C’est à la fin de mes études d’Histoire en Sorbonne que nous eûmes à subir les offensives de Robert Paxton (“La France de Vichy“), du film “Le chagrin et la pitié“, puis, dans la foulée, de “Lacombe Lucien” de Louis Malle. Tout ce matériau a un but dans la foulée de mai 1968 et du courant de la “déconstruction”: détruire un mythe d’une France résistante pour promouvoir l’image d’une France collaborationniste, de manière bénigne ou active. Le film de Louis Malle qui faisait le portrait d’une jeune français engagé dans la milice, était particulièrement odieux puisque l’on y voyait ce milicien utiliser sa mitraillette pour chasser les lapins, et l’on a un gros plans sur un superbe chien appartenant à des collaborateurs en fuite, agonisant dans la voiture de ses maîtres après une attaque de la Résistance. Il n’en fallu pas plus pour déclencher dans la presse une dénonciation du sort réservé à ces collaborateurs qui n’étaient pas si méchants que ça, d’autant plus que la majorité des Français avaient approuvé la collaboration…
Pour Paxton, la collaboration de Pétain, censée alléger le sort des français et notamment des juifs, n’aurait rien allégé du tout.
Bref, c’était le début de la démolition du “roman national” autour de la Résistance et de la libération de la haine de la France chez les “élites” du bloc bourgeois, pour en finir avec de Gaulle et son encombrant héritage…
Cette thèse de la France collaborationniste allait recevoir le soutien de Serge Klarsfeld, qui n’a d’autre discours que de présenter la France comme un pays antisémite qui a livré des juifs aux Allemands, et que l’on retrouve, bien sûr, aujourd’hui dans le déchainement anti-Zemmour.
Et si, pour démêler tout cela, on regardait tut simplement les faits, sans se laisser dicter une “vérité” Par M. Paxton?
L’histoire n’est jamais en blanc et noir: découvrir que Laval (et non Pétain) a protégé les juifs français est certes désappointant, mais c’est ainsi. L’histoire est replie d’ambiguïtés, et s’il y a un reproche à faire à Zemmour c’est d’avoir amené le débat historique dans le débat politique, ce qui est difficilement compatible..
Cet article d’
nous éclaire très utilement.
Le 22 juillet 2018, lors de la commémoration annuelle du Vel’ d’Hiv’, le premier ministre Edouard Philippe a insisté sur la culpabilité de la France dans cette tragédie : « durant ces jours sombres, la France a trahi. Elle a trahi ses citoyens. Trahi ceux qui croyaient en sa protection et croyaient y trouver refuge. Elle a trahi ses valeurs ».
Cette antienne a démarré dans les années 70 après la fin des années gaulliennes, avec le film « le chagrin et la pitié » de Marcel Ophuls et l’historien américain Paxton. Depuis plus de 40 ans elle a été reprise par toute une école historique afin de stigmatiser la politique « criminelle » de Vichy avec force documentaires. Mais surtout, elle a eu pour objectif de culpabiliser, rabaisser, humilier la France et les Français d’hier et d’aujourd’hui, dans un but largement politique, d’abaissement et de soumission de notre pays.
Le documentaire de RMC découvertes du 10 janvier 2021 d’Elisabeth Bonnet-Katz et de Cécile Lévy n’apparait pas seulement intéressant à visionner, il constitue également une bonne surprise.
Bien entendu le documentaire évoque l’antisémitisme en France attribué à la seule extrême droite. Il faut pourtant rappeler que le grand parti de droite, le Parti Social Français, était hostile à tout antisémitisme et que celui-ci était partagé par une partie de la gauche, notamment à la SFIO. Il est aussi loisible de se demander pourquoi un tel antisémitisme est apparu dans les années 30 et pas dans les années 20.
Lorsque le documentaire parle de l’hétérogénéité des Juifs en France, il évoque la différence entre les 130 000 Français juifs, présents en France depuis des générations, et les 190 000 arrivants récents, le plus souvent originaires d’Europe centrale, parfois marqués politiquement. Les témoignages sont nombreux ; les premiers n’avaient guère d’estime pour les seconds et marquaient les distances à leur égard.
D’emblée les historiens du documentaire rappellent avec conviction le constat qui, jusqu’à maintenant, était celui des seuls pétainistes convaincus. Sur les 320 000 juifs présents en France métropolitaine en 1940, environ 75 000 ont été déportés et ont disparu. Les trois quarts ont échappé à la mort, soit les deux tiers des juifs étrangers et 90 % des juifs français. En Pologne, 90 % de la population israélite ont été anéantis et 75 % de celle des Pays-Bas. Comme l’ont répété les historiens Jacques Semelin et Alexandre Doulut, ce taux de survie a été exceptionnel en Europe. Et, il faut l’ajouter, il ne tient pas compte des centaines de milliers de juifs d’Afrique du Nord qui n’ont pratiquement pas été touchés par les persécutions allemandes.
