Par Denis Collin • Morale et politique •
La République de Platon est certainement la première philosophie politique des élites. Philosophe-roi et gardiens constituent les personnages clés de cette élite destinée à assurer la justice dans la cité et la conservation de ses lois. La philosophie politique moderne et contemporaine, par contraste, semble s’est détournée de l’élitisme politique. La pensée démocratique est évidemment anti-platonicienne. Elle admet l’égalité de tous dans la prétention à la participation au gouvernement des affaires publiques – et ce indépendamment du savoir que chacun peut posséder – et elle légitime l’opinion et ce qui va avec, c’est-à-dire les sophistes et les rhéteurs, personnages centraux de l’Athènes démocratique. Nous baignons dans cette pensée, pour ne pas dire dans cette idéologie démocratique qui semble à peu près incontestable – sauf à prendre des risques non calculables ! Pourtant, on peut considérer la modernité non pas sous l’angle de la croissance de la démocratie mais sous l’angle de l’apparition de nouvelles élites bien éloignées des élites guerrières et religieuses propres aux indo-européens, mais éloignées aussi des élites des lettrés chinois ou de l’idéal humaniste pré-renaissant et renaissant.
Il existe de nombreux travaux sociologiques sur les élites et leur reproduction – par exemple on ne manque pas de bonnes études sur les hauts fonctionnaires en France. Les élites économiques ne sont pas oubliées. Mais la sociologie se donne surtout des objets particuliers alors qu’il nous faudrait une sorte de théorie générale qui discute la légitimité ou la nécessité d’une élite sociale et politique. Je n’ai pas la prétention de produire dans le cadre limité qui m’est imparti une telle théorie générale des élites. Je me contenterai de quelques éclairages généraux puisés dans la tradition de la philosophie politique mais aussi de la sociologie générale, en espérant que ces éclairages produisent une esquisse cohérente. Évidemment, je donnerai une place toute particulière à l’école « élitiste » italienne, celle de Pareto, Mosca et Michels et à leur grand ancêtre, Machiavel.
Que le conservateur Mosca et le socialiste révolutionnaire Michels se trouvent tous deux classés dans les « élitistes », cela suffirait à démontrer qu’il ne s’agit pas d’une doctrine orientée à droite ou à gauche. Je ferai place à quelques auteurs qui ont essayé de penser une véritable théorie des élites révolutionnaire, Lénine et, de manière plus systématique, Gramsci. Enfin j’évoquerai le débat de la fin des années trente qui trouvera son prolongement après la guerre, sur l’hypothèse de la constitution d’une nouvelle classe bureaucratique à travers la convergence des méthodes du stalinisme et du fascisme.
Avant tout cela, il est nécessaire de donner une définition succincte du mot. L’ élite est définie ainsi par Littré :
« 1° Ce qu’il y a d’élu, de choisi, de distingué. L’élite de la noblesse. Pourquoi sans Hippolyte Des héros de la Grèce assembla-t-il l’élite ? RAC. Phèd. II, 5. Patrocle et quelques chefs qui marchent à ma suite, De mes Thessaliens vous amènent l’élite, ID. Iphig. V, 2.
— D’élite, qui est de premier choix. S’il y a un petit nombre d’âmes d’élite que Dieu meuve… BOSS. Orais. De chevaliers romains une troupe d’élite… CRÉB. Catil. V, 2. Mes soins ont eu recours à des amis d’élite, M. J. CHÉN. Tib. V, 1. Il [Napoléon] affecte de la mépriser [une rivière], comme tout ce qui lui faisait obstacle, et il ordonne à un escadron des Polonais de sa garde de se jeter dans cette rivière ; ces hommes d’élite s’y précipitèrent sans hésiter, SÉGUR, Hist. de Napol. IV, 2.
— Dans l’armée, compagnies d’élite, les compagnies de grenadiers et de voltigeurs d’un bataillon d’infanterie.
2° Il se dit aussi des choses. J’ai eu l’élite de ses livres. Alcithoé ma soeur, attachant vos esprits, Des tragiques amours vous a conté l’élite, LA FONT. Filles de Minée. Faute de vin d’élite, Sabler ceux du canton, BÉRANG. Rog. B. »
Appartient à l’élite celui qui mérite d’être élu, c’est-à-dire choisi en raison de ses qualités particulières. Le terme est suffisamment vaste pour qu’on distingue toutes sortes d’élites – même si l’emploi d’élites au pluriel est souvent péjoratif: former une élite, ce ne sont que les prétentions ordinaires de ceux qui se croient les meilleurs…
Le Prince machiavélien.
La pensée de Machiavel est à bon droit tenue pour la fondation de la philosophie politique moderne. Une pensée politique débarrassée de la théologie et de la morale moralisatrice pour s’en tenir à la réalité effective des choses. Serge Audier montre l’influence de Machiavel sur les sociologues et philosophes italiens des XIXe et XXe siècles, et plus généralement chez tous les auteurs qui se sont consacrés à la compréhension du rôle politique des élites : Roberto Michels, Benedetto Croce, Vilfredo Pareto … ou encore l’américain James Burnham. Pareto, sur lequel nous revenons un peu plus loin, consacre d’assez longs développements à Machiavel dans son Traité de sociologie générale.
Le propos de Machiavel, comme on le sait, n’est pas de construire un État idéal. Les abstractions métaphysiques doivent céder la place à l’expérience et les régimes politiques doivent être envisagés et jugés d’un point de vue expérimental : le problème n’est pas de savoir lequel de la monarchie, de l’aristocratie ou de la démocratie est le meilleur des régimes, mais de comprendre à quelles conditions ces régimes peuvent garder la paix, la prospérité et donc la liberté du peuple.
Pour bien comprendre la pensée de Machiavel, il faut abandonner la « légende noire », celle du penseur de la « Raison d’État » et du « machiavélisme » politique, au sens péjoratif que ce terme a pris. Mais il faut aussi comprendre que Machiavel n’est pas démocrate mais républicain ! Et ce n’est pas la même chose. Machiavel ne croit pas une minute que le régime athénien idéal, celui dans lequel c’est l’assemblée de tous les citoyens qui décide de tout ou presque, soit un régime viable à long terme. Dans toute organisation socio-politique, il y a des gouvernants, c’est-à-dire des « grands », ceux qui veulent dominer et gouverner pour dominer, et il y a le peuple qui ne réclame pas de gouverner mais essentiellement de n’être pas dominé, c’est-à-dire en fin de compte de ne pas être gouverné. Et Machiavel va même un peu plus loin dans ses Discours sur la première décade de Tite-Live : un peuple qui accepterait sans rechigner d’être gouverné, qui subirait sans quelque manifestation tumultuaire les tracas et persécutions des grands serait un peuple corrompu et la corruption du peuple annonce la corruption générale de l’État et son inévitable décadence.
Machiavel part de cette vérité fondamentale pour étudier deux régimes: le régime républicain et le principat. Concernant le premier, Machiavel se coule dans le républicanisme traditionnel, celui du régime mixte dont Aristote avait parlé et dont Cicéron fait la théorie dans son De la république. Mais évidemment, « messer Nicolò » fait subir à ce républicanisme antique un traitement de choc dont j’ai parlé en d’autres lieux, en définissant ce « républicanisme anomal » qu’est celui des Discorsi. En ce qui concerne le principat, on croit mieux savoir ce qu’en dit Machiavel puisque tout le monde, ou du moins tous les politiques, fait semblant d’avoir lu Le Prince, titre qui n’est pas celui de l’auteur, puisque le seul titre authentique est « De principatibus », qu’on ne peut traduire que par « des principautés ». Il s’agit ici de définir comment peut être instauré un gouvernement princier qui soit populaire et également apte à « chasser les barbares d’Italie ».
Arrivé à ce point, il y a une difficulté : comment expliquer l’enthousiasme pour Machiavel des penseurs, notamment italiens, mais pas seulement, qui s’intéressent aux élites, aux oligarchies dirigeantes et qui, généralement, ne partagent pas la dilection de bon ton pour la démocratie représentative ?
Pourtant, Machiavel, et c’est un des gros points de divergence avec son ami Guicciardini, n’a aucune confiance dans les classes dirigeantes de son temps. Il réfute et le principe de la monarchie héréditaire et celui de l’aristocratie héréditaire et soutient le principe électif. La faiblesse majeure des monarchies tient au principe de succession. Un État peut survivre à un prince faible mais rarement à deux princes faibles consécutifs. Or la succession des générations ne permet pas de s’assurer de la virtù des princes. Au contraire, le principe électif permet de discerner les hommes les plus vertueux. « L’universalité » – c’est-à-dire l’ensemble des citoyens – permet de déterminer qui sont véritablement les « ottimati », les plus aptes à gouverner.
On voit comment la succession sans interruption de deux grands princes suffit pour conquérir le monde. Ainsi de Philippe de Macédoine et d’Alexandre le Grand. Une république doit faire encore mieux, car elle a les moyens de choisir non seulement deux princes qui se succèdent mais une infinité d’hommes valeureux qui se succèdent l’un l’autre. Ce type de succession doit se produire dans une république bien ordonnée. (D, I, 20, 231-232/93)
Tous les citoyens ne peuvent pas gouverner – il faut pour cela des qualités qui ne se trouvent que dans le petit nombre. Mais, reprenant ainsi une tradition qui remonte à Aristote, Machiavel fait du suffrage du grand nombre le meilleur moyen de déterminer qui composera le petit nombre des meilleurs. Sous cet angle, il n’y a pas de contradiction entre le principe aristocratique et le principe populaire, puisque le premier procède finalement du second. Cela vient des dispositions particulières du peuple. En effet, « bien que les hommes se trompent dans les jugements généraux, ils ne se trompent pas dans les détails » (D, I, 268). Ce que Machiavel traduit ainsi : le peuple ne sait pas bien ce qu’il faut faire, mais il se trompe rarement pour désigner celui qui doit occuper les dignités et les charges.
