A nouveau l’Euro

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8 mars 2015

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euro centA entendre les femmes et les hommes du gouvernement français, tout va bien. Certes, et ce n’est pas un petit « certes », il se profile une nouvelle raclée électorale dans le cadre des élections départementales (feu les cantonales…). Mais, ceci n’est que péripétie. Non, décidément tout va bien car l’Euro a fortement baissé (il se négocie actuellement autour de 1,10 US Dollar), ce qui devrait instantanément relancer la croissance… Que des personnes de responsabilité (nous n’osons dire de raison) puisse prononcer ces discours sans en mesurer la contradiction avec ce qu’ils disaient il n’y a que quelques mois est à tout point sidérant. Qu’ils puissent s’en tenir à ce niveau plus que primitif de raisonnement est à tout point inquiétant.

La baisse de l’Euro et l’impact sur la croissance

Depuis maintenant près d’un an l’Euro effectivement baisse par rapport au Dollar. Il est passé ainsi d’un taux de change de 1,36 USD à 1,10 USD. C’est une dépréciation importante. Notons qu’elle n’a pas induit de « catastrophes », comme on en prévoyait pour contrer ceux qui appelaient à une dissolution de la zone Euro pour que l’on puisse justement librement déprécier la monnaie. Très curieusement, on se fait désormais les apôtres d’un Euro faible après avoir chanté sur tous les tons, et sur l’air des lampions, les soi-disant vertus d’un Euro fort. On dira qu’il n’y a que les imbéciles qui ne changent pas d’avis. Assurément, mais encore faudrait-il que l’on nous expliquât comment ces mêmes vertus se sont transformées en vice et le vice d’un Euro faible en vertu. Il y a quelques années, dans un débat télévisé, Christian Estrosi, alors Ministre, avait prétendu qu’une dépréciation ferait monter les prix de nos produits exportés. J’avais salué – ironiquement bien sûr – cette révolution dans la science économique qui renvoyait deux cents années de travaux, de Keynes à Ricardo, à la corbeille à papiers. Ou peut-être fallait-il incriminer les nombreuses chutes du Ministre, qui fut dans sa jeunesse un fort bon coureur motocycliste pour cet égarement temporaire (mais dans son cas le temporaire se situe dans le temps long). Le regard atterré des autres participants en disait long sur les inquiétudes que nous inspirait l’état clinique de ce pauvre Christian Estrosi.

Nous voici revenu à des conceptions plus robustes. Une dépréciation monétaire avantage l’industrie nationale car elle induit une baisse relative du prix des exportations et inversement une hausse relative du prix des importations. Et donc de ce point de vue, on ne peut saluer la baisse actuelle de l’euro sans donner raison à ceux qui défendaient, depuis des années, la nécessité d’une dévaluation (ou plus exactement d’une dépréciation monétaire). Mais il convient alors de pousser le raisonnement à son terme. Une dépréciation monétaire est avantageuse dans la mesure où elle se produit par rapport à nos principaux partenaires commerciaux. De fait, la France réalise à peu près 50% de son commerce dans la zone Euro, mais certains pays beaucoup plus : le chiffre est de l’ordre de 65% à 70% pour l’Espagne et l’Italie. La dépréciation de l’Euro n’avantage donc que les industries qui sont confrontées à une concurrence provenant de la zone Dollar. C’est la raison pour laquelle ses effets sont, et seront, plus que limités. Le principal problème se situe en fait dans la zone Euro.

La compétitivité à l’intérieur de la zone Euro

En fait, il faut regarder l’accumulation des déséquilibres qui se sont constitués dans la zone Euro en raison de l’impossibilité des pays de déprécier (ou de l’apprécier) leur monnaie. Un indicateur possible nous est fourni par l’évolution des coûts unitaires du travail, coût qui incluent l’évolution de la productivité et celle des salaires. Un pays peut avoir de faibles hausses des salaires mais peut perdre en compétitivité (mesurée par les coûts unitaires du travail) car ses gains de productivité sont inférieurs à ceux de ses partenaires commerciaux.

De ce point de vue, il est intéressant de comparer l’évolution des coûts unitaires du travail à ceux de l’Allemagne, qui est le pays « pivot » dans la zone Euro. C’est ce que l’on a fait à partir des données de l’OCDE.

Graphique 1

A - coutunit

Source : Base de données de l’OCDE.

