Bezard, vous avez dit Bezard ?

Partager cet article:
Print Friendly, PDF & Email

Loading

Noblesse n’oblige plus!

Ce monsieur a été présenté, à juste titre d’ailleurs, comme un brillant produit de la méritocratie républicaine. Gros bosseur, excellent dans la mécanique administrative, un pays a besoin de grands commis de ce type. Mais cela doit-il se faire aux dépens de l’éthique, la capacité de discerner les bonnes et mauvaises décisions au regard de valeurs et d’objectifs stratégiques? Les belles machines que produisent nos grandes écoles forment des belles machines, de moins en moins compétentes car elles ne sont plus guidées par des stratégies de politiques publiques du fait de la capitulation du politique devant les idéologies qui réduisent la politique à la gestion et nient l’Etat nation comme le néolibéralisme, mais uniquement par la logique de carrière et l’optimisation de leur propre intérêt, comme prôné par le new public management, application du néolibéralisme dans le secteur public. Pour la noblesse d’Etat qui a été, quoi qu’on en dise, un acteur essentiel de la reconstruction de la France durant les Trente glorieuses, noblesse obligeait. Cela s’appliquait tant à sa gestion quotidienne qu’à ses choix personnels de carrière.

A l’ère de l’individualisme absolu, de la recherche maximale du gain, de l’efficience (et non plus de l’efficacité), noblesse n’oblige plus.

J’ai publié ce papier sous un pseudo en mai 2016 dans Boulevard Voltaire, car je n’ai été libéré de mon devoir de réserve que le 1° juillet par mon départ en retraite.

 CR


Bruno Bezard, ce nom vous était inconnu à ce jour, et nul doute que son titulaire aurait souhaité qu’il le restât. Jusqu’au 20 juin il est directeur général du Trésor et a dirigé l’Agence des participations de l’Etat et avait donc la haute vue sur tous les leviers de pouvoir des entreprises. Eh bien, on apprend que ce monsieur va passer avec armes et bagages au service des Chinois. Il va rejoindre le Fonds Cathay capital de M. Mingpo Cai, avec pour mission de créer « un nouveau véhicule d’investissement pour financer en fonds propres les entreprises européennes et asiatiques ». Quand on sait l’incapacité de l’Etat actuel à doter les PME innovantes qui portent l’innovation technologique française, on comprend l’enjeu. 

Mingpo Cai, un parcours édifiant : Etudiant à l’Université d’Orléans, parti – selon la belle histoire – « de rien », il est devenu le patron d’un fonds d’investissement de 1,2 milliard d’euros. Parmi ses prises, on compte la marque de linge de maison Yves Delorme, les salons de coiffure Jacques Dessange ou l’industriel Hologram Industries. Le fonds cible dorénavant les start-up, en plus des PME.  Il a récemment lancé le fonds Cathay Capital Innovation, destiné à prendre des participations dans 12 à 18 sociétés innovantes, basées principalement en France et en Chine.

Une belle réussite dont on ne saurait lui faire grief et une stratégie cohérente : Un Chinois qui sert la Chine, c’est normal et naturel. Il l’a d’ailleurs clairement déclaré en 2010 “Français, si vous ne vous imposez pas sur le marché chinois, les Chinois viendront vous concurrencer sur votre marché domestique.” Et de se féliciter de la qualité innovante des entreprises françaises, nos fameuses pépites sur lesquelles il a des vues. Normal. Mais un Français (enfin, un haut fonctionnaire) qui sert la France est une denrée beaucoup plus rare. Les fonds de Cathay Capital viennent à 40% d’institutionnels, la plupart français comme la Caisse des dépôts. 70% des fonds investis en France le sont dans des PME ayant des projets de croissance internationale, notamment la Chine. Et 30% sont investis en Chine et consacrés plutôt à l’industrie. Un Fonds franco-chinois genre pâté cheval alouette, donc, ou de l’argent français pour financer les investissements chinois !

Mais comment notre Bezard peut-il ainsi passer avec armes et bagages chez un concurrent ? Avant de partir dans le privé, tout fonctionnaire à responsabilité doit passer devant une commission de déontologie qui se prononce sur la compatibilité de ses nouvelles activités avec les anciennes pour détecter tout conflit d’intérêt. Un simple cadre supérieur qui prend sa retraite et veut continuer à exercer ses talents à titre libéral doit consulter ladite commission qui impose généralement un délai de 5 ans pour que les informations possédées par le partant soient obsolètes. Notre homme doit en outre être habilité secret défense : il est donc aussi astreint pendant 5 ans après son départ à ne révéler aucune information classifiée.

Or, ladite commission n’a rien trouvé à redire à ce départ ! une commission composée de deux magistrats de la Cour des Comptes, deux magistrats de l’ordre judiciaires et deux personnalités qualifiées que l’on va chercher dans le stock des préfets hors cadre en mal d’activité.

L’intelligence économique chinoise passe – à juste titre – pour être très pointue et cibler les pépites des pays étrangers. Et elle le fait très bien. Il paraît que Bercy a un nouveau service d’intelligence économique tout neuf, chargé d’identifier les entreprises stratégiques françaises objets de convoitises. Or, il semblerait qu’il n’ait pas été consulté.

La France trahie par ses élites ? Comme c’est Bezard….

Partager cet article:

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.