Le mythe du jour de  libération fiscale

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Marion Maréchal a publié une déclaration fêtant le « jour de libération fiscale », pseudo indicateur créé par l’IFRAP, le think-tank des ultra-libéraux, selon lequel il s’agirait d’un point de bascule où l’on cesse de travailler pour l’Etat, au travers de prélèvements, taxes et impôts divers, pour commencer à travailler pour soi. Pendant 7 mois sur 12 on travaillerait ainsi pour enrichir un Etat prédateur avant de pouvoir profiter de son travail.

Cet indicateur est-il pertinent, autrement dit pendant les 7 mois de joug fiscal, on ne profiterait nullement des fruits de son travail ?

Cela voudrait dire que pendant ces sept mois, on ne profite ni de routes, ni d’écoles, ni de protection sociale, ni de rien de tout cela. Une telle affirmation relève d’un dogmatisme préjudiciable à une réflexion saine et nécessaire sur le rôle de l’Etat et de la dépense publique.

Il y a un point commun entre les néolibéraux et les archéo-marxistes : ils considèrent tout deux que l’histoire a un moteur, un déterminisme, qui, actionné, résoudrait nos problèmes. Pour les marxistes, ce fut le rôle de la classe ouvrière qui fut renforcé par la dépense publique et l’action de l’Etat. La classe ouvrière disparue en tant que classe organisée, il reste un Etat aussi monstrueux qu’inefficace. Pour les libéraux, cet acteur de l’histoire serait le marché : qu’on en libère les forces et l’économie sera prospère, la gestion des biens collectif assurée et chacun gagnera sa vie correctement. Comme l’a remarqué Joseph Stiglitz, c’est du « bolchévisme de marché », tout aussi dogmatique que l’autre.

Ce serait simple si cela marchait comme cela, mais, si l’on étudie l’histoire du développement de nos nations – ce que ne font jamais les politiciens qui y préfèrent l’idéologie et le prêt à penser-, cela n’a jamais marché comme cela. Aucun pays ne s’est développé sans une intervention forte de l’Etat, à commencer par la mère du libéralisme économique, l’Angleterre qui a bénéficié d’un puissant Etat fiscalo-militaire analysé par l’un des pères de l’histoire économique anglaise, le professeur Patrick O’Brien, tout en prônant pour les autres le mythe du libre-échange afin de pouvoir leur écouler les produits de son industrie. Les Etats-Unis firent de même : Les pères fondateurs, comme Jefferson, vivant de l’exportation de l’économie esclavagiste, s’opposaient à un Etat fort tandis que les partisans de l’industrialisation du pays comme Alexander Hamilton soutenait le développement d’un état fort et protectionniste à l’image de l’Angleterre .

Le mythe de l’Etat faible fut d’une part propagé par les tenants de l’économie agraire et exportatrice, et d’autre part un produit d’exportation pour convaincre les concurrents émergents de l’Angleterre de ne pas adopter sa stratégie et, en ouvrant leurs frontières, se contenter d’acheter les produits de l’industrie britannique. Les États-Unis n’ont fait que répliquer cette stratégie.

Cela ne veut naturellement pas dire que n’importe quel appareil étatique soit bon. Le niveau de prélèvement et de dépenses en France a atteint un niveau insupportable qui n’a d’égal que son inefficacité. L’historien du développement des nations, David Landes, a comparé l’Etat à un enfant : bien élevé il est charmant, utile et fait la joie de la famille mais, mal élevé, il est odieux parasitaire et un boulet pour la famille et son environnement.

Avec le développement du libéralisme à la mode européenne, nous avons l’inconvénient des deux systèmes : une bureaucratie gigantesque et budgétivore pour un état qui n’assure plus sa fonction de promotion de l’industrie nationale. Ce qu’avait déjà anticipé l’un des pères du libéralisme Jeremy Bentham : « faire le laisser faire nécessite un activisme bureaucratique débordant ». Ce que nous avons avec l’Union européenne : une multitude de réglementations tatillonnes qui confortent l’incapacité de l’état apprendre des initiatives stratégiques.