C’est encore le principe électif qui permet de comprendre les vertus de la dictature, cette institution typique de la république romaine dont nous pouvons trouver des traces fort nombreuses dans l’histoire républicaine moderne. Machiavel distingue cette dictature, une sorte de royauté temporaire, créée par la loi qui n’abolit pas les institutions populaires du pouvoir de cette dictature que s’arrogent quelques citoyens dans les périodes de décadence de l’esprit républicain. Entre la dictature républicaine et la dictature de Sylla ou de César, il n’y a de commun que le nom : le dictateur à l’ancienne manière ne peut, en effet, prendre trop d’ascendant sur l’État, car sa mission est limitée, encadrée institutionnellement et le dernier mot revient toujours au suffrage libre. Ce n’est donc pas l’institution de la dictature qui met en danger la république, mais bien plutôt l’absence d’une institution de ce genre permettant de faire face aux situations exceptionnelles. En effet, si on ne dispose pas de moyens constitutionnels dans ces situations, nécessité fait loi et l’on doit violer la constitution pour sauver l’État.
Or il ne devrait jamais arriver dans une république des évènements que l’on doive traiter avec des moyens extraordinaires. Car, bien que le moyen extraordinaire ait été profitable, néanmoins l’exemple est nuisible. Car on crée ainsi l’habitude de violer les institutions pour le bien de l’État, et ensuite, sous ce prétexte on les viole pour son malheur. [D, I, 34, 249/107]
Même les cas où le principe électif semble avoir conduit à la perte de la liberté en confirment la validité. Si les décemvirs nommés par le peuple sont devenus des tyrans, c’est précisément parce que le peuple leur a confié une trop grande autorité pendant trop longtemps.
On doit donc remarquer que, quand on dit qu’une autorité donnée par de libres suffrages n’a jamais été nuisible à une république, on suppose qu’un peuple n’aille jamais la donner, sinon avec des précautions adéquates et pour un temps déterminé. Si, parce qu’on le trompe, ou pour toute autre raison qui l’aveugle, il la donne imprudemment et à la manière dont le peuple romain la donna aux décemvirs, alors il lui arrivera ce qui arriva à celui-ci.[D,I, 35, 251/108]
Machiavel multiplie les analogies entre médecine et politique. On peut considérer la constitution comme le régime qu’il faut prescrire au patient. On ne peut pas avoir le même régime pour un homme bien portant et pour un homme malade. Une bonne constitution peut se trouver inadaptée parce que les mœurs du peuple ont changé. C’est ce qui est arrivé aux Romains, dont les mœurs ont été altérées en raison même des succès qu’ils ont rencontrés dans leur lutte pour l’expansion de leur pouvoir. C’est à ce processus de corruption, pratiquement inévitable et universel, que le penseur politique doit faire face. Il ne peut pas se contenter – sauf à retomber dans les rêveries moralistes et philosophiques – de penser la cité pour temps sereins. La crise à laquelle est confronté Machiavel, est aussi celle à laquelle nous sommes confrontés. Comment un peuple corrompu peut-il rester libre ?
C’est qu’en effet les institutions de la liberté, qui sont de bonnes institutions quand le peuple n’est pas corrompu, se transforment en leur contraire. Machiavel en donne un exemple qui nous parle encore :
… Car il est toujours bon que quelqu’un qui conçoit une chose bonne pour le bien public puisse la proposer ; et il est bon que chacun puisse donner son opinion, afin que le peuple, bien informé, choisisse le meilleur parti. Mais, les citoyens étant devenus mauvais, cette disposition devint très mauvaise, car seuls les puissants pouvaient proposer des lois et, par crainte, personne ne pouvait s’y opposer. De sorte que le peuple était soit trompé, soit contraint décider sa propre ruine. [D,I, 18, 228/90]
La délibération démocratique directe qui exprime au plus haut degré la vie civique à Athènes comme à Rome devient ainsi un moyen de domination. On pourrait sans peine trouver dans le monde contemporain des processus analogues par lesquels des institutions démocratiques deviennent les instruments de domination de l’oligarchie (« les riches seuls et les puissants »).
Dans ces conditions, il est presque impossible de sauver la liberté. C’est pourquoi, une république corrompue tendra toujours plus ou moins à l’état monarchique, plutôt que vers l’état populaire. Seul un pouvoir fort, concentré en un seul homme pourrait imposer des lois qui permettent au « malade » de guérir.
Si on admet cette thèse, on voit bien qu’il n’y a pas contradiction entre le Prince, portrait-robot de l’homme qui pourrait sauver l’Italie, et le républicanisme des Discours. C’est du reste une tradition républicaine bien établie : quand la république est malade, il serait antirépublicain de la laisser mourir au nom de la pureté des principes républicains. S’il faut un traitement de choc pour la sauver, le républicain vertueux non seulement y consentira mais encore œuvrera pour en accélérer l’ouvrage. Ainsi la première république française avait-elle adopté une constitution inapplicable dans les circonstances tragiques de l’époque, si bien qu’elle fut obligée, alors qu’elle était une constitution populaire, de céder la place à un gouvernement presque absolu du petit nombre (le comité de salut public) et même de son chef, Robespierre. Comment distinguer ce « monarchisme » pour la bonne cause du « césarisme », cette usurpation de la République, violemment condamnée par Machiavel et par tous les républicains après lui ? La réponse à cette question est loin d’être simple.
Autrement dit, et pour ce qui nous concerne ici c’est le plus important, l’assise populaire du régime, signe de sa bonne santé, suppose aussi des dirigeants à la hauteur de la situation. On doit prendre Le prince dans un sens plus général : Machiavel nous donne une théorie générale de la classe dirigeante : comment la former, comment la recruter, comment distinguer ceux qui sont aptes à en faire partie. Il est donc tout naturel et on y revient plus loin, que Gramsci ait conçu le parti révolutionnaire d’avant-garde comme « le nouveau prince ».
Pareto et la circulation des élites
Vilfredo Pareto1 aborde la question des élites dans son Traité de sociologie générale (TGS), un ouvrage publié en 1917.
Le point de départ de Pareto est le suivant :
« la société humaine n’est pas homogène : que les hommes sont différents physiquement, moralement, intellectuellement. Ici, nous voulons étudier les phénomènes réels. Donc, nous devons tenir compte de ce fait. Nous devons aussi tenir compte de cet autre fait : que les classes sociales ne sont pas entièrement séparées, pas même dans les pays où existent les castes, et que, dans les nations civilisées modernes, il se produit une circulation intense entre les différentes classes. » (TSG, XI, §2025)
Pareto pense que l’on peut définir une sorte d’échelle objective qui permettrait de mesurer ces différences sociales. On doit pouvoir noter les individus selon leur degré de compétence dans un secteur donné en attribuant 10 à celui qui excelle et zéro au parfait « crétin » (sic). Ces évaluations peuvent être données indépendamment des jugements de valeurs et même indépendamment de toute considération d’utilité sociale. En admettant cette classification, on arrive à cette conclusion :
§2031. Formons donc une classe de ceux qui ont les indices les plus élevés dans la branche où ils déploient leur activité, et donnons à cette classe le nom d’élite. Tout autre nom et même une simple lettre de l’alphabet, seraient également propres au but que nous nous proposons.
Il faut enlever au terme « élite » tout ce qui pourrait rappeler des jugements de valeurs. Pareto propose de séparer l’élite en deux sous-classes: l’élite gouvernementale et l’élite non-gouvernementale. Face à cette élite n’existe qu’une classe inférieure, celle qui ne se définit que par le seul fait qu’elle n’appartient pas à l’élite. Nous avons là un schéma extrêmement simplifié, binaire, qui n’est pas sans rappeler le schéma machiavélien de l’opposition entre les grands et le peuple. Pareto y revient d’ailleurs un peu plus loin quand il affirme qu’on doit diviser toute société en deux classes, la classe supérieure, celle des gouvernants, et la classe inférieure, celle des gouvernés.
Pareto montre que les marqueurs d’appartenance à l’élite sont assez complexes, car évidemment pour appartenir à l’élite il n’est pas nécessaire de passer l’examen de Pareto ! Il existe des titres résultant d’examens pour devenir avocats, médecins, etc. La richesse héréditaire joue également un rôle important dans l’appartenance à l’élite :
§.2036 : (…)Mais si l’hérédité directe a disparu, l’hérédité indirecte demeure puissante, et celui qui a hérité un grand patrimoine est facilement nommé sénateur, en certains pays, ou se fait élire député en payant les électeurs et en les adulant, si besoin est, par des professions de foi archidémocratiques, socialistes, anarchistes. La richesse, la parenté, les relations, sont utiles aussi en beaucoup d’autres cas, et font donner à qui ne devrait pas l’avoir l’étiquette de l’élite en général ou de l’élite gouvernementale en particulier.
Mais le phénomène intéressant, selon Pareto, est celui de la circulation des élites, c’est-à-dire comment quelqu’un qui n’était pas membre de l’élite peut y accéder et inversement comment on perd sa qualité de membre de l’élite.
Pareto nous met en garde contre les erreurs qui peuvent naître de ce que nous prenons les formes juridiques pour la réalité :
§ 2046. Il ne faut pas confondre l’état de droit avec l’état de fait ce dernier seul, ou presque seul, est important pour l’équilibre social. Il y a de très nombreux exemples de castes fermées légalement, et dans lesquelles, en fait, se produisent des infiltrations souvent assez considérables. D’autre part, à quoi sert qu’une caste soit légalement ouverte, si les conditions de fait qui permettent d’y entrer font défaut ? Si tous ceux qui s’enrichissent font partie de la classe gouvernante, mais que personne ne s’enrichisse, c’est exactement comme si cette classe était fermée ; et si peu de gens s’enrichissent, c’est comme si la loi mettait de grands obstacles à l’accès de cette classe. On vit un phénomène de ce genre à la fin de l’empire romain. Celui qui devenait riche entrait dans l’ordre des curiales ; mais très peu de personnes devenaient riches.
