Pourquoi haïssent-ils la Russie ?

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Paru dans Boulevard Voltaire  

Le ban et l’arrière ban de l’euro atlantisme s’est mobilisé haut et fort contre le scandale que constitue la condamnation de l’opposant Navalny à une amende de 330 euros pour l’organisation d’une manifestation interdite (je viens de payer une amende de 375 euros pour un excès de vitesse de 1 KMH : ni Bruxelles ni le département d’Etat ne s’en sont émus) et 15 jours de prison pour avoir enfreint une interdiction de manifester et déclenché des violences.

Les pleurs sont donc sélectifs. Qui est ce monsieur Navalny? Initialement membre du parti libéral pro-occidental Iabloko, il se rapproche de l’extrême-droite (la vraie !) ultranationaliste. Le piratage de sa boite mail montre en 2011 qu’en fait il est financé par l’ONG américaine National Endowment for Democracy. La NED lui permet d’aller étudier à l’université de Yale l’art et la manière de déclencher des « révolutions de couleur »… A son retour il applique les leçons apprises et fait une campagne style Obama pour les élections municipales à Moscou – avec la promesse d’organiser une gay pride – où il obtiendra 27% des voix, et plus encore dans les quartiers huppés de la ville. Assigné à résidence, car pris dans un scandale financier avec le groupe Yves Rocher, il n’en continue pas moins son activité de blogueur.

Mais les manifestants qui sont descendus dans la rue pour manifester contre la corruption ne l’ont pas fait pour Navalny : la plupart étaient très jeunes et sont représentatifs de cette jeune génération qui n’a pas connu les heures les plus sombres des années 1990 et se sentent écartelés entre la nouvelle Russie prospère des villes, influençable par l’Occident, et la Russie traditionnelle, plus pauvre, patriote et pro-Poutine. De là à y voir la possibilité d’y déclencher un Mai 68 contre le pouvoir en mobilisant la jeunesse urbaine, il y a sans doute un pas que les oligarques occidentaux et leurs collègues russes rêvent de franchir. Mais Mai 68 parvint in fine à renverser de Gaulle parce que le mouvement social s’est mis à faire un bout de chemin avec le mouvement étudiant. Rien de tel en Russie où la classe ouvrière et tout ce qui travaille profite de la renaissance de l’économie russe et du retour de l’Etat, fruit de la politique de Poutine.

Qu’on en juge : une croissance régulière malgré la crise de 2008, l’apparition d’une classe moyenne qui compte 30% de la population, une balance des paiements et un solde du commerce extérieur excédentaire, réduction de la dette publique et du taux de pauvreté… Tout cela se révèle dans un indicateur clé : le retour à une natalité positive alors que la Russie des années Eltsine ne faisait plus d’enfants, un autre indicateur étant la chute du nombre d’avortements et des décès.

Alors, pourquoi tant de haine ? A la chute de l’URSS les Occidentaux – Etats-Unis en tête avaient une idée bien précise de ce que devait devenir la Russie : un empire définitivement éclaté et affaibli, paradis des affairistes. Durant les années Eltsine, les consultants américains se sont bâfrés 5,6 milliards de dollars d’honoraires pour « aider la Russie à faire sa transition vers l’économie de marché ». Résultats, une baisse du niveau de vie de 40%, la richesse du pays concentrée entre les mains de sept oligarques, la corruption généralisée comme mode normal de fonctionnement, l’effondrement de la natalité et la hausse de la mortalité et la perte du prestige international de la Russie, tandis que les Occidentaux soutiennent les mouvements centrifuges des régions périphériques au travers des « révolutions de couleur »…

La corruption est un mal propre à l’histoire russe, et en général aux très grands pays qui n’ont pas d’appareil d’Etat approprié pour implanter une administration intègre. La popularité de Poutine tient à son rôle dans le rétablissement de l’Etat, de l’économie, d’une politique sociale et de la puissance de la nation, prestige qui culmine avec le retour pacifique de la Crimée dans la Mère patrie.

Mais il lui reste à traiter le problème de la corruption, mal endémique qui est un frein dans le développement du pays. Si celle des grands oligarques a été réduite énergiquement par des méthodes… russes, il reste la corruption endémique, celle qui polluent les rapports sociaux, se conjugue à la bureaucratie pour miner l’autorité de l’Etat, bloquer l’initiative économique et démoraliser les citoyens. Le phénomène ne se limite pas à la Russie, mais touche les anciennes républiques, au premier rang desquelles l’Ukraine, mais là, pas touche, on n’aura pas reportage du Monde ou de Libération.

Le crime suprême de Poutine est sans doute, pour nos élites occidentales, de traiter le problème par le retour aux valeurs russes. Dostoïevski l’avait illustré dans les Frères Karamazov, par l’opposition entre le frère attiré par les valeurs individualistes et matérialistes de l’Occident, associées au progrès, et l’autre attiré par les valeurs collectives slaves porteuses de l’identité, associées à l’arriération du pays. Eternel dilemme entre matérialisme individualiste et valeurs collectives et spirituelles. La voie choisie par la Russie de Poutine est la modernité de l’économie de marché et du progrès technologique mais cadrée par les valeurs russes, le retour aux valeurs collectives slaves incarnées dans la religion orthodoxe. C’est un équilibre entre le « je » et le « nous », entre les droits et les devoirs. L’exact inverse de notre vision des droits de l’homme réduits aux droits absolus de l’individu, la soumission totale du « nous » au « je ».

Claude Rochet

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