Le consensus au sein des économistes du FMI est qu’il n’est pas raisonnable de vouloir descendre le niveau des dépenses publiques en deçà de 40% du PIB. Dans les pays d’Europe du Nord, là où la dépense publique est la plus élevée, les chercheurs relèvent que, plus la dépense publique est élevée pour financer les biens collectifs, plus l’initiative privée est déchargée de ce financement pour se consacrer à l’investissement productif.

Ce qui est inacceptable dans la configuration actuelle est de payer deux fois. Prenons l’exemple de l’éducation, qui est devenue une bien régalien tout comme la sécurité, qui doit être financé sur fonds publics. Mais aujourd’hui avec le sabotage de l’éducation nationale depuis plus de 30 ans, les familles qui le peuvent sont amenées à se tourner vers l’enseignement privé. Donc à payer une seconde fois la charge de l’éducation.

A ce sabotage d’un grand service public s’ajoute la multitude de gaspillages : prolifération des dépenses « sociétales » sous forme de subventions, de chargés de missions… qui se font aux dépens des vrais problèmes sociaux.

Plus fondamentalement, la dépense publique a une caractéristiques qui la rend difficile à gérer. Ce n’est pas une dépense marchande qui la met face à un client qui pourrait faire valoir son mécontentement. La dépense publique crée de la valeur par ses externalités, soit ses effets dérivés qui sont, par nature, difficiles à mesurer. Ainsi, on ne peut réellement mesurer l’effet de la dépense en matière d’éducation, qu’au niveau de la performance scolaire des élèves des élèves actuels devenus professeurs, soit à un horizon d’au moins une génération.  C’est aujourd’hui que nous subissons aujourd’hui les effets délétères des réformes du « collège unique » et du pédagogisme.

L’indicateur financier ne nous dit rien sur la qualité d’une politique publique. Tout ce que nous savons c’est que la bureaucratie coûte cher, est un obstacle à toute bonne politique et surtout se développe toute seule comme le chiendent, en application de la loi de Parkinson (rien à voir avec la maladie) : toute organisation inutile tend à se développer pour justifier son existence et occuper tout l’espace disponible. Créer un secrétariat d’Etat ne sert généralement à rien sauf à créer de nouveaux bureaux, de nouvelles secrétaires et de nouveaux chefs qui vont avoir besoin de sous-chefs, de nouvelles actions qu’il deviendra impossible de critiquer si elles sont dans l’air du temps. Tout ministricule, à l’image de Marlène Schiappa, a besoin de « faire des trucs » pour justifier de son existence.

Comment contrôler la bonne affectation de la dépense publique ? Les constituants de 1789 avaient ouvert une voie simple et logique dans la Déclaration des droits[1], bien que difficile à mettre en œuvre. Le contrôle populaire sur la dépense publique a connu une tentative, très récente, de mise en œuvre au travers de la LOLF[2].  Elle était une opportunité de redonner du sens à l’autorisation budgétaire – dont ce devrait être la première tâche du Parlement – en créant l’obligation d’évaluer l’impact des actions publiques, et donc de supprimer les actions dont l’impact était inexistant voire insuffisant.

A noter que l’article 15 ouvre la porte à la démocratie directe en instaurant un droit pour les citoyens « de demander compte à tout agent public de son administration ». La mise en œuvre de celle loi constitutionnelle a bien entendu été sabotée par les hauts fonctionnaires qui en ont fait une loi de plafonnement des emplois, la rendant odieuse aux agents publics et en en faisant un outil de sabotage de l’actio publique.

Il y a donc du travail pour sortir du gaspillage budgétaire actuel avec un président qui envoie deux milliards d’euros à l’Ukraine, sans rien demander à personne,  alors que nos hôpitaux sont dans le besoin.

Marion Maréchal est une des rares personnes politiques à avoir la carrure pour un avenir de dirigeant. Mais elle ne l’aura pas si elle s’en tient au prêt à penser d’un bolchévisme de droite sans intérêt. Il y a plus et mieux à faire.

Claude Rochet

 

Notes:

[1] Article 14

Tous les citoyens ont le droit de constater, par eux-mêmes ou par leurs représentants, la nécessité de la contribution publique, de la consentir librement, d’en suivre l’emploi, et d’en déterminer la quotité, l’assiette, le recouvrement et la durée.

Article 15

La société a le droit de demander compte à tout agent public de son administration.

[2] Loi Organique sur les Lois de Finances du 1° aout 2001

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