Les statuts reconnus ne sont pas les garants de l’appartenance à l’élite. Ainsi Pareto souligne qu’on ne doit pas confondre l’élite et les aristocraties traditionnelles, même si ces aristocraties furent certainement la composante essentielle de l’élite à un moment donné.
§ 2053. Les aristocraties ne durent pas. Quelles qu’en soient les causes, il est incontestable qu’après un certain temps elles disparaissent. L’histoire est un cimetière d’aristocraties. Le peuple athénien constituait une aristocratie, par rapport au reste de la population, des métèques et des esclaves. Il disparut sans laisser de descendance. Les diverses aristocraties romaines disparurent. Les aristocraties barbares disparurent. Où sont, en France, les descendants des conquérants francs ? Les généalogies des lords anglais sont très exactes. Il subsiste fort peu de familles descendant des compagnons de Guillaume le Conquérant ; les autres ont disparu. En Allemagne, l’aristocratie actuelle est en grande partie constituée par les descendants des vassaux des anciens seigneurs. La population des États européens s’est accrue dans une mesure énorme depuis plusieurs siècles à aujourd’hui. Or, il est certain, très certain, que les aristocraties ne se sont pas accrues en proportion.
La conséquence est donc logiquement celle-ci :
§ 2054 (…) La classe gouvernante est entretenue, non seulement en nombre, mais, ce qui importe davantage, en qualité, par les familles qui viennent des classes inférieures, qui lui apportent l’énergie et les proportions de résidus nécessaires à son maintien au pouvoir. Elle est tenue en bon état par la perte de ses membres les plus déchus.
Ces considérations qui peuvent paraître des évidences méritent d’être méditées. En effet, il apparaît clairement que tout système de domination a besoin d’un renouvellement plus ou moins régulier de la classe dirigeante. L’Église, dans l’ancien régime, même si elle était souvent aux mains de l’aristocratie nobiliaire, était une institution qui assurait le renouvellement de la classe dirigeante et concourait à la formation des élites – par l’instruction qu’elle dispensait autant que par les personnels politiques qu’elle a fournis à la monarchie, de Richelieu à l’abbé Dubois pour parler de quelques premiers ministres fameux. La révolution a renouvelé profondément la classe dirigeante, par la vente des biens nationaux et le « super bonus » qu’elle a ainsi donné à la partie la mieux assise de la bourgeoisie, mais aussi en procédant à une promotion massive de nouveaux venus, recrutés sur leur énergie, leur aptitude à servir le nouveau régime ou leur bravoure sur les champs de bataille. Mais le déclin de la vieille aristocratie n’a pas signifié la fin de l’ancienne classe dirigeante : la révolution l’a transformée et revigorée, les nobles de convertissant massivement aux affaires, financières ou industrielles, et les bourgeois cherchant à marier leurs filles ou leurs fils aux héritiers ou héritières de titres à particules.
Même les révolutions les plus radicales n’échappent pas à cette loi de Pareto de la circulation des élites. Lénine, au tout début des années 20 constatait que le nouvel État soviétique n’était rien d’autre que le vieil appareil d’État tsariste à peine repeint en rouge. Constatation on ne peut plus exacte : les lecteurs de Gogol ne sont pas dépaysés quand ils entrent dans le petit monde de la bureaucratie soviétique, c’est-à-dire de l’élite dirigeante. On peut certes considérer les purges massives ordonnées par Staline comme les actes d’un tyran fou ou appliquer à tout cela le qualificatif « totalitaire », aussi explicatif que la « vertu dormitive de l’opium » chère au médecin de Molière. Mais on doit d’abord reconnaître que le stalinisme a organisé une circulation des élites comme aucun régime n’avait réussi à la faire en aussi peu de temps. Car les victimes les plus constantes de Staline ne furent pas le peuple – à l’exception notable des paysans dans l’époque de la collectivisation.
Mais la fin de la collectivisation et le « congrès des vainqueurs » de 1934 marquent le vrai tournant qui va caractériser le régime : après l’assassinat de Kirov (un assassinat très mystérieux dont Staline est selon toute vraisemblance le commanditaire) qui sert de prétexte au déclenchement de la répression, les purges vont d’abord toucher l’appareil bureaucratique, depuis le sommet – élimination de tous les dirigeants et compagnons de Lénine – jusqu’à la masse des subordonnés qui détiennent un petit pouvoir et de petits privilèges. Ces grandes purges vont libérer des centaines de milliers de postes de direction dans l’appareil gouvernemental et dans l’appareil économique – qui sont largement confondus. En deux décennies (1934-1953), des millions d’individus, issus de la classe ouvrière et de la paysannerie pauvre pour la plupart, vont donc faire leur entrée dans l’élite dirigeante. Cela explique très largement l’indéniable soutien populaire dont a bénéficié le régime et le fait qu’il pouvait passer pour la « dictature du prolétariat »: grâce à Staline et à son impitoyable système de circulation des élites, chaque prolétaire pouvait caresser l’espoir de devenir un petit dictateur aux côtés du « petit père des peuples ». Au demeurant, c’est précisément pour mettre fin à cette trop grande instabilité de la caste dominante que Khrouchtchev et ses amis organisèrent le déboulonnage de la statue de Staline et une nouvelle transformation du régime. Pareto écrit en 1917, mais il ne pouvait évidemment deviner quel vérification éclatante, quoique inattendue, connaîtrait sa théorie de la circulation des élites.
§ 2056. Par l’effet de la circulation des élites, l’élite gouvernementale est dans un état de transformation lente et continue. Elle coule comme un fleuve ; celle d’aujourd’hui est autre que celle d’hier. De temps en temps, on observe de brusques et violentes perturbations, semblables aux inondations d’un fleuve. Ensuite la nouvelle élite gouvernementale recommence à se modifier lentement : le fleuve, rentré dans son lit, s’écoule de nouveau régulièrement.
§ 2057. Les révolutions se produisent parce que, soit à cause du ralentissement de la circulation de l’élite, soit pour une autre cause, des éléments de qualité inférieure s’accumulent dans les couches supérieures. Ces éléments ne possèdent plus les résidus capables de les maintenir au pouvoir, et ils évitent de faire usage de la force ; tandis que dans les couches inférieures se développent les éléments de qualité supérieure, qui possèdent les résidus nécessaires pour gouverner, et qui sont disposés à faire usage de la force.
§ 2058. Généralement, dans les révolutions, les individus des couches inférieures sont dirigés par des individus des couches supérieures, parce que ceux-ci possèdent les qualités intellectuelles utiles pour livrer bataille, tandis qu’ils sont dépourvus des résidus que possèdent précisément les individus des couches inférieures.
Inutile de développer. Il suffit de constater combien ces analyses peuvent être étayées par les constatations empiriques pendant toute l’histoire du dernier siècle. La fluidité des rapports entre l’élite et la masse des gouvernés – la métaphore du fleuve – permet en même d’expliquer la permanence de la structure binaire élite-masse ou gouvernants-gouvernés, ou encore, pour revenir à Machiavel, grands-peuple. Notons que si Pareto a raison, cela a de très sérieuses conséquences, et tout d’abord celle-ci, que la démocratie est impossible, au sens strict du terme, et que, par conséquent, ce qui s’appelle démocratie n’est qu’une forme très particulière de gouvernement permettant à la classe dirigeante d’obtenir un large consentement des gouvernés en même temps qu’un renouvellement de l’élite.
Les élites politiques :
1. Mosca
Gaetano Mosca2, à la différence de Pareto, ne se revendique pas de Machiavel, envers qui il a une attitude assez critique, bien que Burnham3 le classe parmi les « machiavéliens » dans son livre de 1943. Mosca veut constituer une véritable science politique qui serait le fruit mûr des sciences historiques. Ce qui suppose donc que cette science politique s’appuie sur une solide connaissance historique. Sur la base de ces connaissances, Mosca estime que l’on peut construire une science politique qui soit aussi robuste que les sciences naturelles, bien que Mosca dénonce en même toutes les tentatives « naturalistes » visant, par exemple, à appliquer la théorie darwinienne de l’évolution aux sociétés humaines (chez les animaux, le premier principe est la lutte pour la vie alors que chez les humains, c’est la lutte pour la prééminence.)
Je ne suis pas sûr que la science politique ait atteint le niveau de scientificité qu’annonçait Mosca. Mais il reste quelque chose de particulièrement intéressant dans l’œuvre de Mosca, sa théorie de la classe politique. La science politique vise en effet, selon Mosca, à mettre à jour « les lois ou tendances constantes qui règlent l’ordre politique des sociétés humaines. »4 Si la science politique a pour objet l’ordre du pouvoir, cette science est facilitée par la mise en évidence de l’existence d’une classe particulièrement dédiée à l’exercice de cette fonction. Et de la question centrale devient bien de savoir qui gouverne réellement la société.
Mosca est résolument hostile au socialisme – bien qu’il ne soit pas insensible à la pensée de Marx – et également antidémocrate, mais non antilibéral. Il est hostile à la démocratie parce que la question de la savoir si le gouvernement de la majorité est le meilleur ou le pire des gouvernements est pour lui dépourvue de sens pour la bonne raison qu’il n’y a jamais eu et qu’il n’y aura jamais de gouvernement de la majorité. Il finira néanmoins par admettre la démocratie dans un sens restreint comme moyen de renouveler graduellement l’élite dirigeante, cette démocratie (représentative) devant néanmoins être tempérée par le principe aristocratique de l’hérédité (comme dans la chambre des Lords britannique). Mosca s’est ainsi opposé tant en 1882 qu’en 1912 à l’élargissement du droit de vote.
