On attendait, bien sûr, que Jean-Claude Michéa s’exprime sur les Gilets jaunes. Je partage avec lui la jouissance que me procure ce mouvement. On croyait le peuple français définitivement décérébré avec la destruction de l’école, l’épuration des universités où il n’est plus possible de faire une carrière académique normale si l’on ne fait pas génuflexion devant “la lutte contre les discriminations, le développement durable, la théorie du genre….” toutes théories délirantes sans aucune base scientifique, qui aboutissent à l‘apartheid pour tous , la pollution et le massacre de l’environnement organisé par les lobbys de l’éolien au nom de la transition énergétique, le massacre de notre indépendance énergétique au nom de la lutte contre le CO2 qui n’est pas un polluant…. la liste est longue. Et ne parlons pas des journalistes, des reporters de BFM qui récitent leurs banalités en apnée avec cette scansion qui leur donne l’impression d’exister au-delà de l’inanité militante de leurs propos, pour les meilleurs sortis de l’Ecole du Parti, Sciences Pot, où l’on apprend et pratique l’entre-soi de ceux qui ont par construction “raison” et qui apprennent à l’organiser en sociétés d’admiration mutuelle où les mêmes ne parlent qu’aux mêmes et s’auto convainquent de leur supériorité.
Il est jouissif de voir les réactions des organisatrices de la manifestation concomitante des celles des Gilets jaunes contre les violences faites aux femmes, protestant contre cette irruption du peuple dans une des grand-messes rituelles de la bobocratie. Violences faites aux femmes? Bien sûr qu’il faut les combattre! Mais il ne serait pas venu à l’idée de ces manifestantes du Parti du Bien qu’après 40 ans de révolution libérale-libertaire qui devaient briser les tabous, qui ont propagé le relativisme du “c’est mon droit”, ces violences auraient du diminuer alors qu’elles ont augmenté. Et sans parler de la vénération de ces courants pour l’islamisme qui en connaît un rayon en matière de violences aux femmes.
Mais il est surtout jouissif de voir l’extreme-gauche du capital, selon l’heureuse expression du trotskiste repenti, Charles Robin, révéler son vrai visage avec les déferlements de haine de classe contre le peuple de beaufs qui ose se dresser contre leur système, dans des éditoriaux et caricatures immondes, incommodés qu’ils sont par cette “dérangeante odeur du pauvre”, comme l’analyse avec son brio habituel le juriste Régis de Castelnau. La gauche bien-pensante nous ramène au temps de Je Suis Partout, ce journal d’extrême-droite où écrivait Brasillach qui deviendra ouvertement nazi.
Grâce à la gauche, le parti oligarchique a magnifiquement réussi son coup. Il a réussi à implanter partout la logique de discipline qui lui est nécessaire: universités, business schools, conseils en management, la logique de discipline s’est installée partout. Et elle l’a fait pacifiquement, selon la logique du soft power. Chapeau l’artiste! La France n’est plus aujourd’hui une démocratie, c’est un système oligarchique qui ne tolère aucune opposition mais qui le fait au nom du Bien. Besancenot partage avec Carlos Goshn l’idéologie du “citoyen du monde”, c’est-dire citoyen de nulle part, sans attache, sans héritage et donc sans avenir. C’est la réalisation de la prédiction de Karl Marx en 1848 sur le caractère révolutionnaire du capitalisme :
“La bourgeoisie ne peut exister sans révolutionner constamment les instruments de production, ce qui veut dire les rapports de production, c’est-à-dire l’ensemble des rapports sociaux. Le maintien sans changement de l’ancien mode de production était, au contraire, pour toutes les classes industrielles antérieures, la condition première de leur existence. Ce bouleversement continuel de la production, ce constant ébranlement de tout le système social, cette agitation et cette insécurité perpétuelle distinguent l’époque bourgeoise de toutes les précédentes. Tous les rapports sociaux, figés et couverts de rouille, avec leur cortège de conceptions et d’idées antiques et vénérables, se dissolvent; ceux qui les remplacent vieillissent avant d’avoir pu s’ossifier. Tout ce qui avait solidité et permanence s’en va en fumée, tout ce qui était sacré est profané, et les hommes sont forcés enfin d’envisager leurs conditions d’existence et leurs rapports réciproques avec des yeux désabusés.” (Karl Marx Manifeste de 1848).
