12 mai 2013
Par Jacques Sapir
La crise de l’Euro a mis en évidence le fait que la monnaie unique a eu plutôt un effet dépressif qu’expansionniste sur l’économie. Ceci est parfois contesté au regard des résultats de ces trois dernières années. Il convient pourtant de regarder la situation sur une plus longue période, en tenant compte de la situation dite de “pré-Euro” dans laquelle les pays qui devaient constituer la future Zone Euro se sont livrés à des politiques d’ajustement budgétaire aux effets déjà récessifs. Il faut aller au milieu des années 1980 pour avoir une vision réellement rétrospective de l’impact de l’Euro, en distinguant une période suffisamment longue sur laquelle le projet d’Union Économique et Monétaire n’a pu avoir d’influence.
Tableau 1
1986/2012 1986/1999 2000/2007
Canada 2,48 2,75 2,84
France 1,81 2,30 2,06
Allemagne 1,86 2,36 1,67
Italie 1,24 2,00 1,56
Japon 1,70 2,44 1,52
Grande-Bretagne 2,45 3,07 3,16
Etats-Unis 2,59 3,30 2,59
Suède 2,31 2,21 3,23
Source: FMI, Outlook Database, Avril 2013
On constate alors que les trois principales économies de la zone Euro (Allemagne, France et Italie) ont eu des taux de croissances bien plus faibles sur 2000-2007 du temps de l’Euro que de 1986 à 1999. De manière significative, si l’on regarde les deux principales économies de l’Union Européenne qui ne font pas partie de la zone Euro, la Grande-Bretagne et la Suède on voit que leur croissance tend à s’accélérer au moment de l’introduction de l’Euro. Ceci peut être vérifié par une graphique retraçant la croissance depuis 1986.
Graphique 1
Source: idem tableau 1
Ce graphique montre qu’à l’exception du Japon (qui est dans ce que l’on appelle la “décennie perdue” à la suite de l’éclatement de la bulle immobilière), les résultats des pays hors zone Euro sont très largement supérieurs à ceux des pays de la zone Euro. La Grande-Bretagne est, quant à elle, pénalisée à partir de la crise de 2007-2008 par la financiarisation de son économie. On peut mettre ceci en évidence si l’on ajuste le champ de vision et que l’on ne considère QUE la période de mise en place de l’Euro.
Graphique 2
Source: idem Tableau 1.
La crise financière a un impact de longue durée sur la Grande-Bretagne. Mais ceci n’est nullement dû au fait que ce pays ne fasse pas partie de la zone Euro. Si l’on regarde la Suède, on constate que le profil de ce pays est le même que celui de la Grande-Bretagne de 2006 à 2009, mais qu’après 2009 la croissance redémarre de manière très forte. Les difficultés que la Grande-Bretagne connaît depuis 2010 sont donc liées son modèle de développement, largement fondé sur les services financiers. Notons que ses résultats restent supérieurs sur la période globale aux trois pays de la zone Euro. De ce point de vue, la comparaison avec l’Italie est saisissante. Alors que ce dernier pays était sur le point de rattraper la Grande-Bretagne à la fin des années 1980, l’écart s’est brutalement ouvert dans les années 1990 et 2000. De fait, l’Italie apparaît comme un des pays qui ont été le plus pénalisé par l’existence de la zone Euro.
Une simple analyse des statistiques de croissance montre bien que l’introduction de l’Euro s’est accompagné d’un freinage de la croissance pour les économies de l’Union Économique et Monétaire. Ce freinage, évident si l’on regarde les Etats-Unis, est tout aussi spectaculaire pour les deux principales économies de l’UE non membres de la zone Euro, soit la Grande-Bretagne et la Suède. Loin d’avoir contribué au renforcement de l’Europe, l’Union Économique et Monétaire a en réalité contribué à son affaiblissement à l’échelle internationale, et ceci AVANT que la crise de l’Euro ne prenne l’ampleur qu’on lui connaît aujourd’hui. Cette crise menace désormais de tourner à la catastrophe avec un appauvrissement sans précédent de pays comme la Grèce (27% de chômeurs), l’Espagne (25%) et le Portugal. Ce constat a été déjà fait. Il est confirmé par la déclaration de Lars Seier Christensen, le vice-Président et co-fondateur de la Saxo-Banque lors d’une conférence à Londres:
“… let us turn to the situation in the Eurozone
Frankly, it is a complete mess. And it is a mess that gets worse and worse every day. Only not in Brussels. There we hear an endless litany of promises of recovery in six months time, always in six months time, we hear the Euro is safe, and that if just we all hand over more responsibility to our Masters in Brussels, everything will be just fine.
Nothing could be further from the truth. We have just been through the bailout of the fifth Euro zone country, and both Slovenia and Malta are queuing up to be next. When, not IF, the Troika arrive in these two countries, it will create to an absurd situation where nearly half of the Eurozone countries have been broken by their adoption of the common currency, the same EURO they joined with such high hopes for the future.” (source)
Il importe désormais d’en tirer les conséquences.
Michel Aglietta avait, en mai 2010, pointait cet état des choses en calculant le taux de croissance annuel moyen sur un demi-siècle: il constatait une érosion de cet indicateur avant 2001 mais fortement dans les périodes 95/2004 et 2005/2009 (2.0 et 0.9 pour la France et 1.9 et 0.8 pour la zone Euro). L’euro + une baisse de productivité (baisse des innovations long terme pour certains)?
Le diagnostic est peut-être un peu plus complexe. Quoi qu’il en soit, sans un modèle coopératif venant des pays dont les critères ne sont pas critiques (Allemagne Autriche etc…) et une dépréciation de l’euro importante, la consolidation budgétaire des finances publiques demandée n’est pas possible. La démocratie, les Etats nations, et l’intégration économique réelle: les 3 simultanément n’existe pas, le système ne peut fonctionner qu’avec deux facteurs! L’intégration ? « Amplifier celle-ci pour passer à la monnaie unique exige de soit renoncer à la souveraineté nationale, soit à la démocratie ». En sortir, n’est pas moins simple: un nœud gordien ou le triemme de Rodrick ?