On voit que la dépréciation qui serait nécessaire aujourd’hui serait de 12% pour le Portugal, de 16% pour l’Espagne, la France et la Grèce, de 18% pour l’Irlande et de 22% pour l’Italie. Ce résultat n’est pas étonnant. Si l’on regarde comment la productivité du travail a évolué dans ces pays, on constate que l’écart avec les gains accumulés par l’Allemagne depuis 1999 est de -25% pour la Grèce et l’Italie, de -17% pour l’Espagne, et de -10/12% pour le Portugal, la Belgique et les Pays-Bas. L’inflation ayant de plus progressé à des rythmes qui sont différents de ceux l’Allemagne, l’écart de compétitivité est important pour certains pays. En fait, cet écart est actuellement très préoccupant pour l’Italie.

Graphique 2

A - Produc

Source : Base de données de l’OCDE.

Ces écarts de compétitivité ne peuvent être résolus dans une « union monétaire » comme l’est la zone Euro que par ce que l’on appelle des « dévaluations internes », c’est à dire une course à qui fera le plus baisser le niveau de ses salaires. Mais, ceci détruit la demande intérieure, plonge le pays dans la récession, et réduit les ressources fiscales. On aboutit alors à un autre paradoxe : la hausse du ratio Dette/PIB avec les politiques d‘austérité qui sont censées pourtant le réduire.

Graphique 3

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Source : Base de données du FMI

Dans plusieurs pays, comme l’Espagne, l’Irlande, le Portugal et la Grèce, le ratio Dette/PIB s’est accru depuis la mise en œuvre des politiques dites d’austérité. En fait, les effets pervers de la « dévaluation interne » sont biens connus des économistes. Cette politique, appliquée en Allemagne de 1930 à 1932 par le chancelier Brüning avait plongé le pays dans une crise sans précédent qui aboutit à la victoire d’Hitler au début de 1933.

Se défaire de l’Euro

La situation du début des années 1930 présente une autre analogie avec la situation actuelle. A cette époque, les principaux pays européens étaient liés par le Gold Exchange Standard, autrement dit leurs taux de change étaient fixés par rapport à la valeur de l’or. Ceci se traduisait par une incapacité à faire varier les taux de change, tout comme dans le système de l’Euro. En fait, l’Euro (l’UEM) parce qu’il existe sans accords sur les transferts budgétaires entre pays, et sans unité de règles tant sociales que fiscales, est un équivalent du Gold Exchange Standard. L’Euro est la principale cause de la stagnation de l’économie européenne depuis le début des années 20001. C’est dire la régression, non seulement matérielle mais aussi intellectuelle, de tous ceux qui s’accrochent au maintien de la zone Euro. Ils se cramponnent à un système qui est l’équivalent du Gold Exchange standard et prétendent que c’est un progrès alors que l’Histoire a condamné ce type de système. De fait, dès que les pays européens acceptèrent de laisser fluctuer leurs monnaies et de se détacher du Gold Exchange Standard ils purent retrouver une souplesse pour s’ajuster.

La situation dans les économies du Sud de l’Europe est en réalité tragique2. On connaît la situation de la Grèce, mais il faut y ajouter celle du Portugal avec un chômage qui atteint 16% et une dette aujourd’hui supérieure à 120% du PIB, de l’Espagne et de l’Italie, où le PIB s’est contracté de 9% depuis le début de la crise3. La France se porte un peu moins mal, mais c’est au prix d’un déficit public excessif. Sans ce dernier, nous serions certainement aussi mal en point que l’Italie. La seule solution pour réduire ce déficit c’est de sortir de l’Euro afin de retrouver la compétitivité perdue.

* * * * *

Alors, non mesdames et messieurs du gouvernement français, la situation n’est pas bonne. Le temps n’est plus ou vous pourrez vous maintenir au pouvoir par des astuces de bonimenteur. Il faut désormais faire face à la réalité et en tirer les conséquences, ou partir sous les huées. Ce choix est désormais le seul qui vous reste.

 

  1. Bibow, Jorg (2009) “The Euro and its Guardian of Stability” Levy Economics Institute, Working Paper No. 53 (New York: Levy Economics Institute). []
  2. Lapavitsas, Costas, et al (2012) Crisis in the Eurozone (London: Verso). []
  3. Banca d’Italia (2014) Financial Stability Report Number 1, Mai. []

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