Et maintenant un peu de ré information.
-Non, la France n’était pas la première puissance au monde comme l’a dit Semelin. Elle n’en n’était que la sixième en 1940, loin derrière l’Allemagne.
-Après la défaite les Français n’ont pas attribué aux seuls Juifs la responsabilité du désastre comme le dit Klarsfeld. Ils accusaient surtout la IIIe République et ses politiciens.
-Le documentaire dénonce à juste titre les camps d’internement en France et leurs conditions abominables de vie. Il eût été bon de rappeler que ces camps ont été mis en place par les gouvernements de la IIIe République qui n’ont guère accordé d’attention à celles-ci. Enfin il eût été juste de souligner que le seul ministre qui a lutté contre cette calamité et réduit considérablement le nombre d’internés fut Pierre Pucheu.[1]
Jusqu’en novembre 1942 il faut, comme le dit le documentaire, distinguer la zone libre où les Juifs étaient globalement protégés, de la zone occupée. Dans celle-ci, la pression allemande était très forte.
En juin 1942 les Allemands exigèrent la déportation de 100 000 juifs en France, chiffre ramené à 40 000 et, après négociations, à 27 000 Juifs étrangers selon les historiens Semelin et Katy Hazan, afin de sauvegarder dans la mesure du possible les Français juifs.
Comme le dit Klarsfeld la rafle du Vel’ d’Hiv’ fut un échec et ressentie comme tel par les Allemands. En effet la police française arrêta la moitié, soit environ 13 000 personnes. Beaucoup de policiers avaient fermé les yeux ou averti une partie de la population juive malgré le sens de la discipline beaucoup plus fort à l’époque que maintenant, comme insiste sur ce point Klarsfeld.
Mais surtout les conditions de détention et d’embarquement dans des wagons à bestiaux de femmes et d’enfants indignèrent et retournèrent une grande partie de l’opinion publique ainsi qu’une partie du clergé français comme Mgr Saliège, archevêque de Toulouse. Pierre Laval, lui-même, fut ébranlé lorsqu’il entendit des rumeurs de plus en plus précises à partir d’août 1942 sur ce qui se passait à l’est.[2] Malgré la livraison d’environ 10 000 Juifs étrangers de la zone libre, les déportations se ralentirent.
Il fallut organiser le sauvetage, notamment des enfants. C’est ce à quoi s’employèrent les organisations juives, particulièrement actives, comme l’Œuvre de secours aux enfants (OSE) qui répartit les enfants entre différents sites le plus souvent dans le sud comme à Moissac dans le Quercy. À titre d’exemple Cohn-Bendit naquit à Montauban. La France en a été récompensée…
L’efficacité de ces associations n’aurait pas été ce qu’elle fut s’il n’y avait pas eu l’aide et la complicité indispensables des Français. Ç’est Klarsfeld qui, une fois de plus, insiste : « les Français ont été les seuls en Europe à réagir ».
Ce fut particulièrement le cas de l’église catholique qui ouvrit des maisons d’accueil et beaucoup de couvents. Les témoignages de celles et ceux qui trouvaient refuge sont réellement émouvants.
Lorsque la zone libre fut envahie en novembre 1942, le danger devint plus aigu. La solution fut le placement clandestin chez des particuliers, notamment dans le monde rural dont Klarsfeld a souligné qu’il s’avéra réceptif et protecteur. Le documentaire indique également que la population aida les Juifs par haine des Allemands et rejet d’un gouvernement dont le STO (600 000 déportés du travail dont 30 000 moururent outre-Rhin !) fit perdre une légitimité déjà affaiblie.
L’historien Doulut insiste sur le fait qu’il y eut très peu de dénonciations et que ce fut un phénomène marginal, contrairement à la légende.
Il n’y eut en France que 4000 Justes. Mais les historiens et les témoins affirment que beaucoup plus de monde aurait mérité cette distinction car l’aide prit des formes nombreuses et diverses : aussi bien celle du salut amical que celles de l’avertissement, de l’accueil et de l’hospitalité. Pour Klarsfeld, l’ensemble des Français ont été des Justes car ils ont vu que l’on violait leurs traditions et ils ont montré leur humanité contrairement aux déclarations d’Edouard Philippe. Celui-ci, en l’occurrence, a trahi la France par ses propos de juillet 2018.
En épilogue le commentaire parle d’une France qui ne fut ni celle des collaborateurs ni celle des résistants, qui ne fut pas toujours exemplaire mais qui fit ce qu’elle pût face à la monstruosité allemande. Et finalement avec un résultat statistique exceptionnel n’en déplaise à Paxton.
Le crime fut celui de l’Allemagne. La faute de la France ou plutôt celle des gouvernants idéologues et incapables de la III ème République, fut d’être défaite ce qui la plongea dans la tourmente et contraignit le gouvernement de Pierre Laval à se salir les mains.
André Posokhow