Bir Hakeim, le Vel’ d’Hiv’ et Emmanuel Macron

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Le discours d’Emmanuel Macron lors du 75ème anniversaire de la rafle du Vel d’Hiv’ continue de soulever la polémique. En attribuant à la France la responsabilité de cet acte atroce choque et scandalise, il va à l’encontre de ce que dit le droit constitutionnel sur ce sujet. Les critiques faites ont été nombreuses. J’y ai contribué[1], mais je voudrais ici signaler le texte que Bertrand Renouvin a publié sur son blog[2]. Cependant, on peut considérer maintenant que le scandale du discours d’Emmanuel Macron va bien plus loin que ce que l’on pensait.

 

Un Président ignorant du droit

Ce discours d’Emmanuel Macron est bien entendu particulièrement malencontreux non seulement par ce qu’il foule aux pieds le droit constitutionnel, un droit dont le Président devrait être le premier garant[3]. Mais, il va même à l’encontre de la Convention de La Haye de 1907 sur le droit de la guerre, une convention dont tout féru de mémoire que soit Emmanuel Macron, il semble ignorer le texte. Ce dernier, en effet, stipule que les forces de police sont placées sous l’autorité de la puissance occupante dans le cas d’une occupation.

Cette convention précise en effet dans sa section III « DE L’AUTORITE MILITAIRE SUR LE TERRITOIRE DE L’ETAT ENNEMI. » à l’article 43[4] : « L’autorité́ du pouvoir légal ayant passé de fait entre les mains de l’occupant, celui-ci prendra toutes les mesures qui dépendent de lui en vue de rétablir et d’assurer, autant qu’il est possible, l’ordre et la vie publics en respectant, sauf empêchement absolu, les lois en vigueur dans le pays. »

On peut donc en déduire que la responsabilité des actes commis par l’Etat Français de Vichy dans la « zone occupée » renvoie directement à la responsabilité de l’occupant, c’est à dire de l’Allemagne nazie. L’Etat Français de Vichy ne jouissait d’aucune liberté, si ce n’est celle d’aller au-devant des demandes de l’occupant. Mais, cela signifie que les demandes de l’occupant déterminaient, de manière directe ou indirecte, les décisions de l’Etat Français de Vichy. Ce dernier ne devant être ici considéré que comme une dépendance, pour les territoires occupés, de l’Allemagne nazie.

On doit ici, de plus, relever une autre faute d’Emmanuel Macron, une faute qui éclaire justement l’idéologie dont il est porteur. Il aurait pu, et on peut considérer qu’il aurait même dû, commémorer le 75ème anniversaire des combats de Bir Hakeim, et dire qu’à ce moment de l’histoire des français se battaient, et que la France Libre y gagnait la reconnaissance des britanniques. Ces combats qui se sont déroulés du 26 mai au 11 juin 1942[5] ont été particulièrement symboliques car, aux yeux des Alliés comme aux yeux de l’ennemi, ils témoignaient que la France Libre était bien présente sur le champ de bataille.

 

Bir Hakeim, ou l’anti-Vel d’Hiv’

Ces combats font partie de la bataille de Gazala qui opposa les forces Germano-Italiennes, sous le commandement du Général Erwin Rommel aux forces du Commonwealth sous le commandement du Général Ritchie puis du Général Auchinlek. La position de Bir Hakeim se trouve à l’extrême sud du dispositif de la 8ème armée britannique. Le plan suivi par Rommel consiste justement à passer par le sud pour envelopper et détruire les unités de la 8ème armée. Si les unités mobiles peuvent contourner Bir Hakeim, il n’en va pas de même pour la logistique de l’Afrikakorps. C’est pourquoi Bir Hakeim occupe une position stratégique.

 

La bataille de GAZALA (mai-juin 1942)

Les forces françaises libres, sous le commandement du Général Koenig, et comprenant des personnalités charismatiques comme le Lt-Colonel Amilakvari, Pierre Messmer ou le capitaine de corvette Amyot d’Inville, se composent de 3700 hommes, dont les origines très diverses, troupes de la Légion Etrangère (dont de nombreux républicains espagnols), troupes coloniales, bataillon juif et bataillon du Pacifique apparaissent comme « …une étonnante synthèse de la France et de son empire »[6]. Constamment attaqués par les forces Germano-Italiennes, les Français Libres tiendront bien plus longtemps que ce que le commandement avait demandé, infligeant des pertes très lourdes à l’ennemi mais surtout bloquant sa logistique pendant une quinzaine de jour et fournissant un répit précieux à la 8ème armée pour se remettre du coup porté par Rommel, et pour reconstituer ses défenses à El Alamein ou Rommel sera définitivement arrêté. C’est pourquoi la bataille de Bir Hakeim, opposant 3700 hommes, encerclés, sans vivres ni eau, à une grande partie de l’Afrikakorps est tellement importante.

Le bilan des combats parle par lui-même. Pour les forces de l’Axes, on comptera 3 300 hommes ont été tués, blessés ou ont disparu, 272 ont été fait prisonniers (149 Italiens, 123 Allemands), 52 chars et 11 automitrailleuses, ainsi que plusieurs dizaines de camions ont été détruits, et probablement une cinquantaine de chars endommagés, qui seront réparés dans les semaines suivantes. Pour les Français Libres, cette bataille d’une violence extraordinaire se soldera par 99 tués et 109 blessés, pendant le siège, et 41 tués, 21 blessés et 763 disparus (dont 600 prisonniers), lors de la sortie.