Que la théorie abstraite de la démocratie soit erronée ne signifie pas que la pratique de la démocratie soit en tout et pour tout à condamner. La démocratie dans les faits a substitué à une méthode de choix de la classe politique une autre méthode de choix et on ne peut pas dire que la substitution ait été mauvaise, spécialement quand le nouveau critère ne s’est pas appliqué de manière trop uniforme ni trop exclusive et a été tempéré par d’autres. Nous devons à la démocratie, au moins en partie, le régime de discussion dans lequel nous vivons, nous devons les principales libertés modernes, les libertés de pensée, de la presse et d’association. Or, le régime de libre discussion est le seul qui permette à la classe (politique) de se rénover, qui lui tienne la bride et qui l’élimine presque automatiquement quand elle ne correspond plus aux intérêts du pays.5
Revenons donc à la théorie de la classe politique. Mosca, bien qu’il soit classé parmi les théoriciens des élites, préfère utiliser le terme de « classe politique » préférentiellement au terme d’« élites », parce que premier terme est plus neutre que le second qui a tendance à impliquer des jugements de valeur.
En premier lieu, pour définir cette classe politique (ou classe dirigeante, la terminologie n’est pas toujours bien fixée chez Mosca) on peut cerner les critères qui permettent à un individu de revendiquer son appartenance à cette classe.
Les minorités gouvernantes, ordinairement, sont constituées de manière à ce que les individus qui les composent se distinguent de la masse des gouvernés par certaines qualités qui leur donnent une certaine supériorité matérielle et intellectuelle ou même morale […] en d’autres termes, ils doivent présenter quelque requisit, vrai ou apparent, qui est fortement apprécié et qu’on fait beaucoup valoir dans la société dans laquelle ils vivent.6
La naissance fait évidemment partie de ces critères d’appartenance. Mosca ne soutient pas que l’hérédité biologique puisse conférer une quelconque supériorité – sur ce point il polémique contre Gobineau – mais il tient au moins pour assez clair que l’éducation des enfants nés dans les classes dirigeantes est meilleure que celle des enfants des autres classes et, par conséquent, ils posséderont plus facilement les traits nécessaires à l’appartenance à la classe dirigeante. Il remarque également que toute classe dirigeante tend à devenir héréditaire et là encore la simple observation permet de le confirmer.
En centrant la science politique sur la question de la classe dirigeante, Mosca en est conduit à réfuter la tripartition classique des régimes politiques (monarchie, aristocratie, démocratie) pour lui substituer une autre classification fondée sur les modes d’organisation des diverses classes politiques : la cité-État (comme Athènes ou la Rome des débuts), l’État bureaucratique (de l’Empire romain à la monarchie absolue), l’État féodal et l’État représentatif moderne. Il distingue deux principes fondamentaux de gouvernement : le principe autocratique et le principe libéral.
Le principe autocratique est celui dans lequel la décision est transmise à partir du sommet de l’échelle politique alors que le principe libéral suppose que le bas de l’échelle politique délègue au sommet le pouvoir de décision. Mais il s’agit bien du bas de l’échelle politique – donc de l’intérieur de la classe politique. Le principe libéral n’a donc rien à voir avec la démocratie.
L’État représentatif peut ainsi être compris comme le greffon d’un principe libéral sur l’arbre de l’État bureaucratique (en l’occurrence la monarchie absolue), si bien que le principe libéral et le principe autocratique sont étroitement intriqués dans cette forme d’État.
Que Mosca soit un conservateur invétéré – fondamentalement parce qu’il y a en lui un pessimisme anthropologique indéracinable – n’empêche pas que sa théorie soit « scientifique ». Elle peut être utilisée aussi bien par celui qui a une « idéologie » conservatrice comme Mosca lui-même que par un démocrate. C’est ce que s’efforce de montrer Norberto Bobbio :
- contre le conservateur, le démocrate s’oppose à toute forme de transmission héréditaire du pouvoir. On admet alors que le mieux est que la classe politique se forme par d’autres canaux que les canaux de l’hérédité. L’élection ou le mérite (pour le recrutement des fonctionnaires) sont des moyens non héréditaires et démocratiques de renouveler la classe politique.
- La démocratie s’oppose à l’aristocratie en ce qu’elle œuvre en faveur d’un élargissement continu de la classe politique jusqu’au point où la majorité du peuple, d’une manière ou d’une autre peut participer.
- En ce qui concerne la tendance de la classe politique à se refermer sur elle-même et à se transformer en classe héréditaire, le démocrate travaillera pour une organisation socio-économique qui donne à chacun des opportunités égales, permettant continûment à des hommes nouveaux d’accéder à la classe politique.
- Du point de vue institutionnel, la démocratie permettrait en théorie un changement total de la classe politique sans effusion de sang – ce qui satisferait au principe de stabilité auquel Mosca tient tant.
Ce que montre Bobbio, c’est qu’une théorie des élites comme celle de Mosca est compatible avec le libéralisme politique (et sans doute aussi avec le socialisme libéral dont Bobbio s’est toujours réclamé). Peut-être, une théorie plutôt « pessimiste » comme celle de Mosca est-elle plus utile à ceux qui veulent réellement la démocratie que l’eau de rose du démocratisme vulgaire et les apologies de « l’État de droit ». Le pessimisme de l’intelligence est un bon allié de l’optimisme de la volonté pour parler comme Gramsci.
2. Michels et les partis sociaux-démocrates
Alors que se constitue le mouvement ouvrier dans les années 1889 à 1914 et que les partis socialistes et sociaux-démocrates deviennent des partis de masse, très influents, ayant parfois des millions d’adhérents soit directement soit par l’intermédiaire d’organisations contrôlées par le parti, on voit apparaître une nouvelle couche dirigeante de permanents politiques et d’élus qui amalgame des intellectuels « bourgeois » ralliés au socialisme et d’anciens ouvriers devenus chefs du parti, élus ou propagandistes. En France, c’est surtout à Georges Sorel qu’on doit les premières polémiques contre cette nouvelle élite ouvrière. Mais la première analyse systématique de la constitution de cette couche sociale et de ses attitudes politiques foncièrement conservatrices est celle de Roberto Michels, dans un livre devenu classiques, Les partis politiques.
Né à Cologne en 1876, d’une famille allemande riche, Robert Michels a été l’élève de Max Weber. Au début des années 1900, il adhère au SPD et il est même candidat de ce parti ce qui lui fait perdre sa chaire à l’université de Marburg. En 1907, il quitte le SPD et s’installe à Turin. Il milite au sein du parti socialiste italien, mais dans son aile d’extrême gauche, proche du syndicalisme révolutionnaire. Il obtient une chaire universitaire grâce à l’intercession de Luigi Einaudi, intellectuel libéral qui deviendra le second président de la République italienne. Après la première guerre mondiale, il adhère au parti fasciste de l’ex-socialiste Mussolini. Pour Michels, grâce à son charisme et à ses origines prolétariennes, Mussolini peut représenter le prolétariat sans la médiation bureaucratique des représentants syndicaux et politiques. En 1933, il représente le fascisme à Paris et tient de conférences où il le décrit « sans malice mais avec bonne dose d’ingénuité typiquement teutonne », dit le rédacteur de la notice de Wikipedia en version italienne, comme un régime pacifiste et antiraciste. Il meurt à Rome en 1936.
J’ai évoqué ici brièvement ce parcours qui conduit d’une critique radicale du parlementarisme à partir d’un point de vue de gauche pour terminer dans les rangs du fascisme – qu’il faut ici distinguer soigneusement du nazisme en évitant le dialecte du totalitarisme – parce qu’il est très révélateur d’une époque et des basculements erratiques de nombreux intellectuels. Mais précisément, il ne faudrait pas prendre prétexte de ces parcours pour rejeter l’apport théorique de gens comme Michels.
Dans Les partis politiques7 (première édition allemande, 1911), Michels part de l’étude de la social-démocratie allemande qui est le parti socialiste le plus puissant de l’époque, au point de constituer une véritable contre-société au sein de la société bourgeoise-impériale allemande. Or, loin d’être une organisation égalitaire promouvant l’autonomie des travailleurs (« l’émancipation des travailleurs sera l’œuvre des travailleurs eux-mêmes »), la social-démocratie se révèle une organisation bureaucratique qui cherche à obtenir l’obéissance de la part des membres du parti et plus généralement de la classe ouvrière. Mosca faisait déjà remarquer que ce ne sont pas les peuples qui choisissent les élus mais la classe dirigeante qui fait élire ses députés. Michels est en gros sur la même ligne.
La première thèse de Michels pourrait être celle de la dialectique régressive de l’organisation :
- Pas de lutte de masses sans organisation.
- L’organisation est la source de toutes les tendances conservatrices.
L’organisation constitue précisément la source d’où les courants conservateurs se déversent sur la plaine la démocratie et occasionnent les inondations destructrices qui rendent cette plaine méconnaissable. (p. 26)
Mais alors que Sorel, lui aussi proche du syndicalisme révolutionnaire, met encore ses espoirs dans la vitalité de l’action de classe, Michels voit dans le processus de bureaucratisation un phénomène inévitable. Il découle tout d’abord de la logique même des organisations de masse.
Dans les partis politiques modernes, on réclame pour les chefs une sorte de consécration officielle et on insiste sur la nécessité de former une classe de politiciens professionnels, de techniciens de la politique, éprouvés et patentés. (p.30)
L’organisation a besoin de cadres et elle doit les former. C’est une nécessité :
Il est cependant indéniable que tous ces instituts d’éducation destinés à fournir des fonctionnaires au parti et aux organisations ouvrières, contribuent, avant tout, à créer artificiellement une élite ouvrière, une véritable caste de cadets. (p.32)
D’où cette loi :
Qui dit organisation dit tendance à l’oligarchie. (p. 33)
Michels note par exemple le rôle du suffrage indirect dans le système d’élection des responsables qui explique la très grande longévité des appareils politiques et syndicaux et le mépris systématique des plus élémentaires règles démocratiques dont ils font preuve. Et évidemment, il ne s’agit pas seulement de la vieille social-démocratie allemande. Les observation de Michels ont une valeur universelle indiscutable.
