Flop Gun

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 Le colonel (cr) Michel Goya, dont je recommande le site et les ouvrages, fait ici un point détaillé sur l’affaire de Villiers et les gesticulations autoritaristes du Président, vue de l’intérieur de l’institution militaire et de ses relations avec le pouvoir politique. Il tord le cou aux élucubrations du lamentable Castaner qui en rajoute dans le flop présidentiel. Le général de Villiers a démontré dans cette affaire qu’i a le caractère d’un chef qui fait la différence entre la potestas (la coercition) et l’auctoritas la légitimité. “Là où il faut recourir à la postestas c’est que l’autoritas a échoué” expliquait Hannah Arendt. Quand on est un chef, on n’a pas besoin de dire “c’est moi le chef”. Notre petit prince président n’a fait que montrer q’il n’était qu’un petit chef dont le caractère brouillon s’illustre dans des gesticulations médiatiques qui in fine accroisse son absence d’autorité.
CR

Il y eut des augures. Des symboles d’abord, le déplacement initial en command-car, la visite aux soldats blessés, le déplacement au Mali, toutes choses qui apparaissent désormais comme des figures imposées d’un Président de la république-chef des armées d’un pays en guerre. Hormis le command-car, François Hollande (qui voulait trancher avec les maladresses de son prédécesseur vis-à-vis des armées) avait fait de même et Emmanuel Macron y a ajouté quelques touches plus « américaines », voire « poutiniennes »,  avec ses visites « en panoplies ». Tout cela était sympathique mais restait quand même de l’écume.