 

Signification militaire et signification politique de Bir Hakeim

Si la signification militaire de cette bataille ne fait aucun doute, ses répercussions politiques sont encore plus importantes. Le maréchal Claude Auchinleck va ainsi déclarer le 12 juin 1942, à propos de Bir Hakeim : « Les Nations unies se doivent d’être remplies d’admiration et de reconnaissance, à l’égard de ces troupes françaises et de leur vaillant général Koenig »[7]. Winston Churchill rendra lui aussi hommage aux combattants de Bir Hakeim, et à la signification stratégique de leur combat.

Il est d’ailleurs significatif qu’Hitler lui-même en prendra acte[8], et que l’Allemagne cessera de considérer les combattants français libres comme des « francs tireurs » pour leur reconnaître l’application de la convention de Genève sur les prisonniers de guerre. Or, cette convention lie des Etats. De fait, la France Libre est reconnue comme la représentante de la France à partir de ce moment là, y compris par l’Allemagne et l’Italie (qui elle aussi étendra le bénéfice de la convention de Genève aux Français Libres prisonniers). André Malraux dira au sujet de cette bataille : « Nous ne tenons pas Bir Hakeim pour Austerlitz. Mais, comme le premier combat de Jeanne d’Arc à Orléans, Bir Hakeim a été la preuve que la France n’était pas morte ».

Seuls, les Etats-Unis persisteront dans la politique consistant à voir dans les autorités de Vichy, la représentation légitime de la France, ce qui conduira aux difficultés que l’on sait à la suite de l’opération Torch. Ils n’abandonneront définitivement cette politique qu’à la veille du débarquement en Normandie du 6 juin 1944.

Et c’est ici que se révèle, implicitement, l’idéologie d’Emmanuel Macron.

 

Un Président engoncé dans l’idéologie américaine

En effet, notre Président semble avoir fait sienne ce qui était la politique de Roosevelt, qui ne reconnut la France Libre que contraint et forcé. L’idéologie américaine est celle d’une culpabilité générale des pays occupé. Elle se fonde d’une part sur l’ignorance des mécanismes d’occupation et de résistance, mécanismes tant psychologiques que militaires qui restent parfaitement étrangers aux américains, mais d’autre part sur la volonté absolue d’avoir avec la Grande-Bretagne le monopole du « camp du bien ». Elle réduit la seconde guerre mondiale à un combat entre les Etats-Unis et les forces de l’Axe, et va jusqu’à passer sous silence la contribution de l’URSS, oubliant que de 1941 à fin 1943, près de 75% des forces allemandes se battaient contre l’Armée Rouge (la RKKA). Cette idéologie est foncièrement a-politique même si elle sert – à l’évidence – des objectifs politiques, et la France avait constamment lutté contre elle, et les dérives qu’elle impliquait, en particulier au moment de l’invasion de l’Irak en 2003.

Par sa déclaration, notre Président montre qu’il se situe non pas dans la pensée française, et au-delà continentale, mais bien dans la pensée américaine. Il est probable que lui-même ne mesure pas ce que cela implique, et où cela le conduira. Mais, les conséquences en seront des plus pernicieuses, et probablement des plus dramatiques.

 

Notes

[1] Voir https://russeurope.hypotheses.org/6148

[2] Voir Renouvin B., Emmanuel Macron, le Vel d’Hiv, la mémoire et l’histoire – Chronique 140 http://www.bertrand-renouvin.fr/emmanuel-macron-le-vel-dhiv-la-memoire-et-lhistoire-chronique-140/

[3] Berlia G, « La loi constitutionnelle du 10 juillet 1940 », Revue de Droit Public, 1944 ; G. Liet-Veaux, « La fraude à la Constitution », RDP, 1943 ; Nguyen Quoc Dinh, « La loi constitutionnelle du 2 novembre 1945 portant organisation provisoire des pouvoirs publics », RDP, 1946

[4] http://www.western-armenia.eu/WANC/Armenie-Occidentale/CNA/Convention/Convention-de-la-Haye-1907.pdf

[5] Voir Bernard Saint-Hillier, « La bataille de Bir-Hakeim », Revue de la France libre, n° 259, 3e trimestre 1987, http://www.france-libre.net/temoignages-documents/temoignages/bataille-bir-hakeim-st-hillier.php

[6] Yves Gras, La 1 DFL – Les Français libres au combat, Presses de la Cité, 1983.

[7] Charles de Gaulle, Mémoires de guerre, édition La Pléiade, p. 260.

[8] http://books.google.fr/books?id=HBHi6KEfSRkC&pg=PT111&lpg=PT111&dq=Vous+entendez,+messieurs,+ce+que+raconte+Koch&source=bl&ots=gZDvSbdWKQ&sig=W9hpdTChd0Ko0MD9q7JJNWLYPyY&hl=fr#v=onepage&q=Vous%20entendez%2C%20messieurs%2C%20ce%20que%20raconte%20Koch&f=false .

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