Mais le pouvoir de cette nouvelle élite bureaucratique s’appuie aussi sur la propension des masses à l’obéissance et à la vénération des chefs, ce qui explique que les dirigeants puissent changer radicalement de position, trahir toutes les résolutions les plus sacrées sans qu’ils aient véritablement à en payer le prix.
L’histoire des partis ouvriers nous offre tous les jours des cas où les chefs s’étant mis en contradiction flagrante avec les principes fondamentaux du mouvement, les militants ne se décident pas à tirer toutes les conséquences qui en découlent logiquement. (p.79)
Prémonition du pénétrant sociologue ! Quelques années après la parution du livre de Michels, les partis socialistes et sociaux-démocrates se mettront « en contradiction flagrante avec les principes fondamentaux » en ralliant la guerre chacun pour le compte de son gouvernement. Et les militants n’en ont en effet pas tiré les conséquences logiques puisque c’est seulement la révolution russe de 1917 qui conduira à la scission des partis socialistes et à la création des partis communistes.
Contre ceux qui, comme Sorel, voient dans la pénétration d’éléments « bourgeois » et « petits bourgeois » une des explications des tendances réformistes du mouvement ouvrier, Michels remarque :
ce sont d’ailleurs les mouvements ouvriers les plus exclusivistes qui partout et toujours sont le plus pénétrés d’esprit réformiste. (p. 232)
Rien de plus exact, là encore : les partis socialistes des pays d’Europe du Nord ou le Labour Party britannique avaient dès les origines une composition sociale très ouvrière, beaucoup plus que les partis du Sud ou même la SPD. Mais pratiquement jamais l’esprit révolutionnaire n’a effleuré ces partis. L’exemple de la social-démocratie suédoise qui aménagea sans peine la cohabitation de la Suède avec le régime nazi mériterait d’être étudié, comme un cas d’école. Si même on regarde les clivages sociologiques lors de la scission du congrès de Tours en 1920 entre la vieille SFIO et la nouvelle SFIC, le parti communiste, on doit bien constater que les bastions ouvriers du Nord et du Pas-de-Calais sont restés fidèles à la vieille maison alors qu’au contraire les régions paysannes du pourtour du massif central passaient majoritairement au nouveau parti communiste.
Michels note que le mouvement ouvrier organisé (la social-démocratie, mais ce sera vrai du communiste de masse en France ou en Italie)
a pour la classe ouvrière allemande une importance analogue à celle de l’Église catholique pour certaines fractions de la petite bourgeoisie et de la population rurale. L’un et l’autre servent aux éléments les plus intelligents de ces classes respectives pour leur ascension sociale. (p.201)
On retrouve ici le principe de Pareto de la circulation des élites. Loin d’être une contre-société, « l’élite ouvrière » s’intègre finalement dans les mécanismes de reproduction de l’élite gouvernante en général. Des phénomènes que Michels ne pouvait qu’entrevoir se sont développés à très grande échelle surtout après la seconde guerre mondiale, tant dans les partis et syndicats « réformistes » que dans les partis communistes. L’exemple du PCI italien donne aux analyses de Michels une ampleur inattendue : l’élite « ouvrière » a fini par fusionner complètement avec l’élite dirigeante « bourgeoise » avec comme conséquence la liquidation du PCI lui-même qui s’est auto-dissout au lendemain de la fin de l’URSS.
Enfin Michels souligne combien la bureaucratisation des organisations ouvrières mène au bonapartisme et au culte du chef. Encore une vision pénétrante qui, cette fois, n’aura été à son auteur d’aucune utilité puisqu’il a lui-même succombé au délice de l’amour du maître en subissant le charisme mussolinien…
L’avant-dernier chapitre du livre est intitulé « la démocratie et la loi d’airain de l’oligarchie ». Il est consacré à une discussion avec Mosca (« un homme de grande valeur ») et Pareto et plus généralement avec tous auteurs qui
… défendent la théorie d’après laquelle les luttes éternelles entre aristocraties et démocraties, dont nous parle l’histoire, n’auraient jamais été que des luttes entre une vieille minorité défendant sa prédominance et une nouvelle minorité ambitieuse qui cherchait à conquérir le pouvoir à son tour, soit en se mélangeant à la première soit en prenant sa place. (p.279)
La démocratie trouve son point d’orgue dans la création d’une nouvelle aristocratie. Et le socialisme n’échappe pas à cette loi. Michels rappelle :
Vilfredo Pareto a même recommandé le socialisme comme un moyen favorable à la création, au sein de la classe ouvrière, d’une nouvelle élite, et il voit dans le courage victorieux avec lequel les chefs du socialisme affrontent persécutions et colères un indice de leur vigueur et la première condition à laquelle doit satisfaire une nouvelle « classe politique ». (p. 280)
Mais si les théoriciens de l’école élitisme ont eu le mérite de porter l’attention de la recherche politique sur la question de l’élite, Michels soutient que leur véritable ancêtre est à chercher du côté du socialisme qui, dès sa naissance, aurait été fondé sur des idées élites et autoritaires. Michels part de la pensée de Saint-Simon :
Le système des saint-simoniens est d’un bout à l’autre autoritaire et hiérarchique. Les disciples de Saint-Simon ont été si peu choqués par le césarisme de Napoléon III que la plupart d’entre eux y adhérèrent avec joie, croyant y voir la réalisation des principes de socialisation économique. (p. 282)
Mais il n’en va pas mieux avec Fourier en dépit de sa réputation libertaire (au moins en amour).
Sorel a relevé avec raison le lien étroit qui rattache le socialisme antérieur à Louis-Philippe à l’ère du grand Napoléon et montré que les utopies saint-simoniennes et fouriéristes ne purent naître et prospérer que sur le terrain de l’idée d’autorité à laquelle le grand Corse avait réussi à donner une nouvelle splendeur. (ibid.)
Avec les socialistes de la période suivant les choses sont un peu différente mais pas tant qu’on pourrait le croire sur le fond. L’anarchisme, note encore Michels, nie la possibilité même d’un gouvernement de la majorité – Bakounine et Proudhon présentent souvent la république démocratique comme le pire des régimes bourgeois. La seule solution sérieuse alternative à ces conceptions qui font de la « classe politique » une nécessité immanente, réside, selon Michels, dans la théorie marxiste qui définit l’État comme le conseil d’administration des affaires communes de la bourgeoisie – une définition, note encore notre auteur, qui recoupe celle de Mosca, mais évidemment les marxistes en tirent de toutes autres conséquences, que Mosca trouvait parfaitement utopiques. Cependant, même en admettant que l’État bourgeois puisse être balayé par l’assaut révolutionnaire, on voit mal comment on pourrait empêcher la formation d’une nouvelle minorité dominante, car
la richesse sociale ne pourra être administrée d’une façon satisfaisante que par l’intermédiaire d’une bureaucratie étendue. (…)
L’administration d’une fortune énorme, surtout lorsqu’il s’agit d’une fortune appartenant à la collectivité confère à celui qui l’administre une dose de pouvoir au moins égale à celle que possède le possesseur d’une fortune, d’une propriété privée. Aussi les critiques anticipés du régime social marxiste se demandent-ils s’il n’est pas possible que l’instinct qui pousse les propriétaires, de nos jours, à laisser en héritage à leurs enfants les richesses amassées, incite également les administrateurs de la fortune et des biens publics dans l’État socialiste à profiter de leur immense pouvoir pour assurer à leurs fils la succession des charges qu’ils occupent. (p. 284)
Les intuitions de Michels ne seront que trop confirmées. Dans son livre, L’utopie collectiviste (PUF 1984), consacré à l’étude des récits du futur socialiste telle que le dessinaient les orateurs et propagandistes de la Deuxième Internationale, Marc Angenot montre en détail comment derrière le discours égalitaire apparaît très clairement la théorisation du rôle d’une classe d’intellectuels et d’organisateurs de l’État et de la vie sociale dans son ensemble qui les a conduits à oublier très vite les critiques de Marx contre la division du travail et notamment contre la séparation entre travail manuel et travail intellectuel… Comme le dit encore Michels
Il est, en effet, à craindre que la révolution sociale ne substitue à la classe dominante visible et tangible, qui existe de nos jours et qui agit ouvertement, une oligarchie démagogique clandestine opérant sous le faux masque de l’égalité. (p.286)
On voit que le révolutionnaire Michels n’est pas très éloigné du pessimisme de Mosca. Il ne semble pas y avoir beaucoup de solutions qui permettraient d’échapper à la loi d’airain de l’oligarchie. Surtout si on admet que la constitution d’oligarchies au sein des démocraties est un phénomène organique. C’est le niveau de conscience de la partie prépondérante des classes opprimées qui seul permet d’envisager des freins aux tendances oligarchiques. On retrouve chez Michels, en filigrane, l’idée d’une avant-garde révolutionnaire éclairée et la nécessité d’élever le niveau de conscience des masses. Mais la démocratie ne sera au mieux qu’un mythe – comme le trésor caché dans le champ que le laboureur prétend léguer à ses enfants.
3. Le bolchévisme
C’est presque naturellement que je passe de Michels à Lénine. Au fond, ils sont confrontés au même problème : celui des rapports entre la masse et l’élite à l’intérieur même du mouvement ouvrier.