Sans “la gauche” qui s’est spécialisée dans la “révolution permanente des moeurs” et s’est attaquée à toutes les structures sociales qui n’était pas encore soumises à la loi du marché – avec le long épisode jamais terminé du “mariage pour tous“- l’oligarchie n’y serait jamais parvenue.
Mais boum patatras! Il reste le peuple français, dont Alexis de Tocqueville décrit le “caractère inaltérable” et sa capacité de tromper ses maîtres en conclusion de l’Ancien Régime et la Révolution : “
L’ennemi déclaré de toute obéissance demain mettant à servir une sorte de passion que les nations les mieux douées pour la servitude ne peuvent atteindre ; conduit par un fil tant que personne ne résiste, ingouvernable dès que l’exemple de la résistance est donné quelque part ; trompant toujours ainsi ses maîtres, qui le craignent ou trop ou trop peu ; jamais si libre qu’il faille désespérer de l’asservir, ni si asservi qu’il ne puisse encore briser le joug; apte à tout, mais n’excellant que dans la guerre; adorateur du hasard, de la force, du succès, de l’éclat et du bruit, plus que de la vraie gloire; plus capable d’héroïsme que de vertu, de génie que de bon sens, propre à concevoir d’immenses desseins plutôt qu’à parachever de grandes entreprises ; la plus brillante et la plus dangereuse des nations de l’Europe, et la mieux faite pour y devenir tour à tour un objet d’admiration, de haine, de pitié, de terreur, mais jamais d’indifférence ?
Qu’adviendra-t-il de ce mouvement? Nul ne sait. Michéa résume ci-dessous quelques scénarios – celui de faire donner les milices fascistes du régime, les black blocks et les pseudo “antifas”, a commencé à se réaliser, comme prévu – mais en attendant voir le parti oligarchique empêtré dans la vulgarité des oligarques de gauche et le crétinisme pathologique d’un Castaner s’essayant à la langue de bois, cela est jouissif.
CR
Le philosophe Jean-Claude Michéa analyse le mouvement des gilets jaunes et se réjouit de voir « le peuple définitivement en marche » contre « un gouvernement thatchérien de gauche ». Un texte publié sur le site des « amis de Bartleby » (site gascon décroissant) que nous reproduisons ici avec l’aimable autorisation du philosophe. Sortez les gilets, Michéa tire à balles réelles.
Le mouvement des « gilets jaunes » (bel exemple, au passage, de cette inventivité populaire que j’annonçais dans Les Mystères de la gauche) est, d’une certaine manière, l’exact contraire de « Nuit Debout ». Ce dernier mouvement, en simplifiant, était en effet d’abord une tentative – d’ailleurs encouragée par une grande partie de la presse bourgeoise – des « 10 % » (autrement dit, ceux qui sont préposés – ou se préparent à l’être – à l’encadrement technique, politique et « culturel » du capitalisme moderne), pour désamorcer la critique radicale du Système, en dirigeant toute l’attention politique sur le seul pouvoir (certes décisif) de Wall Street et des fameux « 1 % ». Une révolte, par conséquent, de ces urbains hypermobiles et surdiplômés (même si une fraction minoritaire de ces nouvelles classes moyennes commence à connaître, ici ou là, une certaine « précarisation ») et qui constituent, depuis l’ère Mitterrand, le principal vivier dans lequel se recrutent les cadres de la gauche et de l’extrême gauche libérales (et, notamment, de ses secteurs les plus ouvertement contre-révolutionnaires et antipopulaires : Regards, Politis, NP“A”, Université Paris VIII …etc.). Ici, au contraire, ce sont bien ceux d’en bas (tels que les analysait Christophe Guilluy – d’ailleurs curieusement absent, jusqu’ici, de tous les talk-shows télévisés, au profit, entre autres comiques, du réformiste sous-keynésien Besancenot), qui se révoltent, avec déjà suffisamment de conscience révolutionnaire pour refuser d’avoir encore à choisir entre exploiteurs de gauche et exploiteurs de droite (c’est d’ailleurs ainsi que Podemos avait commencé en 2011, avant que les Clémentine Autain et les Benoît Hamon du cru ne réussissent à enterrer ce mouvement prometteur en le coupant progressivement de ses bases populaires).
