A propos de “l’affaire Didier Jodin”

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Par Jean-Paul Brighelli,

Une inspectrice mandatée pour descendre un professeur de Lettres qui réussit trop bien dans une classe difficile, voilà qui semble aberrant. Quand de surcroît c’est sur ordre du Cabinet de Brigitte Macron…
Les bons profs, ça ose tout, c’est même à ça qu’on les reconnaît. Didier Jodin, par exemple, professeur de Lettres au collège Rembrandt Bugatti de Strasbourg, ne se contente pas de transmettre de vrais savoirs à ses élèves. Il ne se contente pas de faire progresser globalement une classe de Troisième devant laquelle nombre de ses collègues ramaient en cadence, tant l’ambiance et la bonne inintelligence qui règne entre maîtres et « apprenants » y sont explosives. Il ne se contente pas de s’inspirer des principes de la pédagogie explicite (une technique propulsée par le Canadien Steve Brissonnette, et relayée en France, entre autres, par mes amis Françoise et Bernard Appy). Il veut faire réussir ses élèves, et amener chacun au plus haut de ses capacités. C’est très mal.
En butte – comme tant d’entre nous – à la « volonté de nuire d’une mère d’élève harcelante » (ainsi s’exprime-t-il dans le courrier adressé au tout nouveau recteur de l’Académie) qui sans doute voudrait faire cours à sa place, et qui a sonné à toutes les portes, y compris à celle de l’Elysée où elle a trouvé l’oreille complaisante du Cabinet de Brigitte Macron, il s’est trouvé heureux gagnant d’une inspection-couperet menée tambour battant par une inspectrice IA-IPR, de celles qui ne cherchent pas à vous entendre, mais viennent avec leur guillotine pédagogique sous le bras. La gente dame déléguée pour lui administrer le knout s’appelle – heureux hasard lacanien – Mme Hélène Martinet : « La visite conseil, précise-t-elle en en-tête de son rapport officiel, se déroule suite à l’envoi au cabinet présidentiel de Brigitte Macron d’un message de parent d’élève critiquant des propos que Monsieur Jodin aurait tenu en classe ». Il y en a d’autres qui pour des faits similaires et tout aussi mensongers, ont fini décapités.
Notez que la direction du collège, en l’occurrence Mme Schneider, a fait chorus avec l’institution. Didier Jodin a été soutenu par ses collègues, par le SNES et par les pédagos mêmes, qui ont bien senti que l’affaire accroissait le dossier « à charge » qui sera un jour retenu contre eux, l’administration a réagi comme un seul adjudant, le petit doigt sur la couture du pantalon, et la langue où vous savez.
Contrairement à Médiapart, qui a fait ses choux gras avec cette lamentable histoire (mais ils n’ont jamais rien compris à la pédagogie, chez Médiapart), je ne crois pas un instant que Brigitte Macron ait vraiment été tenue au courant des tenants et aboutissants de cette polémique. En tant que professeur de Lettres elle-même, elle a eu à cœur de former de façon très explicite les cancres ou les fumistes doués qui lui étaient confiés – et j’espère qu’ils lui en sont reconnaissants…
Didier Jodin a narré lui-même par le menu le déroulement surréaliste de cette inspection, et j’y renvoie le lecteur. Didier Jodin a joint un long dossier de 81 pages à sa contestation de cette inspection aberrante. En particulier tous les mails échangés – y compris pendant les vacances, les harceleurs n’ont pas de répit – depuis le début décembre par cette madame N***, où le professeur se trouve obligé de justifier la moindre note, le moindre exercice, vis-à-vis de parents qui ont mal compris le concept de « co-éducation » qui régente l’Education Nationale depuis quelques années. Autant le répéter : l’Éducation est du ressort des parents, et l’Instruction de celui des enseignants, relisez Condorcet, qui est quand même plus intelligent que Philippe Meirieu.
Et les notes, figurez-vous, doivent être systématiquement optimistes, pour ne pas décevoir les élèves – y compris ceux qui n’ont pas fichu grand-chose. D’ailleurs, a répondu le rectorat, la pédagogie « doit être au service de la réussite de l’élève », tout en lui transmettant « les valeurs de citoyenneté ».
La réussite de tous les élèves. C’est cela, la beauté du collège unique. Abaissez la barre, et tous sauteront.
Et si par malheur le professeur, qui a autre chose à faire, ne répond pas dans le détail à des mails de deux pages, il est cloué au pilori – ne pas oublier l’étape finale de cette vaine polémique, qui bouffe un temps fou et épuise les enseignants. Depuis qu’Internet et Pronote permettent aux parents de s’immiscer dans la vie de la classe, les professeurs doublent leur emploi du temps en répondant aux questions des parents. Est-ce que nous nous permettons, nous, d’expliquer à un médecin, un boulanger ou un laboureur comment il doit pratiquer ? Non – mais les enseignants sont si déconsidérés, à force d’être sous-payés, qu’on peut tout oser.
Cela se clôt, comme l’on pouvait s’y attendre, par une suggestion dont Mme N*** n’a apparemment pas saisi l’ironie :
« Permettez-moi de vous aider dans vos démarches, avec le document récapitulatif ci-joint [l’ensemble des courriels échangés. Après le Rectorat et le Ministère, n’oubliez pas d’informer la Présidence de la République, la Cour européenne des Droits de l’Homme, la Cour internationale de justice, etc. »
Cher Didier Jodin, on peut faire de l’humour entre amis. Mais les imbéciles n’y comprennent jamais rien, c’est même à ça qu’on les reconnaît. Et au fait que oui, Mme N*** a osé.
« On ne peut que s’interroger quand ces pratiques, écrit le SNES-Strasbourg, visent par ailleurs un collègue très critique des réformes qui ont touché et affaibli l’Éducation Nationale et qui a pu apporter son soutien à des enseignants mis en cause par leur hiérarchie pour s’être exprimés. Notre institution montre encore une fois qu’elle n’a rien appris des événements passés et est trop souvent prête à mettre les collègues en accusation. Ces pratiques sont-elles isolées ? »
J’ai une réponse claire et nette : non, ce ne sont pas des pratiques isolées. Profitant de ce que Jean-Michel Blanquer avait davantage la tête à la campagne présidentielle qu’aux affaires courantes de la rue de Grenelle, les pédagos, et particulièrement les Inspecteurs qui le sont devenus en prêtant allégeance à cette idéologie délétère et qui ont été cooptés par les pédagos en place, comme je l’explique dans mon dernier livre, cherchent partout à reprendre leur pourvoir.
Au lycée international de Luynes, près de Marseille, une dame Florentina Gherman, dite localement « la dragonnesse des Carpates », qui ne doit bien entendu qu’à ses seules inaptitudes d’être devenue inspectrice, a fusillé une jeune et brillante agrégée, avant de s’en prendre dans la foulée à une Certifiée coupable d’avoir donné à ses élèves quelques notions d’histoire littéraire sur Flaubert, au lieu d’aller à la pêche de leur « sentiment » sur un texte qu’ils étaient bien incapables de comprendre seuls. Mais quand on lit les explications de textes-types que cette inspectrice a publiées en ligne, on reste atterrés devant la combinaison de la fatuité et du vide intersidéral. Madame, si vous me lisez, sachez que j’offre des cours gratuits de reformatage à la littérature française aux inspecteurs en dérive pédagogique.”
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