L’invention du « léninisme » peut être datée de Que faire ?, un texte de 1902 qui va entériner la scission entre la majorité léniniste (bolchevik) du Parti Ouvrier Social-démocrate de Russie (POSDR) et la minorité (menchevik). Dans ce texte, Lénine, s’en prend très violemment au « culte de la spontanéité », c’est-à-dire à tous ces militants qui croient que le développement naturel de la lutte des ouvriers contre les capitalistes conduit à la démocratie puis au communisme. Contre ce « spontanéisme » économiste, Lénine enfonce le clou :
La conscience politique de classe ne peut être apportée à l’ouvrier que de l’extérieur, c’est-à-dire de l’extérieur de la lutte économique, de l’extérieur de la sphère des rapports entre ouvriers et patrons.8
Laissés à eux-mêmes, les ouvriers sont incapables d’aller au-delà des revendications économiques compatibles avec le mode de production capitaliste. Ils doivent donc être instruits et organisés, ordonnés en quelque sorte par un organe dirigeant, une sorte de prince collectif. Le parti (« les social-démocrates » dit Lénine) doit « apporter aux ouvriers les connaissances politiques ». Et pour mener cette tâche à bien, les social-démocrates doivent pénétrer « toutes les classes de la société » et ils doivent se transformer en organisation composée « principalement d’hommes ayant pour profession l’activité révolutionnaire ». Il n’y a donc pas d’émancipation possible pour les ouvriers sans la constitution de cette élite possédant les connaissances politiques et capable de réorganiser la société dans son ensemble. Et cette élite a vocation à diriger, sans trop se soucier des récriminations de ceux qui font preuve de « démocratisme » (encore une des cibles du Que faire ?).
Qu’est-ce qui peut guider cette élite révolutionnaire ? Rien d’autre que les fins poursuivies. Tout doit être subordonné à ces fins et c’est pourquoi Lénine polémique contre les gauchistes et toutes les variétés de doctrinaires qui font de telle ou telle forme d’action un interdit ou une obligation morale. Ainsi, il combattra pour la participation à la Douma d’Empire, pour l’utilisation de toutes les formes légales d’action possibles mais en même temps veillera au renforcement et au développement de l’appareil clandestin du parti – lequel n’hésitera pas à se procurer des fonds par les « expropriations » de banques, c’est-à-dire le pur et simple brigandage – et à la pénétration des membres du parti dans l’armée et « jusqu’à la cour du tsar ».
J’ai eu l’occasion de souligner la dimension machiavélienne de la pensée et de la pratique de Lénine (voir mon [amazon_textlink asin=’2200351674′ text=’Comprendre Machiavel’ template=’ProductLink’ store=’httpwwwclaude-21′ marketplace=’FR’ link_id=’1b7b050a-f60b-46c5-b42c-e5b471a449a7′]). Ici peut-être faut-il noter son idéalisme et même son platonisme : c’est la possession de la vérité qui fonde la légitimité de l’élite et sa vocation à assumer le pouvoir. Mais il faut encore pointer l’essentiel : Lénine rompt avec Marx sur une question-clé, celle de la capacité des travailleurs (c’est-à-dire de la grande masse de la population) à s’émanciper eux-mêmes, ou encore à devenir autonomes. Dans les textes de Lénine, les comparaisons militaires ou religieuses (l’ordre des Jésuites !) abondent et font bien du parti bolchevik une élite destinée à guider une masse ouvrière qui par ses propres forces est inapte à s’élever à la hauteur des tâches historiques qui sont les siennes. Cette élitisme trouvera son point d’orgue dans la prise du pouvoir en octobre/novembre 1917, un véritable coup d’État organisé de bout en bout par le parti sous la couverture purement formelle des « soviets ». Finalement, se sont pleinement confirmées les analyses de Trotski dans Nos tâches politiques (un pamphlet anti-léniniste de 1904) :
Dans la politique interne du Parti ces méthodes conduisent, comme nous le verrons plus loin, l’organisation du Parti à se « substituer » au Parti, le Comité central à l’organisation du Parti, et finalement le dictateur à se substituer au Comité central ; (Chap. III)
Mais cela ne concerne pas que le régime intérieur :
la dictature du prolétariat leur [les partisans de Lénine] apparaît sous les traits de la dictature sur le prolétariat : ce n’est pas la classe ouvrière qui, par son action autonome, a pris dans ses mains le destin de la société, mais une « organisation forte et puissante » qui, régnant sur le prolétariat et à travers lui sur la société, assure le passage au socialisme. (Chap. IV, 2)
Le système stalinien n’est pas le produit nécessaire du bolchevisme – il faudrait un peu de temps pour le montrer – mais, il faut le reconnaître, un parti construit sur de tels fondements théoriques et idéologiques était naturellement peu immunisé contre le mal bureaucratique et contre la foi dans la toute puissance de l’appareil d’État.
4. Gramsci, la théorie de l’hégémonie et le « nouveau prince ».
Gramsci est, à la fois, l’un des pères fondateurs du parti communiste italien et, à ce titre, il doit être considéré comme un « léniniste », et le plus hérétique des dirigeants de l’Internationale communiste : il procède à une sorte de synthèse entre le léninisme russe et la tradition philosophique italienne, mais dans laquelle le léninisme va très vite être réduit à la portion congrue. Ce qui est difficile avec l’œuvre de Gramsci, c’est qu’elle est très éparpillée, dans des articles liés directement à l’actualité – par exemple ses articles de l’Ordine Nuovo – ou dans ses « cahiers de prison » où Gramsci mène un dialogue permanent avec la culture italienne dont il hérite. La dernière partie du livre que Domenico Losurdo – dont je suis les raisonnements le plus souvent ici – consacre à Gramsci (Antonio Gramsci dal liberalismo al « comunismo critico »9) a pour titre: « La difficile émancipation : Gramsci, l’élitisme italien et le « marxisme occidental » », un titre qui résume parfaitement la situation philosophique du Gramsci de la maturité, si on peut dire : le communisme critique de Gramsci s’élabore dans le dialogue avec l’héritage culturel qu’il ne s’agit pas de rejeter, ni de dénoncer mais de dépasser au sens hégélien de « Aufhebung », c’est-à-dire surmonter en conservant.
Pour faire comprendre de quoi il s’agit, je vais partir d’un extrait du livre de Losurdo.
Dans un de ses écrits de jeunesse, Marx distingue entre une critique de l’idéologie qui détruit les fleurs illusoires pour briser les chaînes réelles et une critique de l’idéologie qui, à l’inverse, détruit les fleurs seulement pour renforcer les chaînes, seulement pour démontrer l’inanité de toute tentative de s’en affranchir. C’est de cette dernière manière que procèdent ces auteurs qui dénoncent la nature substantiellement esclavagiste du travail salarié, non pour mettre ce dernier en question mais bien plutôt pour affirmer la légitimité de l’esclavage proprement dit. (MEW, I, 79-81)10 C’est le type de critique de l’idéologie que nous retrouvons ensuite chez Nietzsche. Nous pouvons, ici, nous demander si Marx s’est toujours employé à tenir distincts avec toute la clarté nécessaire ces deux types différents et opposés d’idéologie. C’est un fait, en tout cas, que le second type a pénétré de quelque manière le mouvement socialiste. Elle est clairement présente chez Mussolini, socialiste et révolutionnaire (qui conjugue Marx avec Nietzsche), mais, au-delà de la personnalité singulière, elle se fait aussi sentir, à travers de multiples médiations, dans l’histoire du « socialisme réel ». Lorsque, dans son domaine, politiques et idéologues se sont employés à mettre à nu le caractère « formel » de la démocratie bourgeoise, non pour rendre concret et aisé pour tous l’exercice des droits démocratiques mais pour les priver de signification, c’est à se demander donc si nous ne sommes pas en face de ce genre de critique de l’idéologie dénoncée par le jeune Marx comme une forme plus subtile mais aussi plus dangereuse et plus radicale de légitimation de la domination dans son immédiateté. De cette manière, la critique de la liberté comme simple idéologie, au lieu d’ouvrir la voie à une amplification et à un enrichissement de ses contenus concrets, a fini par légitimer la dictature même sous les formes les plus brutales et les plus immédiates.11
Selon Losurdo, Gramsci a tenu compte de cette distinction opérée par le jeune Marx et elle commande largement son rapport avec les « élitistes » italiens. Cela permettrait d’expliquer la manière très polémique, jusqu’à en être injuste, dont il traite Roberto Michels. Plus généralement, Gramsci s’en prend à la critique de l’idéologie telle que la conduisent les élitistes ou même Croce. Ainsi Pareto écrit-il:
§ 86. L’auteur qui expose certaines théories désire généralement que chacun les admette et les fasse siennes ; car en lui, le rôle du chercheur de vérités expérimentales et celui de l’apôtre se confondent. Dans ce livre, je les sépare entièrement ; je retiens le premier, j’exclus le second. J’ai dit et je répète que mon unique but est la recherche des uniformités (lois) sociales ; j’ajoute que j’expose ici les résultats de cette recherche, car j’estime que, vu le nombre restreint de lecteurs que peut avoir ce livre et la culture scientifique qu’elle leur suppose, un tel exposé ne peut faire de mal ; mais je m’en abstiendrais, si je pouvais raisonnablement croire que cet ouvrage deviendrait un livre de culture populaire.
