier réalisé par Leslie Varenne et Eric Denécé RACKET AMÉRICAIN ET DÉMISSION D’ETAT. LE DESSOUS DES CARTES DU RACHAT D’ALSTOM PAR GENERAL ELECTRIC.

 

Je publie ici la note que j’ai produite sur le dispositif FCPA quand j’étais responsable de la recherche en intelligence économique à Bercy: un dispositif redoutable conclu avec professionnalisme en profitant de la candeur des entreprises majoritairement européennes (les entreprises américaines payent également de fortes amendes, mais moindre que les entreprises étrangères car il n’est pas question pour l’administration américaine de mettre en danger le “business”) qui considèrent qu’il est normal de verser des pots de vin pour avoir des marchés et n’ont pas vu venir la menace.

 

J’ai organisé avec Hervé Juvin et le député Jacques Myard un colloque fermé sur ce sujet sensible qui a réuni les meilleurs spécialistes sur le sujet (Hervé Juvin, Jean-Michel Quatrepoint, Jacques Sapir, Paul-Albert Iweins, Stéphanie Gibaut, Franck de Cloquement….). Vous pouvez écouter l’enregistrement de cette réunion importante ICI: elle vous permettra de faire un tour très complet de la stratégie américaine. Leslie Varenne a publié son intervention sur son blog.

Un dossier à étudier de très près par tous les responsables politiques et économiques qui ne veulent pas voir nos entreprises tomber sous une coupe étrangère et savent voir, derrière la promotion de grands principes, des stratégies d’influence bien conçues.

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