Trump, un progressiste qui fait mieux que la gauche

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Par  Jacques Sapir

Un nouvel accord commercial, remplaçant l’ALENA/NAFTA vient d’être signé entre les Etats-Unis et le Mexique[1]. On savait, depuis son investiture, que le Président des Etats-Unis, M. Donald Trump souhaitait faire réécrire cet accord. Il y est donc parvenu, d’abord avec le Mexique. Les négociations s’annoncent plus compliquées avec le Canada. Dans le nouvel accord, une clause attire l’attention : elle détermine une forme de salaire minimum pour une partie des travailleurs de l’automobile[2]. Cette clause est, à ma connaissance, révolutionnaire dans les accords commerciaux bilatéraux ou multilatéraux. Elle répond en partie à ce que j’avais demandé dans mon ouvrage La Démondialisation[3]. Elle marque, enfin, l’entrée du social et de la lutte contre les délocalisations, dans les accords commerciaux.

Les innovations contenues dans l’accord

Il convient tout d’abord de bien regarder cette clause. De quoi s’agit-il ? Il est écrit que 40% à 45% des pièces d’automobiles qui circuleront dans le cadre de cet accord devront avoir été fabriquées par des travailleurs payés au moins 16$ de l’heure. C’est un point très important, mais ce n’est pas le seul.

L’accord

En effet, ce point retire en partie l’avantage que les entreprises pouvaient avoir à délocaliser leurs productions au Mexique pour la réimporter sans droits de douane aux Etats-Unis. En effet, les salaires moyens dans cette branche étaient, en 2017, de 2,25$ de l’heure[4]. Un accord collectif signé par la filiale de VW au Mexique, fixait des salaires allant de 1$ à 4$ de l’heure. De fait, en dépit de grèves répétées, les constructeurs établis au Mexique, qu’ils soient européens (VW, Audi), américains ou japonais, résistaient farouchement aux demandes d’augmentation des salaires de leurs ouvriers. L’industrie automobile avait réussi à créer ce que le site Business Insider appellait très justement un « Nirvana des bas salaires » au Mexique[5]. De fait, et même si on le compare à la productivité (et la productivité est naturellement plus élevée aux Etats-Unis), le taux de salaires reste très bas au Mexique.

Niveau des salaires en US Dollars sur 10 ans au Mexique

Mais, cet accord ne se limite pas à fixer un plancher salarial. Il inclut aussi, comme on peut le lire, des clauses protectives en matière de négociations collectives. Ces clauses serviront d’abord à protéger les travailleurs mexicains en butte à une répression brutale et souvent meurtrière. Il est évident qu’il serait préférable de déterminer le salaire minimum sur la base du Coût Salarial Réel, c’est à dire en ne prenant pas qu’en compte le seul salaire mais aussi les cotisations sociales, et en rapportant cette somme à la productivité de chaque pays. De même, il faudrait accroître le pourcentage des produits concernés, disons de 40-45% à 70-75%. Cet accord n’est donc pas « parfait », mais c’est un immense pas fait dans la bonne direction. Un pas, aussi, qui confirme qu’il est possible, à condition évidemment d’en avoir la volonté, d’introduire des clauses sociales protectrices dans les accords commerciaux. C’est une leçon, et une leçon qui mérite d’être retenue.

Un frein aux délocalisations ?

Cet accord va freiner les délocalisations et va servir de base à une hausse des salaires au Mexique. Il correspond aux mécanismes imaginés dans le cadre du « protectionnisme solidaire » défendu par la France Insoumise[6], ou dans ce que j’avais imaginé à la fin de mon ouvrage consacré à la Démondialisation. Rappelons, ici, que le terme avait été inventé il y a de nombreuses années par Bernard Cassen, ancien président d’ATTAC et responsables du Monde Diplomatique. Il avait été repris par Jaques Généreux, dans une interview donnée à L’Economie Politique[7].
Le libre-échange s’est avéré être une extraordinaire machine à exploiter les salariés, à détruire une bonne partie de la législation sociale conçue depuis la seconde guerre mondiale. Il est aujourd’hui fortement contesté au sein même de ce monde universitaire, que ce soit à partir du « paradoxe de Leontief[8] » ou en raison de l’irréalisme de ses hypothèses. Avec l’émergence de la nouvelle théorie du commerce international (Paul Krugman), on peut considérer que le protectionnisme a retrouvé ses lettres de noblesse[9] et Krugman lui-même a reconnu que la globalisation pouvait bien, être coupable[10]. Des phénomènes, comme le recours massif à une sous-traitance étrangère, n’avaient ainsi pas été prévus et ont considérablement modifié l’approche de la globalisation[11].
Très concrètement, l’action à venir devrait se développer dans trois directions. D’abord devraient être adoptées des mesures de protection visant à compenser les effets du véritable « dumping social et écologique » auquel se livrent certains pays.
On pourrait ainsi imaginer aux frontières, de taxes importantes rétablissant l’équilibre du coût salarial réel mais aussi pénalisant les productions faites sous des normes environnementales qui aujourd’hui ne sont plus acceptables. Au sein de l’UE, ces taxes pourraient être remplacées par de montants compensatoires sociaux et écologiques. Ces taxes, en faisant monter le coût des importations, rétabliraient la compétitivité des producteurs internes. Les revenus qu’elles devraient dégager pourraient alors alimenter des fonds dans les pays visés par de telles taxes pour leur permettre de progresser dans les domaines sociaux et écologiques[12].

