La descente aux Enfers d’Emmanuel Macron se poursuit. Mais, il entraine la France dans sa chute. Sa gestion, catastrophique, de la colère sociale a abouti à refaire des forces de police et de gendarmerie les « ennemis du peuple », dans une logique que l’on croyait disparue depuis les attentats du 7 janvier 2015 (Charlie Hebdo et l’Hypercasher), et la tragique séquence qu’ils ouvraient.
Le souvenir de figures Ahmed Merabet ou Frank Brinsolaro, ces policiers victimes des terroristes en tentant de protéger les victimes à Charlie, et jusqu’à celle du colonel Arnaud Beltrame, tombé en janvier 2018, il y a moins d’un an, s’effacent devant celles des policiers qui éborgnent et défigurent, utilisant – ce qui est contraire aux réglements – leurs Flash Ball pour viser la tête des manifestants. Mesurée à cette aune, le bilan d’Emmanuel Macron, qui disait pourtant lors de son élection qu’il entendait réconcilier les français, est terrible. Il est probablement irrémédiable. Par ses actes, comme par ses propos, Emmanuel Macron conduit la France vers le chaos. Il est devenu aujourd’hui, tant par sa politique, justement détestée, que par sa personne, parfois injustement haïe, le symbole d’une division radicale entre les français.
Un gouvernement, sourd, aveugle et muet (sur l’essentiel)
La déclaration du Premier-ministre sur TF1 lors du journal du 7 janvier confirme que ce gouvernement, et ce Président, n’ont rien compris et rien appris aux événements qui se succèdent depuis maintenant près de deux mois. Il a réclamé des peines exemplaires, mais la justice est en France (théoriquement) indépendante. Ce n’était pas à lui de faire une telle déclaration. Il s’est déclaré choqué par les images diffusées à propos de « l’acte VIII », la manifestation du 5 janvier. Mais, il n’a pas eu un mot pour les victimes des forces de police. Le Premier-ministre entend donc donner une réponse « sécuritaire » aux « violences » provoquées par ce mouvement ; mais il ne se rend pas compte que la seule réponse susceptible de faire baisser le niveau de violence (ce qui est hautement souhaitable) est une réponse politique.
Une telle attitude ne peut qu’enfermer un peu plus le pouvoir dans la spirale répression-dénonciations-manifestations-répression. Elle démontre que ce gouvernement est aujourd’hui purement réactif et a perdu l’initiative. Car, les mesures annoncées depuis le 10 décembre ont toutes pour caractéristique « trop peu, trop tard ». Même des mesures réellement sérieuses sur le pouvoir d’achat, comme une augmentation généralisée du SMIC de 20%, mesures qui sont pour l’heure impossibles du fait de l’appartenance de la France à la zone Euro, ne sauraient être tenues pour des réponses suffisantes.
La question posée est celle de la démocratie, à travers la revendication du scrutin proportionnel et du référendum d’initiative citoyenne. C’est sur ces points qu’une réponse était attendue. Force est de constater qu’elle n’est pas venue.
Cette situation de crise engendre désormais une coupure grave entre les Français et les forces de l’ordre. Elle a détruit, et c’est de l’entière responsabilité du gouvernement, ce qui avait pu être construit depuis les attentats de 2015 et 2016. L’usage des forces de l’ordre a en effet provoqué des centaines de blessés, dont certains très graves, comme je l’indiquais dans un précédent billet[1]. Des femmes et des hommes ont été éborgnés ou grièvement blessés. Alors, il faut dire que certains, une petite minorité, de ces cas sont des accidents. Que certains, plus nombreux, relèvent de « bavures » de policiers ou de gendarmes, bavures qui doivent toutes faire l’objet d’enquête et, le cas échéant, de poursuites judiciaires. Mais, au-delà de ces accidents, hélas probablement inévitables, de ces bavures, il y a une volonté politique. Elle met en cause le Préfet de Police, le Ministre de l’Intérieur et, bien entendu, le Premier-ministre Edouard Philippe.
Le symptôme du boxeur
L’épisode dit « du boxeur » sur la passerelle enjambant la Seine est symptomatique. Tout le monde à en mémoire la vidéo où l’on voit Christophe Dettinger frapper un policier. Cet événement a presque relégué dans l’obscurité la vidéo ou l’on voit un policier, gradé et décoré, venir frapper de sang-froid plusieurs manifestants. Mais il est important aussi de voir la vidéo des minutes précédant son acte[2]. Elle éclaire de manière significative le contexte dans lequel il a eu lieu. Christophe Dettinger a publié une vidéo où il s’explique et dit regretter son acte[3].
Au delà des faits, qui auront à être jugés, le soutien dont il bénéficie dans une grande partie de l’opinion doit être pris en compte. Une « cagnotte » de soutien, constituée sur une plate-forme numérique, a recueilli en moins de 48h plus de 120 000 euros. Quand on sait que les montants moyens des dons sont de l’ordre de 17 euros, cela implique que plus de 7000 personnes ont contribué à cette cagnotte, qui devrait l’aider à payer des avocats. Une telle mobilisation pour un individu isolé est assez exceptionnelle. Elle dit beaucoup de choses sur l’état de la situation. Face à ce qu’il faut bien appeler un mouvement de solidarité, la réponse du gouvernement, par l’intermédiaire de Mme Schiappa est consternante. Cette femme, ci-devant Ministre, ne sait visiblement pas que cette cagnotte est parfaitement légale et qu’elle n’attente en rien aux « valeurs » de la République. A moins que pour Mme Schiappa, elle ne connaisse de la République que les valeurs mobilères…
Alors, on peut aussi dire qu’il y a dans cette mobilisation une fascination pour le geste : un homme boxant à mains nues un policier lourdement protégé. Ce geste n’est cependant pas si unique que l’on a bien voulu le dire. Dans les manifestations violentes du début des années 1970 auxquelles j’ai participé, que ce soit celle du 21 juin 1973, celle de protestation après l’assassinat de Pierre Overney, ou d’autres, les affrontements avec la police furent extrêmement violents, bien plus que lors de cet incident. J’ai le souvenir que le 21 juin, la police avait du reculer significativement. Lors d’une manifestation contre les bombardements américains sur le Nord-Vietnam le 20 janvier 1973, j’ai vu un groupe de trois manifestants faire reculer sur plus de vingt mètres une vingtaine de policiers. Bien sûr, tout cela date d’avant les téléphones portables qui, aujourd’hui, enregistrent tout. Ce qui rend unique le geste de Christophe Dettinger est que ce dernier n’est pas un militant d’une quelconque organisation. Il ne fait pas partie d’un « service d’ordre », comme il en existait alors dans de nombreuses organisations d’extrême-gauche. Il était un manifestant isolé. Ce passage à l’acte aussi interpelle les français, et il explique dans une large mesure l’élan de solidarité qui se manifeste aujourd’hui.
