Hors de l’euro, le salut

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La France doit lâcher cette bouée de plomb!

Par Jean-Luc Gréau

paru dans Causeur 03/07/2013

Le Président normal, son ministre des Finances et son ministre du Travail ne se lassent pas d’attendre la reprise économique. Ils ne doutent pas un instant que les entreprises et la demande américaine ou chinoise finiront par ranimer une France qui est pourtant plus bas qu’elle ne l’a jamais été depuis la guerre. Leur sérénité de façade ne convainc ni l’opinion ni les élus socialistes, qui s’attendent à une Bérézina lors des prochains scrutins. Sans cesse repoussée à une date ultérieure, la reprise économique fait figure de zombie.

Ne les accablons pas. Tous les organes d’analyse et de prévision officiels, FMI, OCDE, Commission européenne, Banque centrale européenne ont dû, eux aussi, renoncer à pronostiquer le retour de la croissance en Europe. Autant d’augures qui s’avèrent aussi incapables de comprendre la situation économique de la France et de la zone euro qu’ils furent aveugles devant la crise américaine, puis devant celle de l’euro.

Pas de traitement efficace sans un bon diagnostic. Au lieu de se projeter vers un – très hypothétique – avenir meilleur, il faut se reporter à l’héritage de la décennie écoulée.

En premier lieu, n’oublions pas que les plaies de la récession de 2008 et 2009 sont toujours béantes : le choc a miné les bases économiques et financières des nations occidentales. Des 14 millions d’emplois qui ont été alors détruits en Occident, dont 600 000 en France, une partie seulement a pu être reconstituée, principalement aux États-Unis et en Allemagne. Les déficits publics n’ont été comblés nulle part sauf, une fois encore, en Allemagne, où l’équilibre des comptes intérieurs s’appuie aujourd’hui sur un excédent extérieur considérable. L’ennui, c’est que cette situation n’est pas généralisable, dès lors que les excédents des uns supposent les déficits des autres. De fait, les dettes publiques ont dépassé un seuil critique presque partout, y compris aux États-Unis.

Il s’agit ensuite de comprendre que nous expérimentons une nouvelle phase de l’Union monétaire, celle de l’argent cher. La première, de 1999 à 2008, avait permis aux emprunteurs de la zone euro de s’endetter au meilleur coût ; la seconde, aujourd’hui, est caractérisée par la perte de crédit des emprunteurs privés et publics du Sud de l’Europe. Cette tendance est partiellement masquée par les injections de monnaie nouvelle consenties par la banque de Francfort aux banques du Sud, lesquelles placent ces liquidités sur les emprunts de leurs États respectifs, au mépris de la solvabilité de plus en plus douteuse de ces derniers. Mais seuls les États profitent de ces largesses : les entreprises italiennes ou espagnoles se voient imposer des taux élevés, voire exorbitants, sur leurs emprunts nouveaux.

Pour compléter le tableau, la croissance des pays émergents qui, entre 2009 et 2012, a amorti le choc en Occident, perd inexorablement de sa vigueur. Chine, Brésil et Inde connaissent une baisse de rythme constante, semestre après semestre. Le salut ne viendra donc pas des nouvelles puissances, surtout pas de cette Chine qui produit de plus en plus ce qu’elle importait auparavant de l’étranger1. Les bulles de crédit2 font craindre chaque jour davantage une crise chinoise et asiatique. Bref, le dynamisme du monde non occidental, qui devait nous tirer hors de l’ornière, s’essouffle à son tour.

Jacques Sapir a parlé, à propos de la France et de l’Europe, d’une politique « austéritaire » – qui conjugue le choix de l’austérité et la manière autoritaire. La doctrine de l’austérité était déjà au fondement de l’Acte unique et de la monnaie unique. En livrant les pays européens à la concurrence fiscale, voire sociale, les Delors, Prodi, Monti, Bolkestein et Barroso ont créé et imposé des contraintes destinées à leur permettre de rompre par étapes avec l’État social. Non seulement le projet a échoué, mais, ironie de l’Histoire, il a conduit, dans la première phase de l’Union monétaire, à une politique objectivement laxiste de dépenses publiques en Grèce et au dérapage des salaires dans toute l’Europe du Sud.

La deuxième phase de l’Union, celle de sa crise, ouvre la voie de l’austérité explicite fondée sur la nécessité d’améliorer les comptes publics dégradés et la compétitivité perdue. Cette austérité est générale : Grèce, Irlande, Portugal, Espagne y ont été contraints. L’Italie, au crédit moins discuté, s’y est résignée, les Pays-Bas, et même l’Allemagne, au crédit intact, et le Royaume-Uni, hors de l’euro mais dont le crédit n’a jamais été attaqué, se la sont infligée volontairement. La France fait encore vaguement figure d’exception : elle se rapproche du paradigme commun avec moult hésitations, préférant pour l’instant mettre à la diète son armée qui a surtout « le droit de la fermer ». En attendant, aucun pays ne pouvant plus compter sur le dynamisme de la demande des autres, l’austérité générale installe une spirale récessive, aggravée par la baisse des salaires en Europe du Sud.

Cette situation implique trois séries de conséquences. Premièrement, les déficits publics se maintiennent à un niveau élevé dans toute l’Europe du Sud, tandis que la marée du chômage continue de monter. Deuxièmement, la compétitivité apparente s’améliore, au prix d’un effondrement de la demande qui détruit des centaines de milliers d’entreprises et des millions d’emplois. Troisièmement, les pays du Nord, comme la France, subissent à la fois les effets de la chute de la demande autour d’eux et ceux d’une concurrence salariale accrue des pays du Sud. Il faudra bien admettre qu’une politique « austéritaire » pratiquée partout à la fois est vouée à l’échec.

La France, on l’a vu, ne se décide pas à sauter franchement dans le train de l’austérité. Pour la nomenklatura libérale, elle est donc la bombe à retardement de la crise européenne. Ceux qui voyaient dans les États-Unis le « régulateur de l’économie mondiale »3, qui ont acclamé successivement les modèles de développement anglais, espagnol ou irlandais, décrètent aujourd’hui que nous sommes l’« homme malade » de l’Europe.

Notre pays a pourtant consenti des sacrifices énormes au nom de l’Europe et de l’euro : accrochage à la parité monétaire allemande depuis 1983, débours importants pour les fonds de cohésion structurels, nouveaux engagements financiers à fonds perdus dans le cadre du Mécanisme européen de stabilité. Bref, attachée à la survie de la monnaie unique et à la poursuite de l’intégration du Continent quand l’Allemagne et le Royaume-Uni défendent leurs intérêts nationaux, la France est le meilleur élève de l’idéologie européenne.

Cependant, la voici au pied du mur. La récession est là : nous sommes entrés dans le huitième trimestre consécutif d’accroissement du chômage. La consommation française, qui a soutenu le reste de l’Europe durant la crise, chute. La construction se replie. Plus grave peut-être, après une embellie en 2011 (augmentation de 10% du montant des dépenses d’équipement des entreprises), l’investissement productif chute à son niveau le plus bas depuis la guerre : moins de 9% du PIB. Concomitamment, les profits s’effondrent au-dessous de 7% du PIB. Comme dit le langage médical, la situation du patient est préoccupante.

Il faut à tout prix écarter ce qu’on pourrait appeler l’« illusion allemande ». En l’absence de l’atout que constituent pour nos voisins la main-d’œuvre à bas prix de la Mitteleuropa et l’implantation commerciale planétaire des entreprises, la stratégie consistant à imiter l’Allemagne tournerait au ridicule.

Notre unique marge de manœuvre se trouve donc là où nous refusons de la chercher : dans la sortie de l’euro et dans la capacité de créer de la monnaie pour relancer l’investissement. Ces deux thèmes devraient être les obsessions quotidiennes des hommes et des femmes d’État français. Ils sont frappés d’interdit dans le débat public.

La sortie de l’euro aurait l’avantage de rétablir la compétitivité française sans totalement déprimer la consommation. Toute dévaluation tend à réduire le prix international du travail dans le pays concerné – c’est même son objectif. C’est ce dont ne veut pas entendre parler la nomenklatura, toujours attachée à sa chimère d’une baisse drastique des salaires qui aurait pourtant pour effet de décourager la consommation et, dans son sillage, l’investissement.

Il faudrait s’attendre à 4 ou 5 points d’inflation supplémentaires sur deux ans, avec une dépréciation de 20%, dans un contexte européen et mondial de déflation rampante. Pourtant, le risque majeur n’est pas l’inflation, mais la perte de crédit éventuel de l’État français et, corrélativement, de nombreuses entreprises, spontanément ou sous la pression des prêteurs et des traders de la City et de New York. Notre interlocuteur et notre adversaire, c’est Goldman Sachs.

Nous fêtons le trentième anniversaire de la grande bifurcation, qui a conduit la France à rallier la nouvelle organisation néolibérale – la politique dite « de rigueur » de mars 19834. À la même époque, on a choisi de confier la souscription des emprunts d’État à un panel de banques sélectionnées, les « primary dealers » ou « spécialistes en valeurs du Trésor ». Depuis lors, ce ne sont pas les épargnants (également contribuables et citoyens à leurs heures) qui souscrivent les emprunts publics, y compris ceux des États dont le crédit reste intact. Le hold-up des banques sur les dettes publiques, qui bat en brèche la liberté concurrentielle, est protégé par Bruxelles et Francfort.

En conséquence, une sortie de l’euro devra s’accompagner d’une autre décision majeure : l’émission, à destination des épargnants, de titres d’emprunts publics, à très long terme, assortis d’un intérêt et d’une indexation en bonne et due forme, et d’un régime fiscal favorable, qui pourrait permettre de lever 50 à 60 milliards d’euros. Sollicitons l’épargne des Français ! Si les porte-parole des banques se répandent pour nous détourner de cette « tentation », c’est qu’elle leur ôterait la capacité d’étrangler les États les plus indociles. Il faut donc impérativement suivre cette voie.

Pour le reste, optons pour la monétarisation des dépenses publiques prioritaires. À la différence de la monétisation des dettes publiques, préconisée par certains pour effacer l’héritage du passé, cette monétarisation ferait renaître l’État-investisseur: achèvement du réseau ferré à grande vitesse, dépenses d’armement à fort retour d’investissement5, sécurisation du parc nucléaire, soutien aux énergies renouvelables, investissement dans les universités scientifiques et médicales, recherche scientifique privée et publique. Cette action sur la dépense publique aurait un impact immédiat sur l’activité privée et l’investissement des entreprises dans les filières concernées et, en trois ou quatre trimestres, on observerait une croissance significative de la production et de l’emploi6.

Cessons donc d’attendre Grouchy – l’accélération de la demande mondiale − alors que Blücher – le diktat allemand − est déjà là. Il faut manœuvrer de façon décisive pour éviter le Waterloo économique. Mais où est le « héros sacrilège »7 capable d’une telle audace ?

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