Gramsci y voit une des manifestations typiques de la duperie bourgeoise. De même lorsque Croce écrit: « On ne peut enlever la religion à l’homme du peuple sans lui substituer immédiatement quelque chose qui satisfasse les exigences mêmes qui ont donné naissance à la religion et font qu’elle demeure », Gramsci répond :
Il y a du vrai dans cette affirmation, mais ne contient-elle pas l’aveu que la philosophie idéaliste est incapable de devenir une conception du monde intégrale (et nationale)? Et en effet, comment pourrait-on détruire la religion dans la conscience de l’homme du peuple sans, dans le même temps, la remplacer. Est-il possible, dans ce seul cas, de détruire sans créer ? C’est impossible. L’anticléricalisme vulgaire et maçonnique lui-même substitue à la religion qu’il détruit (dans la mesure où il la détruit réellement), une nouvelle conception; et si cette nouvelle conception est grossière et basse, cela signifie que la religion remplacée était en réalité encore plus grossière et basse. L’affirmation de Croce ne peut donc être qu’une façon hypocrite de représenter le vieux principe selon lequel la religion est nécessaire pour le peuple. Gentile, de façon moins hypocrite et plus conséquente, a rétabli l’enseignement [de la religion] dans les écoles élémentaires (on est allé encore plus loin que ce que voulait faire Gentile : on a étendu l’enseignement de la religion aux écoles secondaires); et il a justifié son acte en faisant appel à la conception hégélienne de la religion comme philosophie de l’enfance de l’humanité qui, appliquée aux temps actuels, est devenue un pur sophisme et une façon de rendre service au cléricalisme. (Q. 1294-5)
Ce qui n’empêche pas Gramsci de dénoncer « l’anticléricalisme stupide » largement diffusé dans le mouvement ouvrier. Contre cette duplicité de la bourgeoisie, le mouvement ouvrier doit, selon Gramsci, mener bataille sur le terrain de la culture, autour de la question centrale de l’héritage : le mouvement ouvrier est l’héritier de la culture « bourgeoise ». Mais il faut aussi tenir compte du fait que la bourgeoisie ne reste pas inerte et qu’elle sait retourner contre le mouvement ouvrier les armes que lui donne la « philosophie de la praxis » – c’est le nom sous lequel Gramsci désigne la philosophie de Marx. Notons, d’ailleurs à ce sujet, que contrairement à ce qu’on peut lire ici et là, ce n’est pas pour échapper à la censure que Gramsci parle de la « philosophie de la praxis » à la place du « marxisme ». L’expression « filosofia della praxi » est propre aux philosophes italiens marxistes ou non et c’est, je crois, avec l’essai de 1898 de Giovanni Gentile qu’elle entre dans les mœurs. La question de la bataille culturelle occupe la majeure partie des deux mille pages des Cahiers de prison, sous une forme ou sous une autre. Contre le « matérialisme banal », il considère que c’est là que se joue véritablement la question politique centrale puisque c’est là que se joue l’hégémonie. C’est pourquoi il pose comme tâche la construction prolétarienne d’une « véritable groupe des intellectuels indépendants », condition de la formation de l’autonomie subjective du prolétariat. Sur ce terrain il semble suivre Lénine, mais va beaucoup plus loin que lui. Alors que Lénine finalement raisonne en termes militaires (le parti est une armée capable de mener une guerre de mouvement et l’instruction de l’élite révolutionnaire se fait dans ce cadre), Gramsci pose la question de la conquête « morale » des masses, donc de la culture nécessaire pour soutenir une « guerre de position ».
Gramsci, s’appuyant sur Croce, rappelle que la Renaissance italienne est restée confinée dans les cercles aristocratiques alors que le luthérianisme et le calvinisme ont été des mouvements de réforme nationale-populaire – c’est cette même expression que l’on trouve dans les notes sur Machiavel, au moment où Gramsci définit les tâches du nouveau prince. Et, pourtant, le luthérianisme et le calvinisme dans un premier temps ne représentaient pas une culture supérieure à celle qu’ils allaient remplacer. C’est seulement dans une phase ultérieure que la réforme put intégrer l’héritage de la renaissance et se diffuser même dans les pays non protestants. En France, la réforme s’exprima dans le mouvement des Lumières.
Il faut savoir transposer ces leçons de l’histoire dans l’époque actuelle. Gramsci propose de penser « la philosophie de la praxis comme réforme populaire moderne ». Cette idée a été entrevue, pour la première fois par Sorel qui a repris à Renan l’idée de la nécessité d’une réforme intellectuelle et morale. Mais en ce qui concerne le mouvement ouvrier, les choses se heurtent à une réalité que Gramsci met clairement en évidence :
La philosophie de la praxis présuppose tout ce passé culturel, la renaissance et la réforme, la philosophie allemande et la révolution française, le calvinisme et l’économie classique anglaise, le libéralisme et l’historicisme qui est à la base de toute la conception moderne de la vie. La philosophie de la praxis est le couronnement de tout ce mouvement de réforme intellectuelle et morale, dialectisé dans le contraste entre culture populaire et haute culture. Elle correspond au lien Réforme protestante + Révolution française : c’est une philosophie qui est aussi une politique, une politique qui est aussi une philosophie. Elle travers encore sa phase populaire : susciter un groupe d’intellectuels indépendants n’est pas une chose facile, cela demande un long processus avec des actions et des réactions, avec des adhésions et des dissolutions et de nouvelles formations très nombreuses et complexes : c’est la conception d’un groupe social subalterne, sans initiative historique, qui s’amplifie continuellement mais de manière non organique, et sans pouvoir outrepasser un certain degré qualitatif qui est toujours au-delà de la possession de l’État, de l’exercice réel de l’hégémonie sur toute la société qui seul permet un certain équilibre organique dans le développement du groupe intellectuel. (Q. 1860-1)
Cette limitation explique pourquoi la « philosophie de la praxis » peut se transformer en une sorte de religion pour classe subalterne. Et c’est aussi pourquoi la lutte pour l’émancipation du prolétariat prend cette forme chaotique qu’on lui connaît. Comment sortir de cette difficulté ? Si on suit la théorie des élites de Pareto, il n’est aucune issue possible. Les classes dominantes dominent ! Pareto, parmi les moyens qui permettent le maintient de la domination d’une classe dominante note ceci:
§ 2482. 4° L’appel de la classe gouvernante, à condition de la servir, de tout individu qui pourrait lui devenir dangereux. Il faut prendre garde à la restriction : « à condition de la servir ». Si on la supprimait, on aurait simplement la description de la circulation des élites ; circulation qui se produit précisément quand des éléments étrangers à l’élite viennent à en faire partie, y apportant leurs opinions, leurs caractères, leurs vertus, leurs préjugés. Mais si, au contraire, ces personnes changent leur manière d’être, et d’ennemis deviennent alliés et serviteurs, on a un cas entièrement différent, dans lequel la circulation fait défaut. (TSG)
Thème sur lequel il revient souvient :
Il est, au contraire, plus difficile de déposséder une classe gouvernante qui sait se servir de la ruse, de la fraude, de la corruption, d’une manière avisée. C’est très difficile, si cette classe réussit à s’assimiler le plus grand nombre de ceux qui, dans la classe gouvernée, ont les mêmes dons, savent employer les mêmes artifices, et pourraient par conséquent être les chefs de ceux qui sont disposés à faire usage de la violence. La classe gouvernée qui, de cette manière, demeure sans guide, sans habileté, sans organisation, est presque toujours impuissante à instituer quoi que ce soit de durable. (Pareto, TSG, § 2179)
La théorie du parti d’avant-garde, telle que Gramsci la réélabore en partant de Lénine, vise justement à répondre à la théorie des élites de Pareto. Elle vise à construire une idée radicalement différente du chef et du groupe dirigeant. Gramsci oppose le chef à petites ambitions au chef à grandes ambitions. Après avoir dépeint le « chef charismatique » dont parle Michels, Gramsci écrit :
Le chef politique à grande ambition, à l’inverse, tend à susciter une strate intermédiaire entre lui-même et la masse, à susciter de possibles « concurrents » et égaux, à élever le niveau de capacité des masses, à créer les éléments qui peuvent le remplacer dans sa fonction de chef. Il pense selon les intérêts de la masse et ceux-ci veulent qu’un appareil de conquête ou de domination ne disparaisse pas à la mort ou à l’affaiblissement d’un seul chef, replongeant la masse dans le chaos ou l’impuissance primitive. (Q. 772)
On remarquera que cette alternative à la théorie des élites reprend la théorie des élites pour la faire jouer dans un autre sens. Un prince qui s’appuie sur les intérêts du peuple en lieu et place d’un prince au service des dominants. Il faudrait ici développer les thèmes gramsciens bien connus, intellectuels organiques, hégémonie pour comprendre mieux la richesse de cette réflexion. Mais on peut tout de même clairement indiquer les liens qui unissent la pensée critique de Gramsci à l’élitisme italien avec lequel il mène un débat vigoureux.
La nouvelle classe dominante : les élites technobureaucratiques
Entre les deux guerres, surtout au cours des années 30, se développe une discussion de la plus haute importance sur les rapports entre le communisme soviétique, les diverses formes de fascisme et la montée d’un État interventionniste même dans les bastions du libéralisme, comme aux États-Unis avec le New Deal de Roosevelt. Face à la crise du capitalisme (il faut avoir à l’esprit le véritable traumatisme qu’a été le krach de Wall Street à l’automne 1929), ces trois formes de régimes développaient des politiques qui, au-delà de leurs différences notables sur le plan humain ou moral, n’en étaient pas moins étrangement convergentes.
L’étatisme et l’intervention de la bureaucratie politique dans la planification économique, la reconnaissance de la nécessité de se préoccuper du bien-être des travailleurs et de leur offrir des protections légales (allant ainsi à l’encontre des sacro-saintes lois du marché du travail), le rôle croissant des techniciens et des managers de l’économie, voilà quelques-uns de ces traits communs. On remarquera aussi, dans le désordre, que Mussolini vient du socialisme et qu’il a su attirer à lui des éléments parmi les plus radicaux (cf. Michels !), que le NSDAP de Hitler se dit « socialiste » et prétend offrir aux travailleurs allemands la réponse à leurs aspirations socialistes, ou encore que le Dr Schacht, le premier ministre de l’économie de Hitler était un disciple de Keynes, inspirateur du New Deal ou encore que la gauche a joué un rôle important dans l’administration Roosevelt : on commence à avoir le tableau d’une situation qu’on a bien oubliée aujourd’hui.
La discussion a pris un tour très particulier à partir de 1935-36 et les polémiques qui commencent à se développer autour de la question de la nature de l’URSS ainsi que les comparaisons qui trouveront leur point culminant après le pacte germano-soviétique entre stalinisme et nazisme.