Le changement de dénomination du ministère redevenu, celui « des armées », c’est-à-dire celui de l’outil mais plus celui de l’emploi fut un indice plus sérieux. Trois types de personnalités ont occupé traditionnellement ce poste : les ambitieux frustrés, les fortes personnalités sans ambition présidentielle et les purs techniciens. Avec le remplacement de Jean Yves Le Drian par Sylvie Goulard et surtout Florence Parly, on glissait de la seconde à la troisième catégorie sans le poids politique du premier mais sans non plus l’appétence et la connaissance de la chose militaire qu’avait pu avoir un André Giraud dans les années 1980. Surtout, la capacité de résistance de ministère se trouvait volontairement affaiblie.
S’il ne faut pas négliger le chef d’état-major particulier ou le délégué général de l’armement (DGA), qui vient de quitter ses fonctions sans avoir encore été remplacé, le troisième personnage important du triangle plus ou moins amoureux de la politique de défense est le chef d’état-major des armées (CEMA). Là encore, on a connu plusieurs personnalités sur le poste : les techniciens sans grands pouvoirs sous de Gaulle ou les opérationnels aux pouvoirs successivement élargis par six décrets. Avec celui de 2009, le CEMA, outre le commandement des opérations militaires, conseillait le gouvernement, assurait les relations internationales militaires, définissait les besoins des armées et en contrôlait la satisfaction. Il conduisait également les travaux de planification et de programmation. Tant de pouvoirs effraya sans doute. Nicolas Sarkozy contourna le problème d’un CEMA trop fort en nommant l’amiral Guillaud. Avec François Hollande et au nom du « recentrage sur le cœur de métier », on dépouilla le CEMA de la plupart de ses prérogatives qui furent confiées au ministre, un ami qui ne pouvait constituer un danger politique. Dans ce cadre restreint, on pouvait donc nommer un homme de personnalité, ce qui fut le cas avec le général Pierre de Villiers en 2014.  Tant que la direction civile du ministère fut forte (et écoutée du Président de la République), cela a permis au moins, dans une alliance entre le CEMA et le ministre, de résister aux assauts réguliers de Bercy. Rappelons l’épisode, qui paraît désormais si lointain, de mai 2014 lorsque le ministre (oui, c’est incroyable), le CEMA et les trois chefs d’état-major d’armées menacèrent ensemble de démissionner.
Le problème de cette configuration est qu’elle dépendait trop de la personnalité de Le Drian et de son chef de cabinet Cedric Lewandowski, ce dernier aussi peu apprécié des militaires que de Bercy. Lorsque ceux-ci ont été écartés et remplacés par un poids plume politique, le CEMA s’est retrouvé seul en ligne et avec des pouvoirs réduits. L’occasion était trop belle alors que Bercy prédominait jusqu’au secrétariat-général de l’Elysée, occupé par Alexis Kohler, ex-directeur de cabinet du ministère de l’économie et ex-vaincu des affrontements précédents. L’assaut fut mené très vite, plaçant le Président de la République, qui venait juste de reconduire le général de Villiers pour un an en lui donnant des assurances, devant le choix de trahir le CEMA ou d’arbitrer en sa faveur. Il a choisi de trahir sa parole et, c’est le plus surprenant, en ne comprenant visiblement pas ce qui allait suivre.
Le général de Villiers s’est toujours légitimement préoccupé des moyens qui lui étaient accordés pour exécuter les missions dont il avait la responsabilité. Comme il en a le droit (faut-il rappeler une nouvelle fois que l’autorisation préalable à l’expression publique des militaires a été supprimée il y a douze ans ?) et même parfois le devoir puisque le Code de discipline générale impose aux militaires de « rendre compte immédiatement » lorsqu’ils constatent que l’on n’a pas les moyens d’accomplir une mission, le général de Villiers s’est exprimé plusieurs fois pour expliquer la situation déplorable dans laquelle se trouvent les armées. Comme nous sommes au XXIe siècle et qu’il sait qu’un rapport de forces est le meilleur moyen de faire pencher un pouvoir politique, il a également utilisé les instruments d’influence à sa disposition et qui ne se trouvent que dans l’espace du débat public. Ajoutons par ailleurs que le général de Villiers a toujours clairement expliqué qu’il ne voulait pas être considéré comme le « fossoyeur des armées » et que, n’attendant rien au-delà de ce poste, on ne pouvait le tenir de cette façon. Il est toujours dangereux de trahir et d’humilier des gens qui n’ont rien à perdre.
Tout cela était bien connu. On reste donc sidéré par la maladresse de la séquence qui a suivi.
La perspective de la démission était donc évidente du moment que, contre toute promesse et attente, on décidait d’accentuer encore la crise des armées. Elle le fut encore plus lorsque l’humiliation s’est ajoutée à la trahison de la parole donnée. Difficile de faire plus maladroit à l’égard des militaires que le discours d’Emmanuel Macron le 13 juillet, démontrant qu’il ne suffit pas d’endosser une tenue militaire pour comprendre ce que cela signifie concrètement. Entre l’affirmation inutile d’autorité, l’humiliation du premier des soldats…devant des soldats et l’ordre de fermer sa gueule tout manquait de classe et d’intelligence de situation. Ce n’est pas ensuite l’affirmation des promesses sur le budget de l’an prochain qui a vraiment arrangé les choses, en exposant à la fois qu’il n’y aurait pas d’augmentation significative par rapport à celle prévue par la loi de programmation (encore heureux que l’on applique la loi), que le prochain budget des opérations serait à nouveau largement sous-provisionné (avec donc à la clé au milieu de 2018 le même psychodrame) et, qui plus est, que ce budget serait désormais adossé à celui des armées, en contradiction donc avec le programme du candidat Macron. Après la diminution du budget en cours, c’était donc un nouveau coup porté aux pieds des promesses de réinvestissement.
Dès lors, la démission du général de Villiers était inévitable et les militaires ont spontanément fait en sorte qu’elle soit le plus spectaculaire possible dans les médias. La contre-offensive habituelle est venue, mélange un peu kitsch d’antimilitarisme, d’évocation (si, si !) du putsch de 1961 et des « armes qui cèdent à la toge » (comme si cela avait été la question à un seul moment), jouant même la carte de « à cause de la fachosphère » ou des « fonctionnaires empêchant la France de se réformer ». Tout cela manquait quand même de force et de cohérence, sinon évidemment d’intelligence. Cela a surtout suscité un malaise parmi certains parlementaires (vous savez, ceux qui depuis l’origine votent les budgets, et qui, pour cela, de temps en temps, auditionnent qui ils veulent en leur demandant de parler librement), plus largement chez tous ceux qui s’intéressent un minimum à notre armée et à sa situation y compris dans les rangs de la majorité, et plus largement encore parmi tous ceux qui ne comprendront décidément jamais pourquoi dans un monde plus dangereux il faut absolument réduire les moyens des ministères qui assurent la sécurité des Français.
Le discours du Président à Istres, est resté finalement le même que celui du 13 juillet, promesses inclues, l’hommage au général de Villiers remplaçant l’insulte à peine voilée, mais avec l’ajout de la non acceptation des « discours de défaite » (dont on ne sait pas très bien de quoi il s’agit). Malgré une nouvelle parade en tenue et surtout la nomination d’un nouveau CEMA aux brillants états de service, la confiance était clairement rompue et il faudra beaucoup de temps et surtout d’actes concrets pour la renouer. Il faudra d’autant plus de temps qu’une nouvelle charge, probablement la plus stupide de toutes, est venue dès le lendemain avec l’interview de Christophe Castaner dans Le Figaro, cherchant peut-être à transformer un fiasco en démonstration ratée d’autorité et en menace pour les éventuels haut-fonctionnaires rétifs. Les derniers sondages de popularité ne semblent pas montrer en tout cas que cela n’a pas été perçu comme tel.
Au bilan, une séquence d’une incroyable maladresse et qui, au lieu de modernité cool, paraît ramener les rapports entre le politique et les militaires des dizaines d’années en arrière. Si, pour reprendre les propos d’Emmanuel Macron, c’est le « sens de la réserve qui a tenu nos armées où elles sont aujourd’hui » (phrase un peu étrange quand même), on voit effectivement où cela mène lorsqu’on ferme sa gueule. A bientôt donc pour de nouveaux « discours de défaite ».

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