La cage aux phobes

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Homophobes, islamophobes, handiphobes : la bien-pensance et l’idéologie dominante ont besoin d’ennemis. Quitte à les inventer.

«S’il y a quelque chose qui marche très fort, en ce moment, et qui marchera de plus en plus, au fur et à mesure que l’espèce humaine exigera davantage d’être aimée sans conditions, dans toutes ses “différences“ devenues autant de mini-impérialismes, dans ses plus petites particularités et ses moindres caprices, c’est la chasse aux phobes. A tous les phobes. Du moins ceux qui ne sont pas dans le coup, dans l’étrange coup du monde où nous entrons, c’est à dire qui ne peuvent pas se revendiquer d’une appartenance spéciale, d’un particularisme précisément, d’une “différence“ considérée comme gratifiante à la bourse des valeurs d’aujourd’hui, et qui ont l’audace de manifester, sur quelque point que ce soit, l’un de ces symptômes d’angoisse exagérée qu’on appelle une phobie», écrivait Philippe Muray en 1999 dans un article intitulé «La cage aux phobes». L’auteur d’Exorcismes spirituels et de L’Empire du Bien pointait déjà le coupable idéal : «c’est l’homophobe, en vérité, et ça commence à se savoir, qui est en ce moment le monstre principal.»

Cherchez le phobe

Les récents «débats» sur le mariage homosexuel ont évidemment remis au goût du jour la chasse à «l’homophobe», étant entendu qu’aux yeux de nombreux médias et des partisans les plus acharnés du projet de loi, tout opposant relève de l’homophobie. Peu importe que cette homophobie soit en réalité ultra marginale dans la société française, le péril imaginaire doit être entretenu. Rendant compte de la manifestation parisienne du 13 janvier des anti-mariage, Libération – obligé d’admettre qu’aucun slogan, pancarte ou autre expression publique n’avait trempé dans l’homophobie – dénonça donc une «homophobie latente». Par essence, un adversaire du mariage gay est un «phobe». S’il n’exprime pas son vice, c’est parce que ce fourbe pratique la dissimulation.

Voici quelques jours, la fédération des jeunes UMP de Haute-Garonne a été au centre d’une violente polémique suite à un texte autour du «suicide homo» publié sur son site Internet. Intitulé «Tu ne seras pas une pédale mon fils» et illustré par la photo d’un jeune homme pendu, il n’est pas passé inaperçu. Aussitôt, l’Association des familles homoparentales (ADFH) dénonce «le niveau maximum de l’homophobie et du morbide indécent», menace de poursuites judiciaires et réclame à Jean-François Copé la dissolution de sa fédération 31. Les jeunes socialistes et d’autres embrayent et rapidement le responsable départemental des jeunes UMP, Gilles Brouquières, publie un communiqué : «Les Jeunes Pop 31 sont conscients de l’émoi suscité chez les associations homosexuelles et nous le regrettons car nous défendons les valeurs qui sont les nôtres, contre l’homophobie, et toutes les formes de discriminations, dans le respect du droit à la différence, pour la tolérance.»

Envie de pénal

Car, évidemment, ce texte voulait, contrairement à ce que firent mine de croire les inquisiteurs du jour, «attirer l’attention sur les conséquences dramatiques et horribles de l’homophobie». «Nous sommes d’autant plus embarrassés que l’article était favorable au mariage gay et que nous ne sommes pas très nombreux à défendre cette idée à l’UMP», précisa encore Gilles Brouquières. Quant au visuel qui suscita tant d’émoi, il s’agissait d’une image détournée, provenant d’un groupe baptisé «Homosexualité et socialisme» que l’on n’imagine guère dans le camp de la réaction.

Cette anecdote est exemplaire de l’état d’esprit d’une bien-pensance avide de procès en sorcellerie, de procès tout court («l’envie de pénal», selon la formule de Muray), et s’inventant des ennemis virtuels. Revenons encore à Philippe Muray qui avait parfaitement analysé ce phénomène : «Une nouvelle théocratie voit le jour, attisée par les médias qui en ont furieusement besoin pour croire qu’ils existent. La nostalgie de l’“autre“, de l’adversaire disparu, conduit de plus en plus d’humains à rechercher des oppositions, des mauvais objets, des méchants à réprimer pour que l’existence retrouve une signification.» On voit aussi à l’œuvre ici l’hémiplégie intellectuelle et le sectarisme d’une certaine gauche obéissant au réflexe de Pavlov : un encarté UMP est présupposé homophobe, même quand il s’affiche en faveur du mariage homo…

D’une phobie à l’autre

La chasse aux phobes s’étend par ailleurs à presque tous les sujets ou domaines. Xénophobie, islamophobie, germanophobie, handiphobie, technophobie (qui ne vise pas les allergiques à la musique techno, mais ceux rétifs à la technique et à la technologie) : le concept a le vent en poupe. Ce mercredi 6 février, la sénatrice écologiste Esther Benbassa présentait au Palais du Luxembourg son rapport consacré au projet de loi, adopté à l’Assemblée, sur les délais de prescription des infractions prévues par la loi sur la liberté de la presse du 29 juillet 1881, commises en raison du sexe, de l’orientation ou de l’identité sexuelle ou du handicap. L’invitation à la presse de la sénatrice annonçait clairement le programme : «Homophobie, sexisme, handiphobie, vers un nouveau délai de prescription». Rappelons qu’auparavant, Esther Benbassa a largement fait carrière sur le créneau porteur de la lutte contre «l’islamophobie».

Evidemment, les procès en «phobie» possèdent un avantage décisif : interdire le débat. On ne discute pas avec un «phobe», on le condamne, on le méprise, on l’ignore. Les plus charitables envisageront de le rééduquer, de le remettre dans le droit chemin, de le soigner. Les positions du «phobe» sont ainsi renvoyées au domaine de la psychiatrie et de la maladie mentale. Du temps de la glorieuse URSS, certains dissidents étaient placés en hôpital psychiatrique. Ce type de traitement avait sa logique : il fallait en effet être un peu «fou» pour braver le pouvoir. Bien sûr, nous n’en sommes pas là sous les latitudes de notre démocratie tempérée par le lynchage médiatique.

Ne pas déraper

Le mardi 8 janvier, les jeunes socialistes ont lancé un site Internet, «Alerte élus homophobes», appelant les citoyens à dénoncer les «dérapages homophobes» des élus. Il faut ainsi signaler sur le site la «date du dérapage», le «lieu du dérapage» et la «teneur du dérapage». Précisons que tout cela est très sérieux et qu’il ne s’agit pas d’une pochade. Une vingtaine de «dérapeurs», de droite, forcément de droite, ont été rapidement épinglés. N’allez pas dire aux ingénieux créateurs de ce site que leurs méthodes s’apparentent à une forme de délation, ils s’indigneraient. Ne sont-ils pas dans le camp du Bien, de la Raison et du Progrès ? Dans ce cas, tous les coups sont permis.

Il conviendrait même de développer le procédé. Le «phobe» a tendance à se cacher, à réserver ses saillies discriminantes et ses dérapages à la sphère privée : amis, famille… Aussi, un «antiphobe» conséquent devrait élargir son combat à la population tout entière et pas seulement aux élus. Dans cette croisade, les enfants pourraient être de précieux informateurs en surveillant les conversations de leurs parents. On plaisante, ce temps n’est pas encore venu. Mais dans ce pays où sévissent tant de «vigilants», de gardiens de la morale, de flics de la pensée, de censeurs et autres garants des bonnes mœurs, on peut s’étonner qu’aucune de ces belles âmes n’ait considéré l’initiative des jeunes socialistes comme un léger dérapage…

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