Très tôt les anarchistes et les groupes communistes conseillistes avaient dénoncé le système soviétique comme un « capitalisme d’état. » Mais l’appellation avait plus valeur de condamnation morale ou politique que de caractérisation scientifique. Lénine avait bien parlé de capitalisme d’État au début de la formation de l’URSS mais c’est parce que, pour lui, l’URSS n’était pas un pays socialiste, mais plutôt un système mixte dont la théorie sera faite au moment de la NEP, cette phase inaugurée après la fin de la guerre civile et du « communisme de guerre » et qui devait combiner un capitalisme d’État industriel avec une petite propriété paysanne essentiellement et même des investisseurs étrangers. Mais la collectivisation forcée et le plan quinquennal, mis en place au tournant des années trente avaient radicalement bouleversé la situation.
C’est de cette situation que Trotsky doit tenir compte quand il écrit un de ses ouvrages majeurs, La révolution trahie, consacré à l’analyse du système soviétique. Il consacre une place non négligeable aux questions de définition. Ainsi, il réfute celle de « capitalisme d’État »:
En présence de nouveaux phénomènes les hommes cherchent souvent un refuge dans les vieux mots. On a tenté de camoufler l’énigme soviétique à l’aide du terme « capitalisme d’État », qui a l’avantage de n’offrir à personne de signification précise. Il servit d’abord à désigner les cas où l’État bourgeois assume la gestion des moyens de transports et de certaines industries. La nécessité de semblables mesures est un des symptômes de ce que les forces productives du capitalisme dépassent le capitalisme et l’amènent à se nier partiellement lui-même dans la pratique. Mais le système, se survivant, demeure capitaliste en dépit des cas où il en arrive à se nier lui-même.12
Et Trotsky n’a pas beaucoup de mal à montrer que les définitions traditionnelles du capitalisme ne peuvent pas s’appliquer à l’URSS et que, par conséquent, l’expression « capitalisme d’État » est plutôt une source de confusion. Mais pour autant, il se refuse à faire de la bureaucratie une nouvelle classe dirigeante. Elle n’est pour lui qu’une excroissance d’un système social dont les bases sociales sont issues d’une authentique révolution prolétarienne. Il admet toutefois qu’elle est quelque chose de plus qu’une simple bureaucratie :
Tandis que les fascistes, une fois arrivés à la mangeoire, s’unissent à la bourgeoisie par les intérêts communs, l’amitié, les mariages, etc., la bureaucratie de l’U.R.S.S. s’assimile les moeurs bourgeoises sans avoir à côté d’elle une bourgeoisie nationale. En ce sens on ne peut nier qu’elle soit quelque chose de plus qu’une simple bureaucratie. Elle est la seule couche sociale privilégiée et dominante, au sens plein des termes, dans la société soviétique. (p. 166)
Mais elle n’est pas pour autant une classe sociale dirigeante:
La bureaucratie n’a pas créé de base sociale à sa domination, sous la forme de conditions particulières de propriété. Elle est obligée de défendre la propriété de l’État, source de son pouvoir et de ses revenus. Par cet aspect de son activité, elle demeure l’instrument de la dictature du prolétariat. (p. 167)
C’est sur ce point que Bruno Rizzi va le contester rudement. Dans Le collectivisme bureaucratique13, (première partie de son ouvrage, La bureaucratisation du monde), Rizzi se consacre à l’analyse de l’URSS et réfute radicalement Trotsky. Il montre que le système soviétique est une nouvelle formation sociale.
Cette forme nouvelle de la société résout, d’un point de vue social, l’insoutenable antagonisme qui rendait la société capitaliste incapable de tout progrès. Dans la société capitaliste, la forme de production est collective depuis longtemps, car tout le monde prend part, d’une manière directe ou indirecte, à la production de n’importe quelle marchandise. Mais la propriété des marchandises est individuelle, cela en conséquence précisément du maintien de la propriété. En socialisant la propriété et en la mettant effectivement sous la direction d’une classe, agissant comme un complexe harmonique, on fait disparaître l’antagonisme existant dans le système de production de la société capitaliste, remplacé par un nouveau système.
Mais celle-ci ne peut être analysée dans les limites de l’URSS. Elle doit plutôt être comprise comme une expression particulière d’un mouvement mondial, dont le New Deal et le fascisme ou le nazisme sont d’autres expressions.
Ce nouveau système social se présente dans le développement de l’histoire de l’humanité, comme un phénomène parasitaire. Le pouvoir aurait dû logiquement passer de la bourgeoisie au prolétariat, mais cela n’est pas arrivé à cause, évidemment, de l’immaturité politique du prolétariat. En effet on passe à une direction sociale qui n’est ni bourgeoise ni prolétarienne. Le personnage du bourgeois capitaliste est devenu superflu, dans le phénomène de la grande production, et il est automatiquement écarté. L’ancien fonctionnaire, le rond-de-cuir de la bourgeoisie, prend un aspect juridique en s’alliant à la bureaucratie syndicale et à celle de l’Etat totalitaire : une nouvelle classe monte à l’horizon. Le prochain avenir seulement pourra nous dire si cette nouvelle classe, pointant partout dans le monde, est à même d’aplanir d’abord toutes les divergences qu’a laissées l’impérialisme et, ensuite, d’augmenter le volume de la production en employant la nouvelle organisation économique et politique. On verra aussi si cette classe est à même d’améliorer les conditions de vie des masses ; c’est là qu’elle donnera la preuve de sa « virtuosité ».
Les symptômes politiques concordent avec la naissante bureaucratisation du monde.
Les thèses de Rizzi sont au centre des controverses entre Burnham et Trotsky en 1939-4014. Après la guerre, Burnham qui a rompu avec le trotskysme et le marxisme sera connu comme l’auteur d’un « best-seller », Managerial revolution, traduit en français et présenté par Léon Blum sous le titre de L’ère des organisateurs. Sous une autre forme, J.K. Galbraith s’inscrit dans la même lignée avec le rôle qu’il donne à la techno-bureaucratie et sa théorie de la convergence des deux systèmes.
Bien que la chute de l’Union Soviétique et le tournant « néo-libéral » dans les sociétés capitalistes aient quelque peu relégué à l’arrière-plan les théories de Burnham et Galbraith, on peut tout de même se demander si ce n’est une pas une nouvelle élite qui a pris le pouvoir depuis trente ou quarante ans, une nouvelle élite qui se forme par absorption de certaines parties des anciennes élites (par exemple celles qui occupaient le terrain du temps de l’État-providence) et par l’éviction pure et simple des élites anciennes, celles qui se prévalaient de la haute culture.
L’analyse de notre monde dans les termes de la sociologie de Pareto serait certainement très éclairante. Il manque encore un Gramsci.
(Conférence à l’association Philopop, Le Havre, 27 février 2010)
1Vilfredo Pareto, de mère française et de père italien est né à Paris en 1848 et mort en Suisse à Céligny en 1923. Économiste et sociologue, c’est lui qui a pris la succession de Léon Walras à chaire d’économie politique de l’Université de Lausanne.
2Gaetano Mosca, 1858-1941, professeur de droit constitutionnel, il a eu une aussi une activité politique, député puis sénateur à vie jusqu’en 1926, et journalistique (au Corriere della Sera). Mosca est né à Palerme et la mafia a été pour lui un sujet d’étude et de réflexion: Che cosa è la mafia?
3James Burnham, The Machiavellians, New-Tork, 1943. Ce livre difficile à trouver n’a pas été traduit en français à la différence de L’ère des organisateurs (The managerial revolution).
4G. Mosca, Elementi di scienza politica, 2e édition, 1923. I, p.7
5G. Mosca, « Aristocrazia e democrazia », in Partiti e sindacati, Laterza/ Bari, 1949, p.334-335 cité par N. Bobbio in Saggi sulla scienza politica in Italia.
6G. Mosca, Elementi,I
7Cité ici dans la traduction de S. Jankélévitch, « Champs », Flammarion.
8Lénine : Que faire ? III, éditions de Moscou.
9Ce livre a traduit en français en 2005 aux éditions Syllepse.
10Le texte français, extrait de l’introduction à la contribution à la Critique de la philosophie du droit de Hegel est le suivant : « Le véritable bonheur du peuple exige que la religion soit supprimée en tant que bonheur illusoire du peuple. Exiger qu’il soit renoncé aux illusions concernant notre propre situation, c’est exiger qu’il soit renoncé a une situation qui a besoin d’illusions. La critique de la religion est donc, en germe, la critique de cette vallée de larmes, dont la religion est l’auréole. La critique a effeuillé les fleurs imaginaires qui couvraient la chaîne, non pas pour que l’homme porte la chaîne prosaïque et désolante, mais pour qu’il secoue la chaîne et cueille la fleur vivante. La critique de la religion désillusionne l’homme, pour qu’il pense, agisse, forme sa réalité comme un homme désillusionné, devenu raisonnable, pour qu’il se meuve autour de lui et par suite autour de son véritable soleil. La religion n’est que le soleil illusoire qui se meut autour de l’homme, tant qu’il ne se meut pas autour de lui-même. L’histoire a donc la mission, une fois que la vie future de la vérité s’est évanouie, d’établir la vérité de la vie présente. Et la première tâche de la philosophie, qui est au service de l’histoire, consiste, une fois démasquée l’image sainte qui représentait la renonciation de l’homme a lui-même, à démasquer cette renonciation sous ses formes profanes. La critique du ciel se transforme ainsi en critique de la terre, la critique de la religion en critique du droit, la critique de la théologie en critique de la politique.
11D. Losurdo, Gramsci dal liberalismo al comunismo critico, Gamberetti Editrice, 1997, pp. 209-210
12L. Trotsky, La révolution trahie, éditions de Minuit, 1963, p. 164
13Édité par les éditions Complexe-Lebovici, cet ouvrage est apparemment indisponible en français.
14Voir Trotsky, Défense du marxisme, EDI