Le RIC est à l’ordre du jour. C’est un des acquis les plus surprenants et les plus imprévus du mouvement de gilets jaunes. Des plus intelligents et utiles, surtout. Quoi qu’en disent les ignorants et les niais – ou tout simplement ceux qui se voient menacés dans le monopole de leur ministère de la parole, genre Olivier Duhamel – la démocratie directe a une longue histoire qui s’est inscrite dans les développements et la stabilité des sociétés. Elle naît en Russie, dans les républiques de Veliki Novogorod et de Pskov avec l’institution du Veche (вече) au XI° siècle qui permettait au peuple de choisir et de démettre ses princes et de se réunir pour délibérer des affaires publiques.
Jusqu’au XVIII° siècle, là où elle existait, l’expression de la démocratie était la démocratie directe. Bernard Manin, dans un ouvrage fondamental, Principes du gouvernement représentatif, montre comment le système représentatif s’est substitué à la démocratie. La “démocratie représentative” est un simulacre qui transfert la vraie démocratie à des représentants qui mettent en scène leur élection à un terme donné. “Vous savez bien, rappelait Barère le 19 mai 1791 , que le gouvernement représentatif est aristocratique par nature! “. Le parlementaire perd le contact avec le terrain hormis la nécessaire mise en scène de sa réélection. Il devient membre de la “classe politique” avec son statut, sa rémunération, sa carrière et son irresponsabilité totale quant à l’exercice de son mandat. Pour J.J Rousseau, dans Le Contrat social, “Le pouvoir peut bien se transmettre, mais non la volonté… Le souverain peut bien dire, je veux actuellement ce que veut tel homme, mais il ne peut pas dire: ce que cet homme voudra demain, je le voudrai encore, puisqu’il est absurde que la volonté se donne des chaînes pour l’avenir“. En conséquence, “le souverain… ne peut être représenté que par lui-même” et la démocratie ne peut être que directe.
Yves Sintomer nous offre un panorama assez vaste des pratiques de démocratie directe d’Athènes à la Révolution française qui montre que la démocratie directe, notamment par le tirage au sort, sans être la forme exclusive d’exercice du pouvoir, contribue à sa stabilité.
Le peuple est réactionnaire
Qui donc a peur du RIC? Bien sûr tous ceux qui vivent de ce système, parlementaires incapables de rendre compte de leur mandat dans un français normal, hauts fonctionnaires et cadres supérieur qui se retrouvent dans des SAM (sociétés d’admiration mutuelle) pour discourir sur les vertus des nouvelles technologies et l’archaïsme du peuple français. Tout cela est bien normal et a le mérite de nous rappeler la réalité de la haine de classe proférée par les gnomes du pouvoir, les artistes et les journalistes en charge de faire vivre le système.
L’argument des gnomes du système, les Olivier Duhamel, Benjamin Griveaux et autres, prétendent que le tirage au sort désignerait systématiquement des imbéciles et qu’il nous conduirait inévitablement vers le fascisme, n’a donc aucun fondement historique. Le sort resterait soumis à la loi de Gauss, on peut donc prévoir statistiquement qu’il y aurait 15% d’abrutis dans une assemblée tirée au sort. Il suffit aujourd’hui de regarder le groupe parlementaire LREM et son inénarrable chef le député Legendre (idéal?) – qui déclare que la raison de l’échec du gouvernement est d’avoir été trop intelligent! – qui atteint presque 100% de cas pathologiques.
Mais le pire adversaire est sans doute le parti de Mélenchon, ou ce qu’il est reste. Ce parti, qui prétend porter 70% des revendications des gilets jaunes, ne représente en rien leur sociologie. La clientèle de la “France insoumise” est la petite bourgeoisie intellectuelle déclassée, fonctionnaires en déshérence occupant des fonctions de gestion des basses oeuvres du système, petits profs boboïsés qui ont cessé d’enseigner, animateurs socio-culturels qui communient dans un culte christique de l’immigré, professeurs de bonne conscience, professionnels subventionnés de l’antiracisme qui se saoulent au verbiage d’extrême gauche pour mieux servir le système, l’extrême-gauche du capital. La gauche mélenchonienne est philosophiquement et socialement à l’opposé de ce qu’incarnent les gilets jaunes, la France qui vit de son travail et sans accès au système d’assistanat.
Culturellement, la gauche est la gardienne d’un résidu de marxisme qui combattait ce que Lénine appelait dans Que faire?, la “conscience trade-unioniste” de la classe ouvrière: selon ce principe la classe ouvrière ne développe pas d’idéologie indépendante, l’idéologie socialiste vient des intellectuels et la spontanéité, c’est donc laisser le champ libre à l’idéologie bourgeoise.
« L’histoire atteste que, par ses seules forces, la classe ouvrière ne peut arriver qu’à la conscience trade-unioniste, c’est-à-dire à la conviction qu’il faut s’unir en syndicats, mener la lutte contre le patronat, réclamer du gouvernement telle ou telles lois nécessaires aux ouvriers, etc. Quant à la doctrine socialiste, elle est née des théories philosophiques, historiques, économiques élaborées par les représentants instruits des classes possédantes, par les intellectuels. […] De même en Russie, la doctrine théorique de la social-démocratie surgit d’une façon tout à fait indépendante de la croissance spontanée du mouvement ouvrier ; elle y fut le résultat naturel, inéluctable du développement de la pensée chez les intellectuels révolutionnaires socialistes”. (Lénine, Que faire?)
La spontanéité du mouvement est donc par nature bourgeoise et contre-révolutionnaire et la direction du mouvement doit revenir à des intellectuels formés à cet effet. Ce qui fut fait dans les pays “socialistes” où lesdits intellectuels au pouvoir, sûrs de leur idéologie et de leur droit, massacrèrent allègrement les ouvriers et paysans. Les idéologues de ce résidu de gauche ne veulent en aucun cas abdiquer de ce qui leur reste de pouvoir et on va les retrouver à la pointe de la dénonciation d’un Etienne Chouard contre lequel ils ont engagé dès 2014 une lutte impitoyable avec la volonté explicite de le condamner à la mort sociale. Le procès avait été mené par, entre autres, un Clément Sénéchal, sociologue d’Etat, qui ne supporte pas l’idée du tirage au sort défendue par Etienne. Tenez-vous bien, c’est du lourd: “Il [Chouard] confond classe en soi et classe pour soi et ignore la dimension dissensuelle de la démocratie au privilège d’une vision consensualiste typiquement bourgeoise, ignorante des antagonismes sociaux“. Propos aussi limpide que ceux d’un ministre du gouvernement d’Edouard Philippe, qui va, n’en doutons pas, soulever l’enthousiasme des masses populaires. L’autre est une bolchévique de salon, Pascale Fautrier, pour qui “Etienne Chouard et ses Gentils Virus sont le cheval de Troie de l’extrême-droite”. On tremble. J’avais pris la défense d’Etienne à cette époque, après des nuits blanches passées à Trets passées à définir des stratégies de défense. Il n’y a pas un mot à retrancher ni à ajouter à ce que ces crétins malfaisants racontaient à l’époque: ils recyclent le même discours aujourd’hui.
Ce n’est pas le bon peuple!
En fait, les mélanchoniens ne valent pas mieux que les Griveaux, les artistes et les éditorialistes qui éructent contre les gars qui fument des clopes et roulent en diésel. L’idée que le peuple puisse décider de son sort leur est intolérable. C’est ce qui se cache derrière le critique du populisme. Le populisme est un courant politique qui exprime les revendications du peuple sur ses besoins immédiats : la sécurité, l’alimentation, l’éducation et l’avenir de ses enfants. Il peut prendre diverses formes de droite comme de gauche et a été plutôt dans l’histoire un courant progressiste de gauche comme l’a étudié Christopher Lasch pour les Etats-Unis. Pour la France je renvoie à l’étude approfondie de Roger Dupuy « La politique du peuple, racines, permanences et ambiguïtés du populisme » (Coll. « L’évolution de l’humanité », Albin Michel 2001). Roger Dupuy souligne que si la politique du peuple est non-structurée et ne s’inscrit pas dans la « grande politique », elle n’en est pas moins légitime en ce qu’elle traduit ses aspirations et surtout les exaspérations du peuple. Sur les jérémiades actuelles des élites contre la protestation populaire contre les dégâts de la mondialisation, Dupuy souligne que
« on croirait toujours entendre les physiocrates de l’entourage de Turgot vers 1775, lors de la « guerre des farines », reprochant aux miséreux des campagnes leurs émeutes inconsidérées contre la circulation spéculative des grains au lieu de faire confiance à la régulation naturelle et progressive du marché qui devait leur assurer l’abondance d’ici une ou deux décennies ».
Mais pourquoi ces opposants au RIC ne décident-ils pas de s’emparer de cet outil pour constitutionnaliser leurs idées? Après tout, en Suisse, la majorité des innovations proposées au RIC sont rejetées par le peuple. Ne serait-ce pas là l’occasion de sacraliser les revendications des bobos, la GPA, l’extension généralisée du pourtoussisme, et je ne sais quoi encore? Ils savent en fait le peuple n’a rien à faire des idoles de la gauche bobo qui a abandonné la question sociale pour les affaires sociétales. Il n’a rien à foutre du “droit des homosexuels” qui n’a pas à différer du droit de tout citoyen, du ridicule des causes LGBTQI++ qui n’en finissent pas de vouloir instaurer l’apartheid pour tou.s.t.e.s. Il est concerné par la réalité de la vie, du progrès de la pauvreté, de l’extorsion fiscale, de la transformation de la France en un nouveau Nottingham rançonnée par son sherrif. Il est normal que cela sème la panique chez les Clémentine Autin et les Obono qui ont leurs vapeurs quand François Ruffin fait l’éloge d’Etienne Chouard!
Etienne Chouard n’est pas un intellectuel organique – selon la définition de Gramsci – qui participe à l’organisation du pouvoir et au système de domination. La gauche sociétale à la Autain et Obono participent à la construction d’un ordre culturel et intellectuel qui entend définir le champ de ce qui contestable et ce qui ne l’est pas. Les seules luttes légitimes seraient celles concernant le “genre”, la figure christique du migrant et d’un égalitarisme de façade qui n’est là que pour cacher les inégalités réelles. Bien plus, Etienne Chouard, par son travail intellectuel qu’il conjugue avec son action de terrain tend à créer une nouvelle race d’intellectuel organique dont nous allons avoir besoin pour construire le monde qui va remplacer ce monde qui s’effondre.
Il est normal qu’il trouve, aujourd’hui comme hier, dans la gauche bien-pensante son plus mortel ennemi.