On a souvent et longtemps parlé en France de «lepénisation des esprits» (expression dont on attribue la paternité à Robert Badinter) pour désigner la diffusion des thèses du Front national – notamment sur l’immigration et l’insécurité – dans le débat public et politique. Ces dernières années, c’est une autre contagion qui s’est emparée de bien des cerveaux, phénomène que l’on pourrait nommer «la plenélisation des esprits» – en référence au célèbre journaliste et idéologue Edwy Plenel. Le fondateur de Mediapart est en en effet à la fois la figure de proue de l’islamo-gauchisme, ce courant qui en Occident a vu des personnalités ou intellectuels de gauche considérer l’islam politique comme un levier révolutionnaire et l’islam comme la religion des opprimés.
Outre Plenel, naguère fidèle partenaire du prédicateur Tariq Ramadan, l’islamo-gauchisme a été porté en France par des collectifs, des syndicats, des partis (dont le NPA de Besancenot), des mouvements, des associations, des intellectuels et autres Indigènes de la République… Jacques Julliard qualifia cette mouvance de «parti intello-collabo» de l’islam radical et s’interrogea : «Il y a un problème de l’islamo-gauchisme. Pourquoi et comment une poignée d’intellectuels d’extrême gauche, peu nombreux mais très influents dans les médias et dans la mouvance des droits de l’homme, ont-ils imposé une véritable sanctuarisation de l’islam dans l’espace politique français ?»
Racisme d’État
La thèse principale des islamo-gauchistes est que les musulmans subissent en France un «racisme d’État», un «racisme institutionnalisé». Ainsi, la laïcité n’est pas à leurs yeux un instrument de liberté et de protection des individus, mais un outil de stigmatisation et de répression utilisé contre l’islam. Pour eux, la France, sa police, sa justice, nombre de ses responsables politiques sont racistes. Au-delà des musulmans (qu’il est bon de comparer aux Juifs ayant souffert de l’antisémitisme en France, voir à ce sujet Pour les musulmans d’Edwy Plenel), les étrangers, les Français d’origine étrangère et autres minorités dites visibles sont victimes de discrimination, non pas accessoirement et de la part d’individus ou de structures isolées, mais de façon massive et permanente. Ce racisme est bien sûr hérité pour une part de notre passé colonial et de la guerre d’Algérie en particulier. Toujours pour les islamo-gauchistes, le foulard islamique et ses dérivés (hijab, niqab, burkini…) sont de banals signes religieux ou culturels ne portant aucune signification politique ou idéologique.
Or, bien que grossières, cette rhétorique et cette propagande se répandent. «Racisme d’État» ou «racisme institutionnel» (des termes qui recouvraient les réalités de l’Afrique du Sud sous l’Apartheid ou des Etats-Unis de la ségrégation raciale) sont désormais des concepts largement repris par une part de la population récitant le catéchisme de Plenel. Que répondre à ces inepties qui trahissent une perte du sens commun et de la raison, une déconnection à peu près totale du réel dans ce qu’il recouvre autant de la marche du monde que de l’observation concrète du quotidien ?
Attentats racistes
La France raciste ? Bien sûr ! Il suffit d’observer les flux migratoires pour s’en convaincre. Depuis des années, des dizaines et des centaines de milliers d’étrangers ou de Français d’origine étrangère ont fui cet Hexagone xénophobe (parfois au risque de leur vie, sur des embarcations de fortune) pour se réfugier en Algérie, en Turquie ou en Albanie – pays connus pour leur respect des libertés et leur tolérance en matière de minorités. Surtout, il y a tous ces événements tragiques des dernières années. Souvenons-nous du commando formé par les journalistes de Charlie-Hebdo, fanatisés par leurs idées laïcardes et islamophobes, et du carnage qu’ils causèrent. Et ces jeunes terroristes juifs ultra-orthodoxes attaquant ici une école musulmane et tuant des enfants, attaquant là un supermarché halal en faisant couler le sang. Comment oublier ces foules criminelles du Bataclan qui, en novembre 2015, après un concert d’un groupe américano-sioniste, massacrèrent des étrangers et des musulmans innocents en entraînant dans leur entreprise criminelle le peuple des terrasses ? Heureusement, le catholique intégriste qui voulait se faire sauter au Stade de France a échoué. Et l’attentat au camion du 14 juillet 2016 à Nice n’a-t-il pas été l’œuvre d’un homme endoctriné par le «racisme d’État» ? Et tous ces assassins poignardant dans les rues des musulmans ou des étrangers en criant «Au nom du Christ !»
La France est raciste, psalmodient les dévots du plenélisme. Il est intéressant de noter que ceux-ci appartiennent à des catégories «éduquées» et diplômées de la population, à des «intellectuels». «En cette époque dite de culture de masse ce ne sont pas les masses qui manquent de culture, mais plutôt les élites. Il est rare d’entendre dans un autobus des bourdes aussi monumentales que celles qu’on remarque à la télévision ou dans les journaux», écrivait Claudio Magris. En effet, en général, l’homme de la rue, l’homme ordinaire ne profère pas les absurdités de nos intellectuels plenélisés.
On nous pardonnera de rapporter une expérience personnelle, mais elle est révélatrice. Nous nous sommes retrouvés un jour face à une personne (bac + 5, sortie d’une «grande école») sincèrement convaincue qu’en France des films étaient interdits tout à fait légalement aux comédiens ou comédiennes noirs… Une autre (même profil) nous expliqua que l’interdiction du port de la burqa dans l’espace public en France était discriminatoire, mais ne pouvait envisager que la burqa elle-même, cette prison de tissu, était peut-être discriminatoire.
Monde inversé
Bref, nous vivons dans un monde totalement inversé, où le faux remplace le vrai, où le non-sens remplace la raison, où l’absurde prend le pas sur la logique, où «la liberté c’est l’esclavage et la guerre c’est la paix» (1984, Orwell). De fait, nous avons en France des ateliers et des stages antiracistes organisés par des syndicats de l’Éducation nationale (Sud-Éducation 93) interdits aux personnes «non-racisées» (c’est-à-dire Blanches), des universités d’été à visée «décoloniale» réservées «uniquement aux personnes subissant à titre personnel le racisme d’Etat en contexte français» (là encore interdits aux Blancs). Voici le temps des antiracistes ségrégationnistes. Dans un registre voisin, le cas Yann Moix, autre intellectuel pourfendeur de la police et de l’État racistes, est révélateur de cette perte totale du sens commun. 150 ans d’instruction laïque, gratuite et obligatoire pour en arriver là. C’est légèrement inquiétant…