Car, pour regrettables et condamnables que soient les faits, ils traduisent l’immense colère d’un mouvement que le pouvoir s’obstine à ne pas entendre, muré qu’il est dans ses certitudes et dans l’idée (absurde) qu’il représente le « camp du bien ». Il y a toute l’exaspération de ces gens, qui n’avaient jusque là jamais manifesté de leur vie, et qui ont fait en deux mois l’expérience de la violence gouvernementale, mais aussi de l’autisme politique du pouvoir. Il faut s’en rendre compte : il y a dans des secteurs entiers de la population française une immense colère qui ne cesse de monter. Cette même colère qui transforme les mouvements pacifiques en émeutes, et les émeutes en révolutions. Cette colère se nourrit aussi de la différence de traitement qui existe entre les violences policières et les violences de manifestants.
Cette colère se nourrit, enfin, du mépris et de la haine qu’affichent de manière décomplexée les éditorialistes aux gages du pouvoir. Que l’on pense aux déclarations scandaleuses et criminelles (au sens d’incitation au meurtre) d’un Luc Ferry appelant l’armée à tirer sur des gilets jaunes…[4]
Un gouvernement dans l’impasse
Le problème qui est aujourd’hui posé au gouvernement est de faire retomber la violence et de canaliser la colère. Dire qu’il n’en prend pas le chemin, multipliant provocations sur provocations, que ces dernières soient volontaires ou involontaires, est un euphémisme. Mais, que peut-il faire ? La première des actions serait de reconnaître la légitimité des revendications des Gilets Jaunes. Mais, on voit bien ici poindre les problèmes politiques.
Si l’on parle des revendications politiques, comme l’établissement du scrutin à la proportionnelle et le référendum d’initiative citoyenne, ces innovations menacent de désarticuler le cadre de ce que l’on peut appeler « l’Etat Fort », et qui en réalité décrit l’ensemble des mesures politiques qui assurent à une petite minorité de pouvoir gouverner même face à des oppositions populaires majoritaires. On comprend pourquoi Emmanuel Macron voudrait vider ces innovations de leur contenu réellement démocratique en les cantonnant dans des limites qui leur enlèveraient tout sens.
Si l’on parle des revendications de justice fiscale, ces dernières ne sont en réalité pas possibles tant que la liberté des capitaux sera élevée au rang de principe. Car, c’est cette liberté de capitaux qui permet aux grandes fortunes et aux entreprises largement bénéficiaires de pouvoir jouer avec la loi. Or, les atteintes à la liberté des capitaux sont prohibées par l’Union européenne.
Si l’on parle des mesures concernant le pouvoir d’achat, elles se heurtent à la trop fameuse « compétitivité internationale » de la France qui joue ici le rôle d’une règle de fer dans un pays qui ne peut pas déprécier sa monnaie. Car, il faut s’en souvenir, ce qui contraint toute politique de partage des richesses créées par le travail, c’est la monnaie unique, c’est l’Euro.
On conçoit qu’Emmanuel Macron et son gouvernement n’ont nulle intention de remettre en cause les règles de l’UE ni de sortir de l’Euro. On comprend aussi qu’ils tiennent comme à la prunelle de leurs yeux aux dispositions qui leur permettent cet exercice minoritaire du pouvoir dans lequel ils se complaisent avec une malsaine délectation. Sommes nous alors condamnés à voir la violence monter de samedi en samedi, d’acte en acte ? Il reste une solution, mais sa pertinence est limitée dans le temps : le retour aux urnes par la dissolution de l’Assemblée nationale. Même si cette solution est imparfaite, car elle ne règlerait en rien l’inégalité de représentation des opinions qui est liée au scrutin uninominal d’arrondissement à deux tours, elle pourrait aujourd’hui constituer un exutoire logique à la crise. Mais il faut faire vite. Qu’il y ait un mort, que ce soit dans les forces de l’ordre ou chez les manifestants, et même cette solution perdra toute efficacité.
Emmanuel Macron porte déjà une responsabilité historique : celle d’avoir provoqué par ses dires et ses actes la crise sociale la plus violente que la France ait connue depuis 1968. S’il persiste dans son attitude et dans ses provocations, il peut conduire la France au chaos. Il est temps qu’il comprenne que sa politique a échoué. L’échec est évident, qu’il s’agisse de la politique intérieur ou de la politique extérieur, domaine dans lequel il a perdu, du fait des événements, toute crédibilité. La légitimité de son pouvoir est durablement atteinte et, sa légalité le sera bientôt. Il est temps qu’il comprenne que seul un retour aux urnes peut dénouer cette crise. Il est temps qu’il comprenne enfin que le temps n’attend pas.
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