Le paradoxe Trump

Il convient, enfin, de souligner le paradoxe qu’il y a à voir Donald Trump mettre ainsi en place une mesure exigée depuis des années par la véritable gauche. Je ne cache pas que j’ai de profondes divergences, pour ne pas dire plus, avec d’autres aspects de sa politique, qu’il s’agisse de la politique internationale ou de la politique intérieure. Mais, il y a dans le « Trump-bashing » auquel se livre une large part de la presse française quelque chose d’indécent. Après tout, de telles mesures auraient pu être inscrite dans les accords de l’UE ou dans les traités signés entre l’UE et d’autres pays, mais, jamais, nos « socialistes », les Hollande, Hamon, Moscovici et consorts, et leurs alliés écologistes (EELV), n’ont seulement essayés.

Et pourtant, ces gens furent au pouvoir de nombreuses années (1997-2002 et 2012-2017). De même, quel crédit peut-on accorder à Emmanuel Macron pour sa soi-disant « défense de la planète » (on se rappelle sa formule Make ou planet great again) quand il s’avère que son gouvernement est à la solde des lobbys les plus réactionnaires sur cette question, comme l’a déclaré son ex-ministre Nicolas Hulot sur France-inter ce mardi 28 août matin.

Alors, si nous pouvons avoir des raisons de huer Trump sur certains dossiers, nous devons aussi reconnaître ce qu’il y a de positif dans son action et de l’applaudir, pourquoi pas, quand il remet en cause la logique mortifère du libre-échange.

Notes

[1] https://www.wsj.com/articles/mexico-u-s-nafta-negotiators-signal-confidence-after-marathon-sunday-session-1535372909
[2] Pour le texte, voir : https://ustr.gov/about-us/policy-offices/press-office/press-releases/2018/august/modernizing-nafta-be-21st-century
[3] Sapir J., La démondailisation, Paris, Le Seuil, 2010.
[4] https://www.businessinsider.com/mexico-labor-wages-and-global-automakers-2017-10?IR=T
[5] https://www.businessinsider.com/mexico-labor-wages-and-global-automakers-2017-10?IR=T
[6] https://www.humanite.fr/melenchon-defend-le-protectionnisme-solidaire-632330
[7] https://www.cairn.info/revue-l-economie-politique-2017-2-page-20.htm
[8] Voir F. Duchin, « International Trade: Evolution in the Thought and Analysis of Wassily Leontief », 2000, disponible sur www.wassily.leontief.net/PDF/Duchin.pdf, p. 3.
[9] Voir A. MacEwan, Neo-Liberalism or Democracy?: Economic Strategy, Markets and Alternatives For the 21st Century, New York, Zed Books, 1999.
[10] P. Krugman, « A Globalization Puzzle », 21 février 2010, disponible sur
http :www.krugman.blogs.nytimes.com/2010/02/21/a-globalization-puzzle .
[11] Voir R. Hira, A. Hira, avec un commentaire de L. Dobbs, « Outsourcing America: What’s Behind Our National Crisis and How We Can Reclaim American Jobs », AMACOM/American Management Association, mai 2005 ; P. C. Roberts, « Jobless in the USA », Newsmax.com, 7 août 2003, www.newsmax.com/archives/articles/2003/8/6/132901.shtml.
[12] C’est le principe du « protectionnisme altruiste » défendu entre autres par Bernard Cassen.

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