Ici, au contraire, ce sont bien ceux d’en bas (…), qui se révoltent, avec déjà suffisamment de conscience révolutionnaire pour refuser d’avoir encore à choisir entre exploiteurs de gauche et exploiteurs de droite.
Quant à l’argument des « écologistes » de cour – ceux qui préparent cette « transition énergétique » qui consiste avant tout, comme Guillaume Pitron l’a bien montré dans La Guerre des métaux rares, à délocaliser la pollution des pays occidentaux dans les pays du Sud, selon lequel ce mouvement spontané ne serait porté que par « une idéologie de la bagnole » et par « des gars qui fument des clopes et roulent en diesel », il est aussi absurde qu’immonde : il est clair, en effet, que la plupart des Gilets jaunes n’éprouvent aucun plaisir à devoir prendre leur voiture pour aller travailler chaque jour à 50 km de chez eux, à aller faire leurs courses au seul centre commercial existant dans leur région et généralement situé en pleine nature à 20 km, ou encore à se rendre chez le seul médecin qui n’a pas encore pris sa retraite et dont le cabinet se trouve à 10 km de leur lieu d’habitation. (J’emprunte tous ces exemples à mon expérience landaise ! J’ai même un voisin, qui vit avec 600 € par mois et qui doit calculer le jour du mois où il peut encore aller faire ses courses à Mont-de-Marsan, sans tomber en panne, en fonction de la quantité de diesel – cette essence des pauvres – qu’il a encore les moyens de s’acheter !) Gageons qu’ils sont au contraire les premiers à avoir compris que le vrai problème, c’était justement que la mise en œuvre systématique, depuis maintenant 40 ans, du programme libéral par les successifs gouvernements de gauche et de droite, a progressivement transformé leur village ou leur quartier en désert médical, dépourvu du moindre commerce de première nécessité, et où la première entreprise encore capable de leur offrir un vague emploi mal rémunéré se trouve désormais à des dizaines de kilomètres (s’il existe des « plans banlieues » – et c’est tant mieux – il n’y a évidemment jamais eu rien de tel pour ces villages et ces communes – où vit pourtant la majorité de la population française – officiellement promis à l’extinction par le « sens de l’histoire » et la « construction européenne » !).
Ce n’est donc évidemment pas la voiture en tant que telle – comme « signe » de leur prétendue intégration dans le monde de la consommation (…) que les Gilets jaunes défendent aujourd’hui. C’est simplement que leur voiture diesel achetée d’occasion (…) représente leur ultime possibilité de survivre.
Ce n’est donc évidemment pas la voiture en tant que telle – comme « signe » de leur prétendue intégration dans le monde de la consommation (ce ne sont pas des Lyonnais ou des Parisiens !) – que les Gilets jaunes défendent aujourd’hui. C’est simplement que leur voiture diesel achetée d’occasion (et que la Commission européenne essaye déjà de leur enlever en inventant sans cesse de nouvelles normes de « contrôle technique ») représente leur ultime possibilité de survivre, c’est-à-dire d’avoir encore un toit, un emploi et de quoi se nourrir, eux et leur famille, dans le système capitaliste tel qu’il est devenu, et tel qu’il profite de plus en plus aux gagnants de la mondialisation. Et dire que c’est d’abord cette gauche kérosène– celle qui navigue d’aéroport en aéroport pour porter dans les universités du monde entier (et dans tous les « Festival de Cannes ») la bonne parole « écologique » et « associative » qui ose leur faire la leçon sur ce point ! Décidément, ceux qui ne connaissent rien d’autre que leurs pauvres palais métropolitains n’auront jamais le centième de la décence qu’on peut encore rencontrer dans les chaumières (et là encore, c’est mon expérience landaise qui parle !).
La seule question que je me pose est donc de savoir jusqu’où un tel mouvement révolutionnaire (mouvement qui n’est pas sans rapport, dans sa naissance, son programme rassembleur et son mode de développement, avec la grande révolte du Midi de 1907) peut aller dans les tristes conditions politiques qui sont les nôtres. Car n’oublions pas qu’il a devant lui un gouvernement thatchérien de gauche (le principal conseiller de Macron est d’ailleurs Mathieu Laine – un homme d’affaires de la City de Londres et qui est, en France, le préfacier des œuvres de la sorcière Maggie), c’est-à-dire un gouvernement cynique et impavide, qui est clairement prêt – c’est sa grande différence avec tous ses prédécesseurs – à aller jusqu’aux pires extrémités pinochetistes (comme Maggie avec les mineurs gallois ou les grévistes de la faim irlandais) pour imposer sa « société de croissance » et ce pouvoir antidémocratique des juges, aujourd’hui triomphant, qui en est le corollaire obligé. Et, bien sûr, sans avoir quoi que ce soit à craindre, sur ce plan, du servile personnel médiatique français. Faut-il rappeler, en effet, qu’on compte déjà 3 morts,des centaines de blessés, dont certains dans un état très critique. Or, si ma mémoire est bonne, c’est bien à Mai 68 qu’il faut remonter pour retrouver un bilan humain comparable lors de manifestations populaires, du moins sur le sol métropolitain. Et pour autant, l’écho médiatique donné à ce fait effarant est-il, du moins pour l’instant, à la hauteur d’un tel drame ? Et qu’auraient d’ailleurs dit les chiens de garde de France Info si ce bilan (provisoire) avait été l’œuvre, par exemple, d’un Vladimir Poutine ou d’un Donald Trump ?
La seule question que je me pose est donc de savoir jusqu’où un tel mouvement révolutionnaire (…) peut aller dans les tristes conditions politiques qui sont les nôtres.
Enfin, last but not the least, on ne doit surtout pas oublier que si le mouvement des Gilets jaunes gagnait encore de l’ampleur (ou s’il conservait, comme c’est toujours le cas, le soutien de la grande majorité de la population), l’État benallo-macronien n’hésitera pas un seul instant à envoyer partout son Black Block et ses « antifas » (telle la fameuse « brigade rouge » de la grande époque) pour le discréditer par tous les moyens, où l’orienter vers des impasses politiques suicidaires (on a déjà vu, par exemple, comment l’État macronien avait procédé pour couper en très peu de temps l’expérience zadiste de Notre-Dame-des-Landes de ses soutiens populaires originels). Mais même si ce courageux mouvement se voyait provisoirement brisé par le PMA – le Parti des médias et de l’argent (PMA pour tous, telle est, en somme, la devise de nos M. Thiers d’aujourd’hui !) ; cela voudra dire, au pire, qu’il n’est qu’une répétition générale et le début d’un long combat à venir. Car la colère de ceux d’en bas (soutenus, je dois à nouveau le marteler, par 75 % de la population – et donc logiquement stigmatisé, à ce titre, par 95 % des chiens de garde médiatiques) ne retombera plus, tout simplement parce que ceux d’en bas n’en peuvent plus et ne veulent plus. Le peuple est donc définitivement en marche ! Et à moins d’en élire un autre (selon le vœu d’Éric Fassin, cet agent d’influence particulièrement actif de la trop célèbre French American Fondation), il n’est pas près de rentrer dans le rang. Que les versaillais de gauche et de droite (pour reprendre la formule des proscrits de la Commune réfugiés à Londres) se le tiennent pour dit !