Pitreries et démocratie

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Par Jacques Sapir

 
M. Alexandre Benalla, mis en cause dans diverses affaires dont une usurpation de fonction et des violences sur personnes à l’occasion de la manifestation du 1er mai, bref M. Benalla, ce sicaire employé par l’Elysée, va donc se rendre devant la commission d’enquête du Sénat. La déclaration qu’il a fait ce 12 septembre au matin à France-Inter n’en est pas moins étonnante : “Aujourd’hui, on me contraint, envers et contre tous les principes de la démocratie française. (…) Parce qu’on m’explique qu’on va m’envoyer des gendarmes et des policiers. (…) Je vais venir, à la convocation. Parce qu’on me menace. On me menace vraiment d’une manière directe.”[1]
Cette déclaration met fin à ce mouvement de tango auquel se livrait M. Benalla depuis ces derniers jours, une fois disant qu’il était « prêt » à se rendre devant le Sénat, une autre fois disant que, puisqu’il était partie prenante à une procédure judiciaire, il ne « pouvait pas s’y rendre, pour enfin reconnaître qu’il n’avait d’autre choix que de s’y rendre.

Quand Benalla fait le pitre mais ne fait rire personne

La question est en effet assez simple. Une personne partie prenante d’une procédure judiciaire doit réserver ses déclarations sur les faits couverts par cette procédure, au juge d’instruction. Mais, cela n’empêche nullement le Sénat, comme l’Assemblée Nationale, d’entendre cette personne sur d’autres points qui ne sont pas couverts par la dite procédure. La déclaration du 11 septembre de M. Benalla, ou plus exactement de son avocat, disant qu’il ne se rendrait pas devant la Commission d’enquête, avait provoqué une légitime émotion tant de la part des sénateurs[2] que de constitutionnalistes réputés. Il convient de rappeler que si M. Benalla n’avait pas décidé de se rendre devant la commission sénatoriale, il aurait été punissable de deux ans d’emprisonnement et 7.500 euros d’amende[3]. Rappelons que M. Cahuzac, pourtant lui-aussi visé par une procédure judiciaire, s’était rendu devant la commission d’enquête de l’Assemblée nationale en son temps.
Bref, M. Benalla se comporte en pitre. Il amuse la galerie. Mais, il faut se rappeler que les charges qui pèsent sur lui sont politiquement extrêmement lourdes. Ce qui met en danger la démocratie en France n’est donc pas le fait qu’il ait été convoqué et qu’on lui ait rappelé qu’il ne pouvait se soustraire à cette convocation. Ce sont les faits qui lui sont reprochés et les comportements qui ont entouré ces faits, comme la constitution d’une cellule de sécurité en dehors de toutes les règles et hors de tout contrôle, qui constituent une réelle menace pour la démocratie.

Le déshonneur de Nicole Belloubet, Ministre de la justice

Mais M. Benalla n’est pas le seul à faire le pitre, et cela pose aussi un problème de démocratie. Madame Belloubet a pris fait et cause pour Alexandre Benalla. Elle a déclarée le 11 septembre : “Il ne doit pas y avoir d’interférence entre une commission d’enquête parlementaire et une information judiciaire (…) au nom de la séparation des pouvoirs”[4]. Le problème, évident pour tous, est que Madame Belloubet est ministre de la justice. Si elle souhaite se constituer conseiller juridique de M. Benalla, qu’elle le fasse, mais qu’elle démissionne d’abord de sa fonction ministérielle. Cela devrait être une évidence. Le rôle de la Ministre n’est pas de prendre parti en cette affaire. S’il y avait nécessité de rappeler la loi, non seulement les textes mais aussi la pratique, un communiqué de la chancellerie aurait amplement suffi.
Le fait que cette évidence n’ait pas retenue Mme Belloubet de faire ses déclarations, le fait qu’elle n’hésite pas à prendre parti dans un conflit montre qu’elle totalement perdu de vue les impératifs comme les contraintes de sa fonction. De ce point de vue, on a du mal à concevoir qu’en bonne logique elle puisse se maintenir à son poste.
Le président de la commission d’enquête sénatoriale, M. Philippe Bas un homme qui fut en son temps secrétaire général de l’Elysée, lui a, de fait répondu : « Les faits judiciaires, c’est la justice qui s’y intéresse, moi je m’intéresse au fonctionnement de l’Etat (…) Nous voulons savoir clairement les choses et s’il y avait des interférences avec les services officiels chargés de la sécurité du président de la République. Ce n’est pas un problème secondaire (…) , c’est la continuité de l’Etat dans un monde où le terrorisme rôde. [5]»
S’il y avait un conflit de compétence, ou un conflit de juridiction, ce qui n’avait visiblement pas soulevé de problèmes lors d’autres affaires, c’était à une cour de dire le droit. Car, la Ministre de la justice est elle-même tenue par le droit ; elle n’en est pas le gardien. Ce sont les cours de justice ET le législateur (l’Assemblée nationale et le Sénat) qui peuvent jouer ce rôle et non une Ministre.

La décomposition de l’Etat sous l’action d’Emmanuel Macron

Ces divers scandales, qu’il s’agisse du comportement de M. Benalla ou de celui de Mme Belloubet, renvoient en réalité à une situation de décomposition de l’Etat. Cette situation découle directement de la pratique et de la politique du Président de la République, M. Emmanuel Macron. C’est lui qui, par son action ou par son inaction donne l’exemple du non-respect de la forme comme du fond de la loi.
Ce non-respect s’accompagne, il faut le souligner, d’un respect sourcilleux des règles issues de l’Union européenne. Tout se passe comme si Emmanuel Macron ne se sentait pas tenu par les règles de la République parce qu’il aligne son comportement sur d’autres règles, dites ou non dites, qui proviennent elles de la Commission européenne. A cela s’ajoute, mais c’est péché mineur par comparaison, le fait que la gestion de ces scandales par l’équipe présidentiel a été déplorable. Mais, cette gestion elle-même déplorable, les contradictions dans lesquelles la « communication » de l’Elysée s’est empêtrée, renvoie elle aussi à ce mépris que montre Emmanuel Macron pour les règles les plus élémentaires de la République. La déclaration qu’il fit à la fin de juillet devant les députés de son parti, rompant ainsi avec la tradition qui veut que le Président de la République ne soit pas un « chef de parti », en est un exemple.
Les pitreries des uns et des autres ne font rire personne. La pratique politique d’Emmanuel Macron, elle, inquiète de plus en plus de français à juste titre. Oui, la démocratie est aujourd’hui mise à mal en France.  Mais, ce n’est pas en raison de la convocation devant la commission d’enquête de M. Benalla comme ce dernier le prétend. La démocratie est mise à mal par l’action et par le comportement du Président de la République, et par les effets que cela induit sur ses amis politiques.
Nous en sommes donc la en France en ce mois de septembre de 2018.

 

Notes

[2]

 
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