Le vote grec ou la revanche du non au référendum de 2005

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Jacques Sapir dirige le groupe de recherche Irses à la FMSH, et coorganise avec l’Institut de prévision de l’économie nationale (IPEN-ASR) le séminaire franco-russe sur les problèmes financiers et monétaires du développement de la Russie. Vous pouvez lire ses chroniques sur son blog RussEurope.


La victoire du «Non» au référendum organisé en Grèce ce 5 juillet est un événement historique. En dépit des pressions nombreuses pour un vote «Oui» tant de la part des médias grecs que de celui des dirigeants de l’Union européenne, en dépit de l’organisation par la BCE des conditions d’une panique bancaire, le peuple grec a fait entendre sa voix. Il l’a fait avec une force inaccoutumée, puisque contrairement à ce que laissait penser les sondages réalisés à la sortie des urnes, la victoire du «Non» est obtenue avec un écart important, par près de 60%. Cela renforce bien évidemment le gouvernement d’Alexis Tsipras et devrait faire réfléchir ses interlocuteurs. Nous verrons rapidement ce qu’il en sera.

Cette victoire du «Non» n’est pas non plus sans réveiller des souvenirs amers en France. Elle a lieu quasiment dix ans après une autre victoire du «Non», cette fois dans notre pays (ainsi qu’au Pays-Bas). Il s’agissait alors, en 2005, du projet de Traité Constitutionnel Européen. Ce projet fut rejeté dans notre pays par plus de 54% des suffrages. Pourtant, après des manœuvres multiples, un texte presque similaire, le «Traité de Lisbonne», fut adopté au «congrès» quelques années après par le biais d’une alliance sans principe entre l’UMP et le PS. De là date certainement la rupture que l’on constate entre les élites politiques et médiatiques et les électeurs. Ce déni de la démocratie, ce vol d’un vote souverain, est une blessure profonde chez de nombreux français. La large victoire du «Non» grec vient réactiver cette blessure et pourrait pousser les électeurs à demander des comptes pour un passé qui décidément ne passe pas.

Le sens d’un «Non»

Mais, il faut comprendre le sens profond de ce «Non». Il s’oppose aux comportements très antidémocratiques des responsables tant de l’Eurogroupe que de la Commission européenne ou du Parlement européen. Il discrédite des personnalités comme Jean-Claude Juncker, ou M. Dijssenbloem, ou encore M. Martin Schulz, le Président du parlement. Il s’oppose surtout à la logique qui avait été mis en œuvre depuis le 27 juin, quand M. Dijssenbloem, Président de l’Eurogroupe, avait décidé d’exclure de fait M. Varoufakis, le Ministre des Finances grec d’une réunion. Ce geste inouï revenait à exclure la Grèce de la zone Euro. On doit alors remarquer l’étonnante passivité du Ministre Français, M. Michel Sapin. En acceptant de rester dans la salle, il fut connivent de l’abus de pouvoir commis par M. Dijssenbloem. Même si le gouvernement français dit actuellement qu’il veut que la Grèce reste dans la zone Euro, le comportement de l’un de ses membres éminent, qui plus est proche du Président de la République, vient apporter si ce n’est un démenti, du moins fait peser un doute sur la réalité de cet engagement. Le gouvernement grec n’a pas pu ne pas le noter et en prendre acte. De fait, nous avons été exclu d’une bataille où l’Allemagne à, que ce soit directement ou indirectement, largement inspirée les positions européennes.

Le fait que la BCE ait organisé dans la semaine du 28 juin au 5 juillet l’asphyxie financière des banques grecques, provoquant une émotion très compréhensible dans la population, est bien la preuve que les institutions européennes n’entendaient nullement continuer les négociations avec Alexis Tsipras mais cherchaient à obtenir soit son départ volontaire soit son renversement dans une de ces arnaques d’assemblée que rend possible un régime parlementaire comme le régime grec. Le référendum était aussi une tentative pour s’opposer à ces manœuvres. La victoire du «non» garantit que, pour un temps, le gouvernement Tsipras sera à l’abri de ce genre de tentative.

Une reprise des négociations est-elle possible?

Mais, cela ne signifie nullement que les négociations sur la question de la dette grecque, pourtant nécessaires, pourtant justifiées comme le rappelle un rapport du FMI opportunément publié en dépit des tentatives d’embargo de la part de l’Eurogroupe, pourront reprendre. Tous les économistes qui ont travaillé ce dossier, des personnalités illustrent comme Paul Krugman et Joseph Stiglitz (prix Nobel), des spécialistes internationaux comme James Galbraith ou Thomas Piketty, ont expliqué depuis des semaines que sans une restructuration de la dette accompagnée d’une annulation d’une partie de cette dernière, la Grèce ne pourrait retrouver le chemin de la croissance. Mais il faut faire vite, et il n’est pas dit que les institutions européennes, qui ont tenté d’empêcher la publication du rapport du FMI, le veuillent. Si la BCE ne se décide pas très rapidement à augmenter le plafond de l’accord d’urgence sur les liquidités (ELA), la situation deviendra rapidement critique en Grèce et ces négociations perdront tout sens. C’est ce qu’a dit Alexis Tsipras au soir de la victoire du «Non». Un accord est possible, si tant est que les deux parties le veuillent. Et, justement, on est en droit d’avoir un doute sur les intentions des institutions européennes.

Si, donc, la BCE n’augmentait pas le plafond de l’ELA, le gouvernement grec n’aurait plus le choix. Il devrait mettre en circulation des «certificats de paiements» qui constitueraient une monnaie parallèle ou il devrait prendre le contrôle de la Banque Centrale par décret et la forcer à mettre en circulation tant les billets qu’elle conserve que ceux qui sont conservés dans les banques commerciales sous son autorisation. Si une prise de contrôle de la Banque Centrale serait entièrement justifiée du fait du comportement de la BCE et de l’Eurogroupe, il est néanmoins probable que ce sera la première solution qui sera choisie. Cela conduira à un système à deux monnaies en Grèce, et d’ici quelques semaines on peut penser que l’une de ces deux monnaies disparaîtra. Nous serions confrontés à la sortie de l’Euro, au «Grexit».

La sortie de la Grèce de l’Euro est-elle en cours?

Il faut ici rappeler que cette sortie de l’Euro ne passe pas nécessairement (et obligatoirement) par une décision nette et tranchée. Elle peut résulter de la logique des circonstances et des réactions du gouvernement grec face au double jeu tant de l’Eurogroupe que de la BCE qui sont en train de l’étrangler financièrement. Il est là encore inouï qu’une Banque Centrale comme la BCE, qui a légalement en charge la stabilité du système bancaire dans les pays de la zone Euro, organise en réalité l’étranglement des banques et leur faillite. C’est un fait inouï, mais ce n’est pas un fait sans précédent.

En 1930, en Allemagne, le Président de la Reichbank, M. [amazon_link id=”2315006309″ target=”_blank” ]Hjalmar Schacht[/amazon_link], avait fait obstacle à un prêt américain au gouvernement de l’Allemagne de Weimar, provoquant une panique bancaire . Cette panique provoqua la chute de la coalition alors au pouvoir, et la démission du Ministre des Finances, le socialiste Rudolph Hilferding. Ayant obtenu ce qu’il désirait, Schacht leva son obstruction. On voit ainsi que l’action antidémocratique d’une Banque Centrale a un précédent, mais un précédent tragique. Avec l’arrivée du chancelier Brüning l’Allemagne fit le choix d’une austérité insensée qui porta quelques années après les Nazis au pouvoir. Ceci établit le pouvoir de la Reichbank comme un pouvoir parallèle à celui du gouvernement. Le terme de «Nebenregierung» ou «gouvernement parallèle» est d’ailleurs passé dans le discours technique et historique en Allemagne.

On est donc en droit de se demander si la sortie de la Grèce de la zone Euro n’a pas commencée depuis maintenant une semaine. Mais il est clair, alors, que cette sortie est entièrement du fait de l’Eurogroupe et de la BCE. Il s’agit en réalité d’une expulsion acte à la fois scandaleux et illégal, qui légitimerait le recours par les autorités grecques aux mesures les plus radicales.

La grande crainte des prêtres de l’Euro

Car, disons le, une chose terrorise totalement les responsables européens: que la Grèce fasse la démonstration qu’il y a une vie hors de l’Euro, et que cette vie peut, sous certaines conditions, s’avérer meilleure que celle que l’on a dans l’Euro. Telle est leur grande crainte, telle est ce qui les remplit d’effroi. Car ceci montrerait à tous, aux Portugais, aux Espagnols, aux Italiens et aux Français le chemin à suivre. Ceci dévoilerait tant l’immense fraude qu’a représenté l’Euro, qui ne fut pas un instrument de croissance ni même un instrument de stabilité pour les pays qui l’ont adopté, que la nature tyrannique du pouvoir non élu de l’Eurogroupe et de la BCE.

Il est donc possible, voire probable, que les dirigeants de l’Eurogroupe et de la BCE fassent tout ce qui est en leur pouvoir pour provoquer le chaos en Grèce. Il convient donc que le gouvernement grec, tout en cherchant à négocier honnêtement comme il le fit depuis février 2015, se prépare aux mesures qui assureront la stabilité dans le pays et le fonctionnement normal de l’économie et des institutions, fut-il pour cela obligé de prendre des libertés avec la lettre des traités. Après tout, ce n’est pas lui qui les brisa le premier, et l’on peut considérer que l’action tant de l’Eurogroupe que de la BCE depuis une semaine ont constitué des actes contraires et en contravention tant avec la fond qu’avec la forme de ces